• 1 V. Kokoszka, Le devenir commun : Corrélation, habitualité et typique chez Husserl, Hildesheim- New (...)

2Nous évoquerons le long débat sur le problème de la constitution des habitualités du moi initié par Roman Ingarden dans ses Remarques sur les Méditations cartésiennes et qui a été poursuivi par des commentateurs comme Gerhard Funke et Elmar Holenstein. Nous défendrons la thèse selon laquelle ces commentaires ne considèrent pas la dimension génétique du problème, ce qui entraîne une confusion entre habitus passif et habitus égologique. Valérie Kokoszka a bien observé cette distinction, mais elle ne développe pas le sujet dans son ouvrage Le devenir commun : Corrélation, habitualité et typique chez Husserl1. Pour notre part, il nous semble qu’il est important d’approfondir la question de l’habitus dans la mesure où celui-ci est un élément clé pour com- prendre la constitution du sujet transcendantal. Cette nuance observée à l’intérieur même de la constitution de l’habitus est révélatrice de deux dimensions du processus d’individuation qui s’entrelacent mais ne se confondent pas.

• 2 E. Husserl, Expérience et jugement - Recherches en vue d’une généalogie de la logique, Paris, Press (...)

4Dans Expérience et jugement, Husserl affirme que tout acte, même celui dans lequel le moi est simplement affecté, est producteur d’habitus2. C’est une loi de la conscience que tout vécu dès lors qu’il est actualisé ait la possibilité de se reproduire dans le même flux de conscience. Dans le passage à l’inactualité du vécu, il n’y a pas seule- ment un écoulement passif temporel, mais une sédimentation passive dans laquelle le vécu demeure en tant que potentiellement reproductible à partir d’une association passive ou d’un acte intentionnel du sujet.

• 3 EJ, p. 138 [131].
• 4 EJ, p. 143.

5Husserl affirme que lorsque le moi est dirigé sur l’objet détaché de l’arrière-plan, même si seulement en tant qu’affecté, un « flux d’activité jaillissant originairement du moi » se dirige sur l’objet3. Quand le vécu retourne à l’arrière-plan en passant à la rétention, il ne demeure pas seulement comme dépôt qui peut être éveillé par une perception qui le rappelle à la conscience, mais cette sédimentation conserve avec lui quelque chose de l’opération intentionnelle qui a produit le sens. Cela veut dire qu’il ne passe pas à la rétention comme exactement le même vécu qu’il était avant. Le vécu et le « moment objectif constitué en lui » dans cet état « latent » deviennent « une possession en forme d’habitus »4:

• 6 EJ, p.22 sq et p. 35 sq.

6Grâce à la formation passive d’un habitus relatif à l’objet, décrite notamment dans Expérience et jugement, le sens d’objet constitué en fonction du remplissement de l’horizon déterminable selon une typique ne se perd pas à chaque fois, ce qui permet à l’objet d’être de mieux en mieux connu : nous ne devons pas à chaque fois revenir à l’objet originaire avant que la teneur de sens nouvelle ne lui soit adjointe ; l’explicitation peut continuer à partir du sens déjà acquis et qui demeure attaché à lui. La sédimentation du sens permet d’une part que l’horizon indéterminé de l’objet soit déterminé comme sens infini, mais aussi que d’autres objets appartenant au même type soient reconnus de façon anticipée6.

• 7 EJ, p. 144.
• 8 De la synthèse passive . Logique transcendantale et constitutions originaires, trad. par Bruce Bégo (...)

7Cette formation de l’habitus, se déroulant dans l’expérience antéprédicative, est un processus corrélatif à la sédimentation et donc passif. Comme le précise Husserl dans Expérience et jugement : « Cette transformation en habitus du résultat d’une saisie originairement intuitive s’accomplit selon une loi générale de la vie de la conscience, pour ainsi dire sans notre participation […]»7. Il nous semble néanmoins que cette formation de l’habitus attaché à l’objet n’est pas la seule décrite par Husserl et qu’une distinction doit être faite entre l’habitus de l’objet et l’habitualité du moi. Nous rappelons ce que dit Husserl dans un manuscrit sur les synthèses passives : « l’habitualité qui appartient à l’essence générale de la subjectivité est justement dans la passivité d’un autre genre que dans l’activité, ou mieux, dans la réceptivité que dans la spontanéité »8.

