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Militarisme, polarisation et extrême droite : le cas de Vox en Espagne

Vicente López Clemente

Résumés

Partant du parti d’extrême droite Vox en Espagne, cet article problématise les liens entre la notion de militarisme et celle de polarisation politique dans de but d’enrichir et d’adapter cette dernière dans son application au contexte espagnol. Les deux concepts, militarisme et polarisation, sont des phénomènes de nature ambiguë, rarement croisés dans les analyses, alors qu’ils ont pour caractéristiques communes la dichotomisation politique radicale, le caractère apparemment irréconciliable des désaccords ou la centralité du conflit. Cette recherche défend qu’il est possible, dans le contexte actuel de montée de l’extrême droite en Espagne et à partir d’un étude des symboles, imaginaires, discours et programmes politiques de Vox, d’analyser comment le militarisme devient une partie constitutive de la polarisation politique.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Alcoceba Hernando, José Antonio, et al., « Análisis del discurso parlamentario de Vox en la XIV Leg (...)
  • 2 Waisbord, Silvio, « ¿Es válido atribuir la polarización política a la comunicación digital ? Sobre (...)
  • 3 Galtung, Johan, « Violence, Peace and Peace Research », Journal of Peace Research, 1969, vol. 6, nº (...)
  • 4 Ce concept, pour Achille Mbembe, permet de rendre compte de comment « les armes sont déployées dans (...)
  • 5 Hunter, James Davison, Culture wars: the struggle to define America, New York, BasicBooks, 1992, pp (...)

1Le terme de polarisation, très présent dans l’actualité politique et médiatique, renvoie, dans son acception la plus courante, à un phénomène social de division de la population en deux groupes confrontés, de plus en plus distants et ne partageant ni les mêmes valeurs, ni la même vision du monde. Ces dernières années, d’un point de vue politique, ce phénomène tend à bénéficier à certains groupes politiques. En ce sens, l’ascension fulgurante, en Espagne, du parti d’extrême droite Vox, peut être lue comme une conséquence de la polarisation de la société espagnole, que le parti tend à renforcer par ses discours et son positionnement idéologique1. Dans ce pays comme dans d’autres, la polarisation politique se nourrit de discours et de pratiques atteignant des degrés de virulence variables, alimentés tant par les médias traditionnels que par les réseaux sociaux qui s’en nourrissent2. Lorsque les discours de haine et de déshumanisation se généralisent, visant le plus souvent les groupes subalternisés, un ensemble de violences politiques – éléments sous-jacents et structurants de la polarisation – font surface. Ces violences, qui sont historiquement enracinées et inscrites dans les institutions de l’Etat3, deviennent, dans certains contextes, des formes accrues de nécropolitique4. Ainsi, on peut affirmer que l’histoire politique des Etats et de leur construction conditionne, en bonne partie, les aléas de la polarisation. Les dynamiques de polarisation possèdent un socle, une dimension historique qui marque les débats politiques et culturels de nos jours. James D. Hunter signale à cet égard que les « guerres culturelles » contemporaines, aux Etats-Unis, sont conditionnées par l’impact que les conflits culturels et les combats politiques précédents ont produit sur l’ordre politique existant5. Il n’en est pas autrement en Espagne, pays dans lequel les affrontements politiques, culturels et militaires du passé pèsent largement sur l’ordre social actuel et constituent des axes structurants de polarisation. On pourrait nommer entre autres la question territoriale, le passé impérial-colonial ou la mémoire des victimes de la dictature.

  • 6 Lleixà, Joaquim, Cien años de militarismo en España : funciones estatales confiadas al Ejército en (...)
  • 7 Preston, Paul, La política de la venganza : el fascismo y el militarismo en la España del siglo XX, (...)
  • 8 Selon Finer, l’interventionnisme militaire en politique peut prendre quatre formes : l’influence, l (...)
  • 9 Voir notamment, Navajas Zubeldía, Carlos, « La larga transición militar », Historia de la transició (...)
  • 10 Voir à ce sujet Joana, Jean et Mérand, Frédéric, « Politique de défense et variétés du militarisme (...)

