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Analyse d'outils et ressources numériques

Développer l’argumentation en français langue étrangère avec des arbres argumentatifs

Marianne Doury et Chantal Claudel
Référence(s) :

Nom : Mindmup (créateur de cartes heuristiques en ligne)
Développement : Sauf Pompiers Ltd (Business and domestic software development, England)
Support : https://www.mindmup.com/
Configuration logicielle et matérielle : accessible pour tous les navigateurs récents à l’exception notable d’Internet Explorer
Langues et culture : a été conçu sans ciblage linguistique particulier
Public cible : adulte ; tout utilisateur susceptible de vouloir générer des cartes mentales (cartes conceptuelles ou cartes argumentatives)
Niveau d’habileté langagière cible de l’apprenant : non conçu spécifiquement pour une utilisation en contexte d’apprentissage d’une langue étrangère ; semble mieux adapté à partir d’un niveau B2
Prix
ou Accès : version gratuite donnant accès aux fonctionnalités de base, version payante donnant accès à des fonctionnalités avancées (de 2.99$ par mois à 100 $ par an selon les fonctionnalités proposées)
Langue du site : anglais

Nom : Rationale
Conception : Tim van Gelder.
Développement : Austhink software
Support : https://www.rationaleonline.com
Configuration logicielle et matérielle : accessible pour tous les navigateurs récents
Langues et culture : a été conçu sans ciblage linguistique particulier
Public cible : adultes ; initialement conçu en support à l’enseignement de la logique informelle et du Critical Thinking ; plus largement, destiné à tout utilisateur susceptible de vouloir générer des cartes mentales (cartes conceptuelles ou cartes argumentatives)
Niveau d’habileté langagière cible de l’apprenant : non conçu spécifiquement pour une utilisation en contexte d’apprentissage d’une langue étrangère ; semble mieux adapté à partir d’un niveau B2
Prix
ou Accès : 45 euros l’année pour la version Basic, 30 euros l’année avec un compte « éducation » (sous conditions)
Langue du site : anglais et néerlandais, versions dans d’autres langues (dont le français) très partielles

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Mots-clés :

analyse

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review
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Texte intégral

1. Introduction

1En dépit de l’importance que lui accordent des ouvrages de référence comme le volume complémentaire du Cadre européen commun de référence pour les langues (Conseil de l’Europe, 2021), dorénavant appelé CECRL, l’argumentation est peu présente dans les supports de formation au FLE. Une recherche effectuée sur une quinzaine de manuels pour apprenant.e.s de niveaux A1 à B2 et examinant les exercices et activités destinés à sensibiliser à la composante argumentative, montre qu’ « [à] la différence de ce que l’on pensait les manuels comportent peu de travaux sur les connecteurs et […] l’argumentation en général ne constitue pas un objet à enseigner » (Claudel & Doury, 2018, p. 40). La parution en 2021 du volume complémentaire du CECRL conforte pourtant bien l’idée d’un véritable intérêt pour cette dimension en didactique des langues. En effet, l’argumentation y est présentée comme une composante essentielle de l’activité de production orale telle qu’elle s’exerce dans des genres comme le débat. Les descripteurs qui y sont associés couvrent les niveaux A2 à C1 et mentionnent notamment, parmi les habiletés à développer en production orale, « présenter son point de vue » en A2, « exprimer son opinion » en B1, « expliquer un point de vue sur une question d’actualité en donnant les avantages et les inconvénients » en B2, ou encore, « débattre d’un problème complexe » en C (Conseil de l’Europe, 2021, p. 68).

2Si l’on prend au sérieux ces objectifs fixés par le CECRL, l’élaboration d’activités destinées à mettre les apprenant.e.s de FLE en situation d’argumenter est fondamentale, et la réflexion que nous développons depuis 2018 en vue d’élaborer des activités d’entraînement à l’argumentation en contexte de FLE a aujourd’hui encore toute sa pertinence. Nous entendons rapporter ici l’expérimentation que nous avons menée au départ de cette réflexion à l’aide du dispositif numérique Rationale. Cette expérimentation s’est déroulée à l’université Paris Nanterre entre février et mai 2019. Sa mise en place a nécessité que l’on fasse appel à des étudiant.e.s volontaires, que nous avons recruté.e.s au département de français pour étudiant.e.s étranger.ère.s de l’université Paris Nanterre. Une quinzaine d’entre elles et eux ont souhaité participer à l’expérimentation, et une dizaine ont fait preuve d’assiduité tout au long de la formation. Entre février et mai, nous avons assuré 10 séances de cours de deux heures chacune. L’objectif visé était de dégager les apports des arbres argumentatifs pour l’enseignement de l’argumentation en contexte de FLE. Nous présenterons d’abord l’application sur laquelle nous nous sommes appuyées dans le cadre de cette expérimentation : Rationale, que nous mettrons en regard de l’application Mindmup. Nous présenterons ensuite les activités que nous avons mises en œuvre avec les étudiant.e.s au fil des séances. Nous expliciterons enfin la façon dont nous avons procédé pour tenter de mesurer l’apport de la formation au développement de la compétence argumentative en français des étudiant.e.s, grâce à des procédures d’évaluation pré- et post-formation.

2. Visualiser des structures argumentatives grâce à Rationale et Mindmup

2.1. Rationale

3Dans le cadre de l’expérimentation, nous avons décidé de nous appuyer sur un dispositif permettant de représenter graphiquement la structure d’une argumentation. C’est l’application Rationale que nous avons utilisée – nous avons depuis identifié une autre application, Mindmup, que nous présenterons rapidement ensuite ; la première est payante, la seconde, gratuite.

  • 1 Tim van Gelder est philosophe de formation. Spécialiste d’épistémologie appliquée, il dirige le Hun (...)
  • 2 Appel à Manifestation d’Intérêt portant sur les formats pédagogiques innovants avec le numérique, 2 (...)

