Un grand merci à tous les enseignants qui ont répondu à mon questionnaire et aux sept personnes sollicitées qui ont accepté de participer à l’entretien. Je remercie également l’université de Strasbourg dont la dotation de recherche m’a permis de faire transcrire les entretiens par une spécialiste à qui je sais gré de son professionnalisme et de sa rapidité.

1. Introduction

1La nécessité de passer à un enseignement à distance durant les confinements a permis, pour beaucoup d’enseignants, de découvrir et/ou d’exploiter des outils numériques (Bonfils, 2020), notamment dans le but de rendre leur enseignement plus interactif et plus engageant. Nous avons vu alors apparaitre un intérêt massif pour un certain nombre d’applications destinées à soutenir l’enseignement. Ces outils ont probablement souvent été utilisés dans l’urgence. Ils n’ont, par conséquent, pas toujours bénéficié du temps nécessaire qu’on pourrait accorder en situation d’enseignement ordinaire à la réflexion pédagogique sur le choix de son matériel et sur le scénario pédagogique intégrant ce dernier (Caron, 2021 ; Felce, 2022). Cela est d’autant plus vrai qu’« il peut être difficile de changer de stratégies pédagogiques en plein milieu d’un cours, tout en respectant l’alignement (techno)pédagogique initialement pensé » (Verchier & Lison, 2020, paragraphe 1). Toujours d’un point de vue pédagogique, tout le monde n’a pas « la culture du numérique nécessaire pour modifier [son] scénario pédagogique, le niveau de médiatisation de [ses] contenus de cours, et assurer plusieurs types de médiations adaptées à l’urgence » (Bonfils, 2020, paragraphe 5). De ce fait, l’offre importante d’outils numériques pour l’enseignement a probablement d’autant plus représenté une source salvatrice de soutien pendant des cours vécus comme plus difficiles dans un dispositif non voulu ni par les enseignants ni par les apprenants. Dans une situation où tout est à (re)découvrir, les recherches en ingénierie pédagogique montrent que les stratégies employées par les enseignants sont majoritairement de l’ordre du « bricolage créatif, artisanal, intuitif » (Villiot-Leclercq, 2020, paragraphe 15), ce qui montre également une relative absence de compétences en ingénierie techno-pédagogique (Boudokhane-Lima, 2021, paragraphe 23). Or, ce déficit de compétences semble mener les enseignants à reproduire en ligne les pratiques d’enseignement en présentiel, « dans une perspective plutôt diffusionnelle » (Peraya & Peltier, 2020).

2Une fois les confinements passés, les enseignants ont pu retrouver le dispositif d’enseignement en présentiel ainsi que des situations d’enseignement-apprentissage connues et donc plus sereines. Mais qu’en est-il des outils numériques utilisés pendant cette période ? Les enseignants ont-ils transféré les démarches pédagogiques mises en œuvre durant leurs cours en ligne à leurs cours en présentiel ? Les applications numériques utilisées en ligne conservent-elles leur légitimité une fois revenu en présentiel ?

3Nous avons pris le parti de questionner des enseignants sur les outils numériques utilisés lors du passage au tout distanciel, sur les raisons de leur choix et sur la suite qu’ils ont donnée à leurs pratiques en ligne une fois revenus en présentiel. L’objectif de la recherche est ainsi de contribuer à la réflexion qui vise à diversifier les approches et les pratiques pédagogiques en proposant, d’une part, une classification d’outils numériques et, d’autre part, en observant si la période d’enseignement contraint en ligne a eu un effet sur l’utilisation du numérique en classe de langue en présentiel.

2. Cadrage théorique

2.1. Autour de la notion d’outil numérique

4Avant tout, il nous semble nécessaire de préciser ce que nous entendons par le terme « outil » quand nous l’employons dans le contexte de l’enseignement et du numérique, notamment en ce qui concerne ses implications sur la réflexion didactique et le rôle qu’il joue dans notre recherche.

5Selon Reuter et al. (2013, paragraphe 1),

[u]n outil peut être défini dans les situations d’enseignement et d’apprentissage comme un dispositif matériel ou un artefact servant ces situations. Ainsi le tableau noir ou blanc, les cahiers, les manuels scolaires, les ordinateurs, les cartes géographiques, les compas, les flûtes… peuvent être considérés comme des outils.

6Cette définition, notamment à travers les exemples qui sont donnés, met l’accent sur le caractère physique de l’outil, même si le choix du terme « artéfact » laisse la place à des éléments plus immatériels qui sont évoqués dans la suite de l’article (paragraphe 2), à savoir les outils dits « psychologiques » (p. ex. le langage) ou les « outils symboliques » (p. ex. un système de signes). Nous pouvons ajouter, dans cette catégorie des artéfacts, les outils numériques qui ne présentent pas une dimension matérielle.

8Concernant la classification des outils numériques pour l’enseignement, nous nous sommes tournée vers la classification de de Vries (2001) qui propose une typologie de logiciels selon les fonctions pédagogiques que les concepteurs ont attribués à l’outil au cours de la conception. Elle définit huit fonctions qu’elle caractérise selon trois aspects : les « tâches » proposées aux apprenants, le « point de vue théorique » sur l’enseignement-apprentissage qui a présidé à l’élaboration de l’outil et la « façon dont sont traitées les connaissances » (p. 108). Le tableau 1 reprend celui qu’elle présente dans son article (de Vries, 2001, p. 112).

