Espace sonore et appréhension spatiale du son : Husserl, Boulez et le problème de Strawson
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I. Le problème de Strawson et la phénoménologie
- 1 P. F. Strawson, Individuals, London, Routledge, 1959, p. 59 ; trad. par A. Shalom et P. Drong, Pari (...)
1Dans le deuxième chapitre de Individuals1, Peter Strawson pose la question du rapport du son à l’espace, et à travers elle, celle de la cohérence de la notion kantienne de sens externe. Le son serait un objet essentiellement temporel, auquel une spatialité ne pourrait être ajoutée que par analogie ou de manière seulement synesthésique ou kinesthésique. L’analyse de Strawson repose sur l’opposition entre les représentations sonores et tactiles de l’espace : s’il est en effet possible de douter de la capacité des seules sensations tactiles pures à nous donner une représentation de l’espace, et plus précisément à donner une signification à des expressions comme « en haut », « à gauche », « plus près », etc., l’adjonction de sensations kinesthésiques à ces sensations élimine la difficulté. La simple rencontre de l’objet avec ma main ne suffit pas à le localiser, certes, mais la corrélation de cette rencontre avec la sensation kinesthésique du mouvement vers cet objet génère une représentation de l’espace certes différente de celle de l’espace visuel – une représentation peut-être seulement topologique –, mais dont le caractère spatial ne pose pas question. Au contraire, il n’est pas évident qu’une représentation purement auditive de l’espace soit possible. Plus précisément :
- 2 Ibid., p. 65 et p. 72.
Le fait est que, là où l’expérience sensible est de caractère non seulement auditif mais également tactile et kinesthé- sique – ou, comme dans la plupart des cas, à la fois tactile, kinesthésique et visuelle –, nous pouvons parfois assigner des prédicats spatiaux par simple recours à l’ouïe. Mais il ne s’ensuit pas que là où l’expérience est supposée être exclusivement de caractère auditif, il y aurait également place pour des concepts spatiaux2.
2Et Strawson de glisser de cette difficulté à l’affirmation du caractère non spatial des sensations auditives :
- 3 Nous verrons par la suite qu’il convient de distinguer le problème que posent les concepts relatifs (...)
- 4 P. F. Strawson, Individuals, op . cit ., p. 65 et p. 72.
Il est évident, à mon avis, qu’il n’y aurait pas place pour de tels concepts. Les objets de l’expérience sensible seraient des sons ; bien entendu, les sons ont entre eux des rapports temporels et leurs caractéristiques peuvent varier de différentes manières : du point de vue de la force, de la hauteur, du timbre. Mais ils n’ont aucune caractéristique intrinsèquement spatiale : les expressions telles que « à gauche », « vers le haut, dans l’espace », « plus près », « plus loin »3, n’ont aucune signification intrinsèquement auditive4.
- 5 Ibid., p. 66 et p. 73.
3Si l’espace tactile est un espace « appauvri » par rapport à notre concept d’espace, il faut donc bien dire qu’a fortiori, « un concept purement auditif de l’espace est une impossibilité »5. La question de Strawson devient alors la suivante : une expérience auditive pourrait-elle être une expérience d’objets ? Serait-il possible, dans un monde sonore supposé non spatial, de distinguer des particuliers objectifs, c’est-à-dire identifiables, reconnaissables et publics ? La question du sens d’une objectivité purement sonore sert donc de levier pour interroger le caractère transcendantal de l’espace : peut-il y avoir des objets, au sens prégnant du terme, en dehors d’un espace ou ne peut-on avoir alors affaire qu’à une pseudo-objectivité qui ne serait qu’analogiquement objective ?
- 6 Ibid., p. 72 et p. 80.
4C’est donc bien le lien établi par Kant entre l’intuition de l’espace et l’objectivité de l’objet du sens externe qui est ici en jeu. Car le problème est en réalité le suivant : si le son n’est pas perçu de manière spatiale, la frontière entre l’interne et l’externe n’a-t-elle pas été effacée ? « Un être dont l’expérience serait purement auditive pourrait-il donner un sens à la distinction entre, d’un côté, lui-même et ses états et, de l’autre, quelque chose qui n’est pas lui-même ni ses propres états ? »6. L’exposition kantienne de l’espace comme condition transcendantale de l’expérience externe, c’est-à-dire de la perception d’un objet comme un objet et comme objet externe, semble inébranlable. Comment cette extériorité pourrait-elle être fondée autrement que dans la spatialité ? Il ne peut évidemment pas être question de rabattre cette extériorité (transcendantale) sur l’opposition spatiale (empirique) entre l’intérieur et l’extérieur, laquelle n’a de sens que relativement à l’expérience ; le terme « extérieur » n’a ici de sens qu’analogique ou pré-spatial et ne peut être employé que rétrospectivement, une fois constituée l’expérience spatiale, mais il ne saurait malgré tout y avoir d’extériorité pour nous qu’en rapport à la possibilité pour nous d’une projection des phénomènes dans l’espace.
5En d’autres termes, le son pose à la pensée transcendantale le problème des frontières de l’interne et de l’externe : il faut bien que le son puisse être perçu comme phénomène extérieur puisqu’il ne peut pas, à moins qu’on accepte de tomber dans le solipsisme le plus radical, être assimilé sans reste à un état intérieur ; et pourtant, comment pourrait-il être perçu comme tel s’il n’est pas intrinsèquement spatial et s’il n’est perçu que temporellement – c’est-à-dire comme un phénomène du sens interne ? Il faudra, pour sauver la distinction cruciale entre le sens interne et le sens externe, et à travers elle l’idée même d’un objectivité au sens plein du terme, mettre au jour la simili-spatialité du son grâce à laquelle il serait possible de redonner sens aux expressions spatiales dans un monde purement sonore. Il faudra donc, en d’autres termes, accomplir le difficile passage entre l’espace sonore (lequel n’est spatial que par analogie) et l’espace auditif (l’expérience purement auditive de l’espace) afin de pouvoir réarticuler le son à l’espace (visuel) et rendre à ce dernier son statut de condition transcendantale de l’expérience objective.
- 7 D. Pradelle, Par-delà la révolution copernicienne, Paris, Puf, 2012, p. 169.
6Il semblerait à première vue que l’idéalisme transcendantal husserlien présente une porte de sortie de ces difficultés : si l’espace ne joue plus le rôle de condition a priori de possibilité des phénomènes externes, si la spatialité est rendue aux choses, si, pour reprendre l’expression de Dominique Pradelle, les facultés transcendantales ont été désubjectivées7, alors on peut admettre que le son soit un objet temporel dont le déploiement spatial ne constituerait qu’une couche constitutionnelle supérieure, voire inessentielle. Que le son soit perçu comme un objet externe et non interne ne proviendrait pas de son inscription a priori dans l’espace mais du type d’actes à travers lesquels il est visé et se constitue, retirant ainsi à l’espace son statut de condition transcendantale de sa perceptibilité.
7En un sens, ce constat est indéniable : que le son soit l’objet-de-temps par excellence, que son inscription dans l’espace puisse éventuellement être considérée comme inessentielle, qu’il puisse même n’y avoir aucun sens à décrire l’expérience sonore comme une expérience spa- tiale, cela ne met aucunement en danger le statut objectif du son. On ne pourrait que réaffirmer la distinction que nous avions déjà perçue chez Kant, mais en en tirant toutes les conséquences : la notion d’extériorité n’est pas ici une notion spatiale, elle désigne une certaine manière par laquelle nous nous rapportons à des objets, une modalité intentionnelle particulière prescrite par le phénomène sonore et en vertu de laquelle celui-ci se présente comme irréductible à l’immanence du flux de conscience. C’est un caractère descriptif du phénomène sonore que d’être le son de telle ou telle réalité transcendante, et de n’être pas assimilable au son que je pourrais éventuellement produire moi-même, dans le silence de ma conscience. La voix que j’entends au concert ou dans les baffles de la chaîne hifi ne présente pas le même caractère intentionnel que la voix que « j’entends » en moi lorsque, lisant une partition, j’en produis intérieurement la musique.
