1La recherche s'intéresse depuis le début des années 2000 à la participation informelle d'apprenants de langue à des sites participatifs - dans les digital wilds - (notamment sur des sites de fanfiction et des jeux en ligne) et aux retombées de cette activité, tout particulièrement en termes d'apprentissage de la langue utilisée sur ces sites. Les travaux publiés (cf. infra) faisant ressortir de nombreux avantages, la question se pose aux didacticiens de savoir comment exploiter ces atouts dans le cadre de l'enseignement-apprentissage des langues. L'une des pistes qui nous semble prometteuse est celle des tâches ancrées dans la vie réelle qui invitent les apprenants à participer à des sites ouverts à tous et permettent non seulement de travailler sur la dimension langagière, mais aussi sur la citoyenneté numérique, une des priorités sociétales et éducatives actuelles.
2Dans cet article, nous reviendrons sur les résultats de la recherche concernant la participation d'apprenants de langues dans les digital wilds et présenterons ce que nous entendons par tâches ancrées dans la vie réelle en précisant les fondements théoriques de celles-ci et en faisant le lien avec le concept de citoyenneté numérique. Une fois ce cadre théorique posé, nous aborderons les questions de recherche qui sous-tendent ce texte : à savoir la perception des atouts et limites de ces tâches par des enseignants de langue. Il s'agira d'étudier dans quelle mesure les avantages et limites identifiés par la recherche traitant de la participation informelle à des sites participatifs ainsi que les atouts que la théorie nous incite à attendre sont perçus par les enseignants tant de façon générale qu'en lien avec l'éducation à la citoyenneté numérique.
3Nous abordons, dans cette partie, les résultats de la recherche sur la participation d'apprenants de langues à des sites participatifs dans les digital wilds, de même qu'une piste d'exploitation du potentiel de ces participations dans le cadre de l'enseignement-apprentissage des langues et, finalement, le lien avec l'éducation à la citoyenneté numérique.
4La recherche s'intéresse de plus en plus à la participation informelle d'apprenants de langues à ce que certains nomment les digital wilds (Sauro & Zourou, 2019), à savoir des sites non prévus pour l'apprentissage des langues et non administrés par une autorité éducative, comme des fandoms (Black, 2005, 2006, 2008 ; Minkel, 2015 ; Sauro, 2014, 2017 ; Sauro & Sundmark, 2016), des forums (Hanna & De Nooy, 2009 ; Hanna & de Nooy, 2003), des encyclopédies en ligne (McAndrew & Campbell, 2019) ou encore des jeux en ligne et leurs sites de discussion (Sundqvist, 2019 ; Thorne et al., 2009 ; Thorne & Black, 2007 ; Vazquez-Calvo et al., 2019). Dans ce cadre, les chercheurs ont mis en évidence de nombreux atouts à la participation à ce type de sites.
5Au niveau de l'appropriation de la langue utilisée lors des participations en ligne, la recherche a montré de nombreuses opportunités (Shafirova & Cassany, 2019), la participation présentant de nombreux "language learning events" (Vazquez-Calvo et al., 2019). De plus, la pratique de la langue dans un environnement authentique, qui permet une utilisation empreinte de sens et d'authenticité (Hannibal Jensen, 2019), se révèle un puissant facteur de motivation (Black, 2009 ; Pasfield-Neofitou, 2011 ; Sauro, 2017 ; Vazquez-Calvo et al., 2019). Les apprenants ont également l'occasion d'apprendre de l'observation des pratiques langagières des autres usagers pouvant voir "how people talk, how they interact, the ways in which they package their words and gestures, and the sociolinguistically marked variants that evoke comfort in interactions" (LeVelle & Levis, 2017, p. 103).
6Par ailleurs, à travers leurs participations, les apprenants développent une identité spécifique passant notamment de celle d'apprenants à celle d'usagers des langues (Black, 2009 ; Hanna & de Nooy, 2003 ; Sundqvist, 2019 ; Thorne & Black, 2011). Dans certains cas, ils peuvent même être considérés comme des experts ou des médiateurs culturels dans le domaine abordé dans les échanges (Hanna & De Nooy, 2009 ; Shafirova & Cassany, 2019).
7Même s'ils demandent à être relativisés, entre autres, parce que, comme le soulignent Magnifico et al. (2018), les publications ne portent quasiment que sur des expériences réussies, ces atouts identifiés par la recherche invitent à s'interroger sur les potentialités de telles participations à des sites ouverts dans le cadre de l'enseignement-apprentissage des langues en contexte institutionnel.
8Deux grandes orientations se dessinent dans les publications scientifiques : l'une d'elles relève de la transposition didactique et conduit à proposer en situation de classe des tâches proches de celles réalisées en ligne par des usagers de sites collaboratifs. On fait par exemple analyser et écrire des fanfictions ou des chroniques adolescentes en situation d'enseignement-apprentissage, sans publication en ligne. C'est l'option retenue par des chercheurs tels que Petitjean ou Brunel (Brunel, 2018, 2021 ; Petitjean & Brunel, 2018) dans le cadre de l'enseignement-apprentissage du français. Cette option a le mérite de répondre à certains risques liés au fait de faire participer les apprenants à des sites en ligne : la possible vulnérabilité des apprenants (notamment en raison de leur niveau de langue ou d'un manque de littératie numérique) et le fait que les apprenants peuvent ne pas partager les valeurs du site choisi par l'enseignant (Magnifico et al., 2018).
9La seconde option mise en œuvre dans différents domaines au-delà de l'enseignement-apprentissage des langues (Comas-Quinn et al., 2019 ; Lammers et al., 2012 ; Magnifico et al., 2018) consiste à amener les apprenants à contribuer à des espaces participatifs en ligne (Wikipedia, sites de scanlation de Mangas, sites de fanfiction…), en proposant également des réponses aux risques que nous venons d'évoquer, notamment à travers la mise en place d'un accompagnement pédagogique dans le cadre du possible double ancrage de ce type de tâche (cf. infra). Parmi ces propositions de valorisation didactique des participations à des sites ouverts s'inscrivent les tâches ancrées dans la vie réelle (Caws et al., 2021 ; Ollivier et al., 2023 ; Ollivier & Projet e-lang, 2018).
10Ces tâches étendent l'habituelle typologie des tâches qui distingue – au-delà des divergences terminologiques – des tâches cibles, proches de la vie réelle, et des tâches communicatives pédagogiques qui visent des compétences spécifiques (Conseil de l'Europe, 2001 ; Demaizière & Narcy-Combes, 2005 ; Guichon, 2006 ; Nunan, 2001). Les tâches ancrées dans la vie réelle se démarquent des autres par le fait que leurs produits sont réalisés dans le cadre d'interactions sociales qui dépassent celles unissant les apprenants entre eux et les apprenants et l'enseignant. Les productions s'adressent, en effet, à des personnes du monde "réel" en dehors du contexte éducatif (et non à des personnes simulées comme cela est souvent le cas dans le cadre des tâches cibles). Elles ne visent pas seulement à préparer les apprenants à agir dans la vie réelle, elles les invitent à le faire dès l'apprentissage.