• 9 Recherches phénoménologiques pour la constitution, Méditations cartésiennes, De la synthèse passive (...)

8N’ayant pas remarqué cette nuance, les commentateurs qui ont participé au débat sur les propriétés habituelles du moi ont soit identifié ces deux moments de la constitution, qui ne sont pourtant pas nécessairement corrélés (G. Funke), soit ignoré toute une dimension de la genèse de l’habitus qui est spécifiquement transcendantale. En ce sens, Elmar Holenstein envisage la formation de l’habitus comme un processus simplement passif, analogue à la sédimentation. Cependant, Husserl affirme dans certains textes9 le rôle strictement actif du moi dans la formation d’un certain type d’habitus. Nous essaierons dans ce qui suit de préciser cet habitus que selon nous est spécifiquement égologique, mais avant cela nous allons présenter brièvement ce débat.

• 10 Hua I, p. 101.

9Dans le § 32 des Méditations cartésiennes, Husserl décrit l’habitus qui se forme à partir des prises de position spontanées. Il affirme que le moi se constitue par une « genèse active » comme « substrat identique »10 de ses propriétés habituelles. Une des explications possibles pour cette formation c’est qu’à chaque fois que le moi constitue un objet dans un acte originaire, une propriété habituelle du moi se forme avec cet acte. Mais cette hypothèse pose quelques difficultés qui ont été bien précisées par Roman Ingarden dans ses Remarques sur les Méditations cartésiennes. Ingarden se pose la question de savoir si les propriétés habituelles du moi ne peuvent être considérées que comme des « simples corrélats intentionnels » ou bien comme des unités absolues. Sont-elles posées par des actes intentionnels ou se forment-elles dans la conscience indépendamment de la constitution égoïque ?

• 11 Trad. modif. (traduction publiée par le traducteur : « vie perdurante »), voir Ingarden, R.

12« composante matérielle particulière » dans chaque vécu. De cette façon, leur constitution est conduite à partir d’un « contenu » particulier pré- sent dans des actes particuliers ou dans des « moments d’actes ». Mais pour cela, l’existence d’un « vivre perdurant »11 (das Durchleben) doit être admise, ce qui est pourtant une hypothèse refusée par Husserl ;

• 12 Sur la relation entre constitution et genèse, voir note 17.
• 13 R. Ingarden, « Remarques critiques », op . cit, p. 230.

13B) La constitution des habitualités n’est pas due au contenu du vécu, mais au « simple accomplissement d’acte ». Pour autant, ce qui est ainsi constitué « ce n’est pas un corrélat des vécus correspondants, mais pour ainsi dire une réalité seconde naissant en même temps que l’accomplissement de l’acte, laquelle, toutefois transcenderait l’acte même, et, de ce fait, ne formerait avec lui aucune unité d’être » ; C) Les propriétés habituelles ne sont pas les produits d’une « constitution », mais d’une « genèse »12. Cela signifie qu’il s’agit d’objectités qui sont « formées » dans le flux de conscience de « manière absolue », et non à partir de la « détermination du sens » à travers laquelle l’objectivité se constituerait comme donnée. Leur « formation » ne dépend pas d’un acte objectivant qui pose un objet connu dans ses modes de donation. Comme le produit d’une genèse, l’habitualité pourrait donc exister absolument ; D) L’existence des propriétés habituelles doit être niée, de sorte que nous reviendrions au point de vue des Ideen13 .

• 14 G. Funke, « Gewohnheit », in Archiv für Begriffsgeschichte, 3, 1958, p. 518–547, p. 520, cité par W (...)
• 15 G. Funke, « Gewohnheit », in Archiv für Begriffsgeschicht, op . cit ., p. 523., cité par W. Bergman (...)

14Ingarden choisit l’hypothèse A, en envisageant que les propriétés habituelles du moi se constituent grâce au « vivre perdurant » du moment d’acte qui, ayant lieu dans la conscience absolue, se produit comme habitualité du moi. Celles-ci se forment à partir de composantes ou de moments d’acte spécifiques. Gerhard Funke soutient une articulation des possibilités B et C et affirme, au contraire, que l’habitualité est le résultat de l’accomplissement d’acte. Ce n’est pas la matière et la qualité du vécu qui la produit : elles se forment comme une « seconde réalité » (zweite Wirklichkeit)14 à partir de l’expérience constitutive. Cela peut être affirmé grâce à une distinction ferme entre constitution d’objet et genèse du moi : la conscience n’est pas simplement « conscience de », mais par une opération non-objectivante, en même temps que le moi constitue un objet, l’habitualité se forme comme « intériorisation pré-phénoménale »15.