8Aussi le problème de Strawson a-t-il été dédramatisé : la possibilité d’une expérience non spatiale du son ne semble pas compromettre la distinction dorénavant purement descriptive entre l’interne et l’externe, et avec elle la cohérence de la notion d’objectivité. Il serait cependant illusoire de penser que nous aurions ainsi répondu à la question du rapport du son à l’espace. Celle-ci, au contraire, n’a été que déplacée pour devenir un problème constitutionnel.
9Il faut en effet reconnaître que la possibilité d’une saisie spatiale du son semble faire partie du phénomène sonore lui-même. Si je perçois une mélodie comme extérieure, il faut bien que je puisse me demander d’où elle provient ; ou plus précisément, c’est parce que je peux toujours poser cette question que je perçois la mélodie comme provenant de l’extérieur. N’est-il pas alors nécessaire de reconnaître que cette spatialité, fût-elle constitutivement seconde, s’esquisse malgré tout dans le phénomène sonore lui-même ? N’est-ce pas à cette condition que le son peut m’apparaître comme appartenant au monde ? Le problème devient ici un problème constitutionnel, celui de l’articulation de la couche spatiale du phénomène sonore à sa couche purement temporelle ainsi que, corrélativement, de l’articulation des actes à travers lesquels le son est saisi comme objet spatial aux actes à travers lesquels il est préalablement saisi comme objet-de-temps. Or, il faut bien que les actes spatialisants puissent être fondés dans la matière sonore elle- même pour que puissent être édifiés d’autres actes à travers lesquels le son pourra être attribué, synesthésiquement, à des objets du monde accessibles à (et déterminables par) la perception visuelle.
10Outre cet enjeu interne à la phénoménologie husserlienne, ce problème constitutionnel s’avère crucial pour la pensée transcendantale en général : si l’analyse de Strawson déstabilise la distinction kantienne entre le sens interne et le sens externe, et avec elle toute la définition de l’objectivité, c’est sur la base d’une description du phénomène sonore comme non spatial. Définir le son comme objet-de-temps, ne lui accorder de spatialité qu’en vertu d’actes secondaires, non fondés dans le son lui-même mais liés à l’articulation du monde sonore au monde visuel et tactile, c’est effectivement introduire une profonde incohérence au fondement même de la philosophie transcendantale. Mais si le rapport du son à l’espace s’avérait constitutif du phénomène sonore lui-même, si la saisie du son comme spatial était une possibilité irréductiblement attachée à sa saisie comme objet temporel, si en d’autres termes on parvenait à trouver le fondement de la spatialisation du son dans la sensation sonore elle-même, alors la phénoménologie aurait rendu sa cohérence à l’articulation kantienne, qu’elle récuse pourtant, entre le sens externe et la spatialité.
II. Boulez et l’équivoque de l’espace
- 8 P. Boulez, Penser la musique aujourd’hui, Paris, Gallimard, 1987.
- 9 Ibid ., p. 110.
- 10 E. Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie, Zweites Buch : (...)
11On trouve dans les travaux de Pierre Boulez une illustration assez frappante de ces difficultés ainsi qu’une tentative originale d’y répondre. La question de l’espace joue chez Pierre Boulez un rôle très particulier. Dès les années 1950, le compositeur et musicologue français aime à se présenter comme celui qui aura introduit la problématique de l’espace au cœur de la création musicale, et en aura fait à la fois une cinquième dimension du son et un principe d’écriture. L’écriture sérielle ou post-sérielle se conçoit en effet, sur le modèle de la topologie, comme un ensemble de transformations de figures musicales dans un espace sonore à quatre dimensions : hauteur, durée, timbre, intensité. Le compositeur définit un espace, ou plutôt une structure ou forme d’espace, dans laquelle la série pourra évoluer. La notion d’« espace sonore » permet ainsi à Boulez, dans Penser la musique aujourd’hui8, de promouvoir ce qu’il nomme une « théorie de la série généralisée » et plus généralement de rendre compte de la variété infinie des possibilités d’écriture dont dispose le compositeur. Or, si cette notion d’espace sonore est redevable de la topologie, mais en réalité plus généralement de la possibilité – offerte par les travaux des géomètres du XIXe siècle et en particulier par la géométrie analytique de Riemann – de traiter comme des espaces des grandeurs qui n’ont intuitivement rien de commun avec l’espace au sens strict du terme, on se gardera cependant de confondre cet « espace sonore » avec ce que Boulez lui-même nomme, toujours dans Penser la musique aujourd’hui, l’espace « réel »9. L’espace sonore n’est un espace que « métaphoriquement », pour reprendre l’expression de Strawson, et la possibilité de traiter le son spatialement est strictement distincte de ce que la phénoménologie décrit comme l’appréhension du son en tant qu’objet spatial. Le problème méthodologique que pose la notion d’espace sonore au compositeur et à l’analyste s’ajoute donc, sans se confondre avec lui, au problème phénoménologique de la constitution d’un espace « d’ordre sonore »10.
- 11 H. Dufourt, La Musique spectrale : une révolution épistémologique, Sampzon, Delatour, 2014.
- 12 P. Boulez, Rituel in memoriam Bruno Maderna, pour orchestre en 8 groupes, New York/Vienna, Universa (...)
- 13 P. Boulez, Répons, pour six solistes, dispositif électronique et ensemble, New York/Vienna, Univers (...)
- 14 P. Boulez, Dialogue de l’ombre double, pour clarinette/première sur scène et clarinette/double enre (...)
12Or, ce problème semble avoir constitué un des principes fonda- mentaux de l’inflexion de la création musicale de Boulez à partir des années 1970. S’il est en effet indéniable que la naissance de la musique spectrale, fondée sur un retour « aux choses mêmes »11, à savoir au phénomène concret et complet du son, ait pu jouer dans une certaine prise de distance par rapport au sérialisme que Boulez ne cessera d’approfondir jusque dans les années 2000, on ne saurait négliger deux faits : 1. que cette prise de distance est consécutive de la découverte de la possibilité de traiter le son à partir de la notion d’espace sonore ; 2. qu’elle est également corrélée à l’exploration des possibilités musicales de la spatialisation (cette fois : au sens propre) du son. Si donc la notion boulézienne d’espace sonore n’est au premier abord que méta- phoriquement ou analogiquement spatiale, elle n’en est pas moins liée, à un second niveau – et pour ainsi dire et comme nous le verrons : phénoménologiquement –, à une certaine possibilité de déploiement du son dans l’espace « réel ». Les œuvres de Boulez des années 1980 comme Rituel12, Répons13 ou le Dialogue de l’ombre double14 (qui constituera le fil directeur de notre analyse) imposent à la phénoménologie d’élucider l’articulation de ces deux sens que semble revêtir la définition du son comme objet spatial.
III. Le son comme « objet-de-temps »
- 15 H . Bergson, Essai sur les Données immédiates de la conscience, Paris, Puf, 2003, par ex. p. 9.
- 16 E. Husserl, Zur Phänomenologie des inneren Zeitbewusstseins (1893-1917), hrsg. von R. Boehm, Hua X, (...)
- 17 Didier Franck, La constitution du temps, Paris, Vrin, 2020.
