Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d’Investissement d’avenir portant la référence ANR-17-EURE-004.
1Les relations sociales contemporaines sont, indéniablement, influencées par les technologies numériques et la maîtrise de ces outils pour lire, écrire et communiquer participent du capital social de l’individu (Ellison et al., 2007). Dès lors, la formation des citoyens – et des futurs citoyens – à cette littératie nouvelle paraît constituer un enjeu majeur pour nos démocraties (Guichard, 2014). Ces éléments justifient largement que la recherche en sciences de l’éducation et de la formation s’intéresse aux pratiques d’enseignement de la littératie numérique pour les décrire, voire les faire évoluer. Or, les pratiques numériques liées aux écrans, en termes de production, réception et d’interactions, qui concernent donc la maîtrise de littératie numérique sont rarement enseignées à l’école, en France (Crinon, 2012), ce qui accentue d’ailleurs les distances entre des pratiques culturelles et sociales privées qui sont influencées par l’usage des écrans et d’Internet, et des pratiques scolaires qui ne sont réalisées que sur papier. Pourtant, comme le soulignent Cordier (2015) et Gerbault (2012), il apparaît au contraire que l’enseignement de la littératie devrait reposer sur un continuum entre littérature traditionnelle et littératie numérique. Dès lors, il reviendrait à l’enseignant de prendre en charge un tel enseignement dans sa classe, au même titre que l’enseignement de la lecture et de l’écriture sur des supports traditionnels. C’est l’appréhension de cet écart entre des pratiques scolaires, qui engage les élèves sur des supports traditionnels, et la prise de conscience de la nécessité d’une formation à des usages plus larges du lire-écrire, prenant en compte les pratiques numériques, qui justifie notre questionnement de recherche.
2Notre recherche doctorale se propose de documenter l’enseignement de la littératie numérique en contexte scolaire. Nous faisons l’hypothèse que cet enseignement contribue à la formation de la personne et du citoyen. Pour éprouver celle-ci, nous avons conduit une expérimentation visant à développer des compétences en littératie numérique chez les élèves. Cette expérimentation a permis d’accompagner trois enseignants dans l’enseignement de la littératie numérique au cours d’une séquence pédagogique. Une telle démarche se justifie du fait que cet enseignement ne constitue pas une pratique courante des professeurs, et que peu se déclarent compétents vis-à-vis d’un enseignement de pratiques de lecture et d’écriture numériques ou prenant en compte les ressources numériques (Dias et al., 2020).
3De plus, notre recherche présente la spécificité de concerner le premier degré : à ce niveau, la littérature scientifique est moins nourrie, et peu d’expérimentations ont été conduites. Pourtant, il nous apparaît que les élèves sont de plus en plus exposés dès leur jeune âge à la fréquentation des écrans et que, dès qu’ils sont autonomes en lecture et écriture, ils développent de premiers usages personnels et se constituent des représentations qui fondent leurs habitudes futures. C’est pourquoi nous avons ciblé le niveau du CM1 en France qui correspond à la 4e année après le début de l’apprentissage de la lecture.
4En effet, à ce stade, les élèves ont déjà acquis certaines compétences fondamentales et commencent à devenir des lecteurs autonomes. Or, si l’on s’appuie sur les conclusions du rapport Fourgous (2012), ainsi que sur les travaux de Cordier (2015), on peut considérer que les enfants et adolescents ont déjà des usages numériques importants. Les deux études précisent surtout le fait que ceux-ci restent peu diversifiés, et se concentrent essentiellement autour d’activités de visionnages de vidéos ou de jeux, ou encore d’activités sur des réseaux sociaux. Dès lors, ces usages permettent de développer des compétences, mais pas nécessairement des compétences du XXIe siècle. Ces dernières se révèlent pourtant indispensables à former les personnes et les citoyens de nos sociétés contemporaines, ce que l’OCDE définit comme les « aptitudes et compétences que les jeunes devront posséder pour être des travailleurs et des citoyens efficaces dans la société de la connaissance du 21e siècle » (Ananiadou et Claro, 2009, p. 8 ; notre traduction) (those skills and competencies young people will be required to have in order to be effective workers and citizens in the knowledge society of the 21st century).
5C’est pourquoi notre expérimentation repose sur l’enseignement d’une séquence de littératie numérique dont nous nous proposons d’évaluer les effets en termes de compétences concernant la formation du citoyen du 21ème siècle et de relier ces apprentissages avec des pratiques didactiques et pédagogiques ayant été mises en œuvre lors de l’expérimentation. Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons précisément au développement de ces apprentissages. Nous nous demanderons comment se met en œuvre l’acquisition des compétences de littératie numérique dans le cadre des classes observées. Nous interrogerons de manière articulée le développement des compétences des élèves et les pratiques des enseignants sur cet objet d’enseignement nouveau qu’est la littératie numérique. C’est pourquoi, après avoir explicité les appuis conceptuels sur lesquels nous nous fondons, nous insisterons particulièrement dans la présentation de notre méthodologie sur la typologie des dimensions en jeu dans la littératie numérique à partir de laquelle nous traitons nos données. Nous pourrons alors présenter nos analyses de ces données.