Tableau 1 – Les huit fonctions pédagogiques et leurs caractéristiques.

Fonction pédagogique	Type de logiciel	Théorie	Tâche	Connaissances
Présenter de l’information	tutoriel	cognitiviste	lire	présentation ordonnée
Dispenser des exercices	exercices répétés	behavioriste	Faire des exercices	association
Véritablement enseigner	tuteur intelligent	cognitiviste	dialoguer	représentation
Captiver l’attention et la motivation de l’élève	jeu éducatif	principalement behavioriste	jouer
Fournir un espace d’exploitation	hypermédia	cognitiviste constructiviste	explorer	présentation en accès libre
Fournir un environnement pour la découverte des lois naturelles	simulation	constructiviste cognition située	manipuler, observer	modélisation
Fournir un environnement pour la découverte de domaines abstraits	micro-monde	constructiviste	construire	matérialisation
Fournir un espace d’échange entre élèves	apprentissage collaboratif	cognition située	discuter	construction de l’élève

9Ces catégories peuvent avoir changé depuis 2001 avec le développement des technologies, notamment concernant les types d’outils. Les fonctions ont pu également évoluer selon les applications que permettent les outils, mais aussi selon la diversité des situations d’enseignement-apprentissage dans lesquelles se trouvent les acteurs de la formation, un enseignant n’utilisant par exemple pas uniquement un outil dans un but purement pédagogique. Par ailleurs, la façon dont sont formulées certaines fonctions ne nous semble pas toujours adaptée au domaine de la didactique des langues. Pour finir, le fait d’associer un type de logiciel à une seule fonction nous parait restrictif. La typologie de de Vries semble être un bon point de départ pour une réflexion sur la classification des outils actuels même si elle mérite d’être renouvelée et adaptée.

10En complément de cette première approche, nous nous inspirons également des trois modalités d’intervention du tuteur dans un dispositif de formation à distance retenues par Quintin (2008), car il nous semble que ces dernières se prêtent bien à un classement des fonctions des outils numériques. Les dimensions pédagogique (qui concerne le contenu, le processus d’apprentissage, l’évaluation et l’étayage), organisationnelle (qui touche à l’organisation du travail) et socioaffective (qui concerne l’atmosphère d’apprentissage, les relations entre les participants, la gestion des émotions et l’estime de soi) deviennent ainsi, dans notre proposition, des fonctions ; un outil pouvant parfois avoir une fonction majoritairement pédagogique, organisationnelle ou socioaffective, et parfois avoir une double et peut-être une triple fonction.

11Pour conclure cette réflexion sur la notion d’outil, Reuter et al. (2013, paragraphe 11) soulignent le fait qu’intégrer de nouveaux outils dans l’enseignement peut « reconfigurer l’enseignement » lui-même. C’est aussi ce qui nous intéresse dans le cadre de cette recherche : les enseignants ont-ils découvert ou décidé d’exploiter de nouveaux outils durant les confinements et, si oui, pour en faire quel usage ? Ont-ils continué à les utiliser une fois revenus dans le cadre habituel de leurs cours ? L’utilisation de ces outils les ont-ils amenés à penser autrement leur enseignement ?

2.2. Dispositif technopédagogique et mise à distance

12Le fait de devoir passer à un enseignement à distance durant les confinements a mené de nombreux enseignants à bousculer leurs pratiques habituelles dans un dispositif de formation souvent classique (la salle de classe avec, par exemple, des tables, des chaises et un tableau) pour s’adapter à un dispositif technopédagogique. Ce dernier résulte de la combinaison de différents outils pédagogiques, de communication et d’organisation auxquels il faut ajouter les participants, ainsi que la situation personnelle et l’environnement dans lesquels chacun d’entre eux se trouve. Ainsi, « [a]u-delà d’une appropriation instrumentale de nombreuses autres dimensions symboliques, relationnelles, socioaffectives et organisationnelles interviennent » (Peraya, 2020, paragraphe 7). Parmi les trois dimensions pédagogique, socioaffective et organisationnelle (Quintin, 2008) que nous avons évoquées plus haut, le socioaffectif tient une place particulièrement importante dans cette configuration, parfois plus que la seule dimension pédagogique. Guichon (2017, p. 29) souligne en effet, en faisant référence à Marchand et Loisier (2005) et à Dussarps (2015), que la dimension psychoaffective est nécessaire « pour pallier le sentiment de distance que connaissent parfois les individus apprenant dans cette configuration et pour éviter qu’ils se désengagent de leur projet d’apprentissage » . Au-delà de ces aspects, beaucoup d’enseignants et d’apprenants se sont retrouvés dans une situation inconfortable, à devoir composer avec un matériel parfois limité, et des connaissances inégales de l’utilisation de ces dispositifs. Une des conséquences est l’accumulation d’outils sans véritable cohérence (pédagogique dans notre cas), ce que Kalika et al. (2007) nomment « l’effet mille-feuille ».