11Il s'agit de tâches en ligne préexistant à toute intervention pédagogique et que l'enseignant repère sur des sites participatifs pour les proposer ensuite à ses apprenants. Ainsi, un forum de cuisine en ligne peut avoir une partie invitant à partager des recettes, une encyclopédie en ligne comme Wikipédia ou Vikidia (pour les plus jeunes) incite à l'enrichir en partageant des connaissances. De même, un catalogue de textes littéraires audio (Librivox par exemple) encourage les internautes à l'enrichir en déposant leurs enregistrements.
12Ces tâches doivent permettre aux apprenants d'utiliser les langues cibles en situation authentique et de ne pas être seulement des apprenants, mais aussi et surtout des usagers voire des acteurs avec les mêmes droits et responsabilités que les autres participants aux sites retenus. De ce fait, les tâches ancrées dans la vie réelle ont une forte dimension socio-interactionnelle (Ollivier et al., 2021 ; 2023), permettant aux apprenants d'agir et interagir dans des communautés variées. Dans leurs (inter)actions, ils doivent prendre pleinement en compte les personnes avec lesquelles ils échangent ou qui liront leurs contributions (par exemple leurs besoins, leurs attentes, la façon de s'adresser à elles…). Cela leur donne l'occasion d'avoir d'autres interlocuteurs que l'enseignant et leurs pairs et surtout des partenaires de communication qui sont potentiellement réellement intéressés par ce qu'ils ont à partager en ligne.
13L'un des risques étant, comme nous l'avons vu plus haut, la vulnérabilité des apprenants sur les sites participatifs, il nous semble important de proposer un accompagnement dans la réalisation des tâches ancrées dans la vie réelle. En tant que tâches, mobilisées comme des activités à visée d'apprentissage, celles-ci doivent également être ancrées dans le contexte éducatif. Nous parlons, pour cela, de double ancrage (Caws et al., 2021 ; Ollivier & Projet e-lang, 2018). L'ancrage dans la situation d'enseignement-apprentissage a pour but d'apprivoiser les digital wilds en proposant aux apprenants un soutien sur la dimension socio-interactionnelle de la tâche, mais aussi sur les aspects liés à la littératie et la citoyenneté numériques (la première étant nécessaire à l'exercice de la seconde) afin que leur contribution ait le plus de chance possible d'être positivement accueillie par la communauté en ligne et qu'ils puissent faire l'expérience pleine et consciente d'une communication authentique et de la citoyenneté numérique.
14Cet aspect est essentiel dans les tâches ancrées dans la vie réelle qui répondent ainsi à l'invitation à intégrer l'éducation à la citoyenneté numérique dans les différentes disciplines enseignées dans le système éducatif (Frau-Meigs et al., 2017). La notion de citoyen usager des langues et du numérique sur laquelle nous nous appuyons a été définie sur la base d'une méta-analyse de la littérature spécialisée menée récemment dans le cadre du projet e-lang citoyen du Centre européen pour les langues vivantes du Conseil de l'Europe (Ollivier et al., 2021). Ce citoyen est :
un acteur social à l'identité plurielle impliqué dans plusieurs communautés,
disposant de droits et responsabilités définis par les communautés sur la base de valeurs,
agissant de manière spécifique,
sur la base d'attributs personnels et
dans des contextes divers (que les communautés contribuent à façonner).
15Cette personne agit au sein d'interactions sociales diverses et qui, de ce fait, doit être capable, à travers son usage du numérique et des langues, de tenir compte des droits dont elle dispose et des responsabilités que cela lui donne également. L'éducation à la citoyenneté numérique porte donc largement son attention sur l'adéquation de toute action aux règles explicites et implicites qui régissent les actions au sein des communautés – qu'il s'agisse de communautés à dimension internationale ou de communautés de parole limitées aux quelques personnes impliquées.
16Pour agir, le citoyen va pouvoir s'appuyer sur diverses littéracies (langagières et numériques notamment), des consciences, des attitudes, des valeurs... que le projet e-lang citoyen regroupe sous la notion d'"attributs personnels" et que l'éducation à la citoyenneté numérique devrait aider les apprenants à développer.
17Le projet e-lang citoyen précise également les façons d'agir du citoyen acteur social, usager des langues et du numérique. Son action devrait être :
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régulière, voire constante ;
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compétente et efficace ;
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informée et consciente (éclairée) - cela demande d'(inter)agir sur la base d'informations que l'on a vérifiées et de faire preuve d'une connaissance suffisante du numérique et de ses limites et dangers ;
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éthique et responsable - il s'agit ici notamment d'agir librement, de façon inclusive et respectueuse des autres, des lois (dans la mesure où elles sont jugées pertinentes) et des valeurs qui sont les siennes et de celles des communautés dans lesquelles on (inter)agit ;
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sûre - la notion de sûreté, liée à celle de bien-être, s'appliquant à divers domaines : la sécurité des personnes (de soi et des autres), de l'environnement, de la santé physique et mentale, etc. ;
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cohérente - c'est-à-dire avoir une action qui, de site en site, reste en accord avec ses propres valeurs et ce que l'on est.
18L'accompagnement des tâches ancrées dans la vie réelle va porter sur deux aspects : d'une part, sur les droits et responsabilités et les valeurs des communautés dans lesquelles les apprenants sont invités à participer, d'autre part, sur ces façons d'agir en aidant les apprenants à développer les consciences, les attitudes, les connaissances et les compétences (les "attributs personnels", Ollivier et al., 2021) nécessaires à la participation en ligne.
19Les tâches ancrées dans la vie réelle permettent de travailler les diverses dimensions de la citoyenneté numérique. Ainsi, une tâche consistant à recommander un restaurant ou un bar de sa ville sur un guide touristique participatif en ligne va demander, entre autres, de disposer de compétences sur l'utilisation de l'interface d'édition, d'agir de façon informée en vérifiant toutes les informations partagées, de manière sûre en veillant par exemple à ne pas ternir la réputation d'un établissement, de manière éthique et responsable en choisissant un établissement solidaire ou engagé dans une politique de recrutement social ou de recyclage des restes alimentaires, etc. Les tâches ancrées dans la vie réelle vont, en outre, demander de mobiliser certaines dimensions de littératie numérique nécessaires à l'exercice de la citoyenneté numérique, par exemple, la littératie informationnelle pour rechercher et valider des informations, la littératie de la participation permettant de savoir comment participer à un site collaboratif, etc. Pour plus d'information, on pourra se référer à l'ouvrage de Caws et al. (2021).
20La présente recherche s'inscrit dans le cadre des études des perceptions et exploite une petite partie des réponses à un questionnaire plus large invitant des enseignants à effectuer des retours sur des exemples de tâches ancrées dans la vie réelle. Elle s'intéresse spécifiquement à la façon dont ces enseignants ont perçu les intérêts et limites de ces tâches après avoir évalué des fiches de tâches ancrées dans la vie réelle conçues par le projet européen Lingu@num (partenariat stratégique pour la préparation de l'éducation numérique, co-financé par l'Union européenne, https://www.linguanum.eu).