4Rationale est une application en ligne créée par Tim van Gelder1 à l’université de Melbourne. Elle a été conçue initialement comme support à l’enseignement de la pensée critique (« critical thinking »), mais elle peut servir de support à des activités pédagogiques diverses en lien avec l’argumentation. Elle permet l’élaboration de cartes (pour reprendre le terme anglais de map), ou plus précisément, d’arbres argumentatifs. Elle propose des fonctionnalités riches, dont nous n’avons exploité qu’une partie dans le cadre du projet AMI2.

5L’interface de Rationale s’organise autour d’un espace de travail. Il convient en premier lieu de choisir dans un panneau latéral le type de représentation visée (« grouper » permet de générer des cartes conceptuelles basiques, « raisonner », des structures argumentatives peu élaborées, « analyser », des structures argumentatives complexes). Ce premier choix ouvre à l’utilisateur ou l’utilisatrice la possibilité d’accéder à différents éléments graphiques (essentiellement, des cases de divers types et des liens entre ces cases), qu’il ou elle intègre à son espace de travail par « glisser-déposer ». L’usager ou l’usagère a la charge de « remplir » les cases qu’il ou elle crée avec un contenu verbal de son choix (il est aussi possible d’intégrer des images ou des vidéos) et de les structurer : Rationale n’est qu’un outil de dessin, et ne produit par lui-même aucune analyse argumentative.

6Les structures arborescentes complexes que Rationale permet de générer peuvent refléter l’évaluation que l’utilisateur ou l’utilisatrice porte sur certaines de ses composantes : la couleur associée à une case ou à un lien est plus ou moins intense selon la « force » que l’analyste lui attribue.

7Selon la version choisie (Basic/Extra/Premium), Rationale permet le partage des arbres générés, et une collaboration (limitée) entre usagers et usagères ; les versions supérieures gardent aussi une mémoire des différentes versions des arbres. Les structures graphiques produites peuvent être exportées sous différents formats (dont pdf et png), ce qui rend aisée leur intégration dans des documents de divers types. Elles sont stockées sur la plateforme Rationale dans un format qui en rend possible la modification.

8Les éléments de l’ontologie argumentative de Rationale que nous avons retenus sont réduits. Ils sont accessibles via l’onglet « Raisonner », et consistent essentiellement en une « affirmation » (la conclusion ou thèse), des « raisons » (arguments ou prémisses), des « objections » ou « réfutations » (qui peuvent viser un argument ou l’inférence qui permet de passer de l’argument à la conclusion). Une proposition peut être soutenue par un argument unique, par plusieurs arguments indépendants les uns des autres, ou par plusieurs arguments liés (Rationale parle de « prémisse principale » et de « co-prémisse(s) »).

Figure 1 – Rationale (Ontologie réduite).

Figure 1 – Rationale (Ontologie réduite).

9À partir de ce dispositif très simple, on peut construire des arbres plus ou moins élaborés, comme celui reproduit ci-dessous.

Figure 2 – Arbre réalisé sous Rationale à partir de la proposition « Il faut utiliser Rationale pour l’enseignement de l’argumentation ».

Figure 2 – Arbre réalisé sous Rationale à partir de la proposition « Il faut utiliser Rationale pour l’enseignement de l’argumentation ».

10La conclusion (« Il faut utiliser Rationale pour l’enseignement de l’argumentation ») est soutenue par deux lignes argumentatives distinctes (1A-a & 1A-b d’une part, 1B-a d’autre part), et contestée par deux contre-arguments : 1C-a et 1D-a. 1A-a et 1A-b sont des arguments liés : c’est parce que Rationale contribue au développement de la pensée critique ET que la pensée critique doit être au cœur de la formation des étudiant.e.s qu’il faut utiliser Rationale. En revanche, 2A-a, 2B-a et 2C-a constituent trois arguments qui, indépendamment les uns des autres, soutiennent AB-a : du fait que Rationale est un support à la prise de décision collective ou individuelle, que Rationale peut aider à la rédaction de textes argumentés, que Rationale aide à l’analyse de textes ou de débats argumentés, on conclut que Rationale peut être utilisé dans diverses circonstances auxquelles les étudiant.e.s se trouveront nécessairement confronté.e.s. 2E-a et 2F-a illustrent les deux modalités d’opposition à une proposition que Rationale permet de distinguer. 2E-a ne conteste pas le fait que Rationale coûte cher, mais conteste l’inférence qu’on peut en tirer (il faudrait renoncer à l’utiliser), en affirmant que le gain qu’on peut en attendre compense le coût financier. À l’inverse, 2F-a conteste la proposition 1D-a elle-même : l’intervention d’enseignants formateurs ou d’enseignantes formatrices n’est pas nécessaire, puisque Rationale propose des modules d’autoformation performants. On le voit, chacune des propositions, qu’elle fonctionne comme argument ou comme objection au regard de la proposition initiale, peut elle-même faire l’objet d’un étayage ou d’un travail de réfutation à des niveaux inférieurs de l’arbre.

2.2. Mindmup

11Depuis l’expérimentation AMI, nous avons pris connaissance de l’existence d’une autre application en ligne proposant des fonctionnalités relativement similaires, et présentant l’avantage d’être gratuite : il s’agit de Mindmup. En regard de Rationale, Mindmup est moins spécifiquement orienté vers la représentation visuelle de structures argumentatives, et est conçu avant tout pour permettre de générer des cartes mentales et conceptuelles (la représentation de structures argumentatives n’est possible que par l’activation du module « Argument vizualisation » via l’onglet « view » et ne constitue pas le choix par défaut). L’interface s’organise ici encore autour d’un espace de travail dans lequel on élabore des cartes conceptuelles ou des arbres argumentatifs (selon le module activé) à partir d’une barre d’outils permettant divers types d’actions (de type « création d’un nœud », « connexion d’un nœud à un autre », « insertion d’une image », « insertion d’un lien »…), et d’un menu comportant des onglets classiques (« fichier », « insertion », « édition », « affichage »…).