6Nous mobilisons des concepts en lien avec le contexte numérique de notre étude et d’autres concepts, propres au champ de la didactique, qui permettent l’analyse des apprentissages en cours et des gestes professionnels à l’œuvre dans les séances observées.
7La définition conceptuelle que Combe (2021) offre de « littératie numérique » la désigne comme l’ensemble des compétences et savoirs à acquérir afin d’évoluer dans un écosystème numérique ). Ces compétences conduisent l’individu à devenir acteur dans une société numérique (Bonnet, 2014). Hoechsmann et DeWaard (2015, p. 5) définissent « littératie numérique » comme suit :
La littératie numérique n’est pas une catégorie technique qui décrit un niveau fonctionnel minimal de compétences technologiques, mais plutôt une vaste capacité de participer à une société qui utilise la technologie des communications numériques dans les milieux de travail, au gouvernement, en éducation, dans les domaines culturels, dans les espaces civiques, dans les foyers et dans les loisirs.
8La littérature scientifique présente de nombreuses définitions et approches théoriques de la notion de littératie numérique. Nous nous appuyons, notamment, sur le numéro 63 de la revue Lidil (2021) portant sur la littératie numérique et la didactique des langues et des cultures. Les coordonnateurs et auteurs définissent la littératie numérique en relation avec le concept de multilittératie, comme une entité plurielle composée d’un ensemble de littératies. Pour Combe (2021), la littératie numérique est une « sorte d’hyperonyme, littératie numérique regroupe donc l’ensemble des littératies propres à un écosystème numérique ». Cette dernière s’appuie également sur le modèle d’Ollivier et Projet e-lang (2018) qui constitue l’un de nos appuis théoriques. Ce modèle définit la littératie numérique comme le fruit de l’interconnexion de trois grandes composantes dans un cadre critique et éthique. Ces composantes sont la littératie technologique, la littératie de la construction du sens, la littératie de l’interaction.
9Cette définition s’appuie sur le concept des multilittératies (The New London Group, 1996). En outre, cette définition permet de prendre en considération les particularités de la textualité numérique (Mayeur & Paveau, 2020), considérée comme un technodiscours (Paveau, 2019). En effet, les textes nativement numériques (Longhi, 2018) mobilisent des éléments sémiotiques propres, développent une rhétorique propre (Saemer, 2015) et sollicitent la multimodalité (Lebrun et al., 2012) : ils intègrent la dimension visuelle, voire multimédia, ce qui conduit la littératie numérique à se situer « au-delà de l’écrit » (Bigot et al., 2021). Dans certaines approches, sont également retenues les dimensions socio-émotionnelles (Eshet-Alkalai, 2004) ou sociales de la littératie, ce qui conduit les chercheurs à mobiliser des notions telles que le bien-être ou l’identité. Ces différents travaux permettent donc d’envisager la littératie numérique comme un ensemble de compétences à construire, qui dépassent largement la dimension technique, et touchent également la dimension langagière et la dimension sociale, bien nécessaires pour appréhender la conversion numérique de nos sociétés (Douehi, 2015).
10La citoyenneté numérique est une notion qui n’est pas encore stabilisée théoriquement. Pourtant, comme le soulignent Ollivier et al. (2021), l’origine du terme anglais de « digital citizen » (citoyen numérique) apparaît dès 1997 dans les écrits d’un journaliste Jon Katz (Miller, 2014). Aujourd’hui, la définition d’un nouveau modèle de citoyenneté est rendue nécessaire par la présence d’un nouveau modèle de société (Ollivier et al., 2021). La citoyenneté numérique se définit par la maîtrise de compétences spécifiques que les chercheurs mettent régulièrement en lien avec la maîtrise de la littératie numérique. Par exemple, selon Bouchardon et Cailleau (2018), la maîtrise de la littératie numérique permet de former des lettrés du numérique, c’est-à-dire des usagers sachant développer des usages conscients, éthiques et critiques au sein de leur milieu numérique. De son côté, Ribble (2015) définit neuf éléments essentiels de la citoyenneté numérique parmi lesquels on retrouve la littéracie numérique (digital literacy). Pour Ribble, la littératie numérique est un élément constitutif de la citoyenneté. Si l’on s’appuie enfin sur une approche plus institutionnelle, on retrouve ces liens entre la notion de littératie numérique et celle de citoyenneté numérique telle que définie ci-dessous par le Conseil de l’Europe (2020).
La capacité de s’engager positivement, de manière critique et compétente dans l’environnement numérique, en s’appuyant sur les compétences d’une communication et d’une création efficaces, pour pratiquer des formes de participation sociale respectueuses des droits de l’homme et de la dignité grâce à l’utilisation responsable de la technologie. Cependant, pour d’autres chercheurs l’approche est plus restrictive : Jones et Mitchell (2016) ne retiennent que deux éléments définitionnels, le comportement respectueux envers autrui et l’engagement civique en ligne.