2La construction de l’Etat espagnol, depuis le XIXe siècle jusqu’à la naissance de l’espace pluraliste et démocratique de l’après 1978, est un processus qui a été fortement déterminé par l’interventionnisme politique et le rôle social prééminent des institutions militaires6. Ainsi, l’hispaniste Paul Preston affirme qu’en Espagne, plus d’une cinquantaine de coups d’Etats militaires ont eu lieu entre 1814 et 19817.Ce chiffre édifiant montre bien que le XIXe siècle espagnol constitue une période charnière, marquée par une militarisation progressive de l’Etat et du politique qui s’étendra et s’intensifiera jusqu’au paroxysme que constitue la guerre civile de 1936-1939 et les trente-six ans de dictature militaire qui s’en sont suivis (1939-1975)8. Après la mort de Franco en 1975, s’ouvre une période qui se caractérise par une double transition institutionnelle et militaire, cette dernière visant à soumettre les armées au pouvoir civil9. Cette opération s’est produite, dans un contexte européen et états-unien de libéralisation des politiques de défense et des armées10. Le poids historique du militarisme et ses liens intrinsèques avec la construction de l’Etat en Espagne nous conduisent cependant à questionner la portée de cette transition militaire que le contexte actuel de polarisation politique semble mettre à l’épreuve. En ce sens, la présente réflexion s’inscrit dans un courant critique de l’historiographie portant sur la Transition qui vient questionner le récit hégémonique de cette période.

  • 11 Voir notamment Gusterson, Hugh et Besteman, Catherine, « Cultures of Militarism », Current Anthropo (...)
  • 12 Gusterson, Hugh et Besteman, Catherine, op. cit., p. 53.
  • 13 Ibid., p. 53.

3L’objectif de cet article est d’interroger la notion de militarisme et ses effets en Espagne à travers le cas du parti Vox afin de problématiser les liens qu’entretiennent polarisation et militarisme. La première partie de ce texte est consacrée à poser les bases d’une réflexion théorique sur le rapport entre polarisation et militarisme ainsi que sur l’histoire du militarisme en Espagne pour ensuite aborder la naissance de Vox et son rapport au militarisme à travers de l’analyse des aspects symboliques, discursifs et programmatiques du parti qui montrent comment le militarisme devient une variable de la polarisation. Ce travail s’appuie sur une veille médiatique et sur la consultation de divers documents produits par le parti ces dernières années, notamment son « Agenda España ». Le dialogue conceptuel que nous proposons ici s’inscrit dans le courant de renouveau de l’anthropologie militaire developpé depuis la fin de la guerre froide11. Comme le signalent Gusterson et Basteman, ce courant envisage le militarisme comme un processus dont il examine les différentes facettes et notamment « la colonisation capillaire de la vie sociale et imaginative par des processus militaires grâce à des institutions médiatiques militarisées »12. Suivant cette approche, le militarisme est entendu ici « comme un système mondial intégré avec sa propre logique d'escalade qui se nourrit de l'incapacité des acteurs à reconnaître les façons dont chaque action militarisée renforce la croissance du militarisme en tant que structure exterministe transnationale »13.

Polarisation et militarisme : éléments de réflexion

  • 14 DiMaggio, Paul, Evans, John et Bryson, Bethany « Have Americans’ Social Attitudes Become More Polar (...)
  • 15 Schulze, Heidi, Mauk, Marlene et Linde, Jonas, « How Populism and Polarization Affect Europe’s Libe (...)

4Selon DiMaggio, Evans et Bryson, la polarisation se fonde sur le désaccord profond, sur une bipolarité qui structure différents domaines tels que les idéologies, les discours ou encore l’économie. Le terme de polarisation peut renvoyer à la fois à « l’état » de division de l’opinion et au « processus » : qui favorise cette division14. L’étude de la polarisation est donc une entreprise qui vise à la fois la compréhension de « l’extrémité de la distance entre les réponses », et des effets des dichotomies irréconciliables qui en résultent – notamment l’impossibilité de parvenir à un consensus –, principalement dans le cadre des démocraties libérales. Comme le soulignent Schulze, Mauk et Linde, les citoyens ordinaires jouent un rôle fondamental dans le bon fonctionnement et la stabilité des démocraties libérales, c’est pourquoi « tant que le soutien des citoyens au système politique actuel reste élevé malgré la montée du populisme et de la polarisation, nous avons des raisons d'être optimistes quant à l'avenir »15. Mais qu’en est-il dans un pays comme l’Espagne dans lequel le militarisme a joué un rôle si important depuis les débuts de la période contemporaine au XIXe siècle ?