21Chaque fiche comprend :
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une présentation de la tâche ancrée dans la vie réelle formulée à destination de l'apprenant, ainsi que deux variantes pour les enseignants ou apprenants préférant les réaliser, soit comme des tâches actionnelles sociales (Pakdel, 2011), dont le produit s'adresse aux autres membres du groupe composé par les apprenants et l'enseignant, soit comme des tâches cibles pour lesquelles le véritable destinataire du produit final est simulé ;
-
une description des sites proposés pour réaliser la tâche ancrée dans la vie réelle ;
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des informations pédagogiques incluant, entre autres, le niveau du CECRL à partir duquel la tâche est réalisable d'un point de vue langagier, ainsi que les objectifs langagiers, littéraciques et citoyens que la tâche permet de travailler ;
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une proposition de scénario pédagogique avec, signalés par des étoiles de couleur (en fonction de la nature des objectifs), des suggestions pour travailler avec les apprenants la dimension langagière et celles en lien avec la littératie et la citoyenneté numériques ;
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des liens vers des fiches-ressources présentant comment utiliser certaines applications et ressources en ligne (des traducteurs automatiques, banques d'images et de sons, des correcteurs orthographiques, etc.) pour réaliser certains éléments de la tâche ;
-
- 1 Les fiches conçues par le projet Lingu@num sont consultables sur le site du projet : https://www.li (...)
des informations sur la façon de mettre en œuvre la tâche en présentiel, en distanciel ou en mode hybride1.
22Après avoir consulté une ou plusieurs fiches ainsi qu'un guide d'utilisation de ces fiches (sans les avoir forcément testées et – il convient de le noter – sans que nous n'ayons d'information sur la précision avec laquelle ces fiches ont été examinées), les testeurs, recrutés par appel à volontaires au sein du réseau de partenaires associés du projet et sur certains réseaux professionnels (LinkedIn et Twitter), étaient invités à répondre à un questionnaire en ligne. Celui-ci portait sur la qualité des fiches et du guide et il comportait quatre questions ouvertes nous permettant de recueillir des données pour la présente recherche. Ce sont les réponses à ces questions qui font l'objet de la présente analyse.
23Ces quatre questions reprennent les questions de recherche auxquelles nous tentons de répondre ici :
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De façon générale, quels sont, selon vous, les atouts des tâches ancrées dans la vie réelle dans le cadre de l'enseignement-apprentissage des langues ?
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De façon générale, quelles sont, selon vous, les limites des tâches ancrées dans la vie réelle dans le cadre de l'enseignement-apprentissage des langues ?
-
De façon générale, quels sont, selon vous, les atouts des tâches ancrées dans la vie réelle pour l'éducation à la citoyenneté numérique ?
-
- 2 Les mises en relief (gras et italique) reprennent le format des questions telles que posées aux tes (...)
De façon générale, quelles sont, selon vous, les limites des tâches ancrées dans la vie réelle pour l'éducation à la citoyenneté numérique ?2
24Nous avons positionné d'abord les questions les plus générales avant d'aborder la citoyenneté numérique, voulant voir si les enseignants évoqueraient l'éducation à la citoyenneté numérique dans les atouts et limites des tâches ancrées dans la vie réelle dans le cadre de l'enseignement-apprentissage des langues.
25Le questionnaire a été administré grâce au logiciel LimeSurvey en garantissant l'anonymat complet des réponses. Il a permis de recueillir, entre le 27 décembre 2022 et le 28 février 2023, 340 participations enregistrées, dont 46 réponses complètes incluant des données sur les questions qui nous intéressent. Les autres participations correspondent à des questionnaires interrompus par les répondants et ne comprenaient qu'un nombre limité à très limité de réponses ; il n'y figurait notamment aucun retour sur les questions nous intéressant. Celles-ci représentaient quatre questions ouvertes à la fin d'un questionnaire de 24 questions permettant de recueillir les avis des personnes sur la qualité didactique et formelle des fiches publiées. Les réponses ont été codées R1 (R = répondant) à R340. Les 46 réponses pertinentes pour cette recherche ont été exportées dans un tableur partagé permettant aux trois chercheurs de coder les déclarations des enseignants-testeurs.
26La méthodologie retenue pour l'étude du corpus est l'analyse thématique de contenu. Lors d'une première rencontre de travail, les trois chercheurs ont procédé à une "thématisation en continu" (Paillé & Mucchielli, 2012) et au codage d'environ 33% de réponses à chaque question afin d'obtenir une liste de thèmes dans une perspective de "thématisation séquenciée" (Paillé & Mucchielli, 2012), la liste devant permettre le codage de l'ensemble du corpus. Pour ce travail, afin de limiter la subjectivité du codage par une seule personne, nous avons opté pour ce que Denzin (1970) nomme la triangulation des chercheurs, chaque chercheur traitant le corpus de façon indépendante des autres avant une réunion de concertation permettant de réduire les éventuelles divergences de codage.
27Une thématisation séquenciée stricte s'est cependant avérée impossible du fait que de nouveaux thèmes sont apparus aux chercheurs lors du codage du reste du corpus. De fait, chaque chercheur a procédé à une "thématisation en continu", celle-ci divergeant partiellement d'un codeur à l'autre. Une nouvelle rencontre des chercheurs a été nécessaire pour s'accorder sur les thèmes à retenir avant de procéder à un nouveau codage indépendant de l'ensemble du corpus.
28À l'issue du codage, le taux de convergence entre les codages a été calculé pour la partie qui n'avait pas été codée conjointement lors de la première réunion de travail. Les valeurs sont indiquées dans le tableau ci-dessous pour les quatre questions. Nous indiquons le taux de convergence complète correspondant aux items codés de la même façon par les trois chercheurs et le taux de convergence partielle quand deux codeurs sur trois se retrouvent.
Tableau 1 – Taux de convergence après premier codage indépendant par les trois chercheurs
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Convergence complète
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Convergence partielle
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Atouts des tâches ancrées dans la vie réelle en général
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53,4
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18,6
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Limites des tâches ancrées dans la vie réelle en général
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50
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19,4
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Atouts des tâches ancrées dans la vie réelle pour l'éducation à la citoyenneté numérique
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28,2
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26,9
|
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Limites des tâches ancrées dans la vie réelle pour l'éducation à la citoyenneté numérique
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43,6
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30,8
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29L'intérêt de la triangulation des chercheurs ressort de façon évidente de ce tableau. Une réunion de concertation a permis de discuter les propos des répondants quand ceux-ci n'avaient pas été compris de la même façon par les chercheurs : il pouvait s'agir de divergences d'interprétations ou d'erreurs liées au fait que deux des chercheurs ne maitrisant pas l'allemand ont eu recours à une traduction automatique pour le premier codage. La réunion a également permis de clarifier la compréhension commune de certains des thèmes identifiés préalablement. Il n'a pas été possible d'arriver à un accord complet sur le codage des quatre questions, cependant les taux de convergence après cette réunion sont nettement supérieurs aux premiers.
