Joussaume Roger, Cros Jean-Paul, Art rupestre dans la Corne de l’Afrique
Joussaume Roger, Cros Jean-Paul, Art rupestre dans la Corne de l’Afrique, Chauvigny, Association des publications chauvinoises, 2020, « Mémoire » LIII, 312 p.
Texte intégral
1Les premières missions archéologiques de Roger Joussaume dans la Corne de l’Afrique remontent aux années 1970. Jean-Paul Cros, spécialiste en anthropologie physique, intervient à ses côtés depuis les années 1990. Tous deux ont fouillé, en collaboration avec d’autres collègues, plusieurs sites mégalithiques, sépultures monumentales et habitats anciens en Éthiopie et à Djibouti. Leurs travaux ont donné lieu à d’importantes publications. Parallèlement, ils n’ont cessé de s’intéresser aux expressions rupestres de ces deux pays et à celles des contrées voisines d’Érythrée et du Somaliland. Leur livre richement illustré nous fait découvrir ce précieux patrimoine.
2L’éclairage est d’abord porté sur les peintures en abris-sous-roche du Harar, à l’est de l’Éthiopie, avant de l’être sur les gravures en taille d’épargne du Sidamo, au sud de ce même pays, puis sur les productions graphiques du Tigré, au nord, pour finir sur les gravures rupestres de Djibouti. Trois encarts placés entre ces chapitres mettent en lumière les expressions rupestres du Somaliland, celles d’Érythrée, ainsi que les pétroglyphes incisés sur les stèles phalliques du Sidamo. Une synthèse clôt ce tour d’horizon complet.
3À chaque étape de leur présentation, Joussaume et Cros dressent l’historique des recherches depuis la première mention d’un art rupestre au milieu du xixe siècle en Érythrée, jusqu’aux récentes découvertes de centaines de gravures et de peintures à Djibouti et au Somaliland, auxquelles ils ont participé. Ils signalent au passage deux monographies en préparation : la première sous la direction de Benoît Poisblaud, consacrée aux gravures d’Abourma en république de Djibouti, la seconde sous la direction de Xavier Gutherz, tournée vers les peintures de Laas Geel du Somaliland. Les centaines de figures à l’appui de leur texte consistent en des cartes de situation, en des prises de vue et croquis des lieux d’expression, en des photos noir et blanc et couleur des productions graphiques, parfois associées à leurs relevés à l’encre. Ces illustrations sont tirées pour l’essentiel de leur iconothèque, à l’exception de quelques figures extraites de publications du siècle dernier, et de dizaines de documents relatifs à la région du Harar puisés dans les deux carnets de terrain inédits de Gérard Bailloud, datant de 1962-1963.
4Les peintures et les gravures de taurins (mot dérivé de Bos taurus qui désigne, dans la nomenclature zoologique, le bœuf domestique à dos droit) occupent une place éminente dans l’art rupestre de la Corne de l’Afrique. Leur omniprésence rattache ces manifestations graphiques à la période pastorale. Joussaume et Cros avancent logiquement la date du IVe millénaire av. J.-C. comme limite haute pour ces expressions, étant donné que l’élevage des bœufs, des chèvres et/ou des moutons est attesté : dans le nord de leur région d’étude, au Soudan, au cours de ce millénaire ; dans le sud, au Kenya, à partir du millénaire suivant ; dans la plaine du Gobaad, en république de Djibouti, à la charnière des IIIe-IIe millénaires av. J.-C. Constatant, d’autre part, que des silhouettes de zébus et de dromadaires oblitèrent à différents endroits celles de taurins, les auteurs retiennent, comme jalon chronologique bas, la fin du Ier millénaire av. J.-C., date à laquelle ces deux quadrupèdes à bosse dorsale d’origine asiatique sont introduits dans la Corne de l’Afrique, ce repère n’excluant pas la possibilité de figurations de taurins plus récentes. Les modes de représentation de ces bêtes à cornes, leurs caractéristiques zoologiques (encornures, bigarrure des robes, sexe), leurs attributs culturels (décoration des cornes, plastrons au niveau des encolures, lignes de festons sur les dos), leur contexte iconographique d’apparition, leurs relations figuratives avec les humains, sont décrits avec force détails. La comparaison de ces données de site à site révèle des affinités culturelles sur des distances variables, quelquefois supérieures à 700 kilomètres. Les fouilles menées dans la Corne de l’Afrique sont encore trop rares et trop éparses pour que les auteurs puissent se prononcer sur la signification de ces similitudes – mobilité des groupes humains et/ou diffusion de croyances de proche en proche ? –, et pour qu’ils puissent appréhender les contextes politiques et socio-économiques qui les favorisèrent. Un examen approfondi des superpositions leur fait établir des successions de styles à l’échelle de différentes régions. Mais ici encore, les données archéologiques sont insuffisantes pour évaluer le laps de temps qui s’écoula entre l’exécution des œuvres sous-jacentes et de celles sus-jacentes, et pour juger de la valeur que recouvrent ces oblitérations en termes de dynamique de peuplement.
5Ainsi, ce livre permet de mesurer l’avancée des connaissances portant sur l’art rupestre de la Corne de l’Afrique à l’issue de plus d’un siècle de recherches, et, corrélativement, la somme des problématiques qui restent à résoudre. De nouvelles découvertes dans des secteurs peu ou pas prospectés viendront sans doute enrichir ce dossier, et simultanément fournir quelques éléments de réponse aux nombreuses questions en suspens. Pour l’heure, cédons la plume à Joussaume et Cros, qui concluent leur ouvrage en ces termes : « Nous sommes entrés dans l’ère de la technique numérique […]. Aux petites missions à quelques-uns se substituent désormais des équipes multidisciplinaires mobilisant de nombreux chercheurs et beaucoup de moyens. Autres temps, autres méthodes… » (p. 286). De ces points de suspension semble se dégager un fond de nostalgie, somme toute bien compréhensible au regard de la trajectoire scientifique pluridécennale suivie par les auteurs, à une époque où la photographie n’était qu’argentique. Et de clore leurs propos, comme lanceurs d’alerte quelque peu désabusés, sans toutefois sombrer dans un total pessimisme : « Les dégradations sont immenses, des sites ont totalement disparu… Il faut protéger toutes ces gravures et peintures. Heureusement les initiatives en ce sens sont de plus en plus nombreuses et nous laissent une lueur d’espoir… »
Pour citer cet article
Référence papier
Christian Dupuy, « Joussaume Roger, Cros Jean-Paul, Art rupestre dans la Corne de l’Afrique », Journal des africanistes, 92-1 | 2022, 168-170.
Référence électronique
Christian Dupuy, « Joussaume Roger, Cros Jean-Paul, Art rupestre dans la Corne de l’Afrique », Journal des africanistes [En ligne], 92-1 | 2022, mis en ligne le 10 mai 2023, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/africanistes/12445 ; DOI : https://doi.org/10.4000/africanistes.12445
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