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Comptes rendus

Morgen Daniel, Des Alsaciens et des Lorrains réfugiés en Suisse, 1940-1945

Strasbourg, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2020, 471 p.
Ségolène Plyer
p. 447-450
Référence(s) :

Morgen Daniel, Des Alsaciens et des Lorrains réfugiés en Suisse, 1940-1945, Strasbourg, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2020, 471 p.

Texte intégral

1D. Morgen, auteur d’une étude sur les enseignants alsaciens sous le IIIe Reich, publie ici sa thèse de doctorat soutenue à l’université de Lorraine en 2019. Sa recherche est née dans le contexte du rapport Bergier (2001) sur les déficiences de l’accueil suisse des juifs fuyant le nazisme ; elle se penche sur l’asile donné aux Français « s’évadant » (selon leur terme) des départements d’Alsace et de Moselle entre 1940 et 1945. Proches de la Suisse géographiquement et culturellement, considérés par l’Allemagne comme ses ressortissants, ils furent entre 7 et 8 000 sur les 17 000 Français accueillis par la Confédération helvétique (p. 433-435). L’auteur s’intéresse plus particulièrement à ceux entrés par la région de Bâle et le Jura bernois, en s’appuyant d’une part sur des archives privées et publiques, suisses (notamment celles de la police), allemandes et françaises (Archives départementales et Affaires étrangères) ; d’autre part, sur des entretiens avec une quarantaine de témoins menés entre 2010 et 2017, dont la publication est envisagée (p. 34).

2Le devenir des civils pendant les conflits est un champ encore récent de la recherche sur les relations internationales et l’histoire des sociétés. En 1939, les accords internationaux ne réglaient que le sort des militaires retenus hors de leur pays ; ce n’est qu’en 1951 que la convention de Genève formula les droits des réfugiés civils. D. Morgen montre comment, pendant la Seconde Guerre mondiale, la Suisse reçut, d’après la convention de La Haye de 1907, déserteurs et prisonniers de guerre malades ou libérés et, en ce qui concerne les citoyens français non juifs (qui ne risquaient pas de rester dans le pays – ce que les autorités refusaient), elle rendit possible leur transit vers le sud de la France jusqu’en 1942.

3À partir de l’été 1942, les déportations nazies massives depuis les Pays-Bas et la France occupée, la mobilisation forcée des jeunes Alsaciens-Lorrains dans la Wehrmacht en août, enfin l’invasion de la France libre en novembre, causèrent un afflux de réfugiés qui obligea les pouvoirs publics à innover. En partie sous la pression de l’opinion publique, ils permirent à certains entrants de rester plus longuement en Suisse. L’accueil fut centralisé par une Direction fédérale qui ouvrit des camps et des homes, tout en continuant de ménager l’Allemagne. Cette dernière cherchait à connaître le nom des exilés d’Alsace-Lorraine pour, en représailles, transplanter (umsiedeln) leur famille au sein du Grand Reich. Une dernière vague d’arrivées eut lieu lors des combats de 1944 et 1945 ; la fin de la guerre approchant, la Suisse accepta les étrangers plus libéralement.

4Les arrivants originaires des départements français annexés, tout en se confondant sur certains points avec le flux français, montrent des spécificités : les ouvriers ont représenté 40 % de cet ensemble globalement populaire (p. 433-434), se déplaçant plus fréquemment en groupes, comprenant des frontaliers et des bi-nationaux susceptibles d’obtenir l’asile (y compris quelques familles juives, p. 226‑230).

5Le livre est divisé en cinq chapitres. Le premier, plein de digressions, redites et allusions, risque de rebuter ; mais la plupart de ses éléments sont repris dans les chapitres suivants, plus clairement ordonnés, même si on regrette l’absence de véritables conclusions. C’est bien souvent au lecteur de glaner les spécificités des Alsaciens-Lorrains, sans le secours d’index des noms et lieux, mal guidé par une table des matières trop peu détaillée et où les titres ne sont pas toujours précis (l’observation vaut aussi pour le titre principal). Il est invraisemblable qu’il faille attendre la p. 428 pour obtenir des indications fondamentales, comme la taille de l’échantillon étudié ! Enfin, une carte de la frontière nord nord-ouest aurait été fort utile.