- 18 Rappelons ici l’importance, depuis Kant, de la question de l’unité dans la définition transcendanta (...)
- 19 Didier Franck, La constitution du temps, op . cit ., p. 12.
13Il y a dans le problème de Strawson tel que l’illustre l’œuvre de Boulez une dimension profondément anti-bergsonienne : là où Bergson s’efforce d’épurer la description du son en lui ôtant toute influence de la spatialité15, force est de constater que c’est au contraire précisément parce que le son est de prime abord et le plus souvent saisi exclusivement comme objet temporel qu’est à ce point obscurci son rapport à l’espace. Or c’est précisément comme « objet-de-temps » (Zeitobjekt) que le son se présente phénoménologiquement et que Husserl, dès les Leçons sur la phénoménologie de la conscience intime du temps de 190516, en propose la description. Dans ce texte, Husserl s’attache à approfondir tant la corrélation que l’écart entre le son comme objet-de-temps et l’immanence du flux des vécus. Didier Franck, qui s’est penché dans un récent essai17 sur le problème phénoménologique de la constitution du temps au fil directeur de l’exemple du son, insiste sur le statut tout particulier de cet objet dans la description qu’en donne Husserl. Le son apparaît comme une unité18 temporelle indépendante, avec son commencement, son écoulement, sa fin, mais il apparaît comme tel dans une certaine visée et à travers elle, dans un certain rapport au flux dans lequel il se donne « Le son et la durée qu’il remplit sont donc conscients dans une continuité de modes et si le son commence, dure et cesse en demeurant le même, cette identité se constitue toutefois dans un « flux constant », dans une multiplicité d’apparitions ou phases du flux [...] »19.
- 20 Ibid., p. 15.
14Une double approche du son devient alors possible : la description du son en tant qu’objet qui dure et la description des modes temporels à travers lesquels le son se constitue. Mais force est de constater que cette distinction ne recoupe aucunement l’opposition entre l’externe et l’interne, ni même entre transcendance et immanence. Certes, il y a un niveau où les objets temporels « peuvent être tenus pour des apparitions d’objets transcendants »20, mais ils sont bien, en tant qu’objets, immanents. Le son se constitue, dans le comment de son apparition, comme un objet immanent au flux dans lequel il se constitue. Il ne faut donc pas confondre la durée du son (qui commence, dure et cesse) et le mode (impressionnel, rétentionnel ou protentionnel) selon lequel elle se donne – mais il ne faudrait pas à l’inverse interpréter cet écart comme la marque d’une extériorité.
- 21 Ibid ., p. 19.
15Car avec l’objet-de-temps, c’est la temporalité même du flux de vécus qui se constitue. Rompant le silence, le son remplit le maintenant mais fait également apparaître le temps silencieux qui l’a précédé comme un temps : « Toute mélodie commence par rompre le silence et ses modes d’écoulement ont un point-source qui lui est relatif car, indépendamment de tout objet-de-temps, nul point temporel n’est à l’évidence le premier »21.
16Mais pourtant, ce point-source certes relatif n’en est pas moins essentiel : il est le point à partir duquel le son est visé comme objet possédant une unité propre, et à partir duquel la conscience se temporalise. Plus encore : dans la rétention dans laquelle tombe immédiatement le son juste-perçu, ce n’est pas seulement la temporalité immanente de la conscience ou sa fluance qui se fait jour, mais bien l’intentionnalité elle-même.
- 22 E. Husserl, Zur Phänomenologie des inneren Zeitbewusstseins, op . cit ., §39, p. 81 ; trad. partiel (...)
- 23 La musique spectrale, en particulier, repose sur la notion de processus, laquelle revient préciséme (...)
17En effet, la rétention instaure dans la conscience un écart dans lequel se constitue l’intentionnalité même du vécu : ce qui était, dans le présent, sur le mode de la pure présence en chair et en os, est maintenu dans la rétention, mais comme simplement visé. La rétention est rétention de ce qui était originairement donné, et cette manière que la conscience a de viser intentionnellement son propre vécu tout-juste-passé, dans une intentionnalité « longitudinale »22 (puisque s’effectuant à même l’immanence du flux de vécus), fonde l’intentionnalité à proprement parler, comme visée d’un objet transcendant. Cette intentionnalité originaire et pour ainsi dire pré-intentionnelle se double, dans le cas de la perception du son, d’une autre structure originaire, la protention, dans laquelle se dessine la structure intention/remplissement. La pro- tention vise sur le mode de l’indétermination ce que la présentation du son en chair et en os remplira et amènera à l’évidence adéquate. La visée protentionnelle motive ainsi la poursuite de la constitution de l’objet sonore comme objet-de-temps. Dans le cadre de la musique tonale, cette anticipation prend même la forme d’une attente, et s’in- carne dans certaines structures harmoniques, un accord de dominante appelant par exemple une certaine résolution sur la tonique, laquelle peut être par ailleurs satisfaite ou partiellement déçue si certaines voix ne suivent pas le mouvement attendu et génèrent un enchaînement rompu ou une cadence évitée. Que cette structure de motivation soit essentielle à la perception de la musique comme objet-de-temps unifié, c’est ce que montre en outre l’importance que la notion de tension joue dans la musique atonale23.
18Il apparaît donc possible de déployer la description phénoménologique du son sans jamais sortir de l’immanence de la conscience, et il semblerait que le son, attaché à la temporalité même de la conscience, permette à la description phénoménologique d’atteindre l’origine des structures fondamentales de la conscience. Cependant, avec la découverte d’une forme originaire d’intentionnalité, ne peut-on pas voir s’esquisser, dans l’intimité ou l’intériorité même de la conscience, quelque chose comme un premier rapport à une extériorité ? On peut distinguer deux niveaux constitutionnels dans lesquels s’opèrerait l’articulation d’actes d’appréhension spatiale du son aux actes d’appréhension temporelle : 1. la donnée sonore elle-même pourrait être porteuse de caractéristiques motivant des actes spatialisants – mais alors l’espace ainsi constitué serait un espace partiel, sans distance, dont il s’agira de mettre au jour les limitations ; 2. les actes intentionnels dans lesquels la temporalité de l’objet sonore se déploie et se modifie quant à sa modalité pourraient constituer une autre dimension de la spatialité – et avec elle, introduire une notion de distance.
IV. Spatialisation et localisation du son
- 24 E. Husserl, Ideen II, op . cit ., §10, p. 22 ; trad. fr. p. 47.
19Les textes dans lesquels Husserl propose une description phénoménologique du déploiement spatial du son sont suffisamment rares pour qu’on accorde une importance toute particulière au §10 des Ideen II, dans lequel le son intervient comme exemple d’objet spatial. L’objet de ce paragraphe, central dans l’économie des Ideen II et plus particulière- ment dans la première partie du livre consacrée à la nature matérielle, est de distinguer les différents niveaux de constitution d’une chose spatiale, en introduisant la notion nodale de « fantôme d’espace »24. La constitution des corps matériels reposerait donc sur la constitution préalable de pures figures spatiales désincarnées, dénuées de toute substance, de toute interaction, mais la constitution de ces fantômes d’espace serait elle-même fondée sur les sensations dans lesquels ces objets spatiaux se donnent.
20L’exemple du son intervient pour illustrer cette distinction :
- 25 Ibid.