11Si l’on aborde les travaux qui privilégient une approche par la notion de citoyenneté numérique et qui l’envisage dans une perspective didactique, c’est une approche transversale et non spécifique de la notion qui est préférée : ainsi, Couros et Hildebrandt (2015) préconisent l’utilisation de situations d’enseignement concrètes, « dans le contexte de pratiques en ligne avec l’enseignant et d’expériences et d’exemples réels ». Pour Leblanc et al. (2021), le concept doit être mobilisé dans le cadre général de la mission de prévention de l’enseignant. De même, Funk et al. (2016) l’abordent dans le cadre large d’une pédagogie « qui guide les enseignants et les élèves à penser de façon critique au monde qui les entoure ; elle leur donne plus de pouvoir (empowerment) pour agir en tant que citoyens et citoyennes responsables avec des habiletés et une conscience sociale pour s’élever contre l’injustice ». Ces concepts nous permettent d’approfondir les enjeux d’un enseignement du numérique considéré comme objet. Nous devons également mobiliser certains concepts propres aux situations d’enseignement et apprentissage que nous étudions de manière reliée dans le cadre de notre expérimentation.
12En effet, l’observation des pratiques d’enseignement nous a conduit à convoquer des concepts caractéristiques des situations d’apprentissage et de l’activité de l’enseignant comme ceux qui ont été conçus ou mis en œuvre au sein de notre expérimentation. Certains de ces concepts ont été mobilisés au moment de la conception du scénario pédagogique (et concernent donc également la dimension méthodologique de notre projet, d’autres nous permettent d’analyser la spécificité des pratiques des enseignants, comme que nous pouvons l’étudier à travers nos données.
13Nous utilisons le concept de situation problème, notamment mobilisé en relation avec la démarche pédagogique visant à placer l’élève au centre des apprentissages. La situation problème constitue un contexte d’apprentissage qui est porteur de sens pour l’élève, tout en permettant d’instaurer un nouveau type de communication entre élève et enseignant, comme le met en évidence la définition suivante.
Enseigner en utilisant des situations problèmes c’est donner du sens aux apprentissages quand ceux-ci n’en ont pas. C’est permettre un autre type de communication entre enseignants et enseignés. C’est créer un nouvel élan chez le maître, une dynamique qui porte les élèves et qui modifie en profondeur l’état d’esprit du travail de la classe (De Vecchi & Carmona-Magnaldi, 2002, p. 247).
14L’apprentissage par le biais d’une résolution de situation problème conduit à provoquer un cheminement intellectuel chez l’élève (Lebeaume et al., 2011). Son intérêt didactique est double, il permet un apprentissage précis (Meirieu, 1987), mais surtout, son intérêt est l’adoption d’un processus de résolution : « Ce qui est réellement éducatif, c’est tout autant l’activité déployée par l’élève dans cette résolution de problème que l’acquisition de la réponse elle-même » (Dugal, 1992). Enfin, les situations problèmes permettent également de mobiliser des compétences transversales, et concourent, selon De Vecchi et Carmona-Magnaldi (2002), à la formation citoyenne. C’est aussi faire intégrer à chaque apprenant un ensemble de compétences transversales de haut niveau intellectuel. C’est enfin, et même surtout renvoyer une image de l’école et du monde plus ouverte, plus apte à produire de futurs citoyens responsables et autonomes (De Vecchi & Carmona-Magnaldi, 2002, p. 247).
15Pour analyser des pratiques d’enseignement en lien avec les apprentissages réalisés, nous pouvons nous appuyer sur plusieurs modèles théoriques, déjà éprouvés en sciences de l’éducation, qui permettent d’analyser les situations didactiques. Nous nous reconnaissons dans une conception du travail de l’enseignant telle que la présentent Schneuwly, Cordeiro et Dolz (2005) : celui-ci consiste à « rendre présent en classe l’objet enseigné et à montrer les dimensions essentielles pour l’apprentissage » (Schneuwly et al., 2005 p. 81). Dès lors, nous mobilisons le modèle des gestes d’enseignement conçus par ces auteurs, qui organisent le travail enseignant en classe en quatre gestes professionnels fondateurs :
-
situer l’objet dans le temps ;
-
proposer des dispositifs didactiques ;
-
évaluer et réguler ;
-
institutionnaliser.
