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Mélanges
Comptes rendus

Dewel Serge, 2018, Addis-Abeba (Éthiopie). Construction d’une nouvelle capitale pour une ancienne nation souveraine, t. I (1886-1936), 474 p. ; t. II (1936-2016), 230 p.

Paris, L’Harmattan.
Alain Gascon
p. 339-342

Texte intégral

1La thèse, soutenue par Serge Dewel à l’INALCO en 2017, Addis Abäba (Éthiopie) 1886-1996. Construction d’une nouvelle capitale pour une ancienne nation souveraine, est d’ores et déjà publiée. On se réjouit de la brièveté de ce délai, car, le plus souvent, la parution se fait attendre plusieurs années. Les deux volumes reprennent l’intégralité de l’abondante documentation réunie par l’auteur, dont il a pris soin de publier la liste détaillée à la fin de chacun des deux tomes dans des bibliographies, des tables, des encadrés, des cartes et des figures et surtout des photographies, sur l’usage desquelles je reviendrai plus loin. Il a consulté des ouvrages, articles et rapports, non seulement dans les langues européennes, mais également en amharique. Il a ajouté une chronologie très détaillée, des glossaires des termes en langues vernaculaires, des index qui aident le lecteur à se retrouver dans plus d’un siècle d’histoire, et précise les règles de la transcription des mots, patronymes et toponymes en amharique et... il s’y tient ! Toutefois, il se peut qu’en dépit des efforts de Dewel, le lecteur peu familiarisé avec l’Éthiopie des xixe-xxe siècles soit parfois dérouté, même si les abondantes notes infrapaginales le remettront dans le droit chemin.

2L’auteur a choisi d’articuler les deux tomes de son ouvrage, autour de l’année 1936, date de la fondation de l’Africa Orientale Italiana (AOI). Elle annonçait, selon Mussolini, le retour, pour mille ans (sic), de l’Impero romano qui avait avalé, telle une proie, l’Éthiopie, pourtant « ancienne nation souveraine » et membre de la SDN comme l’Italie. Quoique brève, l’occupation italienne, qui adopta Addis Abäba comme capitale, a contribué à renforcer son statut de symbole de l’Éthiopie indépendante restaurée en 1941. Le premier tome, qui ne couvre que cinquante ans d’histoire, totalise deux fois plus de pages que le second qui couvre quatre-vingts années. Même si ce deuxième volume présente de nombreux documents, son style est plus direct et son expression plus ramassée. En outre, si nous retranchons les pages consacrées aux annexes (glossaire, chronologie, tables et bibliographie), ce tome ne comporte que 154 pages : une partie (1936-1956) et la conclusion (1956-2016). Pouvait-on partager autrement l’ouvrage ? Mais comment échapper à la coupure, inévitable et primordiale, de 1936 ?

  • 1 Bezunesh Tamruqui 2013, Villes et territoires en Éthiopie, Paris, L’Harmattan.

3Le premier volume regroupe deux parties « chronologiques » précédées d’une introduction qui, se référant à Lewis Mumford et à Pierre Nora, justifie le plan chronologique, et des « Prolégomènes ou la fabrication d’une légende dorée incarnée dans la modernité d’Addis Abäba ». L’auteur y analyse les rapports, dans le temps long, entre la culture religieuse et politique éthiopienne, les hautes terres et les différentes capitales qui s’y sont ancrées. Ce chapitre original complète le travail de Bezunesh Tamruqui, qui a montré que l’Éthiopie n’était pas un espace sans villes, comme on l’écrit trop souvent1. En 113 pages, la partie I, « 1886-1916. Une nouvelle capitale pour un empire refondé », retrace les dix années qui précédèrent et suivirent Adwa (1896) et qui « ont changé l’Éthiopie » sous la rude férule de Menilek II. La partie II, « 1916-1936. Souveraineté nationale et modernisation de la capitale », nous conduit, en 169 pages, à la prise d’Addis Abäba ravagée par les pillages, les incendies et les massacres, le 5 mai 1936. La capture de la capitale n’a pas marqué la fin de la guerre : les résistants (arbäññoč), impitoyablement traqués par les bandes d’ascari (supplétifs indigènes), ont mené la vie dure aux Italiens.