12Mindmup, tout comme Rationale, ne produit par lui-même aucune analyse argumentative, et son apport se limite à permettre d’organiser les éléments de contenu que l’on fournit (et formule) soi-même. Il est possible ici encore de visualiser la solidité que l’on confère à différents éléments d’un arbre argumentatif (c’est cette fois l’épaisseur du trait qui va varier avec la force de l’élément considéré). La structure générée dans l’espace de travail peut être partagée avec d’autres personnes utilisant Mindmup (versions payantes de l’application) ou exportée sous différents formats (dont pdf ou png). Le stockage des structures créées sous un format qui en rend possibles les retouches se fait soit sur un site propre avec la version payante, soit sur un Google Drive avec la version gratuite. Voici l’équivalent sous Mindmup de l’arbre réalisé plus haut grâce à Rationale.

Figure 3 – Arbre réalisé sous Mindmup à partir de la proposition « Il faut utiliser Rationale pour l’enseignement de l’argumentation ».

Figure 3 – Arbre réalisé sous Mindmup à partir de la proposition « Il faut utiliser Rationale pour l’enseignement de l’argumentation ».

2.3. Rationale versus Mindmup ?

13Mindmup, même limité à l’utilisation que nous en avons faite pour AMI, n’est toutefois pas parfaitement équivalent à Rationale. En premier lieu, la numérotation des cases qu’il propose ne permet pas de distinguer les éléments liés des éléments libres : sous Mindmup, 2.1 et 2.2 sont des arguments liés pour 1.1, mais rien ne les distingue de 2.3, qui est libre. En revanche, sous Rationale, les deux arguments liés sont repérables en tant que tels par leur étiquetage (1A-a et 1A-b). « 1 » signale qu’ils interviennent au premier niveau d’étayage ou de réfutation (sous la case de départ). « A-a » et « A-b » indiquent qu’il s’agit de deux éléments (« a » et « b ») qui appartiennent à une même ligne argumentative (« A »). En cela, le système de numérotation des composantes d’une argumentation proposée par Rationale se rapproche de celui qu’utilise la pragma-dialectique (van Eemeren et al., 2002b, p. 63).

  • 3 La nature de ces développements argumentatifs (genres ? séquences ?) ainsi que leur nomenclature se (...)

14De plus, Mindmup ne permet pas de distinguer visuellement la contestation d’une proposition de la contestation d’une inférence tirée d’une proposition, contrairement à Rationale (2F-a pour le premier cas, 2E-A pour le second). Enfin, Rationale offre une fonctionnalité, appelée « outil d’organisation d’essai », totalement absente de Mindmup, qui pourrait faire sens dans le contexte d’un enseignement de l’argumentation à destination de locuteurs et locutrices dont le français n’est pas la langue maternelle. Il propose en effet des arbres correspondant à différents types de développements argumentatifs (« paragraphe », « texte argumentatif », « courrier des lecteurs », « raisons multiples… »)3. On est invité à « remplir » ces arbres à partir de la réflexion qu’on souhaite développer, et Rationale génère à partir de là un brouillon de texte à modifier, affiner, compléter. Ainsi, la matrice dite « argumentative » est la suivante :

Figure 4 – La matrice argumentative de Rationale.

Figure 4 – La matrice argumentative de Rationale.

15Il convient de donner chair à cette matrice en reprenant certains éléments de la discussion dont on cherche à rendre compte ; par exemple, en adaptant la discussion précédente sur l’intérêt de l’utilisation de Rationale pour l’enseignement de l’argumentation :

Figure 5 – Un exemple de matrice argumentative avec contenu.

Figure 5 – Un exemple de matrice argumentative avec contenu.

16La restitution textuelle de cette structure arborescente générée par Rationale est la suivante :

Figure 6 – Texte généré à partir d’une matrice argumentative avec contenu.

Figure 6 – Texte généré à partir d’une matrice argumentative avec contenu.

17On voit l’apport que ce module peut constituer en termes d’assistance à la rédaction de textes argumentatifs. Une limite – et non des moindres – est que toute modification de la structure arborescente de base (par exemple, l’ajout d’un argument sous la proposition de départ) bloque la génération de texte. La seule possibilité est alors d’utiliser le texte correspondant à l’arbre et de le modifier soi-même en fonction des ajouts ou changements que l’on souhaite apporter à la structure de l’argumentation.

2.4. Surcroît d’intelligibilité structurelle apporté par les arbres

18L’utilisation d’une représentation en arbre pour restituer des structures argumentatives n’est pas nouvelle ; on en trouve notamment dans l’ouvrage Reconstructing Argumentative Discourse et même sur sa couverture (van Eemeren et al., 2002a), comme l’illustre la figure 7.

Figure 7 – Représentation visuelle de la structure d'un argument.

Figure 7 – Représentation visuelle de la structure d'un argument.

19Ce simple aperçu suffit à percevoir le gain apporté par l’utilisation de Rationale ou Mindmup à la représentation des structures argumentatives. Le bénéfice d’intelligibilité qu’on en retire est plus évident encore au regard des tentatives pour restituer de telles structures sans recours à des représentations arborescentes. La reconstruction que voici, correspondant à l’arbre qui la suit, est encore (relativement) intelligible (van Eemeren et al., 2002b, p. 77).

Figure 8 – Représentation d’une structure argumentative.

Figure 8 – Représentation d’une structure argumentative.

20(Traduction des items de la figure 8 :

21Tu devrais utiliser la Lotion « Peau Magique » ; 1.1 Madonna utilise la lotion « Peau Magique » ; (1.1’) Tu devrais faire tout ce que Madonna fait ; (1.1’.1) Madonna appartient à la jet set ; (1.1’.1’) Tu devrais imiter tout ce que font les gens qui appartiennent à la jet set.)

Figure 9 – Arbre réalisé sous Rationale correspondant à la proposition précédente.

Figure 9 – Arbre réalisé sous Rationale correspondant à la proposition précédente.

22Mais on imagine sans peine qu’une telle restitution d’un arbre plus complexe (comme celui que nous avons proposé précédemment sur l’intérêt de Rationale), quoique possible, nécessiterait un important apprentissage avant de saisir sans trop d’effort la structure argumentative sous-jacente.