16Nous souhaitons particulièrement insister sur le premier, la situation de l’objet dans le temps, qui mobilise, selon les trois chercheurs, la mémoire didactique. Ce geste est utilisé dans une fonction de rappel, c’est-à-dire quand l’enseignant fait référence à la mémoire de la classe sur des activités scolaires ou des objets qui ont déjà été enseignés, ou dans sa fonction d’appel et d’anticipation, pour anticiper la nécessaire mise en mémoire de l’énoncé à venir. Pour cerner la spécificité du travail enseignant en relation avec l’apprentissage des élèves, nous pouvons également nous appuyer sur le modèle des gestes professionnels de Bucheton et Soulé (2009). En effet, dans le souci de fournir une grammaire complexe permettant de cerner les différentes variables de toute situation didactique, ce modèle permet de pointer quatre gestes spécifiques visant l’apprentissage des objets de savoir, savoir-faire et savoir-être :
-
le pilotage des tâches ;
-
l’atmosphère ;
-
le tissage ;
-
l’étayage.
17Nous souhaitons particulièrement nous attarder sur le geste de tissage, qui se caractérise notamment par l’action de mettre en lien différentes tâches, et en particulier à pratiquer le retour sur des tâches précédemment effectuées en contexte scolaire. Il permet également de lier un élément en jeu avec ce qui a été appris antérieurement à l’école ou ailleurs, dans l’expérience personnelle. Ce geste paraît particulièrement nécessaire lorsque l’objet d’enseignement est un savoir ou une compétence nouvelle, car « le savoir se construit et prend sens d’abord dans le “déjà-là” » (Morel et al., 2015, p. 68). Enfin, les auteurs soulignent son importance pour « les élèves “décrocheurs”, ou “suiveurs passifs” qui “font” consciencieusement les taches sans en comprendre les finalités » (Morel et al., 2015, p. 68). Ainsi, ces concepts tenant au champ du numérique et à celui de l’enseignement constituent nos appuis théoriques. Nous les mobilisons à la fois dans la conception de notre protocole, mais également dans notre démarche de traitement et d’analyse des données.
18À partir de nos points d’appui théoriques, nous retenons que la maîtrise de la littératie numérique concerne différents types de compétences en nous fondant sur trois dimensions. À la suite des travaux d’Ollivier & Projet e-lang (2018) ou encore de Newman (2009), nous considérons que la littératie numérique revêt tout d’abord une dimension technique, correspondant aux compétences techniques nécessaires pour évoluer au sein d’une société convertie au numérique (Doueihi, 2015). De surcroît, les travaux sur la littératie médiatique multimodale de Lebrun, Lacelle et Boutin (2019) nous permettent d’interroger la spécificité d’une dimension langagière de la littératie numérique. Dans cette approche, ce sont les particularités du texte numérique qui sont mobilisées. L’émergence d’un médium numérique permet une communication bien davantage fondée sur la multimodalité (images, sons, vidéos…). Dans cette dimension langagière, nous nous intéressons au langage numérique ou plutôt à un « technolangage » (Paveau, 2019) qui répond à des règles propres et différentes de celles de l’écrit traditionnel. Ces discours se développent dans le cadre d’une rhétorique propre (Saemmer, 2015) qui nécessite l’appréhension de compétences spécifiques.
19Enfin, nous proposons une dimension civique de la notion de littératie numérique, peu documentée dans la littérature. Afin de la conceptualiser, nous prenons appui sur les travaux d’Ollivier et al. (2021), de Ribble (2015), ou encore du Conseil de l’Europe (2020) pour proposer cette dimension civique de la littératie numérique. Nous identifions plus spécifiquement quatre compétences propres à une dimension civique de la littératie numérique :
-
droits et responsabilités en ligne ;
-
pensée numérique (compétences critiques et informationnelles) ;
-
savoir être numérique ;
-
santé, bien-être et sécurité numérique.
20Ce sont donc ces compétences qui pourraient définir les savoirs à enseigner dans le cadre de cette approche civique de la littératie numérique. Ce sont aussi ces compétences qui, par leur acquisition, permettraient de devenir un citoyen numérique. Nous proposons le schéma ci-dessous pour résumer les trois dimensions que nous mettons en avant dans le cadre de la littératie numérique :
Figure 1 – Schéma de la littératie numérique intégrant la dimension civique.
21La recherche doctorale au sein de laquelle s’inscrit notre questionnement, de type expérimental, se propose d’étudier la mise en œuvre d’une séquence d’enseignement de la littératie numérique dans deux classes tests en France et une au Québec ainsi qu’un groupe classe témoin à qui nous avons fait passer les mêmes pré-tests et post-tests sans mise en œuvre de l’expérimentation. Nous cherchons à documenter les apprentissages réalisés par les élèves et à observer les modalités qui paraissent spécifiques à cet enseignement de la littératie numérique, en mobilisant une méthode qualitative. Pour l’ensemble des classes, les enseignants avaient à disposition un canevas de séquence, proposé par le chercheur, comportant douze séances avec les objectifs pour chacune d’entre elles. Les enseignants avaient la possibilité de modifier cette proposition de base tout en respectant les objectifs globaux de la séquence, qui est organisée autour de trois modules et trois compétences :
-
s’informer avec le numérique ;
-
entrer en communication ;
-
diffuser en ligne.