Prenons, pour son extrême commodité, l’exemple d’un son émis par un violon, en train de retentir. Il peut être saisi comme un son réal émanant d’un violon et par là comme un événement réal dans l’espace. Il demeure alors le même, que je m’éloigne ou que je me rapproche de lui, que la pièce attenante, où il retentit, soit ouverte ou fermée. Une fois qu’on a fait abstraction de la réalité matérielle, il peut encore rester un fantôme spatial d’ordre sonore apparaissant dans une orientation déterminée, en provenance d’un certain lieu dans l’espace, retentissant à travers l’espace, etc.25
21Il s’agit donc bien, dans ces lignes, de distinguer le son réal et le fantôme d’espace « d’ordre sonore ». Le son réal correspond au son constitué comme objectif, indépendant de la perspective et de la modalité particulière de sa perception et causalement lié à l’objet visuel et tactile qu’est le violon dont il émane. Le fantôme d’espace est au contraire directement corrélé à la modalité de sa donation, et Husserl insiste sur le fait que l’espace s’y constitue – de manière sonore – exactement comme il se constitue dans la perception visuelle : la perception de l’objet est ici comme là orientée, l’objet est perçu comme occupant une position déterminée dans l’espace, et l’espace est co-perçu comme ce dans quoi le son retentit. L’orientation, la position, la distance – tels sont les caractères selon lesquels se construit l’objet sonore, non pas encore au sens du son objectif qui précisément sera constitué comme indépendant de ces caractères, mais au sens du fantôme d’espace. Là où, dans ses analyses du son comme objet-de-temps, Husserl distinguait deux modes d’appréhension de la temporalité du son, la description s’enrichit ici de la découverte de deux niveaux de la constitution spatiale du son. Or, dans ce processus, le son n’est plus seulement appréhendé comme provenant d’un objet transcendant, mais bien comme étant lui- même un tel objet. C’est le son lui-même, et non seulement le violon, qui me paraît provenir de la pièce voisine, c’est lui qui se signale dans une certaine orientation, à une certaine distance ; c’est lui, en d’autres termes, qui est spatial, transcendant – autrement dit : extérieur.
22À la question de Strawson, il semblerait donc que Husserl apporte ici une réponse positive, quoiqu’au demeurant peu développée. En effet, le son comme objet-de-temps apparaît précisément dans ce texte comme constitutif d’objets spatiaux d’ordre sonore qui ne se dis- tinguent pas phénoménologiquement de n’importe quels objets spatiaux ; et l’espace co-constitué de manière sonore comme horizon de toutes les orientations, de toutes les positions et de toutes les distances possibles ne semble pas différer foncièrement de l’espace visuel. Il y a donc bien un espace spécifiquement sonore (au sens d’un espace constitué de manière sonore), mais dont les propriétés phénoménologiques semblent rapidement rabattues sur celles de l’espace en général, dont il ne serait ici qu’une illustration.
23Est-ce à dire, cependant, qu’on aurait renoncé, dans l’analyse husserlienne du son et dans la conception de la musique qui y est implicitement attachée, au primat du temps sur l’espace ? Il n’en est rien, car à un autre niveau de l’analyse phénoménologique de la consti- tution de l’objet sonore, le son peut être détaché de son enveloppe spatiale :
- 26 Ibid ., p. 22 ; trad. fr. p. 47-48.
Enfin, l’appréhension de l’espace peut elle-même ne pas être accomplie et dès lors, au lieu d’un son retentissant dans un espace, le son peut être pris comme un simple « datum de sensation ». À la place de ce qui, lors du rapprochement ou de l’éloignement se présentait à la conscience comme un son inchangé, au dehors, dans l’espace, apparaît maintenant, lorsqu’on se tourne pour le prendre en vue vers le datum sensible « son », un élément qui change de façon continue.26
- 27 P. F. Strawson, Individuals, op . cit ., p. 75-76 ; trad. p. 83-85.
- 28 C. Debussy, Préludes pour piano, X : « La cathédrale engloutie », München, Henle, 2018, p. 38.
- 29 Bizet, Carmen, Opéra en quatre actes, Leipzig, Peters, 1905, p. 43-44.
24Le son peut donc bien être spatial, mais il y a un niveau fondamental où cette spatialité apparaît comme constitutivement seconde voire superficielle : le son lui-même, au sens du phénomène sonore pur ou de ce que Husserl nomme ici le « datum de sensation », n’est pas fondamentalement spatial. Comme Strawson le notera en 1959, le rapprochement et l’éloi- gnement d’un son ne sont finalement pas autre chose qu’un changement continu du phénomène sonore lui-même, indistinct du changement d’intensité et peut-être de timbre27 : les indications d’interprétation des compositeurs du tournant du XIXe et du XXe siècles, tel Debussy, jouent sans cesse sur cette confusion ; la cathédrale du Xe Prélude pour piano28 s’éloigne et apparaît comme « engloutie » lorsque les accords du choral, très clairement timbrés lors de la première occurrence du thème, sont repris en sourdine, « dans le lointain », c’est-à-dire « sotto voce ». Le même procédé est à l’œuvre dans l’opéra wagnérien, où les instruments de la fosse peuvent créer une illusion d’un son provenant de l’arrière-scène en utilisant, par exemple, une sourdine ; à l’inverse, les trompettes de la marche des enfants de Carmen29, provenant effectivement de l’arrière-scène, paraissent également provenir du dehors dans un enregistrement, alors que le son provient alors exactement de la même source sonore (les enceintes) que le reste de l’orchestre.
25Si donc le son se donne dans l’espace, il y a un niveau, accessible à la description phénoménologique, où le son est pré-donné de manière purement temporelle, dans un concretum de timbre, intensité, hauteur et durée, mais sans espace. Le son perçu dans l’espace est fondamentalement donné de manière non spatiale, et un son qui demeurerait non spatial est même tout à fait imaginable.
- 30 E. Husserl, Ideen II, op . cit ., p. 22-23 ; trad. p. 48.
On remarquera qu’un tel datum-son pourrait être constitué, sans que soit nullement accomplie une appréhension de l’espace, qui dans notre exemple n’est mise à l’écart qu’abstraitement – ou bien, pour rectifier cette expression erronée, qui est laissée hors de tout accomplissement tout en demeurant, sur un mode qui a changé, du vécu, précisément un vécu pré-donateur d’un son dans l’espace. Or celui-ci, disons-nous, n’est nullement une pré-donnée nécessaire. On pourrait concevoir un son qui se passerait de toute appréhension d’espace. Nous rencontrons ici, avec un pur datum de sensation, une pré-donnée qui précède encore la constitution de l’objet en tant qu’objet.30
- 31 E. Husserl, Vorlesungen über Ethik und Wertlehre, Hua XXVIII ; trad. par P. Ducat, P. Lang, C. Lobo (...)
26La précision apportée par Husserl est essentielle : dans l’exemple du son du violon émanant d’une pièce avoisinante, l’appréhension de l’espace fait bien partie des moments concrets du phénomène sonore. Se situer à un niveau où cette appréhension n’aurait pas été accomplie relève donc d’un acte d’abstraction : pour autant, du fait que le son du violon soit d’emblée vécu comme spatial, peut-on inférer qu’il doive y avoir, au niveau même du datum de sensation sonore, un vécu dans lequel cette spatialité se trouve pré-donnée ? Une autre possibilité existe, qui interdit ce glissement : si l’appréhension du son comme spatial n’était pas motivée par le phénomène sonore lui-même mais par l’appréhension visuelle de l’espace – si, autrement dit, la nécessité synesthésique d’intégrer l’univers sonore au monde imposait d’attribuer au son une spatialité dont il ne serait pas en lui-même porteur, cela n’empêcherait pas que le son du violon soit d’emblée vécu comme spatial et qu’il faille opérer un acte d’abstraction pour atteindre le phénomène sonore « pur » – non-spatial. La situation serait alors comparable à celle des actes à travers lesquels nous attribuons une valeur à des objets : dire que l’objet m’apparaît immédiatement comme possédant une certaine valeur, reconnaître que l’attribution de cette valeur n’est pas sans lien avec les propriétés « objectives » de l’objet, cela n’implique aucunement que l’acte d’attribution d’une valeur soit proprement motivé par les strates constitutives fondamentales de l’objet. Autrement dit : même si l’objet m’apparaît d’emblée dans une appréhension axiologique, il y a bien un sens à dire que l’objet lui-même, c’est-à-dire l’objet constitué en tant que simple objet, ne possède pas cette valeur31. Cette dernière trouve sa motivation ailleurs qu’en lui. La même chose semble valoir ici pour le son, si bien que la question de Strawson continue à se poser, et pourrait être reformulée ainsi : où l’acte d’appréhension spatiale du son (et non pas seulement de l’objet dont il provient) trouve-t-il sa motivation ? Est-il fondé dans le phénomène sonore lui-même ou bien dans une nécessité synesthésique qui s’imposerait au son, pour ainsi dire, du dehors ?