  • 16 Fiorina, Morris P. et Abrams, Samuel J., « Political Polarization in the American Public », Annual (...)

5L’existence de conflits qui opposent deux « principes, tendances ou points de vue »16 irréconciliables est une caractéristique commune de la polarisation et du militarisme. Embrasser, dans une réflexion sur l’Etat espagnol, polarisation et militarisme permet ainsi de faire émerger une série d’interrogations : une forme extrême et continue de polarisation est-elle tenable, à long terme dans un contexte de libertés démocratiques ? Ne risque-t-elle pas de finir par détruire celui-ci ? La guerre et le conflit armé ne sont-ils pas le stade définitif, et ultime parce qu’il engage la mort, de toute polarisation ? Existe-t-il une dichotomie plus radicale que celle symbolisée par deux camps opposés qui se battent dans une guerre ? Militarisme et polarisation peuvent-ils s’articuler, en tant que concepts, dans l’analyse des traditions et des partis politiques ?

  • 17 González Calleja, Eduardo, « Ejército », Diccionario político y social del siglo XX español, sous l (...)

6S’intéresser au militarisme espagnol ne consiste pas seulement à étudier les alliances militaires et l’interventionnisme international, l’industrie et le commerce d’armements, les dépenses militaires ou les guerres. Bien au contraire, à la suite de González Calleja, nous défendons ici l’idée que le militarisme consiste en une « imprégnation de la structure et des valeurs militaires (centralisation de l'autorité, hiérarchie, discipline, conformisme, combativité, nationalisme extrême) dans l'Etat et dans la société civile »17. Dans l’actualité, ceci est visible notamment dans la militarisation de problématiques sociales et politiques comme le contrôle et l’encadrement de la population – notamment la population migrante dans la frontière sud – les tâches de surveillance de l’espace public, les symboles mobilisés lors des manifestations politiques, etc.

  • 18 Votée au parlement espagnol, (Cortes) en 1906 et publiée dans son intégralité dans la Gaceta de Mad (...)
  • 19 Cette loi s’inscrivait dans la continuité d’une norme juridique antérieure, la loi constitutive de (...)
  • 20 Chaves Palacios, Julián, Justicia militar y franquismo : radiografía de los consejos de guerra, Các (...)
  • 21 Alvaro Dueñas, Manuel, « Los militares en la represión política de la posguerra : la jurisdicción e (...)
  • 22 Vilar, Sergio, Fascismo y Militarismo, Barcelone, Grijalbo, 1978, pp. 157-162.
  • 23 Lleixà, Joaquim, Cien años de militarismo en España : funciones estatales confiadas al Ejército en (...)
  • 24 Carro Martínez, Antonio, El Estado y las Fuerzas Armadas, Madrid, Ministerio de la Presidencia, 201 (...)
  • 25 Ibid., p. 15

7Adoptée en 1906, la loi sur la répression des délits contre la patrie et l’armée, « ley para la Represión de los delitos contra la Patria y el Ejército »18, illustre parfaitement l’inscription du militarisme dans l’ordre politique espagnol alors en formation19. Ce texte plaçait sous le pouvoir juridictionnel des tribunaux militaires toute attaque ou injure « à l’armée et aux symboles de la patrie ». Tout délit contre les armées était donc apparenté à un délit contre la patrie et l’Etat. Leur existence était susceptible d’être menacée par la présence d’ennemis à l’intérieur du pays, qu’il appartenait aux militaires de juger20. Ce principe a perduré jusqu’à la récente consolidation de la démocratie et a prévalu lors de la répression des opposants au franquisme pendant la guerre civile et l’après-guerre21. Le cas de cette loi est intéressant précisément parce qu’il condense trois enjeux transhistoriques de polarisation politique régulièrement mobilisés pour justifier l’interventionnisme militaire en Espagne : l’identité nationale espagnole (et la question de son articulation territoriale) ; la conception des différends dans l’arène politique comme une menace existentielle à l’Etat ; le caractère structurel de l’ingérence militaire en tant que moyen efficace de régler les crises politiques. Certains auteurs suggèrent à cet égard que les armées espagnoles auraient formé, au fur et à mesure, un « parti de nouveau type »22, notamment à partir de l’expérience de la dictature ou « monarchie militaire »23 du général Miguel Primo de Rivera (1923-1930) et plus encore pendant le franquisme (1939-1975). Le Ministre de la Présidence du gouvernement, Antonio Carro Martínez, affirmait d’ailleurs dans un discours prononcé en février 1975, quelques mois avant la mort de Franco, que les armées étaient « le nerf et le fondement de la Patrie, […] les dépositaires de valeurs essentielles et permanentes qui fondent notre système politique »24, ou, selon les propos de Franco lui-même cité par Carro Martínez, « la colonne vertébrale de l’Etat espagnol »25. Le pouvoir militaire n’est donc pas seulement une institution censée défendre le pays en cas de guerre ou maintenir l’ordre public face aux ennemis de l’intérieur.

