Mulugeta Gebrehiwot Berhe, 2019, Laying the Past to Rest. The EPRDF and the Challenge of Ethiopian State-Building
Texte intégral
- 1 Aalen Lovis, Tronvoll Kjetil, 2008, The 2008 Ethiopian Local Elections. The Return of the Electoral (...)
1Les constructions nationales ou celles des États comptent désormais parmi les sujets classiques de recherche. Toutefois, il convient de s’arrêter sur cet ouvrage particulier pour plusieurs raisons. L’auteur, titulaire d’une thèse (PhD) en Public Administration de l’université de Victoria (Canada), est un vétéran de l’EPRDF (Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front, Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien) apportant un témoignage de l’intérieur. D’autre part, si l’EPRDF a été abondamment commenté, il a été fort peu étudié en profondeur (plutôt à ses débuts1) et peu du point de vue de la gouvernance. Enfin, dans la grave crise que l’Éthiopie traverse actuellement, cristallisée au Tigray, la gouvernance de l’EPRDF représente une clé majeure d’analyse et de compréhension.
2Le régime militaro-marxiste hypercentralisé du Därg (Comité 1974-1991), conduit par Mengistu Haylä-Maryam, fut confronté à la rébellion de l’Érythrée puis du Tigray, dès le début de la révolution. D’autres provinces d’Éthiopie se soulevèrent ensuite. Malgré le soutien soviétique et cubain depuis 1977, l’armée régulière éthiopienne cédait progressivement du terrain. Afin de porter le coup de grâce à un des régimes les plus sanguinaires d’Afrique, les principaux mouvements en rébellion se rapprochèrent, autour du TPLF (Tigrean People’s Liberation Front), qui apparaissait comme la structure la plus puissante et la plus organisée de la guerre civile. Ainsi, l’EPRDF est né en janvier 1990 de la coalition des principaux mouvements rebelles du maquis contre le Därg. Après avoir vaincu le Därg en mai 1991, l’EPRDF présida à la destinée de l’Éthiopie, sous l’égide du TPLF, jusqu’à son démembrement, en novembre 2019.
3Le livre de Mulugeta est le fruit d’une thèse de doctorat soutenue en 2018, avant la fin de l’ère EPRDF en Éthiopie, à la veille de l’avènement de l’ère Abiyy Ahmed. La recherche de Mulugeta commence avec le TPLF en 1975, dès avant la fondation de l’EPRDF en 1990, pour courir jusqu’en 2012, date de la première mutation du parti-État éthiopien, marquée par le décès de Mälläs Zenawi, son fondateur et leader historique. Un court épilogue à cette étude résume en deux pages les sept dernières années de l’EPRDF (2012-2019).
4L’ouvrage se compose d’une introduction suivie de douze chapitres, répartis en un prologue et quatre parties. Les trois premières parties adoptent un caractère chronologique, alors que la dernière a valeur conclusive. Le texte est accompagné de quatre cartes et de cinq tableaux, donc une infographie pauvre et une iconographie inexistante.
5Le premier chapitre, à valeur de prologue, présente un survol du temps long de l’histoire éthiopienne jusqu’à la révolution de 1974, qui amena le Därg au pouvoir. Le règne de Haylä-Sellasé depuis la restauration (1941-1974) et les mouvements de contestation à la veille de la révolution occupent la plus grande partie de ce chapitre. Suivent ensuite trois parties chronologiques, constituant le cœur de l’ouvrage.
6La première partie, qui rassemble trois chapitres, couvre les premiers temps du TPLF, depuis sa fondation et ses premiers développements (1975-1985) jusqu’au congrès marxiste-léniniste du Tigray de 1985. Cette décennie combattante constitue une sorte de préhistoire de l’EPRDF, mais représente surtout la genèse du TPLF et sa montée en puissance. Le cadre idéologique, les enjeux internes, les victoires militaires et les jeux de relations internationales sont détaillés.
7Viennent ensuite deux chapitres qui forment la deuxième partie du livre : le paroxysme de la rébellion de 1985 à 1991. Le chapitre v s’ouvre avec la fondation de la ligue marxiste-léniniste du Tigray et glisse vers l’exposé des efforts de transformation d’une guérilla en une guerre conventionnelle. Le chapitre vi – une partie clé de l’ouvrage – éclaire le processus de fondation de la coalition EPRDF (congrès de 1990), et détaille les préparatifs de son offensive finale, ainsi que la transition vers l’exercice du gouvernement. Ainsi, ce n’est qu’au vie chapitre (p. 145) qu’apparaît pour la première fois l’EPRDF. Il s’agit donc autant de l’histoire du TPLF que de celle de l’EPRDF, ce dernier étant compris comme le TPLF élargi à d’autres: « The Tigrai People’s Liberation Front (TPLF) – the leading founder and member of the Ethiopian People’s Democratic Front (sic) (EPRDF) and the current ruling party of Ethiopia – emerged at this time as one of the armed resistance groups » (p. 39). Toutefois, le récit de la destinée du TPLF est abandonné après la formation de l’EPRDF.