Tableau 2 – Taux de convergence après la réunion de concertation.
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Convergence complète
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Convergence partielle
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Atouts des tâches ancrées dans la vie réelle en général
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93,3
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3,3
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Limites des tâches ancrées dans la vie réelle en général
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91,1
|
1,8
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Atouts des tâches ancrées dans la vie réelle pour l'éducation à la citoyenneté numérique
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84,3
|
9,8
|
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Limites des tâches ancrées dans la vie réelle pour l'éducation à la citoyenneté numérique
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100
|
0
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30Le tableur a permis un traitement quantitatif des données afin de calculer le nombre d'occurrences des différents thèmes dans les réponses aux quatre questions. Il s'agissait de faire ressortir l'importance des éléments dans les perceptions des répondants, un élément n'apparaissant qu'une fois (le fait de permettre une évaluation évoquée par une personne comme atout des tâches ancrées dans la vie réelle par exemple) ayant moins de représentativité pour la perception des 46 répondants qu'un élément présent dans 19 réponses (comme c'est le cas pour la nature authentique des tâches ancrées dans la vie réelle).
31Nous présentons ci-dessous les atouts et limites que les répondants évoquent à propos des tâches ancrées dans la vie réelle.
32Concernant les atouts des tâches ancrées dans la vie réelle dans le cadre de l'enseignement-apprentissage des langues, les réponses collectées font apparaitre trois aspects émergents. Ainsi, selon les professeurs répondants, proposer des tâches de ce type permettrait :
-
d'effectuer l'activité dans une situation réelle, authentique (19) ;
-
de conférer à l'activité une dimension pratique/concrète (16) ou encore utile (7) ;
-
de motiver les apprenants (19).
33Le caractère réel de l'activité porté par la dénomination même de la tâche ancrée dans la vie réelle est l'élément le plus présent dans le discours des enseignants. À celui-ci est très souvent associé une propriété pratique, concrète ou utile. Le répondant 318 dit, par exemple, que les tâches ancrées dans la vie réelle :
(...) permettent de donner du sens à l'apprentissage. L'apprenant connaît la finalité de ce pour quoi il travaille. Il peut donc y trouver un intérêt personnel concret, et se concentrer sur les aspects/contenus qui lui paraissent le plus pertinents pour son apprentissage.
34Un lien fort est fait entre la dimension concrète de la tâche, son utilité et le fait que ceci donne du sens à l'activité (huit répondants évoquent cet aspect) puisque l'apprenant en connait la finalité pratique et qu'il peut la rattacher à ses propres besoins et centres d'intérêt.
35L'ensemble de ces éléments saillants semble être des facteurs de motivation importants, comme le souligne – entre autres – le répondant 315 :
Elles augmentent la motivation, par leur aspect soit utilitaire soit affectif, et de fait ancrent davantage les apprentissages. Elles relient la langue à une réalité tangible. Elles ouvrent des possibilités de pratique hors-classe.
36Parce que c'est utile, mais aussi parce que les apprenants sont susceptibles d'y trouver un intérêt personnel ("affectif"), la tâche ancrée dans la vie réelle semble avoir plus de chance de les engager de façon intrinsèque dans l'activité. Au-delà du fait que la tâche ancrée dans la vie réelle permet de proposer une activité réelle, authentique, ce type d'activité peut permettre aux apprenants de prendre conscience que la langue n'est pas juste un objet d'apprentissage mais un véritable moyen de communication et un moyen d'intégrer une ou des communautés qui partagent leurs centres d'intérêt (on pense notamment aux publics dits "captifs" dans le secondaire qui ne perçoivent pas toujours l'intérêt des cours de langue, notamment car ils n'en voient pas la finalité concrète). Le répondant 77, par exemple, considère que :
- 3 Les apprenants se rendent compte que la langue s'utilise concrètement surtout en dehors de la class (...)
Den Lernenden wird klar, dass Sprache vor allem außerhalb des Sprachunterrichts passiert und dass sie den Unterricht als Vorbereitung auf die Anwendung der Sprache im "echten Leben" sehen sollten. Zudem können solche Aufgaben motivierend wirken, weil die Lernenden mit einer echten Community in Kontakt treten können3.
37La dimension socio-interactionnelle de la tâche ancrée dans la vie réelle est peu perçue par les répondants mais est tout de même présente dans le discours de trois personnes. Par ailleurs, le fait qu'elle ouvre à une pratique hors de la classe est évoqué par quatre autres enseignants-testeurs.
- 4 C'est une façon plus réaliste d'apprendre la langue et de développer des compétences, non seulement (...)
38Un répondant souligne également que les tâches ancrées dans la vie réelle permettent une ouverture qui va au-delà de l'apprentissage de la langue, en lien avec le fait que les apprenants sont amenés à entrer en contact avec d'autres utilisateurs de la langue-cible. Ainsi, le répondant 190 souligne : "It's a more realistic way to learn the language and develop their competences, not only in the foreign languages but other more general, like critical thinking, tolerance, etc. (...)"4. On voit ici un lien qui est fait entre ce type de tâche et une sensibilisation aux relations interpersonnelles et à la citoyenneté numérique, du fait de la socialisation induite par ce type d'activité. Les apprenants contribuent ainsi à un projet dans "une logique de citoyen du monde [...]" (R305). Nous tenterons d'observer, dans la partie consacrée aux liens faits entre tâches ancrées dans la vie réelle et éducation à la citoyenneté numérique, si ces premières constatations sont confirmées dans le discours des autres répondants.
39Avant de passer aux résultats dans le détail, il convient de souligner que, si pour les atouts, on peut repérer des éléments qui rassemblent les répondants (avec un nombre d'occurrences entre 15 et 19), les réponses sur les limites sont plus diffuses. En outre, 3 répondants sur 46 n'identifient aucune limite. Dans le même temps, 1 répondant déclare ne pas comprendre quelle est la nature spécifique des tâches ancrées dans la vie réelle dans le cadre de l'enseignement-apprentissage des langues et 4 autres présentent une réponse hors sujet. Nous pouvons ainsi nous interroger sur la compréhension du concept par certains enseignants qui semble être partielle – raison pour laquelle le projet a complété le guide d'utilisation des fiches par un complément d'information sur ces tâches et un renvoi vers le module de formation correspondant.