  • 26 Casals i Meseguer, Xavier, « De Fuerza Nueva a Vox : de la vieja a la nueva ultraderecha española ( (...)

8Le militarisme implique l’imposition d’un regard spécifique sur toute conflictualité sociale. Ce regard se construit autour du prisme des confrontations militaires et à travers l’appareil philosophique, symbolique et culturel de la guerre. De ce fait l’idéalisation militariste de la culture militaire dans la société porte en elle la réduction des altérités ou des dissidences sociales au statut d’ennemis à déshumaniser et éliminer. La peur devient le liant qui permet de légitimer cette démarche. La polarisation politique, sous l’emprise militariste, tend donc à faire sortir toute divergence et contestation sociale de l’arène politique, la situant ainsi dans l’espace de la menace existentielle (et de ce fait la renvoyant à des catégories comme terroristes, mafias, etc.) Suivant cette logique, une fois celle-ci neutralisée, émergerait le « vrai » corps social qui serait un espace pacifié, consensuel et non polarisé. L’influence du militarisme, évidente dans les traditions politique de l’extrême droite espagnole, qui porte en elle l’héritage et les nostalgies franquistes26 est d’autant plus forte que celui-ci a joué un rôle clé dans la configuration de l’ordre social et politique. De ce fait, la participation des armées en tant qu’acteur politique n’aurait-elle pas influencé la polarisation et les guerres culturelles dans l’Espagne actuelle ?

Vox, militarisme et polarisation

  • 27 ETA est l’acronyme du basque « Euskadi Ta Askatasuna » voulant dire « Euskadi et liberté », ancien (...)
  • 28 Voir à ce sujet Rama, José, Zanotti, Lisa, Turnbull-Dugarte, Stuart J. et Santana, Andrés, « VOX: T (...)

9Le parti Vox est créé en 2013 alors que le Parti Populaire (PP), au pouvoir depuis 2011, accepte de conserver une partie de l’héritage réformateur du gouvernement socialiste dirigé par José Luis Rodríguez Zapatero (2004-2011), cesse de défendre publiquement les théories conspirationnistes sur les attentats commis à Madrid le 11 mars 2004 et maintient, dans les grandes lignes, la politique du gouvernement précédent concernant le processus de dissolution et de désarmement du groupe terroriste ETA27. Ces trois questions constituant des axes majeurs d’opposition entre la droite et la gauche espagnole à l’époque, une partie des militants du PP voient dans cette attitude une forme de renoncement et une inacceptable victoire idéologique de la gauche. En effet, une bonne partie des bases de ce nouveau parti est constituée d’un socle social réactionnaire et de déçu.e.s du PP28. En plus, Alejo Vidal-Quadras, premier président de Vox, tout comme le leader actuel, Santiago Abascal, est issu du PP. 

  • 29 Le Lieutenant Général José Mena parlait déjà en 2006 de la possibilité d’une intervention autonome (...)
  • 30 Voir notamment Said Hund, Elias, Merino Arribas, María Adoración et Sánchez Esparza, Marta, « Polar (...)
  • 31 Martí-Danés, Aleix, Antón-Merino, Javier et Tena-Sanz, Eduardo,« La confrontació com a bandera. Anà (...)
  • 32 Sur la compétition entre Vox, PP et Ciudadanos lors des élections régionales catalanes de 2021, voi (...)
  • 33 Forti, Steven, Extrema derecha 2.0. ¿Qué es y cómo combatirla ?, Madrid, Siglo XXI, 2021.
  • 34 Forti, Steven, « Aturar el discurs de l’odi és una urgència democràtica, també a Catalunya », Polit (...)

