Germanité, identité, religiosité ? Le Parti national-démocrate d’Allemagne (NPD) au prisme des religions
Résumés
Se disant « religieusement neutre », le NPD ne cesse pourtant, dans sa propagande, de se référer à la question religieuse et aux religions, surtout pour les rejeter, lui qui depuis les années 1990 base son nationalisme sur une idéologie völkisch. Devenue, au fil des années, une forme d’ersatz religieux, cette idéologie commande son rapport aux religions monothéistes, toutes pareillement jugées « étrangères » et « anti-allemandes », « invasives » et donc « néfastes » quand elles sont pratiquées en Allemagne. Face à la menace de « déculturation » que feraient planer le judaïsme, le christianisme ou l’islam, le parti néonazi prône le retour à une identité germanique « originelle ». Il affirme, ce faisant, de plus en plus ouvertement son adhésion à une culture païenne qu’il présente comme « historiquement » ou « naturellement » allemande. Ainsi mis au service de son idéologie, le paganisme lui permet d’affirmer son opposition fondamentale aux principes et valeurs démocratiques en vigueur en Allemagne fédérale.
Plan
Haut de pageTexte intégral
Introduction
- 1 Le NPD a été fondé en 1964 à Hanovre par d’anciens nationaux-socialistes. D’orientation nationale- (...)
- 2 NPD, « Der Islam, Ursprung, Erscheinungsformen, Problematik », Profil, vol. 14, sans date, p. 4, n (...)
- 3 Ibid., p. 4.
1Dans une brochure dédiée à l’islam, le Parti national-démocrate d’Allemagne (Nationaldemokratische Partei Deutschlands, NPD)1 déclare de manière nette et précise qu’il « défend sans réserve la liberté religieuse conformément à l’article 4 de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne parce qu’elle est un droit fondamental2 ». Il nous livre, dans cette citation, un exemple très éloquent de son double discours : le NPD affirme son attachement à la constitution ainsi qu’à la liberté de culte, mais n’a de cesse, dans ladite brochure, de dénigrer l’islam et les musulmans. En fait, cette citation résume la posture de ce parti d’extrême droite qui prétend être démocratique alors que tout dans son discours et son identité va à l’encontre des valeurs de la démocratie libérale, qui clame sa « tolérance » religieuse alors qu’il propage la haine des religions monothéistes et des croyants, qui se dit, enfin, religieusement neutre3 alors que dans son nationalisme transparaît une forme de religiosité néo-païenne.
- 4 « Völkisch » est un adjectif dérivé du substantif « Volk », le peuple. Le courant völkisch contemp (...)
2La question religieuse est au cœur de cette contribution consacrée à la propagande néonazie du NPD. Son discours nationaliste est basé sur une conception à la fois biologique et mythique d’une « germanité païenne » qui, depuis des temps immémoriaux, serait au fondement de la culture du « peuple » allemand (Volk). Cette définition très étriquée et exclusive de l’identité allemande conditionne son rapport à la religion et aux religions monothéistes en général. C’est ce rapport très ambivalent au religieux qu’il s’agit ici d’éclairer en questionnant les soubassements de son idéologie völkisch4, en interrogeant les enjeux politiques de son discours à la fois antisémite, antimusulman et antichrétien, et en étudiant le rôle du néo-paganisme dans l’idéologie et la subculture du parti.
1. Au nom du « Volk » : le combat contre les influences religieuses « étrangères »
L’utopie völkisch du NPD, un ersatz religieux
- 5 NPD, Grundsatzprogramm der NPD, Bremervörde, 1996, sans pagination.
- 6 En janvier 2017, la Cour constitutionnelle fédérale a jugé anticonstitutionnel le parti en raison (...)
- 7 NPD, Arbeit, Familie, Vaterland, das Parteiprogramm der NPD, Bamberg, 2010, p. 5.
3À son arrivée à la tête du parti en 1996, Udo Voigt, national-révolutionnaire convaincu, impulse au NPD un virage idéologique sans précédent. Devient alors explicite, ce qui auparavant était impensable, même pour un parti d’extrême droite : l’adhésion à une ligne völkisch, directement inspirée du national-socialisme. Comme son modèle historique, le parti fonde son nationalisme sur une définition biologique et raciste du peuple. Pour lui, la souveraineté nationale repose sur le principe de la « Volksgemeinschaft », la « communauté du peuple » façonnée, comme l’indique son programme de 1996, par « la langue, l’origine, l’expérience historique, la religion, les valeurs et la conscience »5. De nature intrinsèquement « germanique », c’est bien cette « communauté » très exclusive qui conférerait aux Allemands de « souche » leur humanité et leur identité. En exprimant ainsi l’idée d’une appartenance nationale fondée sur une transcendance völkisch, le NPD nie l’universalité des libertés et droits que garantit pourtant, en République fédérale, la Loi fondamentale6. Et il assume cette ligne antirépublicaine en prônant un renouveau national-socialiste, car lui seul serait en mesure d’arrêter le mal qui « gangrène » l’Allemagne contemporaine : le « Volkstod », c’est-à-dire l’anéantissement du « peuple » par la déculturation, la dénatalité et l’aliénation liée à la fois au transfert de souveraineté aux institutions supranationales et à la mondialisation7. Pour le NPD, le diagnostic est sans appel, il y a là un enjeu de civilisation. Pour contrer ces diverses menaces, la nation doit puiser dans ses propres ressources et revenir à son fondement, au « Volk ». Et c’est justement au nom de ce retour à « l’origine » que le NPD combat les « espèces invasives » que seraient notamment les religions monothéistes, considérées comme avatars de la mondialisation et d’un impérialisme « étranger ».
Les Juifs et la Shoah en ligne de mire : l’antisémitisme à mots feutrés
- 8 Dans le terme « juif », la minuscule désigne les adeptes de la religion judaïque et la majuscule ( (...)
- 9 Patrick Gensing, « Antisemitismus in der NPD », in : Dana Ionescu, Samuel Salzborn (dir.), Antisem (...)
- 10 Certains cependant s’y hasardent, à l’instar de Günter Deckert, chef du parti au début des années (...)