13La dimension socioaffective passe notamment par une impression d’appartenance et un sentiment de valorisation (individuelle ou collective) qui jouent un rôle dans la satisfaction et la motivation que peuvent ressentir les différents acteurs de la formation (Quintin, 2008). Pour activer ces dimensions, les enseignants doivent être particulièrement attentifs à certains aspects constitutifs du dispositif technopédagogique, comme l’image véhiculée par la caméra, donnant lieu à une véritable mise en scène de soi (voir, à ce sujet, Guichon, 2017), et de son environnement physique. Ils doivent aussi s’intéresser aux différents signaux verbaux et non verbaux transmis par les apprenants et par eux-mêmes pour assurer la continuité de la communication pédagogique et mettre en place une certaine connivence, un esprit de coopération, une envie d’être là, malgré la distance, et avec les autres. Les outils numériques peuvent également jouer un rôle important dans ce processus, à mi-chemin entre le pédagogique et le socioaffectif ; certains ayant pour fonction de provoquer plus d’engagement, d’autres de faciliter un travail ou une réflexion en groupe, etc.

14La dimension organisationnelle joue également un rôle important dans un espace-temps revisité, souvent distordu par les multiples modalités possibles d’interaction et de travail en synchrone ou en asynchrone, mais aussi par les problèmes techniques. Dans un dispositif où l’enseignant doit à la fois gérer de nombreux éléments techniques (chat, salons, forums, image, son, messagerie, tableau blanc, etc.) et pédagogiques (supports de cours, activités, exercices, outils à vocation pédagogique, liens vers des ressources audio, vidéo, etc.), celui-ci peut vite perdre pied. L’apprenant, quant à lui, doit pouvoir retrouver son chemin dans les multiples plateformes, informations, et documents qui lui sont donnés. Là aussi, des outils numériques existent pour fluidifier la communication et/ou faciliter la planification.

15Concernant la dimension pédagogique, de nombreux outils sont mis à disposition des enseignants. Guichon (2012) fait état de trois types d’outils principalement étudiés par la recherche en didactique des langues : les outils d’exercisation et de pratique, les outils de communication médiatisée par les ordinateurs (qui peuvent aussi avoir une fonction pédagogique) et les outils de modélisation de l’apprenant, de traitement automatique du corpus ou d’aides intelligentes. Or, les pratiques en ligne ont fait émerger d’autres types d’outils tels que les outils de ludification qui n’ont pas, ou pas uniquement, pour ambition l’entrainement, mais aussi l’engagement des apprenants dans l’activité.

3. Questions de travail

16Cet article traite les trois questions suivantes.

• Quels types d’outils numériques ont été majoritairement employés par les enseignants de FLE au cours de leur enseignement à distance pendant les confinements ?

• Pour quelles raisons les enseignants ont-ils fait ces choix ?

• Y a-t-il continuité ou discontinuité des pratiques sur la ligne temporelle avant, pendant et après le confinement ? Des espaces numériques aux salles de classe, quelles peuvent être les appropriations en présentiel des outils numériques ?

17Les deux premières questions vont de pair et ont pour objectif de proposer une typologie des outils numériques utilisés et utilisables dans les cours de langue. Pour ce faire, nous adopterons une démarche inductive en partant des réponses des enseignants pour proposer une classification prenant en compte les fonctions des outils évoqués selon des catégories inspirées de Quintin (2008) et de Vries (2001).

18La troisième question a pour ambition d’observer si les enseignants ont tiré des leçons de l’utilisation de ces outils et ont profité de cette situation inédite pour renouveler certaines de leurs habitudes pédagogiques. Fluckiger (2014, p. 65) écrit, en étudiant la continuité ou la discontinuité des pratiques numériques des enseignants dans leurs loisirs et au niveau pédagogique, que « les compétences et les usages tiennent bien entendu aux individus qui les portent ou aux caractéristiques des artefacts, mais [ce sont] bien les contingences de la situation qui permet[tent] de rendre compte de ce que les sujets en font ». Nous verrons ici quels profils émergent parmi les répondants entre le maintien des pratiques et le changement en fonction des situations.

4. Méthodologie

2043 personnes ont répondu au questionnaire, parmi lesquelles huit n’ont pas enseigné en ligne pendant les confinements. Ces dernières ont été retirées de l’échantillon qui se compose de ce fait de 35 répondants. Suite aux résultats du questionnaire, nous avons sélectionné, dans un second temps, sept répondantes qui avaient accepté de participer à un entretien en visioconférence. Nous les avons choisis en fonction de deux critères :

• leur représentativité dans les trois profils émergents que nous présenterons dans la section 5 de cet article ;

• le public auprès duquel elles enseignent. Les répondants pouvant enseigner aussi bien auprès d’enfants, d’adolescents que d’adultes, dans des secteurs privés, associatifs ou publics, nous avons fait le choix de ne garder que les répondants travaillant avec des adultes, afin d’éliminer une variable dans les réponses.

22Une analyse thématique des entretiens permet de dégager leurs pratiques numériques en général, ce qui a été de l’ordre de la découverte au moment du passage à distance, s’il y a eu continuité ou discontinuité des pratiques entre le présentiel avant les confinements et le passage à distance, puis entre l’enseignement à distance et le retour au présentiel à travers une évolution ou non des pratiques.