40La limite la plus représentée dans le discours des répondants est celle du temps qu'il est nécessaire d'accorder à la préparation et à la mise en œuvre de la tâche ancrée dans la vie réelle (11 répondants). Ainsi, en ce qui concerne les scénarios proposés par le projet Lingu@num, le répondant 36 considère que "(...) le temps de préparation et d'investissement est un peu long. Des tâches pouvant être réalisées sur un temps plus court pourraient être envisagées". Il semblerait donc que les enseignants interrogés considèrent positivement la tâche ancrée dans la vie réelle en soi, à condition qu'elle ne demande pas un investissement trop important. Le répondant 316 précise que cette limite temporelle est à associer aux limites données par le cadre institutionnel "[qui] peut poser problème (à moins que ce dernier ne s'adapte à la mise en œuvre de l'apprentissage par tâches dans la vie réelle) : programme à suivre, préparation aux examens, temps limité". Cette remarque est à mettre en parallèle avec celle du répondant 127 qui considère que "[l]e cadre (scolaire) dans lequel elles [les tâches ancrées dans la vie réelle] sont mises en œuvre [est] intrinsèquement en décalage avec 'la vie réelle'". Certains répondants pensent ainsi que le contexte scolaire limite l'ancrage dans la vie réelle, sans percevoir les possibilités de double ancrage.
41Une autre limite relativement importante est soulevée en lien avec des aspects techniques ou avec le numérique dès lors qu'il s'agit de proposer une tâche ancrée dans la vie réelle en ligne. Il peut s'agir des capacités techniques limitées des enseignants (4), comme celle des apprenants (2). Le répondant 266 souligne ainsi : "L'utilisation des technologies souvent suppose une limite pour mes apprenants et pour moi-même".
- 5 Parmi les limites, on pourrait citer le fait de ne pas demander d'informations confidentielles aux (...)
42À cela s'ajoutent des problématiques qui relèvent de la protection et de la sécurité des apprenants (4). Le répondant 25 résume bien le caractère interrelié de ces deux aspects : à la fois la maîtrise de ces technologies de la part des enseignants et les réticences de ceux-ci liés aux problèmes de sécurité et de protection des données personnelles inhérents aux espaces numériques utilisés : "L'aspect technologique et éthique à devoir maitriser soi-même en tant qu'enseignant. La réticence que certains apprenants pourraient avoir face à la tâche ancrée dans la vie réelle (ex : utiliser son propre compte Instagram, YouTube, etc.)". Le répondant 311 précise : "Limits may be in order not to ask students for confidential information, financial costs, or perhaps to ensure that some programs are not viral or pirated versions"5.
43Le répondant 34 évoque, lui aussi, le caractère multifactoriel et interrelié des limites qu'il considère comme inhérentes aux tâches ancrées dans la vie réelle utilisant un milieu numérique authentique, tout en soulignant que les centres d'intérêts hétérogènes dans son groupe d'apprenants ainsi que le fait que certains d'entre eux puissent ne pas souhaiter utiliser les réseaux sociaux sont aussi des limites :
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suppose des groupes homogènes (mêmes intérêts) pour proposer des contenus/tâches pertinentes
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le fait de devoir s'inscrire/créer un compte peut poser problème à l'apprenant : autorisation parentale nécessaire (pas toujours possible à obtenir), souhait de certains apprenants de ne pas être présents sur internet.
- 6 Dans les tâches ancrées dans la vie réelle, on trouve une quantité importante de lexiques et d'élém (...)
44Le fait que certains apprenants puissent ne pas être prêts à pratiquer des tâches ancrées dans la vie réelle (6) peut ainsi s'expliquer par une réticence à utiliser les réseaux (3) ou encore par la "peur de mal faire" de manière générale (R36). Le sentiment d'un déficit de compétences peut ici jouer un rôle important comme le souligne le répondant 137 : "In the real-world tasks there are many unknown vocabularies or elements. Unknown vocabularies or elements make the students fearful. In the real-world we have to survive such fear. But for some students it is very difficult"6.
45Il y a ainsi un difficile équilibre à trouver entre la complexité de la tâche et les capacités langagières des apprenants qui est évoqué à cinq reprises. Le répondant 41 illustre bien ceci :
Une tâche fait obligatoirement appel à la maîtrise de plusieurs connaissances. Au sein d'une tâche, le niveau du contenu est très varié. Aucune tâche ancrée dans la vie réelle ne peut uniquement faire appel à des contenus de niveaux débutants/intermédiaires (A1, A2). Les tâches demandent donc un certain niveau seuil dans la langue. Sinon l'aboutissement et la réalisation de la tâche dans son intégralité peut prendre beaucoup de temps et démotiver les apprenants.
46Il semblerait aussi que les répondants aient du mal à se distancer d'une part de contrôle d'un point de vue pédagogique, l'utilisation des tâches ancrées dans la vie réelle impliquant ce pas de côté. D'un côté, certains enseignants ne sont pas prêts et, d'un autre côté, ils estiment aussi que certains apprenants peuvent ne pas l'être.
47Nous traitons d'abord les réponses sur la question concernant les atouts puis celle sur les limites identifiées par les répondants.
48À la question "quels sont, selon vous, les atouts des tâches ancrées dans la vie réelle pour l'éducation à la citoyenneté numérique ?", nous avons obtenu 19 réponses que nous avons classées dans la catégorie hors sujet. Soit les répondants ne répondent pas du tout à la question et parlent d'autre chose, soit ils y répondent partiellement, se focalisant sur la première partie de la question ("les atouts des tâches ancrées dans la vie réelle") et oblitérant la seconde partie ("pour l'éducation à la citoyenneté numérique") : il est alors question de motivation, de faciliter les interactions, de culture générale, etc. Ce grand nombre de réponses hors sujet montre ainsi un important déficit de compréhension concernant la nature même de la citoyenneté numérique. On notera qu'aucune définition de la citoyenneté numérique n'avait été fournie aux répondants afin de ne pas les influencer et de pouvoir juger de leur connaissance (préalable) de la notion.
49Le seul répondant (R318) ayant avoué son ignorance peut nous apporter quelques éclairages sur les difficultés que rencontrent les enseignants à embrasser la notion :
(...) J'ai (...) du mal à comprendre le terme de citoyenneté numérique entre respect, bonne conduite d'une part et connaissance des codes et usages pour être visible sur les réseaux, utiliser le numérique du mieux possible dans son intérêt. Je pense qu'il faudrait distinguer certains aspects déontologiques et éthiques de la bonne utilisation et appropriation du numérique pour l'exploiter du mieux possible.
- 7 L'omniprésence [du numérique, supposons-nous] rend absolument nécessaire de mener une réflexion cri (...)
50L'atout le plus évoqué est celui de la prise de conscience qui va de pair avec la fréquentation des espaces numériques (7). Le répondant 228 signale ainsi le fait que "[c]ela permet aux étudiants de se familiariser avec le numérique et d'en connaitre les atouts et les limites". Dans le même esprit, le répondant 36 précise que les tâches ancrées dans la vie réelle "permettent une vraie prise de conscience sur les tenants et les aboutissants d'une publication en ligne (par exemple), elles permettent également de se poser des questions sur le cadre légal, sur les conséquences éventuelles…". Cinq autres personnes soulignent la nécessaire sensibilisation à la citoyenneté numérique, la prise de distance, le caractère réflexif qui s'associent à ces pratiques ; la classe représentant un lieu privilégié pour en discuter : "Allgegenwärtigkeit - insofern zwingend notwendig, sich reflektiert auseinanderzusetzen; privat wird dafür oft keine Zeit einberaumt" (R66)7. Le répondant 287 précise ainsi que faire des tâches ancrées dans la vie réelle permet une "[u]tilisation accompagnée d'outils / sites numériques avec prise de recul et réflexivité".