22La séquence, fondée sur une pédagogie de projet, comporte des situations problèmes et amène les élèves à concevoir une production liée à un engagement, par exemple la protection de la biodiversité (sujet choisi par l’une des classes françaises). Elle s’appuie, notamment sur des situations problèmes. Les enseignants avaient à leur disposition une mallette pédagogique contenant des propositions d’activités pour accompagner chaque séance au sein de laquelle ils pouvaient choisir ce qu’ils souhaitaient mettre en œuvre.
23Pour analyser l’évolution des apprentissages des élèves au cours de la séquence ainsi que les pratiques de leurs enseignants, nous disposons d’un corpus de données varié, comprenant des enregistrements de séances, d’entretiens semi-directifs, de pré- et post-tests, et des productions écrites. Cependant, dans le cadre de cet article, dans lequel nous souhaitons spécifiquement étudier l’enseignement de compétences liées à la formation du citoyen numérique, nous avons limité nos données au pré-test et post-test, ce qui nous permet de vérifier l’apprentissage des élèves au cours de la séquence, et aux verbatims de trois séances composant la séquence. Nous avons retenu ces trois séances, les séances 3, 4 et 8, car elles présentent des objectifs différents et permettent de couvrir une partie importante de la séquence. De plus, ce sont celles qui comportent le plus grand nombre d’interactions. En ce sens, elles se prêtent à une analyse portant sur les contenus enseignés et les apprentissages en cours.
24Pour mener notre analyse, nous avons utilisé plusieurs outils de traitement : concernant les pré- et post-tests, nous avons utilisé un tableur de traitement associé à des indicateurs de réussite, en fonction des performances des élèves. À partir de celui-ci, nous générons des données nous permettant d’observer la réussite individuelle de chaque élève sur chacun des différents exercices et dans chacune des dimensions de la littératie numérique, ainsi que son évolution entre le pré-test et le post-test. Nous pouvons aussi accéder à une visualisation du taux de réussite de chaque élève et la moyenne de la classe, ainsi qu’à la valeur médiane du taux de réussite. Pour les séances captées, nous avons effectué des transcriptions puis réalisé un codage des verbatims à l’aide du logiciel de traitement MAXQDA (1995-2024) : il permet de réaliser un codage précis du texte analysé et de générer des données statistiques tenant à la couverture du code, mais également d’analyser finement, par le biais de l’analyse de discours de type thématique, certains choix saillants dans la conduite pédagogique du cours.
25L’analyse des données issues de l’expérimentation que nous avons menée peut nous permettre d’étudier les spécificités et l’intérêt de l’enseignement de la littératie numérique dans nos classes tests en relation avec la formation de la personne et du citoyen. Dans un souci de concision, nous nous appuyons uniquement sur les données d’une même classe. Il s’agit d’une classe française ayant effectué l’expérimentation. Les deux classes françaises ont des résultats similaires. Nous travaillons sur le volet apprentissage, mais aussi sur le volet enseignement.
26À partir du traitement des données récoltées à travers les pré- et post-tests de notre classe test, nous pouvons présenter les résultats suivants, rassemblés dans Tableau 1. Ils permettent d’identifier une évolution des compétences en littératie numérique des élèves, que nous pouvons détailler en fonction de leurs différentes dimensions :
Tableau 1 – Taux de réussite en pourcentage entre les pré-tests et post-tests dans la Classe 2 – FR.
Classe 2 – FR
|
Pré-test
|
Post-test
|
Dimension technique
|
47,21%
|
75,4%
|
Dimension langagière
|
42,38%
|
62,22%
|
Dimension civique
|
46,03%
|
65,74%
|
27De manière générale, nous pouvons souligner une augmentation des taux de réussite aux tests, à la fois sur la maîtrise générale de la littératie numérique et sur chacune de ses trois dimensions. Si l’on souhaite réaliser une analyse plus précise, on peut remarquer que le taux de réussite des exercices mobilisant des compétences de la dimension technique passe de 47,21 à 75,4%. Cette évolution est encore plus remarquable chez certains élèves, par exemple l’élève K. passe d’un taux de réussite de 22% à 70%, ou encore l’élève M. présente des scores passant de 23,83% à 95,17%. Concernant la dimension langagière de la littératie numérique, l’augmentation générale est également très significative puisque le taux de réussite passe de 42,38% à 62,22%. Le suivi individuel des élèves permet de repérer également certaines évolutions remarquables que l’on peut mieux cerner en revenant, dans une démarche plus qualitative, aux réponses des élèves. Nous prenons pour exemple un exercice qui interrogeait les élèves sur des signes sémiotiques spécifiques du langage numérique, en l’espèce des mots-dièse (ou hashtags) et sur une situation d’énonciation en contexte numérique. Lors du pré-test, l’exemple ci-dessous montre que l’élève n’a pas su déterminer la nature des éléments sémiotiques, mais a pu déterminer leur contexte d’émission.
Figure 2 – Extrait du prétest réalisé par un élève.