3. Quelques activités mises en place avec Rationale

23C’est donc autour de la manipulation de représentations de structures argumentatives générées par Rationale que nous avons mis en place un certain nombre d’activités dans le cadre de l’expérimentation AMI. Nous allons en présenter quelques-unes, dont nous spécifierons tant le déroulement que les objectifs poursuivis.

3.1. Activité 1

24La première de ces activités vise à faire prendre conscience aux étudiant.e.s du fait que l’élucidation d’une structure argumentative ne se limite pas à l’identification d’une conclusion et d’arguments plus ou moins nombreux en faveur de cette conclusion – ce qui reviendrait à en proposer une représentation « plate », comme dans l’arbre ci-dessous :

Figure 10 – Activité 1 (arbre « plat » à modifier).

Figure 10 – Activité 1 (arbre « plat » à modifier).

25Très souvent, une fois qu’on a repéré plusieurs énoncés qui jouent en faveur d’une conclusion, on peut sophistiquer la structuration de l’argumentation en mettant en évidence le fait que certains de ces arguments sont eux-mêmes des arguments pour d’autres. En effet, il est fréquent qu’une proposition soutenant la proposition initiale soit à son tour argumentée par une autre proposition, et acquière de ce fait un statut de conclusion intermédiaire. C’est le cas notamment dans l’exemple ci-dessous de « Les jeux vidéo provoquent une forme de tension nerveuse », qui est un argument pour « il faut limiter les jeux vidéo pour les enfants », mais qui est elle-même argumentée par « La pratique excessive de jeux vidéo peut provoquer des crises d’épilepsie » :

Figure 11 – Activité 1 (arbre-cible à structure étagée).

Figure 11 – Activité 1 (arbre-cible à structure étagée).

26L’objectif de cette activité est donc de faire passer les étudiant.e.s de la structure vers laquelle ils ou elles vont spontanément au départ (l’arbre « plat ») à une structure « étagée », restituant des relations plus complexes entre les différents énoncés (cf. Figure 11).

3.2. Activité 2

27Un autre type d’activité consiste à proposer aux étudiant.e.s une structure vide, mais fixe, et à les inviter à en remplir les cases à partir d’éléments de contenus tirés d’une discussion de leur choix.

Figure 12 – Activité 2 (structure vide et fixe).

Figure 12 – Activité 2 (structure vide et fixe).

28Un premier intérêt de cette activité est qu’elle amène les étudiant.e.s à réfléchir sur ce qui peut constituer une conclusion pour une argumentation, et à prendre conscience du fait que n’importe quelle proposition ne peut pas jouer un tel rôle ; ne peut être une conclusion qu’une proposition débattable, discutable, qui ne va pas de soi. Ainsi, alors que « Je suis arrivée en retard ce matin », proposition qui relève du constat, ne peut se développer que selon une logique explicative et non argumentative, « L’euthanasie devrait être légalisée », proposition débattable, peut être élaborée argumentativement. Cette réflexion initie un questionnement (dont il est impossible de faire le tour tant il est complexe) sur les liens entre argumentation et explication, questionnement dont on ne peut pas faire l’économie, notamment en raison de la polyvalence de certains marqueurs ; cette polyvalence pourrait bien être un trait partagé par la plupart des indicateurs argumentatifs (Plantin, 2010, p. 38) et saute aux yeux de tout.e apprenant.e : ainsi, « parce que » peut introduire aussi bien un argument qu’une cause, ce qui peut amener les étudiant.e.s participant à l’expérimentation à produire un développement explicatif là où une argumentation était attendue.

29Par ailleurs, dès cet exercice apparaît la capacité des arbres argumentatifs à stimuler l’inventio rhétorique (Cicéron, 1994), c’est-à-dire le repérage des ressources argumentatives susceptibles d’entrer dans la discussion d’une proposition. Une fois fixée la position de départ, qui constituera la conclusion à défendre, diverses propositions fusent pour chaque case, les apprenant.e.s les discutent pour n’en retenir que la plus claire ou la plus pertinente – ou la plus facile à exprimer, on y reviendra ; et la structure imposée est vite vécue plus comme un frein à la créativité argumentative que comme une colle à laquelle on peine à trouver des réponses.

30Une telle activité amène aussi les étudiant.e.s à se désengager dans une certaine mesure par rapport au travail argumentatif qu’ils sont en train de fournir. Ils ou elles doivent en effet prendre en considération, sur une proposition en discussion, aussi bien des arguments que des contre-arguments, ce qui va de pair avec l’instauration d’une certaine distance affective par rapport à la structure qu’ils ou elles sont en train d’élaborer. Ce désengagement relatif permet de faciliter, de fluidifier la construction et l’expression de l’argumentation.

31Enfin, dans le cadre d’une expérimentation menée avec des étudiant.e.s en français langue étrangère, un dernier avantage de cette activité est qu’elle leur permet de choisir ce dont ils ou elles vont parler, non pas forcément en se focalisant sur ce qui les intéresse le plus, mais sur ce dont ils ou elles sont capables de parler, ce à propos de quoi ils ou elles disposent d’assez de mots (et de ressources langagières autres) pour pouvoir s’exprimer confortablement.

3.3. Activité 3

32Il est également possible de demander aux étudiant.e.s de travailler à partir de petits textes argumentatifs – à cette étape de l’apprentissage, il est préférable de concevoir soi-même ces textes, éventuellement sur la base de textes existants, de sorte que leur structure argumentative soit facile à saisir.

Figure 13 – Activité 3 (exemple de texte à analyser).

Figure 13 – Activité 3 (exemple de texte à analyser).