- 8 Students become more open minded, aware of others and critical (répondant 190). Les apprenants gagn (...)
51Cette prise de conscience et cette réflexivité ne sont pas toujours affichées comme telles dans le discours des répondants mais se déclinent sous différentes formes dans leurs propos. Certains parlent ainsi d'ouverture d'esprit (2), de prise de conscience des autres (1) ou encore de développement de l'esprit critique (5)8.
- 9 Cela renforce leurs compétences et permet aux personnes d'évaluer la désinformation (notre traducti (...)
- 10 Il est réellement utile d'apprendre sur la nature de la confidentialité en ligne, sur le partage et (...)
- 11 That will be a training of real-world living. Cela représentera un entrainement pour la vie dans le (...)
52Nous pouvons également identifier certaines manières d'agir du citoyen numérique, telles qu'elles ont été listées dans la partie théorique consacrée ci-dessus à la citoyenneté numérique. Parmi les manières d'agir les plus représentées dans le discours des répondants, l'agir sûr est le plus cité (6 occurrences), comme cela transparait dans la réponse du répondant 36 citée plus haut, suivi de l'agir informé (5). Le répondant 336 souligne ainsi : "it improves their skills and it allows for people to judge for misinformation"9 et le répondant 304 estime que : "Learning about the nature of online privacy, sharing, the concepts behind the main platforms, is really useful"10. Nous constatons ainsi que la question de la sécurité représente une préoccupation chez les enseignants, comme le souligne le répondant 267 : "le numérique doit être utilisé avec précaution, ces tâches [y] contribuent". Cette façon de voir renforce l'idée qu'effectuer des tâches ancrées dans la vie réelle en classe est un phénomène positif, à la fois parce qu'elle représente un espace sûr pour expérimenter la vraie vie11 (répondant 137) et parce que l'enseignant peut assurer une mission de sensibilisation et de distance réflexive sur les "risques" associés à une activité sur Internet.
53Cette représentation explique peut-être la raison pour laquelle les manières d'agir du citoyen numérique qui relèvent d'une posture plus active pour l'apprenant émergent moins dans le discours des enseignants. L'agir responsable (4), l'agir compétent (2) et l'agir éthique (1) sont cependant évoqués. Le répondant 77, par exemple, parle de manière d'agir responsable :
- 12 Les tâches supposant que les apprenants naviguent sur Internet, ils sont confrontés à des questions (...)
Dadurch, dass die Aufgaben voraussetzen, dass sich die Lernenden im Internet bewegen, werden die Lernenden mit Fragen der verantwortungsvollen Nutzung dessen konfrontiert, z.B. was darf man auf bestimmten Websites veröffentlichen, wie sieht es mit Bildrechten aus, was steht in den Nutzungsbedingungen etc.12
- 13 Verbatim original : developing digital skills and digital literacy (traduit dans le texte par nos s (...)
54Le répondant 327 évoque, lui, l'agir compétent quand il cite comme atout le fait de "développer des compétences numériques et la littératie numérique"13. Le lien est ici fait entre faire des tâches ancrées dans la vie réelle en ligne, la citoyenneté numérique et la littératie numérique. À travers elles, "les apprenants sont capables d'utiliser les outils numériques et choisissent leur mode d'apprentissage" (répondant 269). On voit apparaitre en filigrane l'idée que proposer de travailler avec des outils numériques ouvre l'éventail des choix pédagogiques et que l'apprenant peut s'emparer de ce qui peut lui convenir le mieux pour son apprentissage.
55Quand on demande aux enseignants leur avis sur les limites des tâches ancrées dans la vie réelle pour l'éducation à la citoyenneté numérique, nous constatons là aussi de nombreuses réponses invalides (13 réponses hors sujet). Nous retrouvons ainsi, comme pour les atouts, des réponses partielles portant sur la première moitié de la question ("les limites des tâches ancrées dans la vie réelle") et évacuant la question de l'éducation à la citoyenneté numérique. Les répondants évoquent des limites matérielles ou techniques, l'absence ou le manque de contact humain, le temps qu'il faut accorder à ce type d'activité, etc.
56Par ailleurs, cinq personnes déclarent ne pas savoir quelles sont les limites des tâches ancrées dans la vie réelle pour l'éducation à la citoyenneté numérique et neuf autres considèrent qu'il n'y a aucune limite. La question se pose de savoir si ces réponses sont dues au fait que les répondants ont du mal à tracer les contours de ce qu'est l'éducation à la citoyenneté numérique, perspective vers laquelle nous pourrions tendre au moins pour les personnes ayant avoué leur ignorance ou s'ils ne perçoivent tout simplement pas les limites des tâches ancrées dans la vie réelle en lien avec l'éducation à la citoyenneté numérique. Une information a donc été ajouté a posteriori dans le guide d'utilisation des tâches sur la notion de citoyenneté numérique ainsi qu'un renvoi vers le module de formation correspondant.
- 14 Je ne suis pas certain que les jeunes se soucient suffisamment de la protection de la vie privée en (...)
57Les réponses données sur les limites sont ainsi relativement pauvres en information. Tout ce que nous avons pu collecter porte sur trois aspects. Un premier aspect se concentre plutôt sur les apprenants qui pourraient manquer d'intérêt concernant la thématique de la citoyenneté numérique (4). Le répondant 34, par exemple, signale que même dans la langue maternelle, c'est un sujet éloigné des centres d'intérêt des apprenants ; certains pouvant même rejeter tout ce qui s'y rapporte, d'après le répondant 245. Cela semble particulièrement s'appliquer aux publics jeunes comme le dit le répondant 304 : "I'm not sure young people care enough about online privacy to be sufficiently interested in their digital citizenship"14. On notera que ce dernier exprime une forme d'incertitude qui laisse à penser qu'il n'a pas forcément consulté les jeunes à ce sujet. Le peu d'intérêt des jeunes pour la citoyenneté numérique, soulevé par certains répondants, pourrait tout aussi bien révéler son absence dans les enseignements et, de fait, l'absence de sensibilisation à cette thématique auprès des publics apprenants qui n'en voient par conséquent pas l'intérêt.
- 15 Students might be more familiar with the digital world than the instructor/Les apprenants peuvent ê (...)
58Un deuxième aspect est relatif aux enseignants qui manquent de formation (4), ce qui conforte notre interprétation d'un manque de connaissance de ce qu'est la citoyenneté numérique de prime abord. Ce manque de compétence dans le domaine présente le risque que les apprenants montrent plus de savoir-faire numériques que les enseignants eux-mêmes, comme le souligne le répondant 29915.
59Deux enseignants ne perçoivent d'ailleurs pas forcément le lien entre tâche ancrée dans la vie réelle et citoyenneté numérique. Le répondant 332 signale ainsi :
Dans les exemples des fiches présentées, je ne vois pas trop comment apprendre à présenter une app, créer son CV ou un flyer peuvent faire passer des messages anti-harcèlement ou de protection des données par exemple.
