Woehrle (Christophe) éd., Stolpersteine: présence juive en Alsace, devoir de mémoire
Woehrle (Christophe) éd., Stolpersteine: présence juive en Alsace, devoir de mémoire, actes du colloque Muttersholtz, Herrlisheim-près-Colmar, 30 avril - 1er mai 2019, Beaumontois-en-Périgord, Éditions Secrets de pays, 2020 (Collection Histoire & mémoires), 159 p.
Texte intégral
1Alors qu’il n’y avait en France que 35 Stolpersteine, ces « pavés de mémoire » que l’artiste Gunter Demnig pose pour honorer la mémoire de victimes du national-socialisme, les villes de Muttersholtz et Herrlisheim-près-Colmar en Alsace en accueillaient 51 les 30 avril et 1er mai 2019.
2L’ouvrage issu du colloque qui s’est tenu à cette occasion porte cependant moins bien son titre « Stolpersteine » que son sous-titre « Présence juive en Alsace ». En s’appuyant sur des exemples précis, la première contribution, en écriture oralisée, signée Michèle Jablon, rappelle que les discriminations et les persécutions contre les Juives et Juifs remontent au Moyen Âge et qu’elles étaient en partie institutionnalisées. Suivent deux textes descriptifs du patrimoine juif (synagogues, cimetières, bains) existant ou ayant existé dans le Bas et le Haut-Rhin. Ce n’est que le quatrième article, une contribution d’Henri Bitran, qui aborde pour la première fois la Shoah : il résume l’histoire du convoi 73, composé exclusivement d’hommes, conduits en Lituanie et en Estonie depuis Drancy. Il explique ensuite le travail conséquent accompli par son association pour la mémoire de ces déportés. C’est lui aussi qui publie l’avant-dernier texte de l’ouvrage, un témoignage émouvant portant sur la disparition de son père, déporté du convoi 73, et sur sa vie en tant qu’enfant juif pendant l’Occupation en Alsace. Sans cohérence apparente avec les autres contributions, l’éditeur a fait le choix de publier en cinquième position une longue retranscription en français moderne d’un rapport de 1790 qui défend l’accès à la citoyenneté des Juifs, dont l’auteur n’est mentionné qu’en note de bas de page et dont on regrette qu’il ne fasse pas l’objet d’une véritable contextualisation.
3Les Stolpersteinene sont thématisés que dans trois articles : deux reportages riches en photographies relatent de manière très descriptive les deux journées de pose. Intercalées entre ces deux reportages, plus de trente pages de courtes biographies écrites en style encyclopédique rendent compte de la vie des Juives et Juifs déportés, assassinés puis oubliés, et mentionnent la localisation de leur pavé et leur parrain. Christophe Woehrle signe ensuite un article sur les communautés israélites du rabbinat de Wintzenheim qui vise à restituer quantitativement les recensements de Juifs dans ces localités. Dans le texte suivant, Jean-Pierre Weill, doyen honoraire du Consistoire israélite du Haut-Rhin, dénonce d’abord les actes antisémites infligés au cimetière israélite de Herrlisheim-près-Colmar, puis livre un plaidoyer en faveur de l’État d’Israël, assorti d’attaques envers les médias, dont on peine à comprendre la place dans un ouvrage à la portée mémorielle. Dans le seul texte de nature scientifique, ÉricEttwiller décrit l’enseignement des Juifs dans les écoles israélites et non-israélites du Reichsland d’Alsace Lorraine (1871-1918). Le dernier texte retrace la biographie de l’artiste Marian Kolodziej qui a été prisonnier d’Auschwitz, accompagné de trois reproductions de ses gravures ; mais on peine ici encore à saisir le rapport avec les Stolpersteineou l’Alsace.
4On regrette donc que la pose des Stolpersteine ne semble être qu’un prétexte à cet ouvrage et que le projet ne soit pas davantage au cœur du livre. Le travail réalisé en amont par les porteurs de l’initiative, par exemple la méthode employée pour choisir les personnes honorées par les pavés, est passé sous silence. On apprend dans les reportages que les écoles primaires ont été impliquées dans le projet : là aussi, l’aspect de la transmission pédagogique aurait pu faire l’objet de contributions. Même l’explication du projet artistique et mémoriel de Gunter Demnig se retrouve disséminée entre l’avant-propos et les introductions des trois contributions sur les Stolpersteine, ce qui renforce l’aspect disparate et non-abouti de cette publication.
5Cet ouvrage essentiellement descriptif a le mérite de vouloir pérenniser la pose des Stolpersteine en Alsace, mais on déplore l’absence d’un véritable travail éditorial. Outre les références et bibliographies lacunaires, il aurait gagné en cohérence si son enjeu avait été explicité : il s’agit avant tout de mettre en perspective les persécutions des Juifs à travers l’histoire et de souligner l’importance de la présence juive en Alsace. Sans ambition scientifique, l’ouvrage s’apparente à une entreprise mémorielle, à l’image des Stolpersteineeux-mêmes.
Pour citer cet article
Référence papier
Layla Kiffel, « Woehrle (Christophe) éd., Stolpersteine: présence juive en Alsace, devoir de mémoire », Revue d’Alsace, 147 | 2021, 373-374.
Référence électronique
Layla Kiffel, « Woehrle (Christophe) éd., Stolpersteine: présence juive en Alsace, devoir de mémoire », Revue d’Alsace [En ligne], 147 | 2021, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 21 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/alsace/4841 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsace.4841
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