33Sur ces textes, les étudiant.e.s sont invité.e.s à identifier la conclusion défendue, les principaux arguments et contre-arguments, en s’appuyant sur le repérage de ce que, à la suite de van Eemeren, Houtlosser et Snoeck Henkemans (2007), on a appelé des indicateurs argumentatifs (argumentative indicators) (les classiques « donc », « mais », « or », « puisque », « parce que », etc. ; mais aussi d’autres indicateurs moins standards, mais tout aussi courants, comme « du coup », « bilan », « la preuve », ou « vu que » ; on y reviendra). Dans le texte ci-dessus, on dispose de marqueurs d’arguments (« la principale raison est que… », « parce que »), d’arguments liés (« or ») ou indépendants (« par ailleurs »). Certains indicateurs argumentatifs sont spectaculairement ambivalents. Ainsi, « mais », habituellement enseigné comme introduisant un contraste entre deux éléments, fonctionne ici, dans sa première occurrence, comme marqueur d’arguments liés (« ils sont très utilisés au quotidien, MAIS les centrales d’épuration sont incapables de les traiter »). Dans la seconde, il entre dans le morphème discontinu « non seulement… mais encore… », où il perd encore sa valeur d’opposition (on pourrait le remplacer par « et »). Une fois les composantes fonctionnelles de l’argumentation présentes dans le texte identifié, les étudiant.e.s construisent les arbres argumentatifs correspondants, traduisant la structure argumentative qu’ils ou elles ont dégagée.

Figure 14 – Activité 3 (arbre construit à partir du texte à analyser).

Figure 14 – Activité 3 (arbre construit à partir du texte à analyser).

3.4. Activité 4

  • 4 Rebelles est une comédie française sortie en 2019 et réalisée par Allan Mauduit. Elle suit les mésa (...)

34L’activité 4 suppose que les étudiant.e.s aient un référent partagé à partir duquel élaborer une argumentation. Dans cette perspective, nous leur avons demandé de choisir, parmi les films qui passaient à ce moment-là dans les salles de cinéma à Paris, un film français. Ils et elles ont choisi Rebelles4, film que nous sommes allé.e.s voir ensemble. Les étudiant.e.s ont ensuite été invité.e.s à construire un arbre argumentatif à propos de la proposition de leur choix : « il faut aller voir Rebelles » ou « il ne faut pas aller voir Rebelles », ce qui supposait d’avancer des arguments en faveur de la conclusion choisie, de prévoir des objections et des réponses à ces objections par rapport à cette conclusion, bref, de construire un argumentaire.

35Sur la base de ces arbres, nous leur avons demandé de rédiger des petits textes de type « critique de film ». Pour faciliter cette rédaction, nous leur avons proposé quelques exemples de textes relevant de ce genre, dont nous avons commenté ensemble les principales caractéristiques.

3.5. Activité 5

36La dernière activité proposée aux étudiant.e.s est l’exercice dit « de la valise ». Il s’agit d’une sorte de jeu de rôles, que nous avons utilisé dans le cadre de l’expérimentation AMI pour mettre en évidence l’utilisation possible des arbres argumentatifs comme préparation à l’entrée en débat sur un sujet (les arbres servent alors à préparer ses arguments en faveur de la conclusion qu’on veut défendre, prévoir les objections ainsi que les réponses aux objections).

37Nous avons mis les étudiant.e.s en situation de devoir partir à Londres dans des circonstances précises (participation à une cérémonie de remise d’un prix scientifique) et de faire leur valise en emportant un certain nombre d’objets imposés. Nous leur avons ensuite demandé de prévoir des arguments pour justifier le fait qu’ils ou elles emportaient chacun de ces objets, et d’anticiper sur ce qu’un individu chipoteur pourrait leur objecter : « mais non, en fait, tu n’en as pas besoin ». Après l’élaboration des arbres et sur la base des ressources argumentatives identifiées dans le cadre de cette élaboration, les étudiant.e.s ont, par binômes, joué une discussion entre le voyageur ou la voyageuse et l’individu chicaneur.

3.6. Ressource : les indicateurs argumentatifs

38Toutes ces activités ont été traversées par un fil rouge : un travail sur l’identification et l’emploi des indicateurs argumentatifs. Qu’il s’agisse des travaux en analyse ou des travaux en production d’argumentation, nous avons insisté sur le fait que les indicateurs argumentatifs sont des outils précieux soit pour identifier la fonction des différents énoncés auxquels les étudiant.e.s sont confronté.e.s, soit pour rendre lisible la structuration qu’ils ou elles veulent donner aux textes et aux discours argumentatifs qu’ils ou elles produisent. Nous leur avons distribué un document reprenant certaines des observations faites lors des différentes activités, afin de mettre en relation les différentes fonctions argumentatives des composantes de l’arbre et certaines des formulations qui peuvent les exprimer. La figure 15 présente un extrait tiré du document distribué.

Figure 15 – Fil rouge : les indicateurs argumentatifs.

Figure 15 – Fil rouge : les indicateurs argumentatifs.

4. L’apport de la formation au développement de la compétence argumentative en français

4.1. Les procédures d’évaluation pré- et post-formation

39Pour permettre de mesurer l’apport de la formation au développement de la compétence argumentative en français des étudiant.e.s, deux tests leur ont été soumis : un premier test diagnostique lors de la séance d’ouverture de la formation afin de dresser un état des lieux de leurs connaissances, et en fin de formation, un test dédié à la vérification de leurs acquis. Ces deux tests comportaient deux exercices identiques. L’un était destiné à mesurer la capacité des étudiant.e.s à dégager la structure argumentative d’un texte, à savoir, une critique de films : Le grand bain (pour le test initial) et Tanguy, le retour (pour le test final). L’autre exercice portait sur la compétence de rédaction des étudiant.e.s. Il leur demandait de rédiger un texte argumentatif en faveur d’une conclusion sur la base d’éléments argumentatifs précis. La conclusion imposée pour le test diagnostique était « il faut devenir végétarien » (Figure 16) et « il faut interdire les portables à l’école » pour le test final (Figure 17).

Figure 16 – Test diagnostique (production écrite).

Figure 16 – Test diagnostique (production écrite).

Figure 17 – Test final (production écrite).

Figure 17 – Test final (production écrite).