60La citoyenneté numérique semble ainsi se résumer à deux éléments : le respect d'autrui (agir éthique et responsable) et la protection des données personnelles (agir sûr et informé). Le répondant 315 précise d'ailleurs : "Je ne suis pas convaincue que cela suffise à prendre conscience de la citoyenneté numérique sans passer par une première phase de sensibilisation/explication". Un enseignant ne perçoit même pas vraiment l'utilité au quotidien : "Ce ne sont pas nécessairement des thèmes utiles dans la vie quotidienne, selon le type de public cible dans le cours de langue étrangère" (R313). Le répondant 345 se demande ainsi si c'est là "vraiment notre rôle d'enseignant de langue".
- 16 Verbatim original : "(…) various types of racism or misinformation" (traduit en français dans le te (...)
61Le troisième et dernier aspect tourne autour du caractère véritablement socio-interactionnel de la tâche ancrée dans la vie réelle et, une fois de plus, de la sécurité des apprenants en lien avec cette caractéristique. Ces derniers jouent un rôle important, à la fois au niveau des risques auxquels les apprenants peuvent être confrontés au cours de l'activité qu'en termes de limitations pédagogiques. Concernant les risques, les enseignants soulignent que des comportements inappropriés sont à redouter comme "différents types de racisme ou de la désinformation"16 (R311), le "respect des règles de conduite dans un espace numérique [n'étant] pas toujours assuré" (R319).
- 17 Sometimes the task can be the same but the students may not go as public as the whole world. Someti (...)
- 18 Der Rahmen ist natürlich begrenzt, da die Lehrperson mit der Erstellung der Aufgaben solche Website (...)
62Au niveau des limites pédagogique, le répondant 314 met en avant le caractère potentiellement anxiogène de savoir que sa publication peut être ouverte à tout public17, montrant ainsi qu'une formation à la littératie numérique serait aussi d'une grande utilité pour un certain nombre d'enseignants, puisque, dans la majorité des cas, l'internaute peut choisir son mode de publication et n'est donc pas dans l'obligation de laisser cette dernière ouverte à toute la communauté. Au contraire, le répondant 77 souligne que le fait de choisir des "sites et des logiciels pouvant être utilisés en toute sécurité et sur lesquels il est très peu probable que le pire des scénarios se produise" rend, de fait, le cadre de la tâche ancrée dans la vie réelle limité18.
63Après avoir présenté les limites de cette étude, nous nous proposons de nous pencher sur deux aspects qui nous ont semblé émerger plus particulièrement du discours des enseignants.
64Avant de présenter les éléments qui nous semblent émerger de cette étude, nous souhaitons préciser que nous avons effectué celle-ci sur un échantillon faible et donc pas forcément représentatif. Étant donné que la recherche était basée sur le volontariat, nous n'avons obtenu que peu de réponses en comparaison du nombre de personnes potentiellement touchées par l'appel à participation.
65Par ailleurs, cette étude ne portait que sur la perception des enseignants concernant les tâches ancrées dans la vie réelle et leur relation à l'éducation à la citoyenneté numérique à partir de l'évaluation de fiches de tâche et non d'une mise en œuvre de celles-ci. Il a dû donc s'agir, pour au moins une partie des répondants, de s'exprimer sur des concepts avec lesquels ils ne sont peut-être pas familiers. C'est ce que les résultats tendent à montrer, déjà en partie quand les enseignants ont dû s'exprimer sur les limites des tâches ancrées dans la vie réelle, mais de façon encore plus évidente quand ils ont traité les questions sur les atouts et les limites des tâches ancrées dans la vie réelle en lien avec l'éducation à la citoyenneté où un grand nombre de répondants était hors sujet ou n'identifiait aucune limite.
66Quoi qu'il en soit, malgré le faible échantillon et les réserves que nous venons d'exprimer, il convient de noter que les données analysées ici tendent à aller dans le sens de retours d'étudiants inscrits en Master FLE et invités à réaliser une tâche ancrée dans la vie réelle puis à partager leurs réactions en tant que participants et futurs enseignants de langues (Ollivier, 2010, 2021).
67De façon générale, on remarque que les enseignants estiment que les tâches ancrées dans la vie réelle utilisées en situation d'enseignement-apprentissage des langues peuvent avoir des effets similaires aux activités participatives informelles étudiées par la recherche (Black, 2009 ; Hannibal Jensen, 2019 ; Pasfield-Neofitou, 2011 ; Sauro, 2017 ; Vazquez-Calvo et al., 2019) puisqu'on retrouve très fortement cités l'authenticité et le fait que les tâches fassent sens pour les apprenants, ces deux éléments pouvant constituer un facteur de motivation.
68Par ailleurs, non seulement l'environnement formel impose un rythme et des contraintes qui pourraient limiter les possibilités de déployer les tâches ancrées dans la vie réelle dans toute leur richesse et toute leur complexité, mais en plus, il présente, pour les enseignants, un obstacle important au concept même de tâche ancrée dans la vie réelle, probablement par son caractère fermé sur lui-même, davantage propice à la simulation qu'à une ouverture sur le monde réel et parce que l'ancrage dans le contexte éducatif peut limiter l'atout majeur des tâches ancrées dans la vie réelle, à savoir qu'elles se réalisent au sein d'interactions sociales au-delà du groupe apprenants-enseignant. Certains apprenants pourraient en effet être tentés, comme le rappellent Sockett et Toffoli (Sockett & Toffoli, 2012 ; Toffoli & Sockett, 2010) parmi les limites des tâches réalisées sur des sites ouverts, de les réaliser comme des tâches scolaires laissant de côté l'importance de garder en tête le public réel auquel ils devraient s'adresser. Du côté des enseignants, la nécessité de répondre à un programme, d'évaluer les apprenants selon des attendus précis, etc. représente également un frein à la mise en œuvre de tâches ancrées dans la vie réelle en classe, comme nous l'indique le répondant 316.
69Les enseignants identifient également des risques pointés par la recherche, notamment celui de la vulnérabilité, mais le faible nombre d'occurrences par rapport à certains atouts identifiés peut laisser entrevoir une perception positive de l'accompagnement lié au double ancrage, même si celui-ci peut être perçu comme réduisant la dimension de réalité et d'authenticité des tâches ancrées dans la vie réelle.
70Lors de l'élaboration du questionnaire, nous avons choisi de poser en premier lieu des questions sur les atouts et les limites des tâches ancrées dans la vie réelle afin d'observer si des éléments en relation avec l'éducation à la citoyenneté numérique émergeaient du discours sans avoir orienté les répondants sur ce sujet. Nous avons pu constater que ce n'est pas le cas. En ce qui concerne les atouts, aucune référence n'y est vraiment faite et, pour les limites, trois personnes évoquent des questions de sécurité, comme la protection des données personnelles (3) ou les risques de piratage (1). Un répondant souligne également que "le fait de devoir s'inscrire/créer un compte peut poser problème à l'apprenant : autorisation parentale nécessaire (pas toujours possible à obtenir), souhait de certains apprenants de ne pas être présents sur internet" (R34). Enfin, une dernière personne (R257) fait référence à l'éthique que l'enseignant doit mettre en œuvre dès lors qu'il est question de technologie, sans préciser ce qu'il entend par-là.