• 16 E. Holenstein, Phänomenologie der Assoziation: Zu Struktur und Funktion eines Grundprinzips der pas (...)

15Dans son ouvrage Phänomenologie der Assoziation, Elmar Holenstein critique cette conception et affirme que celle-ci confond la genèse de l’habitus et la genèse du flux de conscience. La constitution du sens dans l’accomplissement d’acte et la genèse de l’habitus sont deux pro- cessus différents. Selon lui, la genèse du moi et la genèse de l’habitus doivent être distinguées. La première est active et ses produits peuvent être éveillés dans des souvenirs. Les habitualités sont, de même que les sédimentations, constituées par une genèse essentiellement passive. Il oppose souvenir et conviction habituelle distinguant fermement la constitution temporelle de l’ego de la constitution de l’habitus16 et nous essaierons de développer cette thèse par la suite.

• 17 Par ailleurs, une confusion autour des termes de constitution et de genèse est rendue possible par (...)

16Si ces remarques sont en partie correctes, il nous semble que ces commentaires ne prennent pas en compte la dimension génétique du problème et butent sur une confusion entre habitus relatif à l’objet et habitualité égologique17.

• 18 Recherches phénoménologiques pour la constitution, trad. par Éliane Escoubas, Paris, Presses Univer (...)

17Décrites dans le § 29 des Ideen II, les convictions ou « visées persistantes »18, comme les nomme Husserl, sont une possession du sujet. Dès qu’elles sont constituées dans la sphère immanente, ces unités deviennent des contenus valables pour l’ego et pour cette raison elles se distinguent de la transformation passive en habitus comme corrélat de la constitution de l’objet. Cela implique par conséquent qu’il y ait une différence entre une simple reproduction du vécu et une propriété habituelle du moi. Vis-à-vis de celle-ci, le moi est et demeure celui qui a telle conviction, qui a pris telle décision. En ce sens, une propriété acquise ou abandonnée transforme le moi lui-même, c’est-à-dire qu’elle constitue son identité concrète. Ainsi, le rapport du moi à une habitualité ne serait pas la même chose que son rapport à une objectité sédimentée quelconque.

• 19 Ideen II, § 29, p. 164-165 (Hua IV, 111-112).

19En tant que produit de l’activité proprement dite, c’est par une prise de position, provenant de la sphère de la spontanéité égoïque qu’est instaurée une propriété habituelle. Celle-ci peut être accompagnée d’une donation de sens d’objet, mais lorsqu’un habitus du moi est instauré, cela signifie qu’une « unité » est créée originairement dans la conscience à partir d’une nouvelle prise de position. Il s’agit d’un jugement, d’une thèse, d’un thème qui existe en tant que réalité immanente. Lorsqu’une propriété habituelle est à nouveau actualisée par le moi, il ne s’agit pas du même contenu de vécu éveillé, mais d’une actualisation du thème qui transcende le vécu et qui forme une sorte d’unité qui se sédimente en tant que thème du moi toujours valable pour lui19.

• 20 Ideen II, p. 305-307.

20Ainsi, l’instauration par le moi d’une conviction dans le temps immanent implique qu’une propriété habituelle est autre chose qu’un objet transcendant. Ce qui implique nécessairement la participation d’une « motivation de raison » à la genèse de l’habitus : à la différence des synthèses d’association et des opération inductives, il y a une « motivation de raison » dans les prises de position actives20. Cela signifie que le moi est lui-même motivé, et doit l’être pour qu’une décision ait lieu, car il est le producteur du sens. Il en va donc autre- ment de la simple donation de sens d’objet où l’enrichissement du sens se déroule par explicitation passive.

• 21 E. Holenstein, Phänomenologie der Assoziation: Zu Struktur und Funktion eines Grundprinzips der pas (...)
• 22 Hua I, p. 101.