V. Enveloppes spatiales
27Cette question nous ramène à l’œuvre de Boulez, puisque c’est précisément ce problème qui semble se poser dans une pièce comme le Dialogue de l’ombre double. Cette pièce pour clarinette consiste en un dialogue entre une clarinette « réelle », incarnée par un clarinettiste présent sur scène, et une « clarinette double », pré-enregistrée et diffusée dans un dispositif de six haut-parleurs disposés autour du public et contrôlés par une console, selon le schéma suivant :
28La pièce se compose de sections respectivement dévolues à la clarinette réelle et à la clarinette double, la première étant fixe, au milieu de la scène, la seconde produisant un son spatialisé. De courtes transitions assurent la superposition des deux couches sonores et font apparaître la clarinette réelle, par contraste avec le dispositif de spatialisation de la clarinette double, comme relativement fixe, voire dé-spatialisée.
- 32 Voir H. Dufourt, La musique spectrale, op . cit ., par ex. p. 313 sq.
29Á un premier niveau d’analyse et conformément à la représentation traditionnelle de la musique de Boulez comme une musique « abstraite », par opposition au spectralisme qui ancrerait l’écriture dans la concrétude même du son32, il semblerait donc que cette pièce illustre l’idée selon laquelle l’acte d’appréhension du son comme spatial ne serait pas fondé ou préfiguré dans le phénomène sonore lui-même. Tout d’abord, le cas de la clarinette « réelle » mérite d’être remarqué : à première vue, on pourrait imaginer que, le son produit par l’instrument provenant d’un objet déterminé situé dans l’espace (comme le son du violon dans le §10 des Ideen II), son appréhension serait immédiatement spatiale. Pourtant, le contraste entre le mouvement de la clarinette double et la fixité de la clarinette réelle fait pour ainsi dire disparaître la spatialité de cette dernière, comme si l’oreille, habituée à sa position, se laissait envahir par la sonorité de la clarinette et devenait incapable de la situer dans l’espace. Le même son qui paraissait éminemment localisé peut aussi bien être saisi comme entièrement délocalisé, comme si l’acte d’appréhension spatiale du son n’était pas véritablement motivé par l’expérience sonore elle-même, ou pouvait en tout cas en être disjoint.
- 33 On pensera par exemple aux motifs de trilles de la « transition de I à II » auxquels sont appliqués (...)
30En outre, on remarquera que de nombreux motifs du Dialogue peuvent être aussi bien interprétés à la clarinette réelle qu’à la clarinette double33, si bien qu’il semble ne pas exister de corrélation entre une certaine matière sonore et son éventuelle spatialisation. Ce phénomène, que la description phénoménologique présente comme lié à la détachabilité des actes d’appréhension spatiale du son par rapport à la matière sonore elle-même, explique la possibilité que s’accorde Boulez de traiter la spatialisation du son sous la forme d’enveloppes spatiales. Car c’est bien là le principe apparent de l’écriture de Boulez : un matériau donné recevrait une série d’« enveloppes » lui conférant pour ainsi dire abstraitement ou de l’extérieur une certaine forme, et rendant possible les variations sur lesquelles repose le développement de la pièce. Ce terme d’enveloppe, que Boulez emprunte à la musique électronique, représente une démarche fondamentalement abstraite : rien dans le matériau pris en lui-même ne lui impose de recevoir une enveloppe plutôt qu’une autre. D’où l’infinité de l’univers des possibilités d’écriture que ce travail sur les enveloppes ouvre au compositeur : un matériau donné peut en droit recevoir toute enveloppe possible (et en particulier des enveloppes spatiales), et aucune n’est véritablement préfigurée en lui.
31En d’autres termes, le matériau sonore pourra être traité de manière spatiale aussi bien que ne pas l’être, car rien en lui ne le pré-donne comme spatial. Nous avons atteint ici ce qui, chez Husserl, semblait caractériser le son : le niveau, en-deçà du « fantôme d’espace d’ordre sonore », dans lequel l’objet sonore est pré-donné sans que soit pré-donnée avec lui sa spatialité – le niveau où précisément l’appréhension du son comme spatial pouvait ne pas être accomplie.
- 34 P. Boulez, Dialogue de l’ombre double, op . cit ., p. 10.
32Mais nous retombons avec Boulez sur le même problème que nous avions relevé chez Husserl : le matériau sonore en lui-même peut-il être véritablement détaché de son enveloppe spatiale, et corrélativement le vécu pré-donateur du son peut-il être détaché de toute pré-donation d’un espace ? C’est ce qu’une analyse plus précise du Dialogue de l’ombre double aurait tôt fait de démentir. Loin de pouvoir être détaché de sa spatialisation, le matériau sonore en apparaît au contraire comme le fondement, comme si celle-ci était précisément, pour reprendre le vocabulaire de Husserl, pré-donnée en lui. On prendra pour seul exemple parmi de nombreux autres, la « transition de III à IV »34 dans laquelle l’écriture figure un tourbillon qui n’est pour ainsi dire qu’amplifié par l’accélération du mouvement circulaire de sa diffusion dans le dispositif de haut-parleurs. Si la spatialité n’est pas à proprement parler donnée dans le matériau, elle y est cependant a minima pré-donnée ou préfigurée, de sorte que l’enveloppe spatiale, loin d’être conférée arbitrairement à un matériau qui serait en quelque sorte purement sonore, se trouverait motivée en lui.
33Cette analyse montre par contraste le caractère excessif de notre lecture du §10 des Ideen II, selon laquelle il y aurait un niveau pré-constitutif dans lequel un son pourrait être donné sans que soit même pré-donné son déploiement dans l’espace. Il semblerait au contraire qu’il doive y avoir, dans la datum sonore lui-même, quelque chose comme l’esquisse de sa spatialité, car sans cela pourquoi le son de la clarinette double serait-il vécu comme spatial et non pas celui de la clarinette réelle - si tant est qu’il soit possible, comme nous l’avons dit, de percevoir le son de cette dernière comme relativement fixe ? Il faut bien qu’il y ait dans ces deux vécus sonores une différence immanente qui motive cette asymétrie perceptive, sans quoi l’acte d’appréhension d’un espace serait purement arbitraire, ce que contredit l’expérience du Dialogue de l’ombre double.