40Pour la tâche de rédaction, les éléments que devait reprendre le texte des étudiant.e.s étaient présentés sous forme d’un arbre (ex. Figures 16 et 17). La production écrite devait reprendre au moins quatre propositions (la conclusion et trois arguments ou contre-arguments).

41Pour le test final, un autre exercice a été introduit à la suite de l’activité d’identification de la structure d’un texte, afin d’évaluer la capacité des étudiant.e.s à construire un arbre argumentatif avec le logiciel Rationale. La consigne était d’élaborer un arbre contenant au moins six cases sur le thème « Il faut interdire les portables à l’école » ; l’arbre ainsi construit servait de base à la dernière activité de rédaction. On traitera l’analyse des résultats de cette question supplémentaire à part, puisqu’elle ne figurait pas dans le test diagnostique. Dans ce qui suit, ce sont les deux autres activités qui vont être présentées.

4.2. La capacité à dégager la structure argumentative d’un texte

42Afin d’évaluer la capacité des étudiant.e.s à dégager la structure argumentative d’un texte, nous avons pris en considération un certain nombre d’éléments. En premier lieu, nous avons identifié les modalités d’analyse retenues pour traiter le texte ; par exemple, l’annotation du texte (numérotation des segments délimités par soulignement ou crochets), la reprise de l’organisation du texte en arbre, ou encore le « rubricage » (argument pour, argument contre, position défendue, etc.).

43Nous nous sommes aussi penchées sur la façon dont les étudiant.e.s parvenaient à identifier les unités. Tous les éléments assurant une fonction argumentative dans le texte ont-ils été repris dans l’analyse ? Ont-ils été correctement délimités ? Leur fonction a-t-elle été correctement identifiée ? Nous nous sommes en outre demandé si la structure argumentative correspondait à une reconstruction minimale (du type de l’arbre « plat » présenté plus haut), ou si elle était plus complexe. Peut-on y repérer différents niveaux d’analyse témoignant de la reconnaissance d’argumentations subordonnées ? Nous avons ensuite cherché à savoir si les unités complexes avaient été décomposées ou si elles avaient été traitées « en bloc ». En particulier, les structures concessives de type « p, mais q » ont-elles été considérées globalement, ou ont-elles été décomposées en p = contre-argument ; q = argument ? Finalement, nous avons examiné la présence et la nature des termes « méta » utilisés : voit-on apparaître dans l’analyse des termes permettant de nommer les différentes composantes de l’argumentation (argument/raison/prémisse ; conclusion/thèse/position/opinion ; objection/réfutation…) ?

44L’observation de ces éléments dans les réponses produites par les étudiant.e.s a fait apparaître des différences notables entre les deux moments testés. On a notamment pu observer des choix distincts dans les modalités d’analyse. En fin d’expérimentation, les étudiant.e.s ont favorisé des représentations tabulaires des unités argumentatives identifiées et ont largement recouru à des présentations sous forme de tableaux à double entrée (positif/négatif ; argument pour/argument contre) et à des arbres, alors que dans le test diagnostique, les analyses linéaires (présentant la réflexion sous forme purement textuelle) prédominaient. On a également remarqué le développement de stratégies différentes pour la délimitation et la caractérisation fonctionnelle des unités. Dans le premier test, la stratégie privilégiée avait été de souligner – par différentes couleurs – les unités repérées dans le fil du texte, au point qu’au terme de l’analyse, la quasi-totalité du texte était balisée par des sous- et surlignements. Dans le test final, les étudiant.e.s ont privilégié le relevé des unités à traiter pour les recopier, ce qui a entraîné une prise en compte plus sélective des propositions.

45Le test diagnostique fait paradoxalement apparaître une meilleure identification des différents niveaux d’analyse (certains éléments du texte sont identifiés comme exemples venant à l’appui d’un argument pour la conclusion principale, ce qui correspond à une analyse en termes d’argumentation subordonnée). Sans doute est-ce lié au choix d’un texte plus transparent pour le test diagnostique que pour le texte final. Il se peut également que ce soit lié au fait que le test final a eu lieu immédiatement à la fin des séances de formation. Or on sait que pour pouvoir intégrer de nouveaux apprentissages, il est nécessaire d’acquérir de la pratique (Courtillon, 2003, p. 95). Un temps d’assimilation aurait donc été nécessaire avant la mise en place du test.

46En outre, les étudiant.e.s semblaient avoir davantage le souci de « bien faire », être plus appliqué.e.s pour le test diagnostique qu’au moment du test final, dans la réalisation duquel ils ou elles ont eu tendance à moins s’impliquer en raison du soulagement qu’ils ou elles éprouvaient à voir arriver à son terme une expérience intégrée à une formation par ailleurs déjà bien chargée.

4.3. La compétence rédactionnelle

47Par ailleurs, un arbre argumentatif a été soumis aux étudiant.e.s pour tester leur compétence rédactionnelle. L’arbre présenté dans l’exercice du test diagnostique avait pour conclusion : « il faut devenir végétarien » et comportait six propositions. Celui du test final avait pour conclusion : « il faut interdire les portables à l’école » et comportait sept propositions. L’analyse des productions des étudiant.e.s s’est effectuée sur la base de critères relatifs :

  • à la longueur des productions ;

  • à l’identification de la conclusion et des autres éléments fonctionnels ;

  • à la cohérence globale du texte ;

  • à l’utilisation d’articulateurs et à la pertinence de leur emploi (correct vs erroné) ;

  • aux stratégies de reprise et de reformulation des éléments contenus dans l’arbre ;

  • aux apports personnels au-delà des propositions contenues dans l’arbre ;

  • à la présence ou non de marquage polyphonique.

48Les résultats montrent, de la part de la dizaine d’étudiant.e.s impliqué.e.s, une progression dans l’identification des fonctions des propositions et dans la cohérence globale du texte. En effet, le travail sur les arbres a invité les étudiant.e.s à visualiser, de façon systématique, la fonction des propositions (laquelle était identifiable par un code couleur) et les a sensibilisé.e.s aux formes d’enchaînement des arguments entre eux. Nous avons en particulier travaillé sur la distinction entre arguments libres et arguments liés (séance 3), sur celle entre arguments et contre-arguments (séance 5), et sur les formulations associées à ces relations argumentatives complexes. Il y a donc eu un entraînement à la mise en relation des propositions les unes avec les autres et à la progression découlant de la démarche.

