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1Comment rendre compte, sans tomber dans le piège idéologique qui légitime le discours hégémonique des pouvoirs, des séquelles de la guerre en Colombie ? Quel rôle jouent la mémoire et les espaces de sanation communautaires dans le processus de subjectivation des victimes indisciplinées ? Comment la « politique de la souffrance » (D. Fassin) participe à la consolidation de la structure du pouvoir aussi bien qu’à la spectacularisation du conflit armé colombien ? La catégorie de victime est-elle neutre ? Pour y répondre, le chercheur et journaliste Paco Gómez Nadal (2016 ; 2023) jette un nouveau regard sur la dynamique historico-sociale de la violence structurelle en Colombie. À partir de six histoires de vies, Gómez Nadal retrace non seulement les enjeux géopolitiques (rôle des entreprises multinationales de la banane), mais aussi le continuum colonial (l’impunité des élites politiques), la nécropolitique de l’État colombien ou encore la trajectoire de certaines victimes indisciplinées qui, à partir de leurs blessures provoquées par cette guerre, sont en train de se reconstituer comme subjectivités politiques. Ce livre montre la façon dont la catégorie de victime est un objet en dispute.

2Le travail de Gómez Nadal met en lumière les enjeux d’une justice transitionnelle. Souvent bafouées par les pouvoirs publics, ces victimes indisciplinées nous montrent la force de la collectivité et la puissance du travail communautaire. Ainsi, nous observons le lien entre l’accumulation par dépossession et le paramilitarisme à Urabá, la lutte inlassable d’une dirigeante du peuple Nasa, la puissance créatrice de l’art, les opérations de nettoyage sociale à Ciudad Bolívar, la disparation forcée des activistes…

3À l’heure actuelle où la catégorie de victime est mobilisée par des chercheurs et chercheuses de tous bords, il est nécessaire de pointer du doigt la dynamique destructrice de cette modernité capitaliste réellement existante d’où l’importance du travail de Paco Gómez Nadal. Dans son ouvrage Guerras, Memoria e Historia (2014, p. 133), le philosophe et avocat colombien Gonzalo Sánchez Gómez soulignait le fait que la mémoire ne peut pas accomplir une fonction thérapeutique si elle n’est pas accompagnée de transformations mentales (la pensée) et de décisions politiques (actions). De sorte que le livre de Gómez Nadal reconnaît non seulement ce lien mais il suggère également que celui que parle des victimes doit aussi nommer les bourreaux !