34On peut bien sûr tirer le texte des Ideen II dans ce sens, en remarquant que Husserl souligne le caractère abstrait de la séparation du son et de l’appréhension de son déploiement spatial seulement dans le cas de l’exemple du son joué par le violon dans la pièce attenante, par opposition à un autre cas possible, celui d’un son qui serait appréhendé sans que soit co-appréhendé un espace. Il y aurait en un sens deux types de son : le son spatialisé et le son non spatialisé – deux types de son dont le Dialogue de l’ombre double ne serait que la mise en scène. Le son de la clarinette double et celui de la clarinette simple. Or, le caractère seulement relatif de la déspatialisation du son de la clarinette simple semble nous présenter une solution phénoménologique au problème de Strawson : l’appréhension spatiale du son serait toujours fondée dans le phénomène sonore lui-même, mais dans certains cas, et notamment dans des jeux de contraste et en l’absence de mouvement, cette appréhension pourrait être minimale et la spatialité du son, sans être inexistante, pourrait être perçue comme négligeable.
VI. La structure spatiale du son : latéralisation et profondeur
35Le problème de Strawson viendrait alors d’une absence de clarification du type d’espace très particulier dans lequel se déploierait le son, et notamment de la confusion, liée à la référence implicite à l’espace visuel, entre la question de la latéralisation du son et celle de sa pro- fondeur. Cette confusion tire son origine du transfert des propriétés de l’espace visuel vers l’espace auditif, et plus particulièrement d’une absence de thématisation de l’asymétrie entre les trois dimensions de l’espace.
- 35 E. Husserl, Ding und Raum, Vorlesungen 1907, hrsg. von U. Claesges, Hua XVI, 1973 ; trad. par J.-F. (...)
- 36 Voir B. Riemann, Über die Hypothesen, welche der Geometrie zu Grunde liegen, éd. par R. Dedekind, A (...)
- 37 E. Husserl, Ding und Raum, op . cit ., « Mémoires : constitution systématique de l’espace. Projet d (...)
- 38 On trouve par ailleurs une reconstruction assez similaire de l’espace visuel dans un article de Car (...)
36La phénoménologie possède pourtant des outils précieux pour opérer cette distinction. Dans Chose et espace35, Husserl montre que la caractéristique riemannienne de l’espace – grandeur dont les trois dimensions sont interchangeables puisque les longueurs y sont indépendantes du lieu et de la direction36 – ne correspond pas à la constitution de l’espace au point de vue transcendantal. Dans le « Mémoire » synthétisant le cours de 1907, Husserl décrit les étapes de la constitution de l’espace en mettant au jour un niveau pré-empirique dans lequel l’espace se présenterait comme un espace riemannien – donc de courbure positive – à deux dimensions37. La constitution d’une profondeur requerrait un déplacement du corps (Leib) du sujet percevant et l’articulation des nouvelles données sensorielles aux sensations kinesthésiques. La profondeur relèverait donc d’un autre type d’actes d’appréhension de l’espace que l’espace bidimensionnel qui se trouve primordialement constitué38.
- 39 Voir H. v. Helmholtz, « De l’origine et de la signification des axiomes géométriques », trad. J.-B. (...)
37Il est possible d’extrapoler cette distinction à l’espace auditif, et le Dialogue de l’ombre double en offre une fois de plus une illustration très éclairante. En effet, les auditeurs de l’œuvre de Boulez sont placés, au cœur du dispositif de spatialisation, de telle sorte qu’ils reçoivent une expérience de l’espace sonore comparable à celle que pourraient avoir de l’espace visuel les « animaux plats » de Helmholtz, ces « êtres de surface » vivant à même un plan et incapables de percevoir quoi que ce soit en dehors de ce plan39. La position des haut-parleurs permet, comme nous l’avons noté, de faire varier la provenance du son dans un espace seulement bidimensionnel, voire seulement orienté selon l’axe droite-gauche. L’auditeur situé dans la position idéale (mais inaccessible car occupée par le clarinettiste) au milieu de la salle et faisant face au haut-parleur n°1 reçoit le son comme provenant de la gauche ou de la droite, si bien qu’on peut considérer qu’un son produit par le haut-parleur situé face à lui lui paraîtra davantage venir « du milieu », par opposition à la droite ou la gauche, que de « devant lui ». Quoiqu’il en soit, autant il sera possible à l’auditeur de différencier un son venant du haut-parleur situé tout à gauche et celui venant du haut-parleur situé seulement un peu à gauche – autant donc il lui sera possible d’évaluer la situation du son par rapport à l’axe droite-gauche –, autant il lui sera impossible d’évaluer la distance d’un son plus ou moins lointain, et de différencier par exemple un son qui proviendrait du haut-parleur situé face à lui et un son produit simultanément par deux haut-parleurs situés à même distance de lui à gauche et à droite et dont les sons annuleraient tout effet de latéralisation. Dans l’espace du Dialogue de l’ombre double, il n’y a donc pas de profondeur – plus précisément, et conformément à la description de Husserl dans Chose et espace, il ne peut y avoir de profondeur sans une mise en mouvement du corps de l’auditeur qui pourrait se rapprocher de la source sonore, ce qui est par principe exclu dans la situation du concert.
38Reste que l’évaluation de la distance serait alors kinesthésique, ou tactile, et ne pourrait être seulement auditive. Si donc l’espace sonore possède bien les caractéristiques d’un espace bidimensionnel, ou peut- être même seulement orienté selon un seul axe droite-gauche, tout sentiment de profondeur ne pourra être qu’extrapolé à partir d’autres sens. Le problème de Strawson ne serait ainsi que partiellement éliminé, dans la mesure où nous n’aurions affaire qu’à une orientation sans distance ni localisation. Ce que mesurerait l’ouïe ne pourrait être autre chose qu’un angle : celui déterminé, par rapport à l’auditeur, entre le point de provenance du son et un point de référence situé devant soi. On trouve cependant dans le Dialogue de l’ombre double un dispositif supplémentaire destiné à créer un sentiment auditif de profondeur : un septième haut-parleur dans lequel est diffusé non pas le son de la clarinette lui-même, mais seulement son reflet, à savoir la résonance du son de la clarinette dans un piano situé en dehors de la scène, étouffoirs levés, et dont la résonance des cordes par sympathie est amplifiée et diffusée, avec un très léger retard, sur scène. À première vue, ce dispositif semble ne produire que ce que Strawson décrivait comme un espace – ici, une profondeur – métaphorique. Le son n’apparaîtrait pas réellement lointain, mais seulement en écho, « ailleurs » signifiant ici non pas « dans un autre lieu » mais « dans une autre couche ou strate sonore ». Boulez jouerait ainsi davantage sur l’espace sonore, tel que nous l’avons défini comme espace métaphorique, que sur l’appréhension spatiale du son.
- 40 D. Franck, La constitution du temps, op . cit ., p. 49.
39Pourtant, on trouve dans l’analyse husserlienne du son comme objet-de-temps un levier pour saisir cette expérience de l’écho ou de la résonance comme une véritable appréhension spatiale du son et comme sa projection dans une authentique profondeur. D’après l’analyse par Didier Franck du §39 des Leçons sur la phénoménologie de conscience intime du temps, la constitution du son reposerait sur une double intentionnalité, « longitudinale » et « transversale »40. D’un côté, serait visé le son juste-passé dans une conscience rétentionnelle ; de l’autre côté, le son lui-même dans son identité se confirmant par des expériences toujours renouvelées. Or, le phénomène de la résonance présente une particularité phénoménologique : au moment où se fait entendre la résonance (ici : le son de la clarinette reflété dans le piano ouvert et amplifié), le même son est pour ainsi dire « entendu » deux fois et sous deux formes différentes. D’un côté, j’ai toujours la conscience rétentionnelle du son-origine (celui effectivement produit par la clarinette) certes passé, mais toujours retenu sur le mode du tout-juste-passé ; d’un autre côté, je reçois un nouveau son (celui de la résonance), qui se donne bien présentement et en chair et en os, mais qui se présente malgré tout comme le même son, quoique sous une forme modifiée, notamment quant à son timbre et son intensité.