49Par ailleurs, l’examen des copies a montré que la structure du texte produit respectait mieux le modèle imposé par l’arbre dans le test final que dans le test initial. S’il n’y a pas eu de progrès fulgurants entre les deux tests, nous avons cependant constaté une plus importante activité de reformulation des propositions contenues dans l’arbre dans le test final.

Figure 18 – Reformulations dans le test final.

Figure 18 – Reformulations dans le test final.

50Mais la pratique de la reformulation reste malgré tout, peu présente.

51Quant à la prise en compte de la hiérarchie des arguments, elle est assez visible dans les productions du test final et en particulier dans les copies des étudiant.e.s les plus avancé.e.s. Le test final a également donné lieu à un mode d’expression plus personnel, à travers l’apport d’éléments originaux – ce qu’on pouvait déjà observer, mais plus rarement, dans des textes du test diagnostique.

52Enfin, le marquage polyphonique (Masseron et al., 2004), permettant d’indiquer les éléments de contre-discours non pris en charge par l’auteur.e du texte et de les faire contraster avec les éléments assumés par elle ou lui (comme « les personnes qui disent… se trompent » dans l’exemple suivant), s’est avéré peu présent dans les tests.

et, d’après moi comme végétarienne depuis que je suis enfant, je peux déclarer sans doute qu’ils existent des aliments qui présentent les mêmes qualités nutritionnelles que la viande ayant la certitude que les personnes qui disent que les protéines animales sont nécessaires à l’organisme se trompent à cause de l’ignorance sur le sujet. (AMI 1 – test diagnostique)

53La rareté de ce marquage polyphonique est sans doute due au fait que cette dimension n’a pas été abordée lors de l’expérimentation. Par ailleurs, la question supplémentaire du test final était la suivante : « construisez un arbre argumentatif avec Rationale sur la proposition « Il faut interdire les téléphones portables à l’école » ; l’arbre devra avoir au moins 6 cases en plus de la case de départ contenant la conclusion ». La figure 19 présente un exemple de production d’étudiant.e.s – AMI 2.

Figure 19 – Test final (question supplémentaire).

Figure 19 – Test final (question supplémentaire).

54L’analyse des copies a montré que les étudiant.e.s ont correctement identifié la fonction des éléments argumentatifs qu’ils ou elles ont introduits dans l’arbre et ont correctement structuré les différents niveaux d’analyse. Les observations ont aussi permis de constater que l’arbre s’était révélé un bon « accélérateur d’idées », les étudiant.e.s ayant proposé plus de cases que ce qui leur était demandé. Cependant, l’examen a révélé des erreurs dans l’identification des arguments liés et dans la distinction entre réfutation d’une proposition et réfutation d’une inférence.

55Pour conclure sur les résultats de l’analyse, la conception même du test diagnostique est discutable, dans la mesure où un arbre a été intégré à la consigne alors qu’aucun travail n’avait encore été engagé avec les étudiant.e.s sur ce mode de représentation des structures argumentatives. Il aurait fallu par exemple s’en tenir à une exposition des éléments du type :

  • proposition 1 : … ;

  • proposition 2 : argument pour proposition 1.

56Le test diagnostique tel qu’il a été conçu rend en réalité difficile de mesurer le chemin parcouru par les étudiant.e.s au cours de l’expérimentation. Par ailleurs, trop peu de temps s’est écoulé entre les deux tests. Il aurait été nécessaire de laisser les acquis « décanter » pour rendre compte véritablement des apports de l’expérimentation. Enfin, il convient de souligner que les étudiant.e.s de la cohorte étaient trop peu nombreux pour que l’on puisse rendre compte de résultats significatifs. Il faut toutefois mentionner que celles et ceux qui ont participé à la formation se sont finalement déclaré.e.s très satisfait.e.s de l’expérience.

5. Conclusion

57L’introduction d’activités à partir d’arbres pour travailler l’argumentation gagnerait à se répandre plus largement. La démarche offre une approche renouvelée des formes de structuration d’un texte. Elle permet, à partir d’une représentation visuelle de la construction « logique » d’un raisonnement argumentatif, de travailler de façon ciblée certaines compétences langagières : expression des différents niveaux d’argumentation (argumentation principale / argumentations subordonnées) ; traduction verbale du caractère libre ou lié des arguments ; expression différenciée du traitement des objections (concession versus réfutation) ; etc. Elle peut aisément faire l’objet d’un apprentissage progressif, allant d’un travail sur la formulation du contenu des cases, qui doit être concis et refléter aussi clairement que possible l’orientation argumentative de l’élément en question, à l’exercice des compétences langagières complexes que suppose l’expression de la prise en charge ou de la mise à distance de composantes argumentatives. Par ailleurs, la numérotation des différentes composantes de la structure argumentative que génèrent aussi bien Rationale que MindMup facilite grandement les commentaires et propositions de restructuration entre apprenant.e.s aussi bien qu’entre enseignant.e. et apprenant.e.s (« Tu devrais plutôt mettre 3.1 sous 2.5 »). La démarche est en outre une source de grande motivation pour les apprenant.e.s, comme on a pu le constater au cours de l’expérimentation. De plus, comme les activités offertes dans les environnements virtuels (Papin, 2019, p. 31), les arbres favorisent la collaboration et l’engagement des apprenant.e.s dans les tâches qui leur sont proposées. Enfin, la mise en place de telles activités est d’autant plus réalisable en formation au FLE, que des outils comme Rationale et MindMup sont simples d’accès et faciles d’utilisation.

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Bibliographie

Cicéron (1994). De l’invention (traduit du latin par Guy Achard). Les Belles Lettres.