28En revanche, dans le post-test, le même élève parvient à définir précisément la nature et la fonction de ces éléments dont elle ignorait l’existence quelques semaines auparavant.
Figure 3 – Extrait du post-test réalisé par un élève.
- 1 Ensemble des moyens de communication naturels qui ne font pas partie du système linguistique, mais (...)
29On le voit, cet élève a développé des compétences numériques au niveau langagier, et l’on peut considérer que la séquence, au sein de laquelle ces éléments étaient l’un des objets, a pu y contribuer. Par ailleurs, si l’on s’intéresse au paralangage1 adopté par l’élève dans sa production, nous pouvons formuler quelques remarques : l’élève a mis de la couleur sur le bouton en forme de cœur qui permet de signifier que l’on « aime » un contenu sur les réseaux sociaux. Elle a également ajouté l’abréviation « PTDR » (signifiant « très drôle » sur Internet) à côté du bouton en forme de bulle de bande dessinée qui permet de laisser un commentaire sur le réseau social : elle a donc émis elle-même un commentaire !
30Ces actions nous semblent traduire la volonté de cette élève de s’engager dans une communication numérique, et signifier une certaine maîtrise d’éléments sémiotiques que l’on peut rattacher à une rhétorique du numérique (Saemmer, 2015). Enfin, concernant la dimension civique, nous pouvons tout d’abord souligner l’écart significatif qu’il existait entre les élèves lors du pré-test.
Tableau 2 – Évolution du taux de réussite et de la médiane entre le pré- et post-test, en% dans la classe de CM1 à Giens.
Dimension civique
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Pré-test
|
Post-test
|
Taux de réussite
|
46,03%
|
65,74%
|
Médiane
|
33,33%
|
66,67%
|
31Si le taux de réussite s’élevait à 46%, la valeur médiane n’était que de 33% lors du pré-test, ce qui signifie que des écarts importants démarquaient les élèves entre eux. En effet, certains présentaient un taux de réussite de 100% et d’autres 16%. En revanche, dans le post-test, le taux de réussite était d’environ 66% et la valeur médiane d’environ 67%. Ces chiffres témoignent d’une progression des élèves, et plus largement du groupe classe. Les écarts-types entre élèves ont été atténués entre les deux mesures, et l’on peut donc considérer que la séquence y a contribué. Pour mieux percevoir comment se concrétise l’évolution de la maîtrise des élèves, nous pouvons prendre un exemple éclairant. L’élève B. considérait lors de son pré-test que l’insulte « en vrai » était plus grave qu’une insulte émise en contexte numérique, comme le montre cet extrait de son travail :
Figure 4 – Extrait du prétest de l’élève B.
32À l’inverse, lors du post-test, l’élève a non seulement changé d’opinion sur la question, mais fait preuve de la conscience d’un des caractères propres de l’écrit numérique, c’est-à-dire sa possibilité de très large diffusion. Il écrit : « Le blog tout le monde pe (sic) le voir ».
Figure 5 – Extrait du post-test de l’élève B.
33Notons également le cas d’E., qui dans son post-test fait face à une confrontation entre ce que l’on pourrait qualifier d’éthos de l’émetteur, sa réputation (Mercier, 2020), et la nature de l’information à analyser qui questionne sa crédibilité :
Figure 6 – Compte Twitter de la Police nationale, 01/04/2019.
34La majorité des élèves de la classe observée, en se fondant sur la date de parution de l’information, ont conclu à une farce. Ce n’est pas le cas d’E., qui paraît indécise sur le crédit à accorder à l’information, tout en ayant noté la bonne date de parution du tweet.
Figure 7 – Extrait du post-test de l’élève E.
35Cette élève écrit : « quar ces de la police Et les policier dise parfois la verit » (sic), pourtant elle qualifie l’information comme non sérieuse, car elle n’est pas parvenue à la vérifier par ailleurs. Ce cas, identifié dans le post-test du groupe classe expérimentateur, est plutôt représentatif des élèves du groupe classe témoin. Ces élèves qui n’ont pas suivi l’expérimentation ont eu des difficultés à faire le lien entre la date de l’information et la crédibilité de celle-ci indépendamment de son énonciateur. Ce cas interroge le concept de réputation en contexte numérique. Ce concept paraît flottant, il met en balance autorité réelle et autorité de masse (inféodée au nombre de suiveurs/followers) en s’appuyant sur des éléments sémiotiques. Ainsi, les résultats des tests soulignent le développement des compétences des élèves, suite à la mise en œuvre de la séance, ces progrès se manifestant dans les trois dimensions que revêt la littératie numérique, et pour certains élèves, de manière remarquable.