4Ainsi, de par son héritage national-socialiste, le parti adopte une posture très particulière à l’égard des Juifs8 et de leur religion. Si l’antisémitisme est bien présent depuis la fondation du parti, en 1964, il ne l’a cependant jamais affiché ouvertement, étant donné qu’un antisémitisme assumé aurait sans aucun doute entraîné l’interdiction du parti, comme tel avait été le cas pour le Parti socialiste du Reich (Sozialistische Reichspartei, SRP) en 1952. Ce dernier avait payé les frais de sa « proximité idéologique avec le NSDAP ». Son interdiction par la Cour constitutionnelle fédérale avait, à l’époque, valu d’avertissement pour les autres partis d’extrême droite qui se voyaient désormais contraints d’exprimer leur hostilité à l’égard des juifs par des moyens détournés. Le NPD ne fait pas exception9, comme le montre son rapport très ambigu à la Shoah. Puisque le négationnisme est passible de cinq ans d’emprisonnement en Allemagne (§ 130, alinéa 3 du Code pénal), le parti et ses militants évitent de nier ouvertement le génocide des Juifs d’Europe10. Il existe toutefois des voies de contournement de l’interdit, notamment celle qui consiste à s’en distancier sans le condamner. Souvent interrogé, dans les années 1960, sur son rapport aux crimes du « Troisième Reich », le parti affirme un peu benoîtement que :
- 11 NPD, « Die Konzentrationslager im Dritten Reich », NPD-inform, no XI/20 (1969).
« le NPD n’a pas créé les camps de concentration, il n’a donc pas à les assumer. Aujourd’hui, le NPD s’opposerait avec tous les moyens juridiques contre l’incarcération sans jugement juridictionnel de citoyens allemands ou étrangers »11.
Par conséquent, il ne nie pas l’existence des camps de concentration, ni ne les condamne, mais occulte volontairement leur caractère antisémite. En déspécifiant ainsi les motivations génocidaires, il fait disparaître les principales victimes du système concentrationnaire : les Juifs.
- 12 Frank Bösch, « Film, NS-Vergangenheit und Geschichtswissenschaft, von ‘Holocaust’ zu ‘Der Untergan (...)
5Cette stratégie de mise à distance par omission va peu à peu céder le pas à un discours relativiste qui se généralise dans les années 1980, notamment après la diffusion, à la télévision ouest-allemande en 1979, de la mini-série américaine Holocaust de Marvin Chomsky qui retrace le destin de deux familles, l’une juive, l’autre nazie, dans l’Allemagne des années 1930 et 1940. Bien que manichéens, les épisodes ne font l’économie d’aucune atrocité ; tout y est montré : l’opportunisme des uns, les persécutions des autres, les massacres, les chambres à gaz. Qualifiée à juste titre de « césure médiatico-mémorielle » par l’historien Frank Bösch12, la série provoque une véritable onde de choc dans la société ouest-allemande, brusquement confrontée au travers de la fiction à son passé et aux crimes commis en son nom. Mais elle suscite également une levée de boucliers dans le camp nationaliste qui dénonce sa lecture « simpliste » et « mensongère » de l’Histoire. Le NPD aussi s’active et organise ce qu’il qualifie tout à fait cyniquement d’« action Holocauste ». Sur les tracts distribués par ses militants au mois de février 1979 dans les rues de Munich, le parti explique vouloir réveiller les consciences, « informer » les Allemands sur la « campagne de désinformation » lancée par les Américains et « les Juifs » pour les manipuler et les humilier en leur rappelant incessamment leur culpabilité. Le tract assène :
- 13 NPD, « Holocaust-Volksverhetzung gegen Deutschland », tract distribué à Munich, le 17.02.1979, Arc (...)
« Ne pensez-vous pas qu’un quart de siècle après la fin de la guerre, les éternelles accusations à l’égard de l’Allemagne doivent cesser ? […] Le film anti-allemand Holocauste a été produit aux États-Unis. Les États-Unis d’Amérique ont-ils vraiment le droit de nous condamner moralement, nous les Allemands ? Les États-Unis ont mené d’innombrables guerres sales, ont éradiqué les Indiens, réduit à l’esclavage des millions de nègres »13.
Le procédé discursif est limpide : le renvoi dos-à-dos des violences commises par les Allemands et les Américains sert un discours de banalisation antisémite, car mettre ainsi sur le même plan toutes les victimes – les Juifs, les Indiens et les esclaves –, indépendamment du contexte historique, permet de remettre en cause l’exceptionnalité de la Shoah.
- 14 Compte rendu des débats, Parlement de Saxe, 5e législature, 21.01.2005, p. 447.
- 15 Werner Bergmann, « Sekundärer Antisemitismus », in : Wolfgang Benz (dir.), Handbuch des Antisemiti (...)
6À partir des années 2000, le NPD systématise l’emploi du relativisme victimaire qu’il adapte selon les occasions. Souvent, les victimes juives sont comparées aux victimes de guerre « allemandes », aux soldats, aux veuves, aux expulsés des anciens territoires de l’Est ou aux victimes des bombardements alliés de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 21 janvier 2005 par exemple, le député national-démocrate du parlement de Saxe, Jürgen Gansel, suscite une forte indignation dans l’hémicycle – et bien au-delà – en fustigeant l’« Holocauste des bombes » (Bomben-Holocaust) qui s’est abattu sur la ville de Dresde et sa population, en février 1945. L’utilisation détournée du terme d’« Holocauste » dans ce contexte lui permet non seulement de dramatiser la présentation des faits, mais aussi de mettre en concurrence des mémoires victimaires différentes et de vider le terme de sa substance. Le même jour, le groupe parlementaire du NPD quitte ostensiblement la salle plénière du parlement alors que doit débuter la minute de silence en hommage aux victimes du national-socialisme à l’occasion du 60e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz14. Par ce déni de mémoire, le NPD affiche son refus de se plier aux normes mémorielles en vigueur en République fédérale, refus que l’historien Werner Bergmann qualifie comme forme courante de « l’antisémitisme secondaire »15.