21Une autre différence peut être observée au niveau de la sédimentation : il y a un lien entre le moi et ses propriétés habituelles dont la validité persiste pour lui après l’actualisation. Il est donc besoin d’un motif qui mène le moi à abandonner une conviction, à en renforcer une, ou à instaurer une nouvelle. Cela veut dire qu’au-delà de la sédimentation, la conviction persiste (bleibt) pour le sujet : devenue une propriété habituelle, la conviction devient sa possession. L’unité sédimentée en tant que propriété habituelle reste valable pour le moi tant qu’il n’y a pas de motif pour la biffer. Si elle est supprimée, l’unité du vécu ne demeure (verbleibt) plus dans la chaîne de ressouvenirs, quoiqu’un ressouvenir de la conviction abandonnée puisse monter à la surface. Ainsi, il ne s’agit pas simplement du fait qu’une sédimentation ait lieu, ce qui est un procès « passif par excellence »21. Le moi « se tient et se maintient »22 à travers ses propriétés auxquelles il demeure lié. La distinction faite par Holenstein entre conviction et souvenir nous semble donc correcte, mais incomplète dans la mesure où il réduit la formation des propriétés du moi à un procès simplement passif.

• 23 A V 5, 9a, cité par M. Cavallaro dans M. Cavallaro, « Das “Problem” der Habituskonstitution und die(...)
• 24 Sur la façon dont G. Funke envisage la production des habitus, Marco Cavallaro écrit : « La constit (...)
• 25 Voir ASP, p. 340-345.
• 26 Husserl distingue les différentes formes de motivations dans le § 56 des Ideen II.

22Ainsi, en plus de passer à la rétention et ainsi au degré zéro d’affection comme un simple vécu, les habitualités continuent à appartenir au soubassement de « validité-subsistantes »23 aussi longtemps que le moi ne les supprime pas. Le fait qu’une unité immanente se forme en tant qu’une propriété du moi signifie qu’il adhère à elle dans une sorte de consentement qu’il réactualise à chaque fois. Son rapport à l’une de ses convictions est donc différent du rapport à un objet transcendant, car elle n’est formée ou actualisée que si le moi est opérateur de l’acte. Gerhard Funke a raison lorsqu’il affirme qu’à chaque fois qu’un objet est constitué, un habitus du moi correspondant est constitué, mais il ne distingue pas l’habitus lié à l’objet de l’habitus égologique et envisage une relation de « fondation » entre eux24. Dans l’acte de constitution d’objet, le sens constitué demeure rattaché à l’objet de sorte qu’à chaque fois que je perçois à nouveau un objet similaire, il m’est donné avec le sens sédimenté. Mais l’habitus du moi, même s’il peut être formé en même temps que l’accomplissement d’acte, est toute autre chose que le sens lié à l’objet et concerne la façon dont le moi vit cette expérience. Ainsi, il nous semble que cette analyse n’est correcte que si elle se réfère à l’expérience antéprédicative sans qu’elle ne soit généralisée à toute sorte d’habitus. Il est donc erroné de réduire la constitution de l’habitus du moi à la constitution d’objet : elle est référée de façon continue à l’identité concrète du moi qui se tient et se maintient au travers un horizon d’intérêt. Il nous semble en outre que, quoiqu’entrelacés – par l’entrelacement entre genèse passive et genèse active – ces deux processus ne se confondent absolument pas comme le montre Husserl dans De la synthèse passive25. Il y a deux sortes d’intentionnalités qui opèrent ensemble dans la constitution du flux de conscience, mais qui se déploient à partir de motivations distinctes26, comme nous le verrons dans ce qui suit.

• 27 Ideen II, p. 173-174.

23En ce qui concerne l’autre point soulevé par Funke, la thèse selon laquelle une conviction se forme à partir de l’« intériorisation pré-phénoménale », il nous semble que son interprétation tient au fait de la double intentionnalité du vécu de conscience, c’est-à-dire au fait que le vécu est conscience d’objet et en même temps un objet de la conscience absolue. Pour cette raison, en même temps que l’acte constitue le sens d’objet, le vécu de détermination du sens se constitue comme perception interne dans la conscience et devient par là une habitualité du moi. En d’autres termes, la constitution des propriétés habituelles résulterait d’une loi de la conscience dans laquelle chaque acte aurait une double sédimentation : celle de l’objet et celle de l’intériorisation pré-phénoménale du vécu posant cet objet. Il est cependant important d’observer que Husserl rapporte les convictions du moi au « double rôle du ressouvenir »27. Selon notre interprétation, ce double rôle n’est pas dû au fait que les ressouvenirs sont des objets de la conscience absolue : autrement dit, le double rôle du ressouvenir ne se confond pas avec la double intentionnalité du vécu de conscience. Il nous semble que, pour comprendre cette double constitution, il nous faut à nouveau revenir à la distinction entre habitus relatif à l’objet et habitus égologique.