36Pour approfondir notre analyse, nous cherchons à observer comment, au cours de la séquence expérimentale, se manifeste le processus d’apprentissage des élèves. Il nous apparaît que l’apprentissage de la littératie numérique donne lieu à des manifestations singulières, notamment parce que les élèves, lorsqu’ils sont engagés dans l’apprentissage d’une compétence ou d’une notion, prennent très souvent appui sur une expérience personnelle et familiale. En effet, ils convoquent spontanément des éléments extérieurs à l’espace scolaire, issus de leur vécu ou de leur quotidien. Si ces manifestations peuvent apparaître à première vue comme des digressions par rapport aux objectifs de la séance, elles sont souvent au contraire significatives d’un phénomène d’appropriation : l’élève fait sien un objet qu’il ne maîtrise pas encore. Nous pouvons observer ces manifestations dans les échanges oraux retranscrits sous forme de verbatims, notamment celui de la séance 4 présenté ci-dessous.
ENS : […] Il faut jamais donner ses données bancaires, c’est pour ça qu’on appelle cela de l’hameçonnage, car c’est comme les poissons on leur met un petit leurre, un ver, quelque chose qui les attire et quand ils mordent à l’hameçon après ils sont cuits, c’est pour ça qu’on appelle cela de l’hameçonnage, et en anglais phishing ça vient aussi de la pêche. Donc il faut faire très attention.
V. : Ma mère elle a reçu un mail un peu pareil sauf que c’était qu’ils avaient plusieurs plaintes contre ma mère. Et du coup, eh bah, mon père il a dit : ne clique surtout pas dessus.
[…] ENS : Oui, mais il y a des gens qui ont peur, peut-être qu’il y a des gens qui s’appellent comme moi donc ils sont tentés de cliquer. Et t’as des personnes âgées, quand t’es tout seul chez toi, ils se font souvent piéger, car ils ne savent pas.
L. : C’est vrai parce que moi ma mamie, elle s’est fait pirater sa carte.
37V. puise spontanément dans son expérience personnelle, tout comme L. En l’espèce, il s’agit d’instants de vie familiale en contexte numérique avec des exemples de tentatives d’hameçonnage. Ils vont puiser dans leur vécu pour cerner l’aspect que l’enseignante est en train de leur présenter. Ce type d’intervention nous paraît particulièrement représenté dans notre corpus. À l’inverse, nous n’observons pas des remarques de cette nature dans des séances qui sont davantage liées à des objets disciplinaires plus traditionnels, par exemple lors l’analyse et de la production de texte en contexte numérique. Ce phénomène est-il lié au caractère peu ordinaire de ce cours, qui conduit les élèves à ne pas pouvoir puiser dans des expériences scolaires pour chercher à comprendre les contenus présentés ? Est-il à rapprocher de l’objet numérique, qui renvoie davantage pour les élèves, à l’espace non scolaire qu’à l’espace scolaire ? Ou bien à l’objet « civisme » et au thème de l’arnaque ? Les autres séances de la séquence portant sur d’autres thèmes permettront d’affiner ces hypothèses. Ces aspects nous semblent tout à fait intéressants à interroger. Ils illustrent, en tout état de cause, une mobilisation de compétences ou d’expériences non formelles liées au numérique (Cordier, 2015), qui semblent être davantage sollicitées dans le cadre d’un enseignement par situation problème (De Vecchi & Carmona-Magnaldi, 2002) tel qu’il est conçu dans la séquence expérimentale.
38Les apprentissages que nous avons mis en évidence, ainsi que leur manifestation, sont également conditionnés par le contexte d’enseignement. Ainsi, il nous apparaît que certains gestes accentuent, orientent le processus d’apprentissage. C’est ce que nous avons notamment pu repérer, dans nos verbatims à propos du geste consistant à mobiliser la mémoire didactique des élèves.
Tableau 3 – Gestes et dispositifs d’enseignement identifiés et modalités d’apprentissages afférentes.
Gestes et dispositifs d’enseignement
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Modalités d’apprentissage
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Mobilisation d’une mémoire didactique synchronique
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Mobilisation de l’expérience personnelle et familiale (éléments extérieurs convoqués)
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39Nous souhaitons nous arrêter sur ce geste qui nous apparaît spécifique et que l’on trouve dans toutes les séances, sous diverses formes : il consiste à mobiliser une connaissance ou compétence abordée antérieurement par l’enseignant. Ainsi, dans la séance 4, l’enseignant expliquant la procédure à suivre pour s’assurer de la fiabilité d’un site Internet se réfère à un autre domaine disciplinaire sur lequel il a insisté auprès des élèves pour qu’ils adoptent une procédure similaire et potentiellement transférable.
ENS : Maintenant c’est automatique, quand j’ai un doute oui. La procédure que tu as dans ta tête, c’est comme quand je vous dis que quand vous êtes en orthographe vous avez ça, ça, ça, ça, ça à faire et bah quand tu auras bien compris la procédure quand tu es sur un site tu vas pas dire « Alors attends j’ai oublié » non, ça viendra naturellement parce que chaque fois tu te poseras les questions. [...] (Séance 4, l.93).