7Mais le discours antisémite du NPD ne se cantonne pas qu’à la banalisation de la Shoah, il irrigue bien d’autres champs et verse notamment dans l’antisionisme en s’attaquant à l’État d’Israël qu’il qualifie régulièrement d’État « criminel » (Schurkenstaat), « voleur » ou « terroriste » (Raub- und Terrorstaat), en raison de la politique de colonisation menée par l’État juif en Palestine. D’autres attaques sont moins visibles. Veillant à camoufler des propos trop manifestement antisémites, le parti recourt à un langage crypté. Les écrits du parti sont ainsi truffés de références et codes antisémites dont les plus évidents sont la « haute finance internationale », la « côte est » américaine ou « wall street ». Tous ces termes apparemment anodins dénoncent un prétendu complot mondial ourdi depuis les États-Unis par les élites juives mondialisées. Ces codes réactivent des théories du complot déjà diffusées par les antisémites au premier xxe siècle, et notamment par Adolf Hitler dans Mein Kampf. Les militants du NPD y recourent volontiers, comme le montre l’exemple de l’ancien conseiller municipal de Basse-Saxe, Rigolf Hennig. En 2012, ce dernier explique sans ambages qu’il faut :
- 16 Rigolf Hennig, « 200 Jahre nach Tauroggen : Deutschlands Sendung », Volk in Bewegung – Der Reichsb (...)
« libérer l’Allemagne du sionisme […]. Disons les choses clairement: il ne peut pas y avoir de compromis entre le système sioniste, composé de l’ONU, l’OTAN, l’UE, le FMI et de la banque mondiale d’un côté et de l’autre le droit international, qui postule le droit d’autodétermination des peuples. Il ne peut y avoir que l’un ou l’autre. […] Contre l’idéologie sioniste mensongère des “droits de l’homme” […], il faut affirmer l’idée d’une Volksgemeinschaft, c’est-à-dire d’un socialisme national »16.
- 17 Cf. Wolfgang Benz, Die Protokolle der Weisen von Zion : Die Legende von der jüdischen Weltverschwö (...)
Dans cette citation, il fait très explicitement référence à la prétendue hégémonie qu’exerceraient « les Juifs » dans le monde, « les Juifs » que l’on accuse tous azimuts d’avoir formé un vaste réseau « sioniste » pour gouverner la finance, les institutions supranationales, la politique et la presse, pour s’arroger le pouvoir absolu et opprimer les peuples. Cette ligne argumentaire reprend en substance la fable popularisée dans la Russie tsariste du début du xxe siècle par les Protocoles des Sages de Sion, brûlot antisémite sur lequel s’appuyaient également les nazis pour justifier leur politique génocidaire17. Pour Hennig, seul le néonazisme et le rétablissement de la Volksgemeinschaft permettraient de « libérer » l’Allemagne du « sionisme » ; c’est pour lui une manière de légitimer – implicitement du moins – une seconde Shoah.
8Ainsi, l’antisémitisme du NPD s’apparente à une haine antijuive plutôt classique qui renoue avec les traditions antisémites du premier xxe siècle, tout en les « enrichissant » d’éléments modernes, notamment le relativisme mémoriel et la banalisation de la Shoah, l’antisionisme et la diffamation de l’État d’Israël. La religion judaïque, son culte et sa liturgie, en revanche, ne jouent qu’un rôle marginal : les Juifs sont démonisés en tant que « peuple » et non comme communauté religieuse. Il n’en va pas de même pour le racisme antimusulman fondé, lui, sur une critique véritablement essentialisante de la religion.
L’islam : religion racisée, religion-repoussoir
- 18 Le racisme antimusulman désigne un discours ou des pratiques visant à essentialiser la religion is (...)
- 19 Cf. Thomas Pfeiffer, « Islamfeindschaft als Kampagnenthema im Rechtsextremismus. Erfolgspotenzial, (...)
- 20 Proche des idées développées par Alain de Benoist au sein du GRECE, le principal représentant de l (...)
- 21 NPD, Arbeit, Familie, Vaterland (note 7), p. 12 sq.
- 22 Ibid.
9Depuis le 11 septembre 2001 et l’entrée dans l’ère du terrorisme islamiste globalisé, le racisme antimusulman18 occupe une place de choix dans la propagande du parti19. Considéré comme foncièrement « étranger » et « nocif », l’islam est rejeté quand il est pratiqué en Allemagne. En guise de justification, le NPD avance l’argument de l’« ethnopluralisme » emprunté à la Nouvelle Droite (Neue Rechte)20 qui, ayant rompu avec l’idée nazie d’une hiérarchie entre les « races », se fait le chantre d’une « équivalence » entre les « peuples ». Selon cette thèse, chaque « peuple » tirerait sa singularité ethnico-culturelle de l’espace qu’il occupe ; il faudrait ainsi, à tout prix, préserver cette singularité en empêchant tout métissage, tout mélange, et donc toute immigration de populations extra-européennes en Allemagne. Sous couvert de relativisme culturel et ethnique, le principe ethnopluraliste s’avère, en fait, profondément raciste, car il s’agit bien de défendre la ségrégation « raciale » et de protéger l’Allemagne, pensée comme biologiquement, ethniquement et culturellement homogène, de la « déculturation » (Überfremdung)21. Le slogan « l’Allemagne aux Allemands » qu’arbore le NPD à de nombreuses occasions est une illustration éloquente de cette lecture ethnocentrée de la nation. Il sert avant tout à dénoncer la société multiculturelle et l’immigration d’« étrangers » venus du monde arabe dont l’arrivée et l’implantation durable en Allemagne sont comparées à un « génocide » anti-allemand22.
- 23 Sur l’instrumentalisation de l’Abendland par l’extrême droite, cf. Volker Weiß, Die autoritäre Rev (...)
- 24 Oswald Spengler, Der Untergang des Abendlandes, Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte, Muni (...)
- 25 NPD, « Der Islam » (note 2), p. 7.
- 26 Cf. Inva Kuhn, Antimuslimischer Rassismus : Auf Kreuzzug für das Abendland, Cologne, PapyRossa Ver (...)
- 27 NPD, « Der Islam » (note 2), p. 6-8.
- 28 « L’Islam ne fait partie ni de l’Europe ni de l’Allemagne », déclare le NPD, in: ibid., p. 63.
10Contre « l’invasion » de cultures et de religions étrangères, le NPD brandit l’argument de la préservation de l’« Abendland », l’Occident23. Le recours à cette notion pour le moins diffuse s’avère particulièrement fécond en termes identitaires parce qu’elle véhicule des représentations tantôt liées à la chrétienté, l’Europe, aux Lumières et à la Renaissance, tantôt associées à l’Empire allemand (Reich), que ce soit le Saint-Empire romain germanique ou le « Troisième Reich ». Intégré à un discours de la décadence proche du pessimisme culturel d’un Oswald Spengler24, le topos de l’« Abendland » est défini, par le parti, comme Occident « germano-chrétien », éludant au passage l’héritage judéo-chrétien25. Il exprime le fantasme des grandeurs et splendeurs perdues d’un Occident désormais sur le déclin qu’il s’agirait coûte que coûte de préserver contre les attaques de « l’Orient »26. C’est bien dans la perspective d’un « choc des civilisations » (Samuel Huntington) que le NPD aborde la question. Occident et Orient seraient fondamentalement contraires : alors que l’Occident serait porteur de valeurs humanistes et démocratiques, garant de modernité, de tolérance et de liberté, l’Orient ne connaîtrait que le droit divin et ses corollaires : le despotisme, l’arbitraire et la violence27. L’Orient, les « orientaux » et par extension tous les musulmans seraient donc par définition anti-européens, antichrétiens et surtout antigermaniques28.