10A cet égard il nous semble intéressant de souligner ici que les deux personnalités politiques à l’origine de la fondation de Vox, Vidal-Quadras et Abascal, viennent de deux territoires avec mouvements indépendantistes forts (respectivement la Catalogne et le Pays basque). Le statut de ces territoires et leur revendication d’une identité nationale propre, vécue comme une atteinte à la Nation espagnole, est d’ailleurs un sujet majeur de polarisation dans le pays29 et fait l’objet, au niveau régional et national d’une guerre culturelle entre les indépendantistes et leurs contradicteur.ice.s30. De fait, un article récent analysant la stratégie discursive de Vox lors des élections régionales de 2021 en Catalogne montre que cette dernière se fondait principalement sur « la confrontation avec le mouvement indépendantiste catalan »31, qui primait sur d’autres thématiques comme le contrôle des flux migratoires. L’article souligne la dureté du ton et la « rhétorique belligérante » destinée à attiser le conflit. Cette stratégie semble avoir payé puisque le parti d’extrême droite, à la lutte avec le PP et Ciudadanos pour la conquête de l’électorat conservateur dans la région, est devenu la quatrième force politique du parlement catalan, surclassant ses deux adversaires directs dans les urnes32. Quelques semaines après les mêmes élections, Steven Forti, spécialiste des extrêmes droites en Europe et auteur de Extrema derecha 2.0. ¿ Qué es y cómo combatirla ?33, s’alarmait de la banalisation des discours de haine et pointait dans la presse la stratégie de Vox consistant à s’ériger en rempart contre le « politiquement correct », suivant un chemin déjà emprunté par les trumpistes américains et par d’autres partis d’extrême droite en Europe. Cet argument permet au parti de faire de l’insulte (machiste, raciste, homophobe et xénophobe) une modalité acceptable d’expression politique34. Forti dénonçait par la même occasion certains secteurs catalanistes ultra semblant s’accommoder parfaitement de ce mode d’expression. Au travers de cet exemple et de ces travaux Vox apparaît donc comme un agent qui, par ses discours, contribue à la polarisation de la société espagnole.

« Le militarisme ordinaire » et ses symboles

  • 35 Mudde, Cas, The Ideology of the Extreme Right, Manchester, Manchester University Press, 2000.
  • 36 Ferreira, Carles, « Vox as representative of the radical right in Spain: A study of its ideology », (...)

11L’article déjà cité de Martí-Danés, Antón-Merino et Tena-Sanz est à mettre en relation avec une recherche de Carles Ferreira parue en 2019 sur l’idéologie de Vox. Partant des travaux de Mudde35, Ferreira identifie sept axes doctrinaux à partir d’une analyse des discours du parti : « nacionalismo, nativismo, autoritarismo, antidemocracia, populismo, valores tradicionales y neoliberalismo », ce qui le conduit à classer Vox dans la catégorie « droite radicale » et non dans la catégorie « droite traditionnelle ». Il note cependant que la prédominance du « nationalisme décomplexé » et exacerbé dans les discours de Vox distingue le parti d’autres formations d’extrême droite européennes chez qui le populisme est plus central36. La logique militariste nécessite ainsi un appareil de représentations et une culture nationaliste qui se nourrissent de la guerre et de l’histoire impériale pour reconstruire précisément l’idée de communauté menacée ou en danger.

  • 37 Billing, Michael, Nacionalismo Banal, Madrid, Capitán Swing, 2014.
  • 38 Ibid., p. 24.
  • 39 Gonzalo Segura, Luis et Mora, Miguel, « La ultraderecha intenta apropiarse del ejército y la monarq (...)
  • 40 Público [editorial], « Militares retirados insisten con otra carta al rey en arremeter contra el go (...)
  • 41 Le gouvernement de centre gauche dirigé par le socialiste Pedro Sánchez était alors constitué de re (...)
  • 42 Gutierrez, Alicia, « El chat de 'La XIX del Aire' : mensajes de altos mandos del Ejército retirados (...)
  • 43 Moraga, Carmen, « Vox, sobre los militares retirados que escribieron al rey diciendo que el Gobiern (...)
  • 44 Casal, Xavier, « Exmilitares y Vox : pasado y presente », El Periódico de Aragón, le 18/12/2020, ht (...)