De la même façon, à la séance 8, l’enseignant qui veut expliquer ce qu’est une voix off dans une vidéo présentée en ligne, se réfère à deux autres connaissances abordées en lecture, la notion de narrateur, pour le récit, ou encore la notion de prologue, pour la pièce de théâtre (notion implicitement convoquée ici).
ENS : Voix off, est-ce que vous savez c’est quoi une voix off ?
KALISTA : [14’16] On parle pas.
ENS : Ah oui parce que tu vois la voix off et pas la voix on. D’un côté elle a raison parce que voix off si tu le fais en deux mots.
VALENTIN : En fait on parle, mais on ne nous entend pas dans la vidéo
ENS : Ce n’est pas vraiment ça encore. Si on t’entend pas ça sert à quoi que tu parles ?
BAPTISTE : Par exemple, tu caches ta tête et tu parles avec des Play mobil.
ENS : On y est presque. Une voix off souvent quand vous regardez des reportages il y a une voix qui parle, qui explique par exemple, là imaginons que je vous filme et la voix elle dirait : Dans l’école saint John perse à Giens un groupe d’élève travaille sur le numérique.
CHARLINE : Un narrateur ?
ENS : Un narrateur c’est ça on appelle ça une voix off. C’est un peu comme les pièces de théâtre avant que les personnages se mettent en scène on raconte le contexte [...] (Séance 8, l. 60-62).
40Nous identifions dans ces deux exemples une mobilisation de la mémoire didactique des élèves, dans sa fonction de rappel, ainsi que la décrivent Schneuwly et al. (2005) ou Bucheton et Soulé (2009). Cependant, elle revêt ici une spécificité, car le rappel ne porte pas sur la même discipline ou sur le même objet d’enseignement, mais sur un autre contexte d’apprentissage, qui se trouve mobilisé pour sa similitude avec un aspect de l’objet enseigné. Le geste de tissage ainsi réalisé combine le plan diachronique et le plan synchronique : non seulement l’enseignant convoque une compétence scolaire déjà là, mais surtout, il s’appuie sur une compétence issue d’une autre discipline pour aborder un élément du savoir visé, afin que celui-ci devienne plus accessible pour les élèves. Cette singularité nous semble s’expliquer par le caractère nouveau de l’objet enseigné – la littératie numérique – et pourrait être repérée chaque fois qu’un objet ou un domaine nouveau est traité en contexte d’enseignement. En l’état il est significatif dans cette séquence d’enseignement sur la littératie numérique qui est la première qu’ont vécue les élèves, et nous nous proposons de le désigner à travers le syntagme « tissage en synchronie » ou encore « mobilisation de la mémoire didactique synchronique ».
41À travers l’analyse de nos données, nous souhaitions interroger l’apprentissage de la littératie numérique en contexte d’enseignement, dans une perspective de formation à la citoyenneté numérique. Nous avons bien identifié que la maîtrise de la littératie numérique des élèves s’accroît sur la période, et ce dans les trois dimensions de la littératie numérique que nous avons définies. En affinant le grain de l’analyse, nous avons pu observer une modalité spécifique d’apprentissage, consistant pour les élèves à s’appuyer sur leur expérience familiale. Celle-ci nous semble favorisée par l’objet d’enseignement, d’une part, en ce qu’il s’agit d’un objet spécifique nouveau, et d’autre part, en raison des connaissances des élèves en matière numérique, développées dans le cadre de pratiques informelles (Cordier, 2015).
42En effet, tandis que les élèves de cycle 3, en contexte scolaire, distinguent bien espaces scolaires et privés (Brunel et Dufays, 2015), cette frontière tend à se restreindre dans le cadre d’un apprentissage concernant le numérique : soit que les élèves n’aient pas pour cet objet de références dans leurs expériences scolaires, soit que celui-ci renvoie, dans leur représentation, à des espaces non scolaires. Nous avons également pu montrer que, dans leurs pratiques, les enseignants utilisaient régulièrement un geste d’enseignement spécifique, celui de l’appel à la mémoire didactique, mais le mobilisaient, de manière spécifique, en prenant appui sur d’autres disciplines et objets enseignés. Il nous apparaît, sur ce point, que la polyvalence de l’enseignant du premier degré a pu également faciliter ce type de manifestation : habitué à tisser des liens entre les disciplines qu’il enseigne, ce professionnel pourrait plus facilement solliciter des rapprochements entre les apprentissages numériques et non numériques, s’inscrivant ainsi dans une forme de continuum didactique faisant écho au continuum préconisé par Cordier (2015).
43Enfin, nous souhaitons souligner que l'approche multidimensionnelle de la littératie numérique, sur laquelle nous nous appuyons théoriquement, justifie une démarche didactique adaptée pour aborder cet objet complexe. Cette démarche légitime donc le choix méthodologique d'une approche par situation problème. Ainsi, au sein de la séquence, les élèves sont confrontés à des questions qui les amènent à réfléchir en tant que futurs citoyens numériques. Ces réflexions restent cependant connectées aux autres dimensions de la littératie, comme nous l'avons démontré.