6À défaut d’être un instrument de recherche commode, l’ouvrage apporte une masse d’informations utiles à la recherche. Les archives ont été dépouillées avec un louable esprit de suite. Au chapitre V par exemple, on apprécie que l’auteur étende son étude de l’asile, procédure obéissant à des règles précises, aux remboursements français, après 1945, des frais engagés par la Suisse. Particulièrement dans les chapitres II « Les arrivées » et III « L’internement en Suisse », on voit comment l’état helvétique a maintenu une relative neutralité dans un contexte international périlleux. Des réseaux de guerre s’élaborèrent en lien avec l’arrivée d’Alsaciens-Lorrains – à commencer par le renseignement suisse, interrogeant les contrebandiers (p. 107) – et cherchèrent à se déployer sur son territoire, comme le Sicherheitsdienst de la SS ou les filières de Londres pour les prisonniers de guerre évadés, dont le général Giraud (p. 148-149). Signalons aussi l’étude de l’association « Aide fraternelle aux réfugiés français » (p. 310-336), créée en février 1943, dirigée par Pierre de Leusse, représentant officieux du général de Gaulle à Berne, et des personnalités alsaciennes francophiles (J.‑A. Jaeger, la famille Burrus). Cherchant discrètement à gagner les Français présents en Suisse au courant gaulliste, elle a, à partir de 1944, contribué à organiser des brigades mobiles pour la libération de l’Alsace.

7En ce qui concerne les témoignages, cas individuels et interviews étant abondamment cités, avec le sens du détail signifiant, une histoire des circulations entre le sud de l’Alsace et la Suisse se dessine, notamment au chapitre II sur « Les arrivées ». Les itinéraires étaient parfois inattendus : la noria des trains de charbon entre la Ruhr et l’Italie suscita une « filière cheminote » (p. 176-180) ; les autorités suisses d’Annemasse eurent à cœur, en 1941, de transférer les Alsaciens-Lorrains vers la France libre aux heures où vaquait la commission allemande qui, installée dans les faubourgs, cherchait à les intercepter (p. 144) ! Des pages trop brèves esquissent les différences internes au groupe étudié : entre les ruraux, partant collectivement pour échapper à la mobilisation dans la Wehrmacht, et les urbains, moins familiers du terrain mais munis des cartes du Club vosgien (p. 194-195). Les liens d’interconnaissance entre frontaliers, l’engagement courageux de bénévoles et d’associations juives, sont évoqués.

8Enfin, l’auteur rassemble aussi une documentation régionale impressionnante dans le chapitre III sur « L’internement [civil] en Suisse » dont les mesures, encore mal identifiées dans l’historiographie, sont décrites attentivement et abordées aussi du point de vue des témoignages. Le chapitre IV, « La transplantation des familles », porte sur un phénomène peu connu hors d’Alsace et de la Lorraine annexées, celui de l’installation forcée de familles récalcitrantes comme main-d’œuvre à l’Est du Grand Reich. Si, à notre avis, les témoignages devraient être davantage critiqués, soulignons le grand mérite d’accorder à ces épisodes, utiles à une historiographie plus large du traitement des civils pendant les conflits, l’attention qu’ils méritent.

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Pour citer cet article

Référence papier

Ségolène Plyer, « Morgen Daniel, Des Alsaciens et des Lorrains réfugiés en Suisse, 1940-1945 »Revue d’Alsace, 148 | 2022, 447-450.

Référence électronique

Ségolène Plyer, « Morgen Daniel, Des Alsaciens et des Lorrains réfugiés en Suisse, 1940-1945 »Revue d’Alsace [En ligne], 148 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 07 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/alsace/5314 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsace.5314

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Auteur

Ségolène Plyer

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