5. Classification des outils selon leurs fonctions

23À partir des réponses données à la question 8 « Quelles applications pédagogiques, pendant et en dehors de vos cours en ligne, avez-vous utilisées pendant les confinements ? », nous avons élaboré un tableau de classification à double entrée des outils selon leurs fonctions. En lecture horizontale, nous nous sommes inspirée de Quintin (2008) pour définir quatre entrées, afin de classer les outils selon leurs fonctions organisationnelle, organisationnelle et pédagogique, pédagogique, pédagogique et socioaffective. Il est à noter que nous n’avons pas relevé d’outils ayant une fonction uniquement socioaffective, ce que nous expliquons par le fait que, si les fonctionnalités de l’outil ont une intention majoritairement socioaffective (comme par exemple provoquer plus d’engagement), le contenu qui est transmis par l’enseignant est, quant à lui, pédagogique. Pour chaque entrée, nous avons ensuite classé les outils par types d’après la fonction principale que les concepteurs accordent à ces derniers sur les sites qui décrivent le produit (de Vries, 2001).

24En lecture verticale, trois colonnes permettent de chiffrer et d’illustrer les réponses des participants. La « modalité » (troisième colonne) désigne un outil (quel que soit son nombre d’occurrences dans les réponses), tandis que les occurrences (quatrième colonne) précisent le nombre de fois où les différentes modalités d’un type d’outils ont été relevées. Ainsi, pour les outils de communication, dix outils différents ont été mentionnés par les répondants et ces dix derniers, tous confondus, ont été évoqués à 46 reprises. La dernière colonne donne des exemples de modalités (d’outils) et, entre parenthèses, le nombre d’occurrences de chaque outil mentionné. Zoom est ainsi un des 10 outils de communication cités par les participants et il a été nommé 18 fois (donc par 18 répondants).

25Nous avons dénombré 145 occurrences d’outil dans les 35 réponses à la question 8 pour 59 outils différents mentionnés par les répondants. Le tableau ci-dessous présente une synthèse des résultats. Certains outils entrent dans plusieurs catégories en fonction de ce qu’en fait l’utilisateur. Un outil comme Learning Apps (s.d.), par exemple, permet de concevoir des exercices ayant pour certains des caractéristiques ludiques. L’enseignant peut ainsi à la fois s’en servir comme outil de conception et pour mettre en place une activité ludique (outil de ludification et d’animation).

26Le type d’outils qui présente le plus grand nombre d’occurrences concerne les outils de ludification et d’animation. Ce sont également eux qui comptent le plus de diversité dans le nombre de modalités proportionnellement au nombre d’occurrences. Plusieurs applications, en dehors des plus connues comme Kahoot! (2013), ne sont citées qu’une ou deux fois, ce qui témoigne à la fois du foisonnement de l’offre et peut-être aussi de la volonté des enseignants de trouver une solution qui convienne à leurs besoins.

27Le deuxième type d’outils le plus évoqué concerne les outils de communication, ce qui s’explique nécessairement par le passage à distance et l’exigence de trouver une solution de continuité de la formation. Il est intéressant de remarquer que les outils synchrones, notamment les logiciels de visioconférence sont plus représentés que d’autres outils permettant une communication asynchrone, comme certaines plateformes pédagogiques. Ces dernières, dont la présence peut aussi se comprendre par le contexte des confinements, sont beaucoup moins représentées dans les réponses, alors même qu’elles sont parfois une solution préexistante à la pandémie (Moodle, 2002) dans le milieu universitaire français par exemple.

28Les outils de conception sont placés en troisième position, ce qui témoigne aussi d’un besoin de créativité ou de l’envie de concevoir ses propres exercices en ligne par certains enseignants. Cela n’empêche pas de piocher dans l’existant avec les sites de ressources et d’activités cités par certains répondants. Les outils de collaboration sont moins représentés dans les réponses, mais leur présence montre tout de même qu’un certain nombre de participants ont souhaité proposer à leurs apprenants des activités de coopération à distance, peut-être aussi pour créer ou garder du lien. De façon plus anecdotique, des réponses isolées montrent un intérêt pour les applications non pédagogiques ou destinées à l’apprentissage individuel.

29Dans l’ensemble, nous constatons que l’enseignement à distance exigé par le contexte de la pandémie a mené les répondants à se focaliser avant tout sur des outils dont la fonction était soit principalement socioaffective à travers des outils de ludification et d’animation (pour provoquer des interactions, de l’engagement), soit principalement organisationnelle à travers les outils de communication, majoritairement synchrones. La fonction pédagogique, quant à elle, est présente de manière transversale dans le choix des outils qu’ont fait les participants, car de nombreux outils peuvent être employés avec une double intention : organisationnelle et pédagogique ou encore socioaffective et pédagogique.