- 29 Ibid., p. 53.
- 30 Parmi les traditions et coutumes que le NPD qualifie de « barbares » figurent aussi bien l’abattag (...)
- 31 Le NPD exploite systématiquement la peur liée au terrorisme islamiste. La guerre menée par les for (...)
11En outre, le NPD déduit du sens du mot « islam », signifiant « soumission » dans un sens strictement spirituel, que la religion aurait pour but de soumettre le monde « non-islamique », qu’il serait par nature foncièrement « impérialiste », « invasif » et conquérant, que les musulmans nourriraient par conséquent le dessein de « déculturer » l’Allemagne en l’islamisant. Le résultat, dit-il, serait déjà bien visible, avec la « prolifération de mosquées et de minarets » dans les villes allemandes. Il conclut que « les minarets sont le symbole de l’agressivité des déculturateurs, envahisseurs et oppresseurs »29. En s’installant dans le pays, les musulmans immigrés importeraient non seulement leur religion, leur culture et leurs traditions « barbares »30, mais chercheraient également à imposer, s’il le faut par le terrorisme djihadiste31, la loi islamique aux Allemands.
- 32 Cf. Sara R. Ferris, In the Name of Women’s Rights : the Rise of Femonationalism, Londres, Duke Uni (...)
- 33 Cf. le rapport final de la commission d’enquête parlementaire du Land de Rhénanie du Nord-Westphal (...)
- 34 Gabriele Dietze, Sexueller Exzeptionalismus : Überlegenheitsnarrative in Migrationsabwehr und Rech (...)
- 35 Ricarda Riefling, « ‘Ich bin Syrer, Ihr müsst mich freundlich behandeln’ – Was in Köln geschah » (...)
12Mais l’islam constituerait également une menace pour les femmes allemandes, pour leurs droits et libertés. C’est l’argument « fémonationaliste »32 avancé par l’organisation des femmes du NPD, le Cercle des femmes nationalistes (Ring nationaler Frauen, RNF), qui justifie son propos par le statut « inférieur » qu’occuperait la femme dans la culture musulmane. Le « voile islamique » en serait une preuve probante. Dans les représentations de genre du parti, l’homme musulman est décrit comme particulièrement brutal ; il serait également plus enclin au harcèlement sexuel et au viol. Dans le contexte de polarisation extrême de la société liée à l’arrivée de centaines de milliers de Syriens en Allemagne en 2015, le NPD n’a cessé de roder ce discours de criminalisation des musulmans en incriminant les réfugiés et demandeurs d’asile. Il a notamment tenté d’exploiter la vive émotion suscitée par les événements du réveillon de la Saint-Sylvestre, le 31 décembre 2015, où les autorités avaient enregistré des centaines de cas d’attouchements sexuels et de viols perpétrés majoritairement par des hommes originaires d’Afrique du Nord – et parmi eux des demandeurs d’asile – sur des femmes venues fêter le nouvel an sur la place de la gare à Cologne33. Dans les campagnes et défilés organisés par la suite par le mouvement antimigrant PEGIDA, le NPD ou l’AfD s’est imposé le néologisme « rapefugee », le « réfugié violeur ». Ainsi, l’extrême droite a tenté de normaliser le stéréotype d’une « lubricité orientale », couverte et tolérée par les élites politiques et notamment la chancelière Angela Merkel qui aurait financièrement encouragé les ressortissants « mâles » du Moyen-Orient et du Maghreb musulman à venir « conquérir » l’Allemagne et ses femmes. Cette théorie du complot forme la trame argumentative des femmes du NPD34. Leurs slogans « Halte à la violence faite aux femmes ! » (« Stoppt die Gewalt an Frauen ! ») ou « Nos femmes ne sont pas du gibier! » (« Unsere Frauen sind kein Freiwild ! ») visent exclusivement les hommes racisés35. De la sorte, elles racialisent le sexisme, c’est-à-dire qu’elles font de la violence sexuelle l’apanage d’hommes « orientaux », occultant ainsi la violence des hommes « blancs » que subissent bien plus d’Allemandes au quotidien. Défendre, comme elles le font, la liberté et l’« émancipation » des femmes contre la violence sexuelle ou masculine n’est pas un acte féministe, mais bien un acte raciste : il s’agit avant tout de fustiger une altérité musulmane aux mœurs sexuelles arriérées et violentes.
- 36 « L’immigration de masse ne représente pas une richesse mais une menace pour l’Allemagne. Le NPD r (...)
13L’islamophobie et le racisme antimusulman sont ainsi au fondement du discours anti-immigration du NPD36. En faisant l’amalgame entre l’islam et l’islamisme radical, en mettant en avant le caractère « barbare », « criminel » et « monstrueux » des traditions musulmanes, le NPD stigmatise un groupe social, ethnique et culturel autant qu’une religion. L’islam est utilisé comme religion-repoussoir, comme preuve de la non-compatibilité des « orientaux » au sens large avec la civilisation européenne et la culture germanique.
2. NPD et christianisme, un rapport ambivalent
Entre convergence des luttes…
- 37 Deutsche Stimme, no 7 (2017).
- 38 « Kritik an NPD-Plakaten mit Luther », 08.05.2019, www.evangelisch.de (19.05.2019).
- 39 Cf. Herfried Münkler, « ‘Hier stehe ich, ich kann nicht anders !’ Luthers Kampf gegen Rom », in : (...)
- 40 Cf. Deutsche Stimme, no 7 (2017).
