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Ambiances et scènes culturelles. Croisements, articulations, contextualisations

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Présentation

Cet appel à contribution propose de croiser deux champs de recherche qui, jusqu’à présent, ont principalement existé indépendamment l’un de l’autre : le champ de recherche sur les scènes culturelles et celui sur les ambiances et atmosphères1. Leur croisement – c’est l’hypothèse qui anime la proposition de ce dossier thématique – permet pour les deux champs de recherche une ouverture vers des questionnements prometteurs à ce jour peu explorés.

Depuis une vingtaine d’années, se développent des travaux cherchant à expliciter l’effervescence culturelle, les dynamiques d’innovation ou créatives qui prennent corps au sein de lieux, de territoires (urbains ou non), d’espaces publics à partir du vocable de scène, le « scene thinking » proposé par Woo et al. (2015). Ce qui est remarquable avec les démarches se revendiquant de la « scene », c’est d’abord leur pluridisciplinarité. Elles s’inscrivent en effet dans le « spatial turn » proposé par les perspectives en cultural studies (Guibert, 2012) et convoquent des recherches issues de disciplines aussi diverses que la sociologie, l’urbanisme ou l’architecture (Hubbard & Kitchin, 2004). Ce qui a longuement distingué l’approche par la scène, c’est que le terme ne fut longtemps pas reconnu lui-même comme un concept stabilisé, mais plutôt comme un « concept outil » (Pagoni, 1997). Ainsi, pénétrer un terrain à partir de l’approche par la scène permettrait pour certains chercheurs une première investigation, avant l’ajout potentiel d’éléments plus spécifiques permettant d’appréhender les spécificités de ce terrain. Parmi les disciplines d’expression artistiques qui se sont d’emblée emparées du terme « scène » on doit mentionner en premier lieu les musiques populaires (Guibert, 2016). Dans leur ouvrage Music Scene, Bennett et Peterson (2004) mentionnaient deux manières de concevoir une scène musicale sur un espace restreint, la première faisait référence à l’interactionnisme goffmanien, à la dramaturgie du jeu social. La seconde privilégiait l’analyse des connections et des réseaux entre artistes. Essayant de lier communautés de pratique et espaces physiques partagés, le chercheur néo-zélandais Geoff Stahl (2004) rapprochait lui soft infrastructures (des conventions partagées) et hard infrastructures (des institutions). Un chemin se construit ainsi progressivement entre des approches étudiant les scènes et leurs rapports aux ambiances, aux atmosphères (Boivin, 2022, voir aussi Silver & Clark, 2014).

Ce rapprochement signifie également pour la recherche sur les ambiances et atmosphères une ouverture vers des thématiques peu abordées. Surtout la recherche francophone menée majoritairement sous le terme d’ambiances s’est orientée en grande partie sur le rôle de l’architecture et de l’environnement construit pour l’émergence des ambiances (Augoyard, 1998). Les recherches anglophone et germanophone se sont davantage focalisées sur la vie sociale et culturelle comme (co)génératrice d’atmosphères en travaillant par exemple sur les évènements sportifs (Edensor, 2015), les atmosphères dans des organisations (Julmi, 2017) ou la présence des touristes pour l’atmosphère d’un quartier (Paiva & Sánchez, 2020). Mais elle n’a pas abordé explicitement, sauf quelques exceptions (Cathus, 1998), des ambiances et atmosphères en lien avec des scènes culturelles entendues comme dynamiques collectives remarquables dans le domaine des arts et de la culture. Le croisement entre la recherche sur les scènes culturelles et la recherche sur les ambiances et atmosphères semble donc synonyme d’un renouvellement potentiel pour les deux champs de recherche. C’est ce que nous souhaitons explorer dans ce dossier thématique.

Quatre axes de réflexions autour d’un croisement entre scènes et ambiances/atmosphères nous paraitraient particulièrement intéressants :

La place des ambiances et atmosphères dans la dynamique des scènes culturelles

On peut considérer les ambiances comme un élément parmi d’autres (les réseaux d’acteurs, les récits des politiques publiques, la couverture médiatique…) qui contribuent à l’évolution d’une scène. Cette hypothèse met en avant le rôle des expériences situées partagées pour le développement d’une scène, elle invite à questionner la dimension charnelle et sensorielle dans la vie de scènes. Nous souhaitons dans ce premier axe de réflexion des contributions – de préférence avec une dimension empirique – qui alimentent cette hypothèse et montrent comment des ambiances et atmosphères peuvent devenir des forces qui dynamisent (ou paralysent) une scène. Des atmosphères sont-elles utilisées et créées consciemment pour renforcer la dynamique d’une scène ou ne sont-elles qu’un effet secondaire non intentionnel d’un processus social ? Ce premier axe de réflexion soulève aussi la question de l’interdépendance entre atmosphères, réseaux d’acteurs et récits dans cette dynamique scénique. Par ailleurs on peut se demander à quel point des types d’activités (ou des disciplines artistiques ou culturelles, qu’il s’agisse par exemple de musique, arts graphiques, édition, image, numérique…) ont un effet sur l’impact des ambiances et atmosphères pour la vie d’une scène.