  • 2 On vient de retrouver des archives de l’AOI, soumises à l’expertise des Archives nationales françai (...)
  • 3 Fasil Giorghis, Denis Gérard, 2007, The City and Its Architectural Heritage. Addis Ababa 1886-1941. (...)
  • 4 Peter P. Garretson, 2000, A History of Addis Abäba from Its Foundation in 1886 to 1910, Wiesbaden, (...)
  • 5 Voir le catalogue de l’exposition de Bertrand Hirsch et Michel Perret, 1989, Éthiopie, année 30, Pa (...)

4Dans les parties I et II et dans la partie III (du deuxième tome), « 1936-1966. Addis Abäba d’un empire à l’autre », à laquelle s’ajoute une conclusion générale, « Épilogue conclusif (1966-2016) », Dewel rompt avec l’usage qui cantonne les documents, photographiques notamment, au rang d’illustrations et parfois de faire-valoir au texte de l’auteur. Comme il l’expose dans le livre, il n’a disposé que d’un corpus limité de documents écrits, compte tenu des aléas de l’histoire mouvementée de la capitale (1936, 1941, 1960, 1974, 1991)2. Il a patiemment rassemblé et numérisé une impressionnante collection de photographies anciennes, inédites pour beaucoup, à partir desquelles il a construit ses analyses. Heureusement pour le lecteur, l’éditeur a fait du bon travail : la plupart sont lisibles sans même l’aide d’une loupe. Toutefois, Dewel ne se contente pas de produire un répertoire des architectures remarquables d’Addis Abäba, à l’instar de Fasil Giorghis et de Denis Gérard qui ont tenté de sauver des bâtiments remarquables menacés par les aléas climatiques et les rénovations urbaines « à la hache3 ». Il propose également un grand nombre de portraits et de scènes de foule (défilés, cérémonies, banquets). Tous ces documents sont repris dans l’exposé historique construit par l’auteur qui rejoint, entre autres, Peter P. Garretson4. Compte tenu de l’abondance de la moisson récoltée et reproduite par l’auteur (156 photos dans le premier tome et 92 photos dans le suivant), ce bref compte rendu ne peut les mentionner en détail et j’invite, donc, le lecteur à découvrir, comme dans un film documentaire, 130 ans de vie quotidienne à Addis Abäba, marquée tant par les jours de fête que par les jours de deuil5.

5Outre l’utilisation méthodique et raisonnée des photographies, en grand nombre toutefois, comme corpus de documents historiques, Dewel apporte une contribution importante à l’histoire de l’Éthiopie moderne et de sa capitale. Il nous convainc lorsqu’il ose proposer un renversement de perspective historique. Deux hauts faits jalonnent le règne de Menilek : la victoire d’Adwa sur l’Italie et le transfert et l’établissement de la capitale de l’Éthiopie – dont il était le souverain depuis 1889 – à Addis Abäba, à la jointure entre les « vieilles » provinces chrétiennes établies sur les hautes terres du Nord et les territoires fraîchement reconquis ou conquis au sud-ouest et à l’Est. Quand on a terminé la lecture du tome I, on incline à penser que Menilek s’établit certes à Addis Abäba, qu’il chercha à quitter pour Addis Aläm, abandonné, dit-on, sous la pression de la compagnie ferroviaire. Il est clair, selon Dewel, et on le suit volontiers, que c’est ras Täfäri Mäkonnen, tendu vers la conquête du pouvoir (1916-1930), qui engagea le processus de centralisation autour le la nouvelle capitale. Dans ce but, il lança un programme au long cours de construction de monuments dans sa capitale et y déploya un art consommé de la réception des altesses et des notoriétés de l’époque, qui culmina avec son couronnement comme roi des rois Haylä Sellasé, en 1930. Les photographies des cérémonies s’affichèrent à la une des journaux du monde entier et leur film fut projeté aux actualités dans les salles éparpillées sur toute la planète. La force symbolique du couronnement fut telle que, paradoxalement, aucune autre ville ne s’imposa comme capitale, pas plus lors de la conquête italienne, que de la défaite infligée à l’armée de Mängestu, en 1991.

  • 6 Estelle Sohier, 2012, Le Roi des rois et la photographie. Politique de l’image et pouvoir royal en (...)
  • 7 Alain Gascon, Serge Dewel, 2019, Addis Abeba, Cnes/Géoimages.
  • 8 Alain Gascon, 1999, « Addis Abeba, La plus haute capitale d’Afrique », in Anne-Marie Frérot (dir.), (...)