30Cette interprétation de l’importance accordée à la fonction socioaffective dans le choix des outils est confirmée par les raisons évoquées par les participants qui utilisaient déjà ce type d’outils avant les confinements. Les outils sont majoritairement choisis pour ludifier (7 répondants), animer (5 répondants) ou apporter de la variété à la séance (3 répondants). Trois personnes signalent également choisir ces outils pour favoriser le travail collaboratif et quatre pour favoriser l’autonomie. Les réponses montrent aussi l’importance accordée à la fonction organisationnelle des outils, huit participants évoquant le fait de partager, de diffuser, de centraliser ou d’organiser. Nous pouvons ainsi nous demander si cette focalisation sur la dimension socioaffective et, dans une moindre mesure, sur la dimension organisationnelle, qui semblent être des préoccupations liées à la situation d’enseignement à distance et au contexte des confinements, vont perdurer une fois les enseignants revenus à un mode de formation en présentiel.

6. Continuité ou discontinuité des pratiques ?

31Le questionnaire prévoit une question sur l’utilisation des outils numériques avant la période de confinements. Sur les 35 répondants, 24 signalent avoir déjà utilisé des outils numériques avant la période de confinements. Un peu moins d’un tiers des participants ne sont donc pas familiers des outils numériques avant le passage des enseignements à distance. La même question est posée sur l’utilisation d’outils numériques après le retour en présentiel. La figure 2 montre, même si elle n’est pas significative, une petite progression, car quatre personnes de plus répondent positivement.

32Quand nous demandons à ces quatre personnes pour quelles raisons elles ont continué à utiliser des outils numériques, la réponse correspond clairement à une volonté de ludifier son enseignement pour trois d’entre elles, le quatrième répondant justifiant l’utilisation de ces outils par la poursuite d’une partie de son enseignement à distance.

33Nous avons également demandé aux participants s’ils pensaient que les outils utilisés étaient adaptés à un enseignement en présentiel. Nous retrouvons 24 réponses positives et 11 réponses négatives. Cependant la répartition des répondants ne correspond pas à celle de la figure 2, cinq d’entre eux ayant signalé avoir utilisé des outils numériques avant et après les confinements. Les quatre participants ayant montré une progression dans l’utilisation des outils numériques suite à leur expérience de l’enseignement à distance ont, en revanche, répondu positivement à cette question. Les six personnes restantes ont répondu négativement à toutes les questions. Elles ne montrent donc aucune marge de progression dans leurs pratiques.

34Les raisons avancées par les participants sont de plusieurs ordres : certains n’ont expérimenté qu’un outil de visioconférence et pensent donc, de fait, que ce n’est pas adapté au présentiel (3), d’autres estiment que leur degré de familiarité avec les outils est insuffisant (3). Trois répondants avancent leur public ou leur contexte d’enseignement comme argument ; deux pour des raisons d’équipement (les demandeurs d’asile ne sont pas assez équipés ; les smartphones ne sont pas autorisés dans les établissements secondaires), une parce que, selon elle, cela ne correspond pas aux attentes d’un public payant qui souhaiterait du pur présentiel. Le travail sur des applications numériques resterait ainsi cantonné au travail en autonomie, en complément du cours. Un répondant considère que l’utilisation d’outils numériques en présentiel peut avoir un impact négatif sur les apprenants, avec des cours moins créatifs et plus de passivité de leur part. Une dernière personne met l’accent sur le caractère chronophage de ces outils, sans donner plus de précisions.

35De ces résultats au questionnaire émergent trois profils :

• groupe 1 : les enseignants accoutumés au numérique et qui n’ont pas modifié leurs pratiques en présentiel suite au confinement (24 répondants) ;

• groupe 2 : les enseignants non accoutumés au numérique et qui ont modifié leurs pratiques en présentiel suite au confinement (4 répondants) ;

• groupe 3 : les enseignants non accoutumés au numérique et qui n’ont pas modifié leurs pratiques en présentiel suite au confinement (7 répondants).

36Comme nous l’avons annoncé dans la partie 3 de cet article, nous avons sélectionné sept répondantes pour des entretiens en fonction de leur représentativité dans les trois groupes. Nous avons également veillé à ce que les sept personnes enseignent toutes à un public adulte. La répartition est la suivante :

• groupe 1 : R10, R28 et R40 (3 répondantes) ;

• groupe 2 : R39 (1 répondante) ;

• groupe 3 : R08, R43 et R45 (3 répondantes).

6.1. Des pratiques numériques diversifiées

37Les entretiens font ressortir que les pratiques numériques en général des répondantes sont très variées et, en même temps, relativement similaires en fonction des profils. Les trois répondantes du groupe 1 évoquent une diversité d’outils très importante, notamment pour mettre en place des exercices d’application de lexique et de grammaire (voire de compréhension pour R28). Cependant, les modalités de mises en œuvre ou les raisons invoquées sont différentes. Pour R40, il s’agit avant tout de donner un cadre plus agréable à l’activité et de diversifier les modalités d’enseignement-apprentissage. Pour R28, l’objectif est d’alléger les cours en présentiel en proposant des activités à travers des outils numériques en autonomie, en dehors du temps de classe, afin de laisser plus de place aux interactions et à la réflexion sur les stratégies d’apprentissage durant les cours. Pour R10 enfin, les exercices d’application sont aussi l’occasion de faire une évaluation formative et permettent ainsi de savoir ce qui a été compris et ce qui nécessite d’être retravaillé. En dehors des exercices d’application, elle évoque les outils de collaboration pour des travaux en groupe et la mise à disposition de supports et de ressources sur un espace de dépôt.