12Michael Billing, dans son analyse anthropologique du « nationalisme ordinaire » (« banal nationalism »37) considère que dans les nations consolidées, la nationalité et ses imaginaires sont continuellement rappelés de façon inaperçue. Pour Billing avoir une identité nationale réside, entre autres, dans le fait d’avoir les outils quotidiens pour parler de nationalité. Selon cette approche, le drapeau qui doit retenir notre attention n’est pas celui arboré consciemment, mais celui arboré, sans que personne ne le repère sur la façade d’une école ou autre institution38. Nous avançons ici que, dans le cas de Vox, on peut transposer le concept de Billing et parler de « militarisme ordinaire ». Celui-ci est perceptible lors des apparitions publiques ou actions du parti et ses membres, pendant lesquelles on peut observer l’un des ressorts de cette stratégie de polarisation : la confusion réitérée et délibérée entre les symboles nationaux et les symboles des armées. Les exemples sont nombreux, notamment chez le leader du parti et certains de ses collègues qui arborent à l’envi t-shirts ou accessoires portant les emblèmes des armées39. Par exemple, tout au long de la pandémie de nombreux membres de Vox portaient des masques avec des motifs militaires ou des masques de couleur verte, symbole des forces de police, marqués soit d’un drapeau espagnol, soit des emblèmes de la « Guardia Civil » ou d’autres corps militaires. Cette stratégie vise bien sûr à contenter les militaires, qui constituent une cible électorale pour le parti, mais aussi à normaliser la présence des armées dans l’espace public et médiatique. Fin 2020, dans deux lettres adressées l’une au roi d’Espagne et la seconde aux médias, un groupe de militaires, notamment des hauts gradés, pour la plupart retraités, s’inquiétaient de la situation de l’Espagne. La seconde missive, signée par 400 militaires, dénonçait notamment « l’imposition d’une pensée unique », « l’humiliation des symboles nationaux » et le grand « risque que cour[aien]t la démocratie et l’unité de l’Espagne »40. Prenant position contre le gouvernement de coalition au pouvoir41, ils se disaient prêts à défendre l’ordre constitutionnel et l’unité territoriale de l’Espagne si besoin. Peu après cet événement, filtra dans les médias, une conversation Whatsapp dans laquelle un des signataires de ces lettres, l’ex Général de Division Francisco Beca – dont les liens avec le PP et avec Vox sont attestés – exprimait son désir de « fusiller environ 26 millions » d’Espagnols, soit la moitié du pays, ravivant ainsi le souvenir d’une Espagne dans laquelle les divergences politiques pouvaient conduire à la mort42. Dans les jours qui suivirent, alors que le député socialiste Odón Elorza accusait Vox d’attiser la haine, la porte-parole du parti, Macarena Olona, souscrivit, depuis le Congrès des députés, aux propos tenus dans le chat43. Pour Xavier Casals, historien spécialiste de l’extrême droite espagnole, cet épisode est le signe d’une convergence entre passé et présent avec, d’une part, « le désir des militaires de recourir au Roi à des fins politiques » et d’autre part, « la volonté de Vox de s’ériger en « bras politique » des militaires, comme l’ont toujours fait, historiquement, les partis d’extrême droite44. Parmi les 33 députés que compte actuellement le parti, trois sont d’ailleurs d’anciens militaires.

  • 45 Ce discours lui permet d’affirmer sa légitimité malgré le fait qu’il n’a pas effectué le service mi (...)
  • 46 Redaction du Huffington Post, « Abascal responde a las críticas por haber llevado esta mascarilla e (...)
  • 47 Bourdieu, Pierre, Le Sens pratique, Editions du Minuit, 1980, p. 117.
  • 48 Illouz, Eva, Les Emotions contre la démocratie, Paris, Premier Pasarelle, 2022.
  • 49 La Legión Española est une force militaire d’élite crée par José Millán-Astray en 1920 dans le cont (...)
  • 50 Martínez, Laura, « Vox en Valencia : el novio de la muerte que quiere ofrendar glorias a España », (...)
  • 51 Redacción de La Vanguardia, « Abascal, partidario de cambiar el himno de España por ‘El novio de la (...)
  • 52 Vox appelle dans plusieurs de ses antennes à participer à ces événements : lien vers l'appel, consu (...)