- 41 Ibid., p. 39.
40Phénoménologiquement, ces expériences, celle de la rétention du son réel et celle de la donation de la résonance, sont simultanées. Mais dans cette simultanéité se creuse un écart : la confrontation du son résonant et de la « queue de comète rétentionnelle »41 dans laquelle perdure le son originel possèdent des caractères phénoménologiques distincts. Le son retenu s’estompe parce qu’il s’éloigne dans la temporalité de la conscience mais il demeure toujours visé dans son identité, comme ayant la même intensité. Il se modifie selon sa modalité tem- porelle mais pas sous son aspect matériel car c’est toujours le même son, avec son intensité originelle, qui est visé rétentionnellement. Parallèlement, la résonance du son est visée selon une modalité temporelle différente puisqu’elle se donne présentement en chair et en os, mais c’est la matière même du phénomène sonore qui subit une modification hylétique (puisque au moins son timbre, sa durée et son intensité se trouvent effectivement modifiés). Ce chiasme entre le son qui se perd intentionnellement et celui qui se perd hylétiquement crée ce qu’on pourrait nommer un effet sonar.
41Car ce qui se mesure entre ces deux modifications parallèles du son originel, et que met en scène le dispositif de mise en résonance du Dialogue de l’ombre double est bien une distance, l’éloignement de l’objet-source, mais une distance fondée dans le déroulement temporel même de l’objet-de-temps qu’est le son. Le piano-résonance crée ainsi chez Boulez un effet de profondeur. Il ne s’agit bien sûr que d’un effet et il serait de toute évidence illusoire de penser avoir résolu de cette manière le problème de Strawson : à aucun moment dans la perception de cette résonance n’intervient la distance effective entre le haut-parleur 7 et l’auditeur. La profondeur ne provient ici que du retard créé par le dispositif, donc du prolongement de la « queue de comète » de la résonance par rapport à la « queue de comète » rétentionnelle.
- 42 On pourrait également noter – mais ce serait l’objet d’un autre travail qui sortirait du champ de l (...)
42Mais si ce dispositif peut créer cet effet, c’est bien qu’il s’appuie sur une structure de la perception spatiale du son : la manière dont le son de temporalise, et plus précisément la manière dont s’articule la modification intentionnelle du son avec sa modification hylétique, déterminent l’attribution au son de propriétés spatiales qui ne se réduisent plus à un simple positionnement selon l’axe droite-gauche, mais constituent l’évaluation, certes approximative, d’une distance. La corrélation existant entre la durée de la résonance et la mesure de la profondeur est bien connue des organistes qui doivent adapter la registration et le détaché de leur jeu au volume de l’église ou de la salle de concert dans laquelle ils jouent. On trouve en outre chez les organistes atteints de cécité, par exemple dans l’œuvre de Jean-Pierre Leguay, un travail d’écriture de l’écho et de l’espace qui dénote un sens particulièrement aigu de leur imbrication mutuelle. La confrontation de la résonance et de la rétention permet à l’oreille de faire la différence entre l’éloignement proprement spatial et la pseudo-spatialité que Strawson dénonçait en considérant qu’une différence d’éloignement était auditivement indistinguable d’une différence d’intensité42.
43Qu’un espace purement auditif ne permette pas de déterminer avec précision la position d’un objet dans l’espace demeure indéniable ; qu’il puisse s’avérer impossible de distinguer des particuliers objectifs dans un espace purement sonore, cela – et c’était bien le but de l’analyse de Strawson que de l’établir – demeure probable. Mais la description phénoménologique nous a appris que l’appréhension spatiale du son n’était pas pour autant purement secondaire ni nécessairement dépendante d’actes synesthésiques, mais qu’elle était au contraire motivée par une pré-donation de la spatialité dans le phénomène sonore lui- même. Cependant, une appréhension du son qui se serait réduite au positionnement de la source sonore selon un axe gauche-droite (et même en admettant qu’il soit également possible de lui attribuer une position selon un axe haut-bas) n’aurait constitué qu’un espace sans distance, car la mesure d’une distance requiert que puisse être estimée une profondeur et de pouvoir y rapporter l’angle mesuré par rapport à l’axe droite-gauche et/ou à l’axe haut-bas. Or, il semblerait que s’esquisse dans la modification rétentionnelle du vécu sonore confrontée à sa modification hylétique comme son résonnant une appréhension de la profondeur susceptible de rendre une telle mesure possible. Aussi une expérience purement auditive de l’espace pourrait-elle caractériser des objets selon les trois critères que nous avons distingués à partir de l’analyse husserlienne de l’espace : l’orientation, la distance et, obtenue à partir des deux premières, la position. De cette manière, quoique l’espace ainsi constitué demeure vague et que tout positionnement ne puisse y être qu’approximatif, et quoique rien ne dise que la géométrie de cette espace obéisse aux axiomes d’Euclide auquel Kant conférait une nécessité transcendantale, il n’en demeure pas moins vrai, si l’on admet avec Helmholtz que l’espace puisse « être transcendantal sans que les axiomes le soient »43, que la distinction kantienne entre le sens externe et le sens interne se trouve pour ainsi dire sauvée du problème de Strawson.
- 43 H. v. Helmholtz, « Die Tatsachen in der Wahrnehmung », Schriften zur Erkenntnistheorie, Berlin, Spr (...)
44Qu’un espace purement auditif ne permette pas de déterminer avec précision la position d’un objet dans l’espace demeure indéniable ; qu’il puisse s’avérer impossible de distinguer des particuliers objectifs dans un espace purement sonore, cela – et c’était bien le but de l’analyse de Strawson que de l’établir – demeure probable. Mais la description phénoménologique nous a appris que l’appréhension spatiale du son n’était pas pour autant purement secondaire ni nécessairement dépendante d’actes synesthésiques, mais qu’elle était au contraire motivée par une pré-donation de la spatialité dans le phénomène sonore lui- même. Cependant, une appréhension du son qui se serait réduite au positionnement de la source sonore selon un axe gauche-droite (et même en admettant qu’il soit également possible de lui attribuer une position selon un axe haut-bas) n’aurait constitué qu’un espace sans distance, car la mesure d’une distance requiert que puisse être estimée une profondeur et de pouvoir y rapporter l’angle mesuré par rapport à l’axe droite-gauche et/ou à l’axe haut-bas. Or, il semblerait que s’esquisse dans la modification rétentionnelle du vécu sonore confrontée à sa modification hylétique comme son résonnant une appréhension de la profondeur susceptible de rendre une telle mesure possible. Aussi une expérience purement auditive de l’espace pourrait-elle caractériser des objets selon les trois critères que nous avons distingués à partir de l’analyse husserlienne de l’espace : l’orientation, la distance et, obtenue à partir des deux premières, la position. De cette manière, quoique l’espace ainsi constitué demeure vague et que tout positionnement ne puisse y être qu’approximatif, et quoique rien ne dise que la géométrie de cette espace obéisse aux axiomes d’Euclide auquel Kant conférait une nécessité transcendantale, il n’en demeure pas moins vrai, si l’on admet avec Helmholtz que l’espace puisse « être transcendantal sans que les axiomes le soient »43, que la distinction kantienne entre le sens externe et le sens interne se trouve pour ainsi dire sauvée du problème de Strawson.
Notes
1 P. F. Strawson, Individuals, London, Routledge, 1959, p. 59 ; trad. par A. Shalom et P. Drong, Paris, Seuil, 1973, p. 62.