38Dans le groupe 2, R39 déclare surtout utiliser le numérique pour la projection de documents et pour l’administratif (suivi des étudiants sur un logiciel). Son utilisation d’outils numériques se limite à l’emploi de Kahoot (Kahoot, 2013) pour faire des exercices de révision. Dans le groupe 3, les trois participantes présentent plus ou moins les mêmes pratiques à quelques différences près. Les trois parlent de la projection de documents. R43 précisant préférer éviter l’usage de smartphones en classe, c’est le seul usage du numérique qu’elle annonce. R08 et R45 ajoutent qu’elles proposent aux étudiants des recherches en autonomie sur Internet ou des exercices d’application et de compréhension et qu’elles se servent d’une plateforme pédagogique comme espace de dépôt ou pour envoyer des annonces. De façon plus anecdotique, R08 relate une ancienne expérience de quiz effectuée avec des QR code et R45 l’utilisation d’un scénario pédagogique amenant les apprenants à effectuer des recherches sur Internet et dans la vie réelle.

39Nous constatons ainsi que les répondantes du groupe 3 et du groupe 2 ont une pratique plutôt « matérielle » et organisationnelle des outils numériques dans une perspective majoritairement « diffusionnelle » (Peraya & Peltier, 2020), tandis que les répondantes du groupe 1 attribuent une fonction pédagogique aux outils qu’elles emploient, voire socioaffective avec des objectifs différents : rendre le travail plus agréable, mettre en coopération, reléguer les exercices d’application au travail en autonomie pour laisser plus de place aux interactions et à la réflexion dans le cadre du cours.

6.2. Le passage au tout numérique : entre découverte et continuité

40Lors des entretiens, nous avons demandé aux participantes comment elles avaient vécu le passage à distance pendant les confinements. Les répondantes du groupe 1 orientent toutes leur propos sur la réflexion qu’elles ont mise en place dès l’annonce du premier confinement et le passage à l’enseignement en ligne. R40 et R10 parlent toutes deux de la volonté, en l’espace d’une semaine, de mettre en place une solution pédagogique pérenne qui ne soit « pas uniquement sur du dépannage » (R40-4), notamment en essayant « plein de trucs différents pour voir si ça marche pour l’enseignement » (R40-6). R28, déjà habituée à l’enseignement en asynchrone a cherché surtout à trouver un équilibre entre les modalités synchrones et asynchrones, convaincue que le principe de la classe inversée était ce qu’il y avait de plus pertinent.

41Dans le groupe 2, R39 parle de temps d’adaptation et de « bidouillage » durant la première semaine, avant de faire cours tel qu’elle le faisait en face à face. On perçoit ici que le « bricolage » (Villiot-Leclercq, 2020 ; Caron, 2021 ; Boudokhane-Lima & al., 2021) tenté par R39 n’a pas donné les mêmes résultats que pour R10 ou R40 et que sa démarche a finalement abouti à un repli sur les pratiques d’enseignement en présentiel (Peraya & Peltier, 2020).

42Les participantes appartenant au groupe 3 tiennent un discours où l’émotion ressentie au moment de l’annonce du passage en ligne prend une grande place. L’événement est vécu de manière brutale par R08 qui dit s’être contentée de faire « des cours traditionnels derrière un ordinateur » (R08-5). R43 s’est, quant à elle, « sentie très livrée à [elle]-même » (R43-3) et, comme elle ne savait pas ce qu’était la visioconférence, à faire majoritairement de l’asynchrone à travers des échanges de mails, à réduire les temps de visioconférence en grand groupe et à privilégier des rendez-vous pour faire le point. R45 parle de tâtonnement au début accompagné de beaucoup d’appréhension, d’hésitations et de la « hantise du problème technique » (R45-2). La prise en main de l’outil de visioconférence et la gestion pédagogique ont été vécues comme longues et difficiles, associées à beaucoup de tensions, dans un contexte où elles se sont senties pas ou peu encadrées par leur institution. Nous retrouvons ce discours dans les propos de certains enseignants sondés par Boudokhane-Lima et al. (2021), qui considèrent que l’ensemble des décisions technopédagogiques reposaient uniquement sur leurs épaules, alors même qu’une forte inégalité, parmi ces derniers, en termes de compétences numériques, s’est fait ressentir.

43Toutes nos participantes, quel que soit leur profil, ont l’impression de ne pas avoir particulièrement changé le déroulé de leur séance en visioconférence : annoncer les objectifs et/ou commencer par un résumé de ce qui a été vu précédemment, les activités du manuel ou des activités similaires : activité de compréhension, point de grammaire, de vocabulaire, travail de production, etc. R43 justifie son choix ainsi :

(…) très franchement, j’ai suivi les méthodes de manière assez, j’ai pas envie de dire traditionnelle, mais rassurante pour les étudiants aussi. Dans un monde où tout était en… à la fois, tout était statique et, je pensais que pour eux, il fallait avoir quelque chose de très stable (R43-20).

44R28 a mis en place une classe inversée en demandant « un travail en amont en autonomie en dehors du cours sur Zoom, (…) un regroupement par petits groupes où les étudiants devaient faire ensemble (…) et un bilan en grand groupe chaque fois » (R28-8), mais elle utilisait déjà cette approche en présentiel. Les représentantes du groupe 1 ont continué à utiliser les outils qu’elles connaissaient déjà, tandis que celles des groupes 2 et 3 se sont focalisées sur l’apprentissage des fonctionnalités de la plateforme de visioconférence.