14Partant, le christianisme, en tant que religion profondément ancrée en Europe, et a fortiori en Allemagne, devrait en toute logique trouver l’adhésion du NPD, d’autant plus qu’il est constitutif de cet « Abendland » tant prôné par lui. Toutefois, à la lecture des sources et programmes, l’on constate que les références à la foi, au culte et à la théologie, aux catholiques comme aux protestants, se font rares. Le christianisme apparaît surtout comme surface de projection identitaire, comme héritage culturel que le NPD revendique certes, mais assez timidement et en priorité quand l’actualité l’impose. En 2017 par exemple, à l’occasion des commémorations des 500 ans de la Réforme, le parti consacrait un numéro de son organe de presse Deutsche Stimme à la figure de Martin Luther qu’il stylisait en héros et libérateur « allemand », en défenseur de la chrétienté contre l’islam et le judaïsme, en intraitable pourfendeur de la Rome catholique37. La même année, lors des élections fédérales, son effigie ornait les affiches de campagne38, accompagnée de l’assertion pour le moins discutable que Luther « voterai[t] pour le NPD, et ne pourrai[t] faire autrement », détournant ainsi les célèbres paroles prononcées par lui à la Diète de Worms en 152139. À l’exception de ces tentatives de récupération très ponctuelles, le parti adopte une posture plutôt anticléricale. Il s’attaque autant à « l’antinationalisme », voire au « mondialisme » du catholicisme qu’à la « bien-pensance gauchiste et libérale » de l’Église protestante, reprochant à cette dernière son prétendu laxisme et ses prises de position en faveur des réfugiés ou des minorités sexuelles40.
- 41 Cf. Sonja Angelika Strube (dir.), Rechtsextremismus als Herausforderung für die Theologie, Fribour (...)
- 42 NPD, « Nur einer von 751 », 09.06.2016, npd.de (consulté le 16.06.2019).
15Cependant, quand il le peut, le NPD exploite les convergences thématiques et militantes avec les fondamentalistes chrétiens. Il existe en effet des passerelles « extrémistes » évidentes chez les traditionalistes qui, dans la frange la plus radicale, conjuguent piété chrétienne et antilibéralisme41. Le plus souvent, ils partagent avec l’extrême droite la haine de l’islam et des Juifs, et peuvent, pour certains, verser dans le négationnisme et le racisme comme tendait à le faire, jusqu’à sa disparition en 2012, le site Internet catholique intégriste « kreuz.net ». Plaidant pour une exclusivité religieuse, il défendait une ligne catholique rigoriste, antimoderniste et réactionnaire. Le NPD et les fondamentalistes chrétiens se rejoignent aussi sur la question des mœurs, la protection de la famille traditionnelle et le combat anti-avortement, convergence qui parfois débouche sur un activisme commun. Le 8 juin 2016, l’ancien chef du parti et député du Parlement européen, Udo Voigt, participait à une « marche pour la vie » organisée à Strasbourg par l’association anti-IVG « EuroProLife »42. S’arrimer ainsi aux actions de groupes confessionnels militants lui permettait de forger des alliances politiques en dehors du noyau dur de l’extrême droite. L’idée était aussi celle de diffuser le plus largement possible les contenus du NPD auprès de cercles conservateurs et d’infiltrer les communautés religieuses. Jasmin Apfel, l’ex-femme de l’ancien chef du parti Holger Apfel, s’engageait ainsi ostensiblement dans la paroisse protestante de Riesa en Saxe, par conviction religieuse peut-être, mais aussi par volonté de prosélytisme politique à l’échelle locale. En 2010, de plus, le NPD disait faire un pas vers les croyants en fondant le groupe de travail « Christen in der NPD » dont l’existence était assez furtive : son but était moins de mener une véritable réflexion autour de questions théologico-politiques que de mobiliser les chrétiens ultra-conservateurs à des fins électoralistes. Les membres de ce groupe se trouvaient d’ailleurs fortement minorisés dans un parti à dominance athée ou néo-païenne dans lequel les chrétiens bien souvent ne sont pas les bienvenus.
… et antichristianisme
- 43 Toralf Staud, Moderne Nazis : Die neuen Rechten und der Aufstieg der NPD, Bonn, BPB, 2006, p. 96.
16Le NPD, à l’évidence, est un parti antichrétien, mais cette posture est assez récente. À sa fondation, au milieu des années 1960, il exprimait encore son attachement à une « culture occidentale et chrétienne » qui jouait alors, en pleine guerre froide, le rôle de rempart contre le communisme43. Après la disparition du « rideau de fer » cependant, le NPD a progressivement abandonné le discours pro-chrétien. Avec l’enracinement du parti en Allemagne de l’Est – espace où l’athéisme était plus répandu – au cours des années 1990, un discours farouchement antichrétien y a pris le pas. Ce changement de discours fit irruption au moment où le parti opérait son virage néonazi et allait de pair avec la revendication de plus en plus affirmée d’un héritage politique et culturel proprement « germanique » et de l’appartenance à un « Abendland » totalement déchristianisé. Depuis, le NPD reproche au christianisme d’avoir historiquement éradiqué les traditions germaniques : en convertissant les Germains à la base païens au judéo-christianisme, les chrétiens leur auraient imposé une culture et un culte « étrangers ». L’évangélisation aurait « dépaganisé », déculturé l’espace germanique.
- 44 RNF, « Brauchtum zur Faschingszeit », 14.02.2010, www.ring-nationaler-frauen.de (26.02.2010).
- 45 Cité dans Felix Wiedemann, Rassenmutter und Rebellin : Hexenbilder in Romantik, völkischer Bewegun (...)
17Il est intéressant de noter que les femmes du NPD elles aussi se saisissent de la question et l’abordent dans une perspective genrée : elles dénoncent avec force la violence avec laquelle les « monothéistes » auraient christianisé les terres et les mœurs allemandes. Elles l’illustrent notamment à travers la figure de la sorcière, sorte de prêtresse païenne, qu’elles présentent comme archétype de féminité éminemment germanique, sage, émancipée, créatrice et spirituelle qu’aurait brutalisée, persécutée, pour ne pas dire « exterminée », l’Inquisition catholique44. L’organe Deutsche Stimme abonde dans le même sens : pour lui, la chasse aux sorcières n’était rien d’autre qu’une « campagne chrétienne d’éradication » de la religion endogène en Germanie45. Avec la disparition du paganisme, c’est toute une culture, avec ses rites, pratiques et modes de vie spécifiques, qui se serait éteinte. Aussi le christianisme aurait-il fondamentalement transformé l’ordre des sexes et le statut des femmes en Germanie : en introduisant le « patriarcat » par le biais de la Genèse, il aurait instauré un régime d’oppression de la femme par l’homme. Comme l’écrit une militante du NPD,
- 46 GDF, « Wie hat sich die Stellung der Frau durch den kirchlichen Einfluss verändert ? », sans date (...)