Les scènes culturelles comme producteurs d’ambiances, atmosphères et transformations urbaines

Le deuxième axe s’intéresse aux effets des scènes culturelles pour le développement urbain. La dynamique de la présence des scènes culturelles dans l’espace urbain est considérée ici comme un facteur qui contribue aux transformations des territoires urbaines (Ambrosino et al., 2025). Le recours aux notions d’ambiance et d’atmosphère soulève une question : de quelle manière la présence d’une scène dans un territoire se manifeste en termes d’ambiances et d’atmosphères et comment cette manifestation contribue effectivement à une évolution, voire une transformation d’un territoire ? Il semble nécessaire de se demander « comment une scène peut faire ambiance » sur un territoire. On peut prendre en compte le rôle de la morphologie urbaine, mais il est également nécessaire de comprendre la spécificité de l’activité culturelle, la forme spatiale de l’implantation d’une scène au sein d’un territoire, et son influence, sa capacité à faire ambiance. Les conflits autour de la transformation de l’ambiance ou atmosphère d’un quartier nous semble également une problématique intéressante, ainsi que les pratiques culturelles qui suscitent des ambiances disruptives (Lasén, 2018 ; Lasén et Casu, 2020).

Les notions d’ambiance et d’atmosphère questionnées par la perspective scène

Le troisième axe des questionnements que nous souhaitons aborder s’intéresse aux défis que la prise en considération des scènes culturelles comme générateurs d’atmosphères soulève pour le champ de la recherche sur les ambiances et atmosphères. Comment la présence d’un groupe socioculturel et ses activités peuvent faire atmosphère ou ambiance ? Il nous semble intéressant d’évaluer de quelle manière les différents courants au sein des « atmosphere studies » (par exemple l’approche esthétique par Böhme (2020), la nouvelle phénoménologie de Schmitz (2016) ou l’approche pragmatiste par Thibaud (2004)) abordent cette problématique, et quelles propositions conceptuelles émergent au sein de diverses postures et partis pris. Se pencher sur les scènes en tant que « producteurs » d’atmosphères soulève également la question de l’importance des symboles pour la naissance et l’expérience des atmosphères. En effet, contrairement aux atmosphères météorologiques par exemple les scènes ne sont pas seulement présentes dans un lieu sur le plan atmosphérique, mais aussi explicitement sur le plan symbolique. Cette question nous semble d’être particulièrement importante pour ces formes d’atmosphères. Nous invitons ainsi également des contributions méthodologiques dans le cadre de ce dossier, qui exploreraient les outils ou méthodes de recherche à mettre en place pour pouvoir saisir les atmosphères d’une scène.

La place de la différence des corps et des rapports de pouvoir au sein des scènes et leurs ambiances/atmosphères

La notion de scène comme celle d’ambiance sont des concepts qui capturent des dynamiques collectives, des tendances qu’elles soient objectives ou subjectives. Mais qu’en est-il de la différence, de l’altérité, de l’individualité des corps ? Comment s’illustrent les rapports de pouvoir, qu’il s’agisse de genre, de race, de classe, d’âge, associés au validisme ou intersectionnels dans le cadre d’ambiance, d’atmosphère ou de scènes remarquables ? Les rapports inégalitaires agissent-ils en opposition à la dynamique des scènes, ou travaillent-ils au contraire pour créer des dynamiques plus égalitaires, voire fusionnelles ? On pense par exemple aux situations de danse, aux tournois sportifs (courses de fond, tournois de pétanque…) ou d’autres performances. Dans quel mesure les corps, dans leur(s) individualité(s), sont-ils ou non dilués dans ces phénomènes. A quel moment, dans le cadre d’incidents de contextes éprouvés peuvent-ils remettre en cause des scènes ou des ambiances remarquables ?

Ces axes de réflexion dessinent seulement quatre possibles entrées pour structurer ce croisement entre les deux champs de recherche. Bien entendu, des contributions portant sur d’autres aspects sont également les bienvenues, pour autant qu’elles se rapportent au croisement entre scènes culturelles at ambiances/atmosphères.

Bibliographie

Ambrosino, C. ; Michel, B. ; Sagot-Duvauroux, D. (eds.) 2025 : Scènes artistiques. Au-delà de la ville creative. Grenoble : PUG.

Augoyard, J. F. 1998 : Eléments pour une théorie des ambiances architecturales et urbaines. In : Les Cahiers de la Recherche Architecturale, 42/43, p. 7‑23. https://hal.science/hal-02103997v1

Bennett, A.; Peterson, R. A. (eds.) 2004 : Music Scenes: Local, Translocal, and Virtual. Vanderbilt University Press : Nashville.

Böhme, G. (2020) : Aisthétique – Pour une esthétique de l’expérience sensible. Dijon : Les presses du reel.