45Les répondantes soulignent les limites de l’enseignement à distance, comme le fait de parler à de toutes petites vignettes (R43), voire à des écrans noirs (R40, R10), ou encore le côté chronophage : « [c]haque cours était doublé (…) parce qu’à la fin, il fallait tout mettre sur Moodle encore, réécrire aux absents (…) (R43-20) ». À ce sujet, Boudokhane-Lima et al. (2021, paragraphe 16) parlent d’« élargissement des tâches » lorsqu’il s’agit d’« ajouter de nouveaux dispositifs les uns aux autres, sans penser de manière constructive leur contribution au sens de l’activité ». Ils précisent aussi que c’est « l’individu, aux prises de son libre arbitre, qui se mobilise pour faire fonctionner des systèmes entre eux, impensés en amont par l’organisation du travail, le collectif ou l’institution ».

46Mais l’expérience semble rester plus positive que négative, notamment car elle a permis de garder le lien, de continuer à communiquer, enseigner, apprendre. Elles en retirent aussi des expériences positives et quelques découvertes comme le tableau blanc où chacun peut s’exprimer (R45), les breakout rooms (R40, R39, R08, R43), c’est-à-dire les salles de travail qui permettent de créer une “petite alcôve (…), on a plus l’impression d’un rapport beaucoup plus personnel avec les membres du groupe qu’en classe où on va faire le tour, mais en même temps on est coupé par des gens qui vous appellent, par des bruits extérieurs, etc.” (R40-7).

47Certaines évoquent aussi une différence importante par rapport au présentiel, celle de pouvoir garder une trace du cours et la diffuser aux apprenants, en enregistrant le cours, le support de présentation modifié au fur et à mesure, le tableau ou encore les notes prises (R39, R08, R45).

48Dans l’ensemble, les outils numériques n’ont pas tenu une place aussi importante qu’on aurait pu le penser dans l’enseignement à distance, sauf pour le groupe 1 qui les connaissait déjà. Les découvertes portent sur les plateformes de visioconférence et leurs fonctionnalités. Tous ces outils n’ont pas eu véritablement d’impact sur les pratiques pédagogiques des enseignantes qui ont continué à assurer leurs cours plus ou moins de la même façon qu’en présentiel. Ceci peut s’expliquer par le fait que la continuité pédagogique a été peu encadrée par les institutions dans lesquelles ces dernières travaillent : une explication rapide de l’utilisation de l’outil de visioconférence, quelques liens vers des tutoriels en ligne, au mieux des propositions de regroupements en ligne pour parler des difficultés rencontrées sur la base du volontariat. Boudokhane-Lima et al. (2021, paragraphe 17) montrent également, dans leurs résultats, que les enseignants se sont sentis abandonnés par leur hiérarchie, cette situation les poussant à « augmenter [leur] niveau d’autonomie individuelle et d’auto-responsabilisation (…) pour mener à bien leur pratique pédagogique », ce qui représente un facteur de tensions important.

6.3. Vers une évolution des pratiques en présentiel ?

49Face à ces résultats, il est intéressant de se demander si et en quoi les répondantes ont tiré des enseignements de leurs pratiques en ligne. Les réponses sont relativement différentes et parfois un peu contradictoires.

50Dans le groupe 1, R40 estime n’avoir rien changé. R28 et R10, quant à elles, disent davantage utiliser en présentiel Kahoot pour la première et les outils numériques de manière générale pour la seconde, quand cela a du sens pédagogiquement. R28 met surtout l’accent sur le caractère organisationnel développé à distance, dans l’utilisation des supports et de Moodle en explicitant systématiquement le programme et en déposant à chaque fois les activités faites en cours, ce qui ne manque pas, précise-t-elle, d’être chronophage pour elle et d’induire une forme de laxisme chez les étudiants qui viennent moins en présentiel.

51Dans le groupe 2, R39 répond dans un premier temps n’avoir rien changé, mais regretter le fait de pouvoir garder une trace des activités faites durant la séance. Elle se ravise tout de même en précisant que cette expérience l’a « fait évoluer du côté numérique » (R39-12), car elle semble désormais « utilise[r] d’autres choses [qu’elle] n’utilisai[t] pas avant ou sur Zoom », sans préciser cependant de quoi elle parle.

52Le groupe 3 présente des réponses très différentes. Nous retrouvons, chez R08, le même sentiment d’avoir évolué : elle se sent plus à l’aise avec les ordinateurs et utilise différemment Moodle. Cette expérience lui a aussi donné envie d’utiliser les smartphones en classe avec les apprenants, car « ils sont contents en fait. Ça fait partie de leur vie, surtout pour les plus jeunes » (R08-17). Elle ressent cependant le besoin de se former avant de se lancer dans l’aventure. R43, quant à elle, s’est tout de suite « sentie reprise par quelque chose de plus scolaire » et n’a rien mis en place de particulier avec le numérique. Elle accorde tout de même plus de temps aux travaux en sous-groupe, car elle en a perçu l’utilité. Elle a testé une fois la mise en place d’une classe inversée en demandant aux étudiants d’écouter un document audio à la maison pour en parler ensuite en petits groupes en présentiel. L’activité n’a cependant pas fonctionné, car les étudiants n’ont pas écouté le document en question :

Alors que quand ils sont chez eux et que de toute façon ils sont sur un ordinateur, et ben ils le font puisqu’ils ont juste à cliquer sur le lien. Mais j’avais le sentiment qu’à partir du moment où c’était en présence, tout revient de nouveau par le prof (R43-27).