2 Ibid., p. 65 et p. 72.
3 Nous verrons par la suite qu’il convient de distinguer le problème que posent les concepts relatifs à la situation des objets selon les axes droite-gauche et haut-bas des concepts relatifs à la distance que Strawson semble traiter ici sur le même plan.
4 P. F. Strawson, Individuals, op . cit ., p. 65 et p. 72.
5 Ibid., p. 66 et p. 73.
6 Ibid., p. 72 et p. 80.
7 D. Pradelle, Par-delà la révolution copernicienne, Paris, Puf, 2012, p. 169.
8 P. Boulez, Penser la musique aujourd’hui, Paris, Gallimard, 1987.
9 Ibid ., p. 110.
10 E. Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie, Zweites Buch : Phänomenologische Untersuchungen zur Konstitution, hrsg. von M. Biemel, Hua IV, 1952 ; trad. par E. Escoubas, Recherches phénoménologiques pour la constitution, Paris, Puf, 1982.
11 H. Dufourt, La Musique spectrale : une révolution épistémologique, Sampzon, Delatour, 2014.
12 P. Boulez, Rituel in memoriam Bruno Maderna, pour orchestre en 8 groupes, New York/Vienna, Universal, 1974-1975.
13 P. Boulez, Répons, pour six solistes, dispositif électronique et ensemble, New York/Vienna, Universal, 1981-2005.
14 P. Boulez, Dialogue de l’ombre double, pour clarinette/première sur scène et clarinette/double enregistrée, Version aux chiffres romains et version aux chiffres arabes, New York/Vienna, Universal, 1984.
15 H . Bergson, Essai sur les Données immédiates de la conscience, Paris, Puf, 2003, par ex. p. 9.
16 E. Husserl, Zur Phänomenologie des inneren Zeitbewusstseins (1893-1917), hrsg. von R. Boehm, Hua X, 1966 ; trad. partielle par H. Dussort, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, Paris, Puf, 1964.
17 Didier Franck, La constitution du temps, Paris, Vrin, 2020.
18 Rappelons ici l’importance, depuis Kant, de la question de l’unité dans la définition transcendantale de l’objectivité. Voir J. Benoist, Kant et les limites de la synthèse, Paris, PUF, 1997, p. 25-26.
19 Didier Franck, La constitution du temps, op . cit ., p. 12.
20 Ibid., p. 15.
21 Ibid ., p. 19.
22 E. Husserl, Zur Phänomenologie des inneren Zeitbewusstseins, op . cit ., §39, p. 81 ; trad. partielle par H. Dussort, , Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, op . cit ., p. 105.
23 La musique spectrale, en particulier, repose sur la notion de processus, laquelle revient précisément à instaurer des moments de tension et de détente relative. Plus généralement, la méthode d’analyse musicale dite « General Set Theory » montre que la plupart des systèmes musicaux peuvent s’interpréter comme reposant sur des effets de tension liés à la plus ou moins grande dissonance des accords par rapport à des accords de référence. Voir par exemple, l’ouvrage de D. Lewin, Generalized Musical Intervals and Transformations, New Haven, Yale University Press, 1987.
24 E. Husserl, Ideen II, op . cit ., §10, p. 22 ; trad. fr. p. 47.
25 Ibid.
26 Ibid ., p. 22 ; trad. fr. p. 47-48.
27 P. F. Strawson, Individuals, op . cit ., p. 75-76 ; trad. p. 83-85.
28 C. Debussy, Préludes pour piano, X : « La cathédrale engloutie », München, Henle, 2018, p. 38.
29 Bizet, Carmen, Opéra en quatre actes, Leipzig, Peters, 1905, p. 43-44.
30 E. Husserl, Ideen II, op . cit ., p. 22-23 ; trad. p. 48.
31 E. Husserl, Vorlesungen über Ethik und Wertlehre, Hua XXVIII ; trad. par P. Ducat, P. Lang, C. Lobo, Leçons sur l’éthique et la théorie de la valeur (1908-1914), Paris, Puf, 2009.
32 Voir H. Dufourt, La musique spectrale, op . cit ., par ex. p. 313 sq.
33 On pensera par exemple aux motifs de trilles de la « transition de I à II » auxquels sont appliqués des enveloppes spatiales (un haut-parleur latéralise subitement le son de manière aléatoire) puis réapparaissent une seconde fois sans aucun effet de spatialisation dans la « strophe II » (P. Boulez, Dialogue de l’ombre double, op . cit ., p. 6-7).
34 P. Boulez, Dialogue de l’ombre double, op . cit ., p. 10.
35 E. Husserl, Ding und Raum, Vorlesungen 1907, hrsg. von U. Claesges, Hua XVI, 1973 ; trad. par J.-F. Lavigne, Chose et espace . Leçons de 1907, Paris, Puf, 1989.
36 Voir B. Riemann, Über die Hypothesen, welche der Geometrie zu Grunde liegen, éd. par R. Dedekind, Abhandlungen der Königlichen Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen, vol. 13, 1867 ; trad. par L. Laugel « Sur les hypothèses qui servent de base à la Géométrie », in Œuvres mathématiques de Riemann, Paris, Librairie Scientifique A. Blanchard, 1968, p. 294.
37 E. Husserl, Ding und Raum, op . cit ., « Mémoires : constitution systématique de l’espace. Projet de Husserl », p. 358.
38 On trouve par ailleurs une reconstruction assez similaire de l’espace visuel dans un article de Carnap, « Dreidimensionalität des Raumes und Kausalität. Eine Untersuchung über den logischen Zusammenhang zweier Fiktionen », Annalen der Philosophie, IV, p. 105-130. Réédition et traduction anglaise dans le premier volume des Collected Works of Rudolf Carnap: R. Carnap, Early Writings, éd. A. W. Carus et al., Oxford, Oxford University Press, 2019. Pour une analyse plus détaillée de la constitution décrite par Husserl et une comparaison avec celle de Carnap, voir le chapitre II de mon livre, Carnap et la question transcendantale, Paris, Vrin, 2021, p. 75 sq.
39 Voir H. v. Helmholtz, « De l’origine et de la signification des axiomes géométriques », trad. J.-B. Fournier, Philosophie n°134 (2017) ; repr. dans H. v. Helmholtz, Théorie de la connaissance, Paris, Vrin, 2022, p. 31-68.
40 D. Franck, La constitution du temps, op . cit ., p. 49.
41 Ibid., p. 39.
42 On pourrait également noter – mais ce serait l’objet d’un autre travail qui sortirait du champ de la phénoménologie pour empiéter dans celui de l’acoustique – que ce que nous avons nommé l’orientation ou la latéralisation du son peut aussi se réduire à un écart temporel : l’expérience du son binaural montre en effet que ce qui est perçu comme une position selon l’axe droite-gauche est en réalité une différence temporelle ou de phase entre les ondes perçues par les deux oreilles.
43 H. v. Helmholtz, « Die Tatsachen in der Wahrnehmung », Schriften zur Erkenntnistheorie, Berlin, Springer, 1921, p. 109-175 ; trad. par A. Bienvenu, « Helmholtz, critique de la géométrie kantienne », Revue de métaphysique et de morale, n°135, 2002/3, p. 385, repr. Dans H. v. Helmholtz, Théorie de la connaissance, Paris, Vrin, 2022, p. 197-200.
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Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Baptiste Fournier, « Espace sonore et appréhension spatiale du son : Husserl, Boulez et le problème de Strawson », Alter, 30 | 2022, 299-320.
Référence électronique
Jean-Baptiste Fournier, « Espace sonore et appréhension spatiale du son : Husserl, Boulez et le problème de Strawson », Alter [En ligne], 30 | 2022, mis en ligne le 31 octobre 2023, consulté le 30 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/alter/2501 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alter.2501
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