« le christianisme a transformé [… la femme] en femme dépendante, quasiment privée de droits, méprisée, en femme stupide et pécheresse aux yeux de l’homme chrétien. Pour le Germain, la femme était divine […], c’est la raison pour laquelle il la chérissait. Dans sa culture, elle était l’équivalente de l’homme et jouissait des mêmes droits. Le chrétien ne voyait dans sa femme que sa sujette selon lui indomptable, débridée, instinctive et rétive qui s’appliquait constamment à la perte de l’homme et ne pouvait être éduquée à l’obéissance et à l’humilité que par le châtiment »46.
À travers la référence aux Germains, les femmes d’extrême droite renouent avec une tradition dite « ancestralement » germanique. Le rejet du christianisme, défini comme étranger et misogyne parce que d’origine latine, légitime ici un discours de supériorité païenne foncièrement identitaire.
3. Culture pagano-germanique et identité allemande
Le paganisme, religion « naturelle » des Allemands
- 47 Cf. Uwe Puschner, Die völkische Bewegung im wilhelminischen Kaiserreich : Sprache, Rasse, Religion(...)
- 48 Cf. Johann Chapoutot, La loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris, Gallimard, 2014.
18Avec son néo-paganisme, le NPD renoue avec des traditions extrémistes qui remontent au mouvement völkisch de la fin du xixe siècle. Considérant déjà le paganisme comme « religion intrinsèquement allemande » (arteigene Religion), ce mouvement sectaire se référait à la mythologie germano-nordique et vouait un culte quasi-mystique « au sol et au sang » (Blut-und-Boden-Mystik), culte qu’il fondait sur la divinisation de la « race » et du « génie allemand » (Deutschtum) : pour lui, le peuple, la race et la croyance ne faisaient qu’un47. Cette religion völkisch – qui ne manqua pas d’inspirer les idéologues du nazisme48 – avait une forte dimension politique, étant donné qu’elle associait à la germanité une identité « raciale » et suprémaciste.
- 49 Harald Lamprecht, « Führt Neuheidentum zum Rechtsextremismus ? », Confessio, no 2 (2013), p. 6 sq.
- 50 Kilian Behrens et alii, « Rechte Perspektiven auf Religion – Teil 1 », 29.10.2018, www.apabiz.de ( (...)
19Après la disparition du « Troisième Reich », il fallut attendre les années 1970 pour que cette religion völkisch soit redécouverte et « modernisée » par le théoricien de la Nouvelle Droite française, Alain de Benoist. Pour lui, le paganisme n’était pas l’expression d’une foi littérale, retranscrite dans des dogmes ou une liturgie précise, avec des divinités à vénérer, mais il correspondait plutôt à un cadre culturel et identitaire dans lequel devait s’inscrire le politique. Contrairement à la religion chrétienne très axée sur l’au-delà, le paganisme était, selon lui, ancré dans la terre, dans le sang et dans l’ici-bas49. Au cours des années 1980, la Nouvelle Droite allemande reprit à son compte les thèses d’Alain de Benoist, à l’instar de Karlheinz Weißmann par exemple, qui faisait lui aussi le lien entre idéologie völkisch et néo-paganisme identitaire, vanté par lui comme seul remède contre la déculturation de « l’homme germanique » par le « christianisme judaïque »50. Une décennie plus tard, le NPD adoptait à son tour une posture néo-païenne, sans pour autant la mettre ostensiblement en avant, car il n’a jamais été un parti « confessionnel » : on n’y mène aucune réflexion d’ordre théologique ou spirituel ni ne propose de lecture polythéiste du monde. Le néo-paganisme vient simplement renforcer, justifier, corroborer de manière assez pragmatique le nationalisme völkisch du parti.
- 51 Artgemeinschaft – Germanische Glaubens-Gemeinschaft (Artgemeinschaft-GGG) que l’on peut traduire p (...)
- 52 Cf. le site Internet : asatru.de (consulté le 25.10.2020).
20Certains dirigeants nationaux-démocrates toutefois placent le néo-paganisme au cœur de leur engagement politique. Tel est le cas de Jürgen Rieger, figure incontournable, jusqu’à sa mort en 2009, du néonazisme contemporain. En plus de sa fonction de chef de file des nationaux-démocrates à Hambourg et de vice-président du parti, il dirigeait une organisation aux allures de secte idéologico-ésotérique païenne, raciste et völkisch : la Artgemeinschaft51. Fondée en 1951 par l’ancien SS Wilhelm Kusserow, elle s’est spécialisée dans le domaine de l’eugénisme et de l’anthropologie « raciale » dont l’objectif principal est de démontrer la supposée supériorité de la « race nordique ». Du point de vue du culte, l’organisation professe une version extrémiste de la religion nordique « asatru » qui comprend entre autres l’adoration de la nature et de divinités pagano-nordiques comme les « Ases » et les « Vanes », la connaissance de la mythologie germano-nordique ainsi que l’étude de runes et de symboles païens52. Son fonctionnement est très exclusif : ne peuvent y adhérer que des personnes « aryennes » qui se plient à des règles « morales » très spécifiques : ses membres jurent fidélité à la « race » allemande. L’Artgemeinschaft est un exemple extrême de la politisation du religieux dans les courants les plus radicaux de l’extrême droite. Le plus souvent pourtant, le néo-paganisme n’y est prisé que pour le folklore qui l’entoure.
Subculture pagano-germanique : folklore, rites et coutumes
- 53 Landser, « Walvater Wotan », www.lyricsondemand.com (consulté le 22.10.2020).