• 28 Le passage de la phénoménologie statique à la phénoménologie génétique a été analysé par Iso Kern d (...)
• 29 « Je, l’étant originairement modal vivant maintenant dans le présent originaliter, je suis le même (...)
• 30 Hua IV, p. 113.
• 31 Voir Ideen II, p. 166 ; Méditations cartésiennes, § 32.
• 32 Voir Phénoménologie de l’attention, trad. par N. Depraz, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 20 (...)
• 33 « […] je suis encore à présent en position, mon être comme moi est tout entier cela : dans la mesur (...)

24La double intentionnalité du vécu révélée dans une perspective statique ne suffit pas pour l’expliquer ; c’est seulement d’un point de vue génétique28 que cette différence peut être envisagée, car elle renvoie à la cohabitation entre différentes genèses : la sédimentation passive et l’activité productrice. Un objet constitué dans la sphère de la réceptivité n’est pas nécessairement un thème pour l’activité de la conscience. Au ressouvenir je participe activement, dans la mesure où cette participation, qui relève d’une prise de position, actualise le passé. À travers ce rapport actif au ressouvenir, mon passé m’appartient et devient ma propriété29^. L’identité du moi n’est pas seulement fondée sur l’identification du moi actuel au moi du cogito passé, ou du vécu actuel au vécu passé, mais une cohérence du moi persiste tout au long de la chaîne de souvenirs. Le moi a en cela un rapport « personnel » à son passé. La « conséquence du moi »30 qui cherche à préserver la fidélité à soi est quelque chose qui se constitue et qui se maintient pour le sujet à travers la durée pour soi de ses validités31. L’individuation égoïque se déploie dans le sens d’un devenir personnel fondé sur la subsistance des validités, à travers laquelle se lient passé, présent et futur dans une seule « continuité »32 ; continuité qui est celle de l’horizon intentionnel déployé téléologiquement33.

• 34 Ideen II, p. 341.
• 35 Ideen II, p. 339
• 36 Ideen II, note 1, p. 341 (Hua IV, note 1, 250).
• 37 La corrélation entre les propriétés personnelles et le moi transcendantal est aussi exposée dans : (...)
• 38 MC, p. 115, trad. modif. : « bewährt das Ici in solchen Veränderungen einen Stil, einen personalen (...)

29Dans les Ideen II, Husserl attribue des habitudes (Gewohnheiten) au moi personnel : celles-ci peuvent être observées empiriquement en tant que « comportements soumis à des règles »34. Mais il apporte également une nuance dans une de ses notes : en tant que moi, j’ai « ma manière propre de prendre position »35. Ainsi, si dans les Ideen II est seulement mentionné le rapport possible entre le moi pur et le style du sujet36, dans les Méditations cartésiennes est affirmée la constitution transcendantale des propriétés personnelles de l’ego37. La prise en considération de la genèse active du moi transcendantal a mené Husserl à lui attribuer des propriétés changeantes, un style et voire un « caractère personnel » : « […] le moi confirme, malgré de tels changements, qu’il a un style permanent où règne une unique identité, qu’il possède un caractère personnel »38.

• 39 Ideen II, p. 344.

30Il y a ainsi une différence entre le fait de se connaître en s’observant dans ses comportements de façon empirique (ce qui est accessible aux autres39) et le rapport à ses habitualités. Celles-ci concernent l’histoire personnelle de l’ego de sorte que l’autre n’a pas d’accès à cette cohérence intra-personnelle. Et c’est en fonction de celle-ci qu’une continuité entre passé, présent et avenir de la vie de l’ego est formée comme un horizon de conséquences qui n’existe que pour le sujet. La subjectivité transcendantale est conçue comme cette sorte d’unicité qui à la fois change et demeure identique.