71Que ce soit pour les tâches ancrées dans la vie réelle ou encore plus concernant celles en lien avec l'éducation à la citoyenneté, nous avons relevé une difficulté chez certains répondants à identifier des limites. Étant donné le grand nombre de réponses hors sujet par ailleurs, nous sommes tentés d'associer ces difficultés à énumérer des limites à une connaissance limitée de la notion de citoyenneté numérique. Elle semble ainsi peu connue, voire non comprise. Cela renforce l'équipe du projet sur la pertinence de la formation proposée et vers laquelle nous renvoyons maintenant explicitement dans le guide d'utilisation des fiches de tâches.
72Par ailleurs, dans les réponses aux atouts de la tâche ancrée dans la vie réelle, la dimension socio-interactionnelle de la tâche est peu évoquée alors que c'est en grande partie ce qui semble poser problèmes aux enseignants quand on leur demande quelles sont les limites des tâches ancrées dans la vie réelle en lien avec l'éducation à la citoyenneté numérique. Les risques évoqués relèvent des relations interpersonnelles comme l'exposition à des formes de harcèlement ou d'abus, d'irrespect, d'agressivité, etc.
73Les déclarations des enseignants évoquant la citoyenneté numérique font ainsi ressortir une vision limitée de celle-ci et mettant surtout en avant les questions de désinformation, de risques et de sécurité, autrement dit l'agir sûr et informé. L'agir éthique, critique et responsable n'est évoqué qu'à demi-mots, lorsqu'il est question de messages anti-harcèlement par le répondant 332. Même dans les atouts, ces dernières dimensions sont évoquées mais par un très petit nombre de répondants et sans forcément présenter des exemples concrets. Les répondants présentent la nécessité de le faire mais pas ce que cela peut vraiment apporter. Là aussi, c'est l'agir sûr et l'agir informé qui sont le plus représentés. Il y a donc une vraie sensibilisation à mettre en place, auprès des enseignants dans un premier temps, puis des apprenants dans un second temps, sur ce qu'implique être citoyen numérique et sur les différentes facettes de celui-ci.
74En effet, s'il est important pour le citoyen usager des langues et du numérique d'asseoir ses activités en ligne sur un agir compétent, informé et sûr, notamment pour les faciliter tout en se protégeant, il nous semble utile, en termes d'éducation à la citoyenneté numérique, de tout particulièrement former à l'agir responsable, éthique et critique. Il s'agit de former un citoyen capable d'utiliser le numérique et les langues – l'éducation à la citoyenneté numérique ne pouvant se réduire à une éducation civique – pour agir selon ses valeurs au sein de diverses communautés en lien avec ses centres d'intérêt. Les différentes manières d'agir sont interreliées et, en fonction des besoins et des objectifs, certaines ne vont pas sans d'autres.
Figure 1 – les différentes manières d'agir en citoyen usager des langues et du numérique.
75Ainsi, par le biais du schéma ci-dessus, nous tentons de montrer comment le principe de la bidirectionnalité causale (figuré par les double-flèches entre chacun des différents types d'agir) constitue un fonctionnement de type systémique. En effet, chaque changement au sein de tel ou tel type d'agir peut avoir une influence sur tel ou tel autre. On peut par exemple postuler que la dimension critique ne peut se développer sans un certain niveau de compétence qui viendra favoriser le développement de processus métacognitifs propres à l'esprit critique, celui-ci étant lui-même fortement lié aux dimensions éthique et responsable de l'agir citoyen. En termes d'éducation à la citoyenneté via l'usage des langues et inversement, il s'agira donc de prendre en compte ces interrelations afin de créer les conditions susceptibles de déclencher des cercles vertueux entre ces types d'agir.
76De façon générale, on discerne une difficulté chez certains enseignants à percevoir la spécificité d'éléments relativement nouveaux dans le monde de la didactique des langues : l'éducation à la citoyenneté numérique et les tâches ancrées dans la vie réelle. Certains répondants ayant relevé le manque de compétences numériques des enseignants, nous pouvons notamment faire l'hypothèse qu'il y a potentiellement un lien entre le déficit en littératie numérique et l'absence de connaissances sur la citoyenneté numérique. Dans le même esprit, les atouts identifiés par les répondants sont fortement liés aux spécificités intrinsèques de la tâche ancrée dans la vie réelle (authenticité, réalité, dimensions pratique et concrète) alors que les limites les plus fréquemment évoquées sont liées à des aspects pratiques de la mise en œuvre (temps nécessaire) et des limites en termes de compétence et de littératie chez les personnes. Ce qui semble, si on croise cela avec les données montrant la possible faible familiarité avec l'éducation à la citoyenneté numérique, souligner l'importance de former les enseignants et de proposer aux apprenants un accompagnement qui les aident à agir en citoyens usagers des langues et du numérique.
77Cette formation, tout comme la mise en œuvre d'une éducation à la citoyenneté numérique, concerne l'ensemble des enseignants. Les professeurs de langues (maternelles et additionnelles) ont certainement un rôle important à jouer, du fait que l'exercice de la citoyenneté numérique demande des compétences en langues, mais l'éducation à la citoyenneté numérique est aussi, comme le soulignent les spécialistes (Frau-Meigs et al., 2017, par exemple), une éducation transversale qui concerne toutes les disciplines. Elle demande une intégration dans les curricula nationaux et les grandes orientations des organismes supranationaux afin de promouvoir une évolution des systèmes éducatifs visant à aider les apprenants à devenir des acteurs citoyens.
78Les résultats ne permettent pas de le montrer de façon statistique, mais une piste de recherche future serait de voir si les professeurs qui ne se sentent pas eux-mêmes à l'aise avec les usages numériques, ne reportent pas leur propre défiance et insécurité vis-à-vis de l'utilisation des tâches ancrées dans la vie réelle qui nécessitent des usages numériques sur les apprenants eux-mêmes. Ainsi, le répondant 257 illustre bien ce poste de réflexion par la juxtaposition de ses propres réticences et de celles qu'ils projettent sur les apprenants :
L'aspect technologique et éthique à devoir maitriser soi-même en tant qu'enseignant
La réticence que certains apprenants pourraient avoir face à la tâche ancrée dans la vie réelle (ex : utiliser son propre compte Instagram, YouTube, etc.).
79La présente étude montre en tout cas le besoin évident de recherche sur l'association de la didactique des langues et de l'éducation à la citoyenneté numérique et sur les potentialités et limites que représentent pour cela diverses approches, dont l'approche socio-interactionnelle mise en œuvre à travers des tâches ancrées dans la vie réelle.