21Le néo-paganisme est moins apprécié pour ses aspects religieux que pour l’imaginaire qu’il charrie, pour la subculture qui en découle et à laquelle adhèrent et s’identifient de nombreux activistes, surtout quand ils sont d’obédience néonazie. Omniprésents dans la culture populaire extrémiste, les mythes germano-nordiques s’avèrent particulièrement mobilisateurs pour les jeunes militants, par ailleurs biberonnés aux imaginaires de Tolkien et de Marvel. Les groupes de musiques rock et métal d’extrême droite (Rechtsrock) aux noms évocateurs comme « Sleipnir » (cheval d’Odin) ou « Söhne Wotans » (fils de Wotan) s’y réfèrent sans cesse tout en véhiculant un message politique très clair comme le faisait le groupe de musique Landser, dissous en 2003 : « Nous ne voulons pas de votre Jésus, le vieux porc juif. […] Le Père Wotan va libérer la Germanie »53. À la fois rebelle et virile, cette subculture valorise une posture tant antisémite qu’antichrétienne. Elle souligne « l’héroïsme » des divinités nordiques et place les militants d’extrême droite dans la continuité de ces guerriers mythiques. Les références au folklore germano-nordique peuvent ainsi être considérées comme des marqueurs identitaires et culturels très puissants qui servent aussi le combat que mène l’extrême droite contre la culture dominante, « américanisée », « islamisée » et « décadente » de la République fédérale. Ainsi, ses militants recourent à des codes et symboles spécifiques pour affirmer une identité pagano-völkisch : que ce soit par des tatouages de croix gammées ou de runes, par le choix de noms « païens » pour leur progéniture (Freya pour les filles, Odin pour les garçons, etc.), par l’utilisation du calendrier « germanique », ils affichent leur appartenance à une communauté de valeurs « ancestralement » allemandes.
22Le NPD n’est pas en reste. Lui aussi récupère cet univers très singulier, notamment sur son site Internet où il vend des « bijoux germaniques » ou des vêtements customisés avec l’inscription « je préfère Odin à Jésus ». Il organise des « pèlerinages » vers « ses » lieux de mémoire – des « Externsteine » en Westphalie à la forêt de Teutberg en passant par le monument de Hermann ou la Wewelsburg – et célèbre des fêtes païennes comme le « Julfest », la fête du solstice d’hiver. Les coutumes païennes que revisite le NPD permettent avant tout de ritualiser le politique, de reproduire des usages en cultivant une forme spécifique de sociabilité extrémiste, bref de créer du lien en forgeant une identité commune.
23Ainsi, se revendiquer d’une germanité originelle permet au NPD de justifier son rejet des religions considérées comme « barbares » et « étrangères » et donc de légitimer sa haine antijuive, son racisme antimusulman et sa lutte antichrétienne. S’inscrire dans la continuité des Germains lui permet, en outre, de récupérer une religion alternative, « ancestrale » : le paganisme que le NPD adapte à son idéologie en lui conférant une tournure nationaliste et völkisch. Cet « héritage » idéologico-religieux est au cœur de son identité politique et au fondement de sa subculture : il est omniprésent dans les codes et symboles qu’il véhicule, les mythes et imaginaires héroïques qu’il convoque, les rites, coutumes et fêtes qu’il pratique. Cette pseudo-religion völkisch est une religion éminemment politique, exclusive et antidémocratique.
Notes
1 Le NPD a été fondé en 1964 à Hanovre par d’anciens nationaux-socialistes. D’orientation nationale-conservatrice à ses débuts, il n’a cessé de se radicaliser. Depuis la fin des années 1990, il est ouvertement néonazi et antidémocratique.
2 NPD, « Der Islam, Ursprung, Erscheinungsformen, Problematik », Profil, vol. 14, sans date, p. 4, npd.de (consulté le 15.06.2019). Toutes les citations sont traduites par l’autrice.
3 Ibid., p. 4.
4 « Völkisch » est un adjectif dérivé du substantif « Volk », le peuple. Le courant völkisch contemporain voue un culte quasi religieux à la Volksgemeinschaft (communauté du peuple) qu’il décrit comme biologiquement homogène et dont il dérive des positions ultranationalistes, ethnocentriques et racistes. Cf. Uwe Puschner, G. Ulrich Großmann (dir.), Völkisch und national : Zur Aktualität alter Denkmuster im 21. Jahrhundert, Darmstadt, WBG, 2009.
5 NPD, Grundsatzprogramm der NPD, Bremervörde, 1996, sans pagination.
6 En janvier 2017, la Cour constitutionnelle fédérale a jugé anticonstitutionnel le parti en raison de sa proximité idéologique avec le national-socialisme historique (racisme, antisémitisme, antidémocratisme). Il n’a cependant pas été interdit.
7 NPD, Arbeit, Familie, Vaterland, das Parteiprogramm der NPD, Bamberg, 2010, p. 5.
8 Dans le terme « juif », la minuscule désigne les adeptes de la religion judaïque et la majuscule (« Juif ») le peuple juif.
9 Patrick Gensing, « Antisemitismus in der NPD », in : Dana Ionescu, Samuel Salzborn (dir.), Antisemitismus in deutschen Parteien, Baden-Baden, Nomos Verlag, 2014, p. 273-296.
10 Certains cependant s’y hasardent, à l’instar de Günter Deckert, chef du parti au début des années 1990, qui a explicitement nié l’existence des chambres à gaz. À plusieurs reprises, il a été condamné à des peines de prison ferme pour « incitation à la haine raciale ».
11 NPD, « Die Konzentrationslager im Dritten Reich », NPD-inform, no XI/20 (1969).
12 Frank Bösch, « Film, NS-Vergangenheit und Geschichtswissenschaft, von ‘Holocaust’ zu ‘Der Untergang’ », Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, no 1 (2007), p. 1-32, ici p. 2.
13 NPD, « Holocaust-Volksverhetzung gegen Deutschland », tract distribué à Munich, le 17.02.1979, Archives de l’APABIZ, NPD-Interna, 3.1.
14 Compte rendu des débats, Parlement de Saxe, 5e législature, 21.01.2005, p. 447.
15 Werner Bergmann, « Sekundärer Antisemitismus », in : Wolfgang Benz (dir.), Handbuch des Antisemitismus, Judenfeindschaft in Geschichte und Gegenwart, t. 3, Berlin, De Gruyter Saur, 2010, p. 300-302.
16 Rigolf Hennig, « 200 Jahre nach Tauroggen : Deutschlands Sendung », Volk in Bewegung – Der Reichsbote, no 6 (2012), p. 13.
17 Cf. Wolfgang Benz, Die Protokolle der Weisen von Zion : Die Legende von der jüdischen Weltverschwörung, Munich, C. H. Beck, 2007.
18 Le racisme antimusulman désigne un discours ou des pratiques visant à essentialiser la religion islamique ainsi qu’à stigmatiser ses adeptes, les musulmans, définis comme groupe social, ethnique et culturel à la fois biologiquement homogène et allogène. Cf. Ozan Zakariya Keskinkilic, « Was ist antimuslimischer Rassismus ? », 17.12.2019, Bundeszentrale für politische Bildung, www.bpb.de (consulté le 10.12.2020).