8La troisième partie du livre, divisée en quatre chapitres, est consacrée aux deux décennies de l’exercice du pouvoir en Éthiopie par l’EPRDF, après la chute du Därg (1991-2012). Ainsi, les chapitres vii et viii s’attachent à la période de transition qui eut à assurer le fonctionnement des institutions de l’État tout en instaurant la sécurité dans le pays après dix-sept ans de guerre civile. Ce fut aussi la période pendant laquelle l’EPRDF s’attacha à organiser le futur système fédéral issu de sa coalition : « designing and implementing an inclusive political process for legitimate transition » (p. 165). Le chapitre ix, consacré à la guerre éthio-érythréenne (1998-2001), insiste particulièrement sur les divisions internes de l’EPRDF et la crise de pouvoir que connut alors le parti-État éthiopien. Enfin, le chapitre x couvre le « mouvement de renaissance » théorisé par l’EPRDF, les élections de 2005 (et la très brève période de multipartisme ensuite sévèrement réprimée) et les principes de « democratic developmental state » décrétés par l’EPRDF. Ce chapitre illustre comment la période de contestation populaire consécutive aux élections de 2005 – close par l’action de l’État – fut suivie d’une totale fusion du parti dans les institutions et structures gouvernementales.
9La thèse de Mulugeta couvre la période jusqu’en 2012, date de la mort de son fondateur Mälläs Zenawi. Depuis lors, l’EPRDF a vécu une période de contestation violente sous la présidence de Haylä-Maryam Dessalegn (2012-2018), jusqu’à sa dissolution en 2019 provoquée par l’actuel Premier ministre, Abiyy Ahmäd. Cet épisode fait l’objet d’un épilogue de deux pages et demie dans lesquelles l’auteur défend l’idée que Haylä-Maryam Dessalegn, n’ayant pas été un combattant du maquis (1975-1991), est extérieur à l’EPRDF dont il n’a pas compris l’essence. S’il a su maintenir l’héritage de Mälläs, il aurait pourtant raté des opportunités de grandissement du parti-État et en aurait précipité la fin.
10L’ouvrage est incontournable pour aborder le TPLF (pendant sa phase de guérilla) et l’EPRDF, il n’est pour autant pas dénué de certains à priori, comme l’issue que nous évoquions dans le paragraphe précédent. Pour qui a connu l’Éthiopie des années 1990, il est difficile de considérer que ce fut une démocratie. Néanmoins, l’auteur n’hésite pas à affirmer que la période de transition « a été celle de la mise en place des cadres normatifs d’une démocratie, même si cette transformation ne s’est pas faite sans obstacles » (p. 185). On retrouve un même biais dans la manière de désigner la violente répression qui s’est abattue sur le pays en 2005-2006 (avec des arrestations de masse et de nombreuses mises au secret), lisible dans cette ellipse pudique : « the EPRDF took several measures to correct the weakness it saw during the election » (p. 227). D’autre part, on pourrait aussi reprocher à l’auteur une tendance à trop expliquer des décisions prises dans le processus de fondation de l’EPRDF (chapitre vi) par rapport à la fin de la guerre froide, qui ne pouvait pourtant être connue qu’a posteriori. Certes, la chute du mur de Berlin (novembre 1989) pouvait laisser imaginer certains changements, mais les bases de la coalition furent jetées en mai 1988 (p. 147) et le congrès fondateur de l’EPRDF se tint en janvier 1990 (p. 148).
11Si ce regard parfois biaisé est regrettable, il constitue la contrepartie du point de vue interne : celui (riche) d’un acteur de l’objet qui en a entrepris l’analyse scientifique.
Notes
1 Aalen Lovis, Tronvoll Kjetil, 2008, The 2008 Ethiopian Local Elections. The Return of the Electoral Authoritarism, African Affairs 108 (430): 111-120; Tronvoll Kjetil, 2009, War & Politics of Identity in Ethiopia. Making Enemies and Allies in the Horn of Africa, Woodbridge, James Currey, Eastern Africa Serie; Clapham Christopher, 2017, The Horn of Africa: State Formation and Decay, Londres, Hurst & Co; etc.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Serge Dewel, « Mulugeta Gebrehiwot Berhe, 2019, Laying the Past to Rest. The EPRDF and the Challenge of Ethiopian State-Building », Journal des africanistes, 91-2 | 2021, 349-351.
Référence électronique
Serge Dewel, « Mulugeta Gebrehiwot Berhe, 2019, Laying the Past to Rest. The EPRDF and the Challenge of Ethiopian State-Building », Journal des africanistes [En ligne], 91-2 | 2021, mis en ligne le 01 novembre 2022, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/africanistes/11428 ; DOI : https://doi.org/10.4000/africanistes.11428
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