6Le livre de Dewel, à l’exemple d’autres travaux récents6, démontre combien les historiens ont intérêt à exploiter le gisement, à la richesse insoupçonnée, des images photographiques et cinématographiques. Ces documents nécessitent des précautions particulières et un traitement très rigoureux, que l’auteur a mis en œuvre avec beaucoup d’efficacité. Cet ouvrage, qui apporte des éléments nouveaux et originaux à la connaissance de l’histoire mêlée de la Grande Éthiopie et de sa capitale, suscitera des vocations, parmi les chercheurs, pour que soit poursuivie l’étude d’Addis Abäba où se pressent plus de cinq millions d’habitants. La ville déborde de ses limites administratives, ainsi qu’on le constate dans les images publiées par le CNES7. Les éthiopisants, en se reportant aux études plus anciennes 8, mesureront ainsi combien s’est renforcée l’emprise territoriale et politique de la capitale dont l’effectif a décuplé entre 1970 et 2020, alors que, dans la même période, la population de l’Éthiopie quintuplait. Désormais, les recherches se portent sur les questions écologiques et sanitaires (la forêt d’eucalyptus, la distribution de l’eau courante, le traitement des eaux usées, la collecte et le traitement des ordures) que la municipalité, dépassée par l’afflux des migrants, est incapable de maîtriser. En novembre 2021, la perspective de combattre, puis d’assumer la charge des cinq millions d’habitants de la capitale, le plus souvent hostiles, n’a-t-elle pas fait hésiter les rebelles des Tegray Defence Forces, issus d’une province peuplée d’un peu plus de six millions d’habitants, à lancer l’offensive « finale » contre Addis Abäba ? La balance démographique « défavorable » a sans doute pesé dans la décision des Tigréens, dont les lignes de communication étirées étaient, par ailleurs, à la merci des drones de l’armée fédérale.

7La lecture du livre de Dewel s’impose pour qui veut connaître l’extraordinaire expansion de « la nouvelle capitale pour une ancienne nation souveraine » qui aspire au rang de « capitale de l’Afrique ».

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Notes

1 Bezunesh Tamruqui 2013, Villes et territoires en Éthiopie, Paris, L’Harmattan.

2 On vient de retrouver des archives de l’AOI, soumises à l’expertise des Archives nationales françaises.

3 Fasil Giorghis, Denis Gérard, 2007, The City and Its Architectural Heritage. Addis Ababa 1886-1941. La ville et son patrimoine architectural, Addis Ababa, Shama Books-Ambassade de France.

4 Peter P. Garretson, 2000, A History of Addis Abäba from Its Foundation in 1886 to 1910, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag.

5 Voir le catalogue de l’exposition de Bertrand Hirsch et Michel Perret, 1989, Éthiopie, année 30, Paris, L’Harmattan.

6 Estelle Sohier, 2012, Le Roi des rois et la photographie. Politique de l’image et pouvoir royal en Éthiopie sous le règne de Ménélik II, Paris, Publications de la Sorbonne.

7 Alain Gascon, Serge Dewel, 2019, Addis Abeba, Cnes/Géoimages.

8 Alain Gascon, 1999, « Addis Abeba, La plus haute capitale d’Afrique », in Anne-Marie Frérot (dir.), Les grandes villes d’Afrique, Paris, Ellipses : 165-176 ; Édouard Berlan, 1963, Addis- Abeba la plus haute ville d’Afrique. Étude géographique, Grenoble, Allier.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alain Gascon, « Dewel Serge, 2018, Addis-Abeba (Éthiopie). Construction d’une nouvelle capitale pour une ancienne nation souveraine, t. I (1886-1936), 474 p. ; t. II (1936-2016), 230 p. »Journal des africanistes, 91-2 | 2021, 339-342.

Référence électronique

Alain Gascon, « Dewel Serge, 2018, Addis-Abeba (Éthiopie). Construction d’une nouvelle capitale pour une ancienne nation souveraine, t. I (1886-1936), 474 p. ; t. II (1936-2016), 230 p. »Journal des africanistes [En ligne], 91-2 | 2021, mis en ligne le 01 novembre 2022, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/africanistes/11413 ; DOI : https://doi.org/10.4000/africanistes.11413

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