19 Cf. Thomas Pfeiffer, « Islamfeindschaft als Kampagnenthema im Rechtsextremismus. Erfolgspotenzial, strategische Hintergründe und Diskurstechniken am Beispiel der NPD », in : Armin Pfahl-Traughber (dir.), Jahrbuch für Extremismus- und Terrorismusforschung, Brühl, Hochschule des Bundes für öffentliche Verwaltung, 2012, p. 215-244.
20 Proche des idées développées par Alain de Benoist au sein du GRECE, le principal représentant de la Nouvelle Droite française, la Neue Rechte se développe au cours des années 1970 en Allemagne de l’Ouest. En rupture avec les partis nationalistes post-nazis de l’après-guerre qu’elle juge trop passéistes, cette mouvance est à l’origine d’une vaste entreprise de renouvellement idéologique de l’extrême droite.
21 NPD, Arbeit, Familie, Vaterland (note 7), p. 12 sq.
22 Ibid.
23 Sur l’instrumentalisation de l’Abendland par l’extrême droite, cf. Volker Weiß, Die autoritäre Revolte : Die neue Rechte und der Untergang des Abendlandes, Stuttgart, Klett-Cotta Verlag, 2017, p. 155 sq.
24 Oswald Spengler, Der Untergang des Abendlandes, Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte, Munich, C. H. Beck, 1923.
25 NPD, « Der Islam » (note 2), p. 7.
26 Cf. Inva Kuhn, Antimuslimischer Rassismus : Auf Kreuzzug für das Abendland, Cologne, PapyRossa Verlag, 2015.
27 NPD, « Der Islam » (note 2), p. 6-8.
28 « L’Islam ne fait partie ni de l’Europe ni de l’Allemagne », déclare le NPD, in: ibid., p. 63.
29 Ibid., p. 53.
30 Parmi les traditions et coutumes que le NPD qualifie de « barbares » figurent aussi bien l’abattage rituel, les mariages forcés que la circoncision. Ibid., p. 57.
31 Le NPD exploite systématiquement la peur liée au terrorisme islamiste. La guerre menée par les forces armées occidentales contre l’organisation « État islamique » et les nombreux attentats perpétrés par des islamistes radicalisés en Europe n’ont cessé d’alimenter sa propagande antimusulmane.
32 Cf. Sara R. Ferris, In the Name of Women’s Rights : the Rise of Femonationalism, Londres, Duke University Press, 2017.
33 Cf. le rapport final de la commission d’enquête parlementaire du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie : Landtag NRW, Drucksache 16/14450, Schlussbericht des Parlamentarischen Untersuchungsausschusses IV, 23.03.2017, www.landtag.nrw.de (consulté le 10.12.2020).
34 Gabriele Dietze, Sexueller Exzeptionalismus : Überlegenheitsnarrative in Migrationsabwehr und Rechtspopulismus, Bielefeld, Transcript, 2019.
35 Ricarda Riefling, « ‘Ich bin Syrer, Ihr müsst mich freundlich behandeln’ – Was in Köln geschah », 07.01.2016, www.ring-nationaler-frauen-deutschland.de (05.04.2016).
36 « L’immigration de masse ne représente pas une richesse mais une menace pour l’Allemagne. Le NPD réclame que les demandeurs d’asile déboutés et les islamistes soient renvoyés dans leur pays. » NPD, « Der Islam » (note 2), p. 25.
37 Deutsche Stimme, no 7 (2017).
38 « Kritik an NPD-Plakaten mit Luther », 08.05.2019, www.evangelisch.de (19.05.2019).
39 Cf. Herfried Münkler, « ‘Hier stehe ich, ich kann nicht anders !’ Luthers Kampf gegen Rom », in : Herfried Münkler, Die Deutschen und ihre Mythen, Berlin, Rowohlt, 2009, p. 181-196.
40 Cf. Deutsche Stimme, no 7 (2017).
41 Cf. Sonja Angelika Strube (dir.), Rechtsextremismus als Herausforderung für die Theologie, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 2015.
42 NPD, « Nur einer von 751 », 09.06.2016, npd.de (consulté le 16.06.2019).
43 Toralf Staud, Moderne Nazis : Die neuen Rechten und der Aufstieg der NPD, Bonn, BPB, 2006, p. 96.
44 RNF, « Brauchtum zur Faschingszeit », 14.02.2010, www.ring-nationaler-frauen.de (26.02.2010).
45 Cité dans Felix Wiedemann, Rassenmutter und Rebellin : Hexenbilder in Romantik, völkischer Bewegung, Neuheidentum und Feminismus, Wurtzbourg, Königshausen & Neumann, 2007, p. 201.
46 GDF, « Wie hat sich die Stellung der Frau durch den kirchlichen Einfluss verändert ? », sans date, www.g-d-f.de (consulté le 21.01.2010).
47 Cf. Uwe Puschner, Die völkische Bewegung im wilhelminischen Kaiserreich : Sprache, Rasse, Religion, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2001.
48 Cf. Johann Chapoutot, La loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris, Gallimard, 2014.
49 Harald Lamprecht, « Führt Neuheidentum zum Rechtsextremismus ? », Confessio, no 2 (2013), p. 6 sq.
50 Kilian Behrens et alii, « Rechte Perspektiven auf Religion – Teil 1 », 29.10.2018, www.apabiz.de (consulté le 02.10.2020).
51 Artgemeinschaft – Germanische Glaubens-Gemeinschaft (Artgemeinschaft-GGG) que l’on peut traduire par « Communauté d’espèce – communauté de croyance germanique ».
52 Cf. le site Internet : asatru.de (consulté le 25.10.2020).
53 Landser, « Walvater Wotan », www.lyricsondemand.com (consulté le 22.10.2020).
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Valérie Dubslaff, « Germanité, identité, religiosité ? Le Parti national-démocrate d’Allemagne (NPD) au prisme des religions », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 53-1 | 2021, 209-222.
Référence électronique
Valérie Dubslaff, « Germanité, identité, religiosité ? Le Parti national-démocrate d’Allemagne (NPD) au prisme des religions », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande [En ligne], 53-1 | 2021, mis en ligne le 21 juin 2022, consulté le 16 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/allemagne/2713 ; DOI : https://doi.org/10.4000/allemagne.2713
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page