53Cette remarque laisse à penser que, malgré ses réticences face à la technologie et le fait d’avoir dit ne pas avoir changé grand-chose à son déroulé de cours pendant ses enseignements à distance, R43 a dû tester d’autres approches que celles qu’elle emploie en présentiel, peut-être sans en avoir véritablement pris conscience.

54Concernant R45, elle s’est retrouvée dans l’impossibilité de répondre à la question :

Peut-être que ça me reviendra plus tard (…), mais je sais pas en quoi ça a enrichi ma pratique actuelle en présentiel. Je sais qu’à la fin, tout ce temps derrière l’écran m’est devenu insupportable. C’était trop de temps, trop d’enfermement aussi (R45-13).

55À travers ces mots, on peut observer à quel point cette période a été vécue de façon très forte émotionnellement, à tel point que la distance réflexive avec sa propre pratique en devient difficile.

7. Conclusion

56Ce travail de recherche a pu mettre en lumière que de nombreux outils ont été utilisés par les enseignants enquêtés, lors du passage en ligne, mais que ceux-ci n’ont pas apporté un renouveau particulier dans les habitudes pédagogiques de ces derniers. Soit, dans la plupart des cas, parce qu’ils avaient déjà une pratique numérique en présentiel et qu’ils n’ont pas particulièrement cherché d’autres outils à tester, soit, au contraire, parce qu’ils n’avaient pas une connaissance particulière de l’usage de ces outils et qu’ils se sont concentrés sur l’aspect le plus urgent : maitriser les logiciels de visioconférence pour assurer la continuité pédagogique. Nous pouvons donc observer une continuité dans les pratiques, à la fois entre la période pré-Covid et celle des confinements et entre cette dernière et le retour en présentiel. Cette continuité se fait en contrepoint, à travers l’absence de changement majeur en termes d’usages.

57Les évolutions présentées par les enseignantes du groupe 1 ayant participé aux entretiens sont plutôt d’ordre quantitatif avec une utilisation plus fréquente des outils. La répondante représentant le groupe 2 a continué d’utiliser l’outil de quiz qu’elle avait découvert pendant les confinements, mais ne signale pas de changement particulier dans ses pratiques. Il en est de même pour deux enseignantes du groupe 3 qui ne montrent pas de modification particulière de leurs habitudes. Cette observation rejoint le constat de Pélissier (2021, paragraphe 32) qui souligne que, dans son enquête, malgré le fait de devoir nécessairement envisager des modifications dans leurs contenus et dans leur façon de communiquer et d’interagir avec les apprenants, et malgré l’emploi de nouveaux outils, les enseignants n’ont pas transformé leurs pratiques. Seule R08 exprime une volonté de faire évoluer son usage des outils numériques, mais qui reste pour le moment de l’ordre de la réflexion et de l’envie de faire, faute de formation dans le domaine. Boudokhane-Lima et al. (2021, paragraphe 19) présentent le même type de résultats en évoquant une fracture numérique qui n’est pas que de l’ordre du technique, mais aussi du manque de formation, « se traduisant par un déficit de compétences face au numérique ». Cette remarque met en lumière la nécessité de former les enseignants à l’ingénierie pédagogique comme nous l’avons soulevé en introduction.

58Il est intéressant de noter que la forte charge émotionnelle vécue lors de la période des confinements a eu un impact sur l’emploi d’outils à la fonction plutôt socioaffective, afin de garder les apprenants mobilisés dans leur apprentissage. Nous ne retrouvons pas réellement cette dimension dans le discours des répondantes aux entretiens quand nous leur demandons de parler de ce qu’elles ont retenu de leur expérience d’enseignement à distance, alors même que celle-ci est très présente quand nous leur demandons de parler de leur ressenti lors du passage au tout numérique, plus particulièrement dans les propos des représentantes du groupe 3. Ainsi, si les répondantes ont volontiers exprimé leur ressenti par rapport à leur vécu personnel concernant le passage de leur enseignement en ligne, elles ne semblent pas avoir pris conscience qu’une bonne partie de leurs efforts pédagogiques ont probablement porté sur le maintien de la communication et de la relation pédagogique.

59Les outils ont aussi été utilisés pour leur fonction organisationnelle afin notamment de s’y retrouver dans les multiples supports et ressources mis à disposition, mais aussi pour communiquer de la manière la plus efficace possible. Le caractère d’urgence de la situation a donc donné lieu à une réflexion et à des usages axés sur la continuité pédagogique et le lien à maintenir plutôt que sur la pédagogie elle-même, ce qui peut expliquer que, une fois la contrainte passée, les enseignants soient retournés à leurs habitudes pédagogiques.