Boivin, R. 2022 : Popular music studies et enquête ethnographique : une mise à l’épreuve de la scène musicale du quartier de La Plaine à Marseille. In : Volume !, 19(2), p. 103‑117. https://doi.org/10.4000/volume.10905

Cathus, O. 1998 : L’âme-sueur. Le funk et les musiques populaires du XXe siècle. Paris : Desclée de Brouwer.

Edensor, T. 2015 : Producing atmospheres at the match: Fan cultures, commercialisation and mood management in English football. In : Emotion, Space and Society, 15, p. 82‑89. https://doi.org/10.1016/j.emospa.2013.12.010

Guibert, G. 2012 : La notion de scène locale. Pour une approche renouvelée de l’analyse des courants musicaux. In : Dorin S. (ed.), Sound Factory. Musiques et logiques de l’industrialisation. Paris : Seteun/Uqbar, p. 93‑124.

Guibert, G. 2016 : La scène comme outil d’analyse en sociologie de la culture. In : L’Observatoire, 47, p. 17‑20. https://doi.org/10.3917/lobs.047.0017

Hubbard, P.; Kitchin R. (eds.) 2004 : Key Thinkers on Space and Place. London : Sage.

Julmi, C. 2017 : The Concept of Atmosphere in Management and Organization Studies. In : Organizational Aesthetics, 6(1), p. 4‑30. https://oa.journals.publicknowledgeproject.org/index.php/oa/article/view/76

Lasén, A. 2018 : Disruptive Ambient Music: Mobile Phone Music Listening as Portable Urbanism, European Journal of Cultural Studies, 21(1), p. 96‑110. https://doi.org/10.1177/1367549417705607

Lasén, A. ; Casu, M. 2020 : Mobile Listening, Disruptive Ambient Music and Public Art Projects in Madrid. In : L. Hjorth, A. de Souza e Silva, K. Lanson (eds.) The Routledge Companion to Mobile Media Art. NY Oxon : Routledge, p. 69‑80.

Pagoni, M. 1997 : Du concept-outil au concept-objet. Une méthode d’analyse de la conceptualisation des valeurs morales pendant l’adolescence. In : Spirale – Revue de recherches en education, 20, p. 73‑92. https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_1997_num1_1593

Paiva, D. ; Sánchez, I. 2021 : The territoriality of atmosphere: Rethinking affective urbanism through the collateral atmospheres of Lisbon’s tourism. In : Transactions of the Institute of British Geographers, 46(2), p. 392‑405. https://doi.org/10.1111/tran.12425

Schmitz, H. (2016) : Atmospheric Spaces. In : Ambiances. International Journal of sensory environment, architecture and urban space, en ligne sous : https://doi.org/10.4000/ambiances.711.

Silver, D. ; Clark, T. N. 2014 : La puissance des scènes : Quantité d’aménités et qualité des lieux. In : Cahiers de recherche sociologique, 57, p. 33‑60. https://doi.org/10.7202/1035274ar

Stahl, G. 2004 : “It’s like Canada reduced”: setting the scene in Montreal. In : Bennett A. ; Kahn Harris K. (eds.), After subculture: critical studies in contemporary youth culture. New York : Palgrave Macmillan, p. 51‑65.

Thibaud, J.-P. 2004 : Une approche pragmatique des ambiances urbaines. In : Amphoux, P. ; Thibaud, J.-P. ; Chelkoff, G. (eds.) Ambiances en Débats. Bernin : A la Croisée, p. 145‑161

Woo, B. ; Rennie, J. ; Pointz S. (eds.) 2015 : Scene Thinking: Cultural Studies from the Scene Perspective. Cultural Studies, Special issue 29(3). https://www.tandfonline.com/toc/rcus20/29/3

Éditeurs du dossier thématique

Gérôme Guibert, (gerome.guibert[AT]sorbonne-nouvelle.fr), Professeur de sociologie, Institut de la Communication et des médias, UFR Arts & Médias, IRMECCEN (EA 7546), Université Sorbonne Nouvelle.

Rainer Kazig, (rainer.kazig[AT]grenoble.archi.fr), Chargé de recherche CNRS, UMR Ambiances – Architectures – Urbanités, Université Grenoble Alpes, École nationale d’architecture de Grenoble.

Amparo Lasén, (alasen[AT]cps.ucm.es), Professor of Sociology at the Complutense University of Madrid, member of the Sociología Ordinaria research group.

Informations sur la soumission et publication

Articles en anglais ou français, 30 000 à 50 000 signes (espaces compris, bibliographie non comprise)

Date de réception : jusqu’au 7 juillet 2025

Premier retour aux auteurs : 18 juillet 2025

Évaluation en double-aveugle

Publication : dossier ouvert à partir de novembre 2025

Suivez les notes aux auteurs pour la mise en forme : https://journals.openedition.org/ambiances/163

Envoyez vos articles à : journal[AT]ambiances.net

Questions : Si vous avez des questions n’hésitez pas à contacter les éditeurs du dossier.

Notes

1 L’appel est issu du projet ANR SCAENA (https://scaena.hypotheses.org/), qui s’est intéressé à l’interaction entre scènes culturelles, ambiances et développement urbain.

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