1Cet ouvrage collectif, dirigé par Annie Dupuis, avec la collaboration de l’océaniste Jacques Ivanoff, est le fruit du colloque international Histoire de l’art et création dans les sociétés traditionnelles. Une perception ethnocentrique de l’objet d’art ?, organisé par l’équipe Technique et Culture du CNRS, en 2006. Ce travail collectif se revendique de l’héritage de Jacqueline Delange et Michel Leiris, et il s’inscrit dans la continuité des recherches menées au musée de l’Homme depuis les années 1970.

2Outre l’avant-propos et une présentation d’Annie Dupuis, où l’auteure fait un bilan du sujet, le livre se compose de six parties qui chacune comporte quatre ou cinq chapitres. Dans la présentation, Dupuis propose de s’intéresser aux processus créateurs des œuvres et à ceux qui les ont produites ; de retracer, peut-on dire, une « histoire sociale » des artistes. Ce parti pris pourrait déranger, par la relative nouveauté de l’approche proposée, mais c’est au profit de l’avancement de la réflexion scientifique dans le domaine des arts extra-européens, souvent abordés sous l’angle réducteur de l’ethnocentrisme et du primitivisme. Pour rendre compte des moments singuliers, qui sont une composante essentielle de l’acte créateur mais qui demeurent réfractaires à l’interprétation socioculturelle, Dupuis invite à considérer le « sentiment de l’artiste », citant à ce sujet Picasso et Matisse qui font allusion à une sensation d’être « possédés », ou bien encore le peintre ghanéen Ayathor qui, en ayant recours à une métaphore matrimoniale, parle de « fusion » avec une altérité.

3De manière vivante, l’ouvrage s’enrichit d’une galerie de portraits de divers artistes : citons l’article d’Hèlene Joubert sur « l’artiste yoruba », d’Aline Hémond sur les artistes mexicains, de Jérôme Samuel sur le peintre Rastika. À partir de l’étude d’une cérémonie de circoncision, Suzanne Fürniss met en lumière avec bonheur le rôle d’individus charismatiques dans la transmission, l’innovation et l’histoire culturelle des Baka du Cameroun.

4Suivent des contributions qui s’inscrivent dans d’autres débats de la discipline, abordant des thèmes comme l’« invention de la tradition », l’introduction d’un marché de l’art (Solen Roth) et les « pratiques » artistiques, par exemple chez les Peuls du Niger, décrites par Mahalia Lassibille. D’autres contributions comportent des analyses, classiques et bienvenues, des représentations locales et de la sémantique de la création. On remarquera à cet égard la contribution passionnante de Nicole Revel sur la notion vernaculaire d’inspiration poétique « päläpläp » des Palawan, et l’analyse méticuleuse et fine du concept local de beau « lasi » parmi les Moken, livrée par Jacques Ivanoff.

5Dans cet ouvrage, le projet de mettre en regard différents terrains d’Afrique, d’Asie, d’Amérique se révèle particulièrement heuristique et invite à la comparaison. De plus, les travaux présentés comportent une réflexion pluridisciplinaire, qui convoque les compétences d’anthropologues « visuels », de conservateurs, d’historiens de l’art, d’ethnomusicologues et d’ethnologues. L’ouvrage a également le mérite d’ouvrir à différentes traditions intellectuelles, comme en témoignent les contributions de Jack Goody et de Suzanne Preston Blier, et aux chercheurs des Suds, tel Anani Kokou Amenyedzi. Nous apprécions particulièrement qu’un large éventail d’arts soit représenté, des traditions orales (Lorenzo Brutti, Michel Perrin) aux expressions plastiques (Cristina Panella, Jacques Lombard), musicales (Suzanne Fürniss, Tran Quang Hai) et choreutiques (Mahalia Lassibille).

6Ce livre pose bien des questions qui méritent l’attention de ceux qui s’intéressent à l’étude de la création artistique. L’unité du propos, par-delà la diversité des articles, assure la cohérence et la pertinence du recueil. Très convenablement édité, muni d’une riche iconographie, Ethnocentrisme et création mérite de rencontrer un accueil bienveillant.