Claudel, Ch., & Doury, M. (2018). Les arbres argumentatifs comme supports à l’enseignement de l’argumentation en FLE. Mélanges CRAPEL, 39, 33-53. https://www.atilf.fr/wp-content/uploads/publications/MelangesCrapel/file-42-4-1.pdf

Conseil de l’Europe (2021). Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Volume complémentaire. https://rm.coe.int/cadre-europeen-commun-de-reference-pour-les-langues-apprendre-enseigne/1680a4e270

Courtillon, J. (2003). Élaborer un cours de FLE. Hachette Français langue étrangère.

Masseron, C., Perrin-Schirmer, C., & Auricchio, A. (2004). La polyphonie des discours argumentatifs: propositions didactiques. Pratiques, 123, 171–211.

Papin, K. (2019). La contribution des tâches de réalité virtuelle au désir de communiquer en français langue seconde l’extérieur de la salle de classe Montréal [Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, option didactiqueniv, université de Montréal].

Plantin, C. (2010). Les instruments de structuration des séquences argumentatives. Verbum 32(1), 31–51. https://www.atilf.fr/wp-content/uploads/publications/verbum/XXXII/atilf_Verbum_XXXII_1_3_Plantin.pdf

van Eemeren, F. H., Grootendorst, R., Jackson, S., & Jacobs, S. (2002a). Reconstructing Argumentative Discourse. The University of Alabama Press. https://www.uapress.ua.edu/9780817312299/reconstructing-argumentative-discourse/

van Eemeren, F. H., Grootendorst, R., & Snoeck Henkemans, A. F. (2002b). Argumentation. Analysis, Evaluation, Presentation. Lauwrence Erlbaum Associates.

van Eemeren, F. H., Houtlosser, P., & Snoeck Henkemans, A. F. (Éds.). (2007). Argumentative Indicators in Discourse. Springer. https://doi.org/10.1007/978-1-4020-6244-5

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Notes

1 Tim van Gelder est philosophe de formation. Spécialiste d’épistémologie appliquée, il dirige le Hunt Laboratory for Intelligence Research à la faculté des sciences de l’université de Melbourne (Australie).

2 Appel à Manifestation d’Intérêt portant sur les formats pédagogiques innovants avec le numérique, 2018-2019, ComUE Université Paris Lumières.

3 La nature de ces développements argumentatifs (genres ? séquences ?) ainsi que leur nomenclature semblent encore peu stabilisées.

4 Rebelles est une comédie française sortie en 2019 et réalisée par Allan Mauduit. Elle suit les mésaventures de Sandra, ancienne miss Nord-Pas-de-Calais, qui est embauchée dans la conserverie locale et y subit le harcèlement de son contremaître.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 – Rationale (Ontologie réduite).
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 55k
Titre Figure 2 – Arbre réalisé sous Rationale à partir de la proposition « Il faut utiliser Rationale pour l’enseignement de l’argumentation ».
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 104k
Titre Figure 3 – Arbre réalisé sous Mindmup à partir de la proposition « Il faut utiliser Rationale pour l’enseignement de l’argumentation ».
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 142k
Titre Figure 4 – La matrice argumentative de Rationale.
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 78k
Titre Figure 5 – Un exemple de matrice argumentative avec contenu.
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 119k
Titre Figure 6 – Texte généré à partir d’une matrice argumentative avec contenu.
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 205k
Titre Figure 7 – Représentation visuelle de la structure d'un argument.
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 390k
Titre Figure 8 – Représentation d’une structure argumentative.
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 46k
Titre Figure 9 – Arbre réalisé sous Rationale correspondant à la proposition précédente.
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Titre Figure 10 – Activité 1 (arbre « plat » à modifier).
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-10.jpg
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Titre Figure 11 – Activité 1 (arbre-cible à structure étagée).
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 114k
Titre Figure 12 – Activité 2 (structure vide et fixe).
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 54k
Titre Figure 13 – Activité 3 (exemple de texte à analyser).
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 265k
Titre Figure 14 – Activité 3 (arbre construit à partir du texte à analyser).
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 175k
Titre Figure 15 – Fil rouge : les indicateurs argumentatifs.
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 111k
Titre Figure 16 – Test diagnostique (production écrite).
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-16.jpg
Fichier image/jpeg, 172k
Titre Figure 17 – Test final (production écrite).
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-17.jpg
Fichier image/jpeg, 198k
Titre Figure 18 – Reformulations dans le test final.
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Titre Figure 19 – Test final (question supplémentaire).
URL http://journals.openedition.org/alsic/docannexe/image/7685/img-19.jpg
Fichier image/jpeg, 108k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Marianne Doury et Chantal Claudel, « Développer l’argumentation en français langue étrangère avec des arbres argumentatifs »Alsic [En ligne], Vol. 27, n° 3 | 2024, mis en ligne le 05 novembre 2024, consulté le 16 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/alsic/7685 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12p3q

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Auteurs

Marianne Doury

Linguiste de formation et professeure à université Paris Cité, Marianne Doury est spécialiste du champ de l’argumentation, qu’elle articule avec l’analyse du discours ainsi qu’avec l’analyse des interactions conversationnelles. Elle développe une perspective argumentative à partir de l’étude de données discursives variées, allant des discours les plus quotidiens aux discours les plus formels.
Affiliation : EDA (Éducation, discours et apprentissages, EA 4071)
Courriel : marianne.doury@u-paris.fr
Adresse : université Paris Cité, Campus Saint Germain, 45 rue des Saints Pères, 75006 Paris, France.

Chantal Claudel

Chantal Claudel, professeure à l’université Paris Nanterre, effectue des recherches sur la politesse linguistique dans des perspectives comparées (français/japonais), ainsi que sur l’énonciation indicielle, l’interaction et la pragmatique. Ces travaux nourrissent des études en didactique sur les genres de discours.
Affiliation : MoDyCo (Modèles, dynamiques, corpus, UMR 7114)
Courriel : cclaudel@parisnanterre.fr
Adresse : université Paris Nanterre, 200, avenue de la République, 92000 Nanterre, France.

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Droits d’auteur

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