13Santiago Abascal insiste régulièrement dans ses discours sur son expérience de militant de droite dans un Pays basque marqué par le terrorisme de l’ETA45 « plus dure qu’un service militaire »46. L’évocation de la violence armée et du terrorisme, récurrente dans les discours de Vox, sert à justifier ses positions politiques et permet de bâtir les fondamentaux d’un répertoire d’action politique qui incorpore l’imaginaire militaire dans les espaces civils. La présence fantasmée du terrorisme peut affecter le ton des prises de parole ou la manière d’occuper l’espace. Le but principal est de créer une image de fermeté, de solidité et de fiabilité par la construction d’un « hexis corporel »47. Celui-ci s’incarne et se bâtit autour du leader mais aussi socialement à travers des réunions publiques, des réseaux sociaux et autres. Il fait de la peur, en tant qu’émotion politique48, la condition nécessaire de l’existence de corps militarisés, contrôlés. Cette perception d’une menace existentielle hypothétique – le terrorisme – qui pourrait toucher tout le monde, permet de construire des répertoires et des programmes politiques basés sur l’existence d’une inimitié irréconciliable, d’une altérité totale (non politique). Les imaginaires militaires sont prégnants au sein de Vox : ils sont rassurants et articulent l’idée d’une communauté unie face aux menaces extérieures (notamment dans les périodes de changement social et de crise). La peur et la quête de sécurité sont les deux facettes d’un phénomène qui puise dans l’imaginaire militaire les ressources pour armer (au sens figuré) les représentations de la nation. Vox promeut une histoire de l’Espagne centrée sur l’armée et ses exploits et contribue, par ce biais et par ses discours, à alimenter et à exalter la culture militaire, brouillant ainsi les lignes entre armée et pouvoir politique. De ce fait, en 2019, pendant la campagne électorale qui a précédé les élections législatives, dans de nombreux rassemblements publics et meetings électoraux, El novio de la muerte (le fiancé de la mort), l’hymne de la « Légion »49, l’un des plus connus de l’histoire militaire récente du pays est régulièrement chanté50 et Santiago Abascal défend l’idée que celui-ci puisse devenir l’hymne national de l’Espagne et être entonné dans les écoles, parce que les hymnes légionnaires « donnent un sentiment d’appartenance et sont émouvants »51. Bien qu’il précise que cette proposition concrète n’est qu’une improvisation, la normalisation de ces imaginaires dans les actes politiques de Vox est récurrente et resserre l’identité nationale avec celle des armées. Que le parti encourage les citoyens à demander et à participer à des « juras de bandera », acte solennel et à la fois rituel d’origine militaire d’allégeance au drapeau organisées à la demande par l’institution militaire partout dans le territoire espagnol, est un autre témoignage de cette démarche52.

  • 53 Lien vers le site du festival Viva22 : https://viva22.es/, consulté le 2/10/2022.
  • 54 Notion développée par l’écrivain et intellectuel réactionnaire Ramiro de Maeztu dans son essai « De (...)
  • 55 Lien vers le streaming de l’événement : https://www.youtube.com/watch ?v =dj05nUrhg-c, consulté le (...)
  • 56 A ce sujet, voir notamment : Álvarez Benavides, Antonio Nicolás, Jiménez Aguilar, Francisco, « La c (...)

14L’implantation symbolique de l’univers militaire dans les discours sur la nation et ses symboles peut prendre des formes très différentes. Ainsi, depuis 2021, Vox organise le « Viva », un festival annuel au caractère « politique et culturel », qui propose notamment des reconstitutions historiques mettant en avant des personnages comme les rois ou les conquistadors dans des récits dramatisés auxquels participent ou assistent artistes, personnalités étrangères et militants53. Lors de l’édition 2022, un grand-père expliquait l’histoire de l’Espagne à son petit-fils, avec une insistance particulière sur la fierté et la défense de « la hispanidad »54, une notion chère à la droite espagnole. A l’issue du spectacle, Santiago Abascal lui-même brandissait « la hispanidad » comme un rempart face aux « blandos » (mous) et aux « woke » qui veulent détruire l’Espagne et son identité55. Il est indéniable que la survie de la nation, chez Vox, s’inscrit dans une généalogie culturelle masculine : la transmission imaginée de la mémoire des grands exploits et autres nostalgies impériales est pensée comme un héritage masculin. L’homme qui se révolte est celui qui, face aux conquêtes sociales, défend le caractère figé des identités de genre parce que ceci implique aussi la continuité de la nation56

  • 57 Hunter, James D., Culture War… op. cit., p. 42.
  • 58 Ibid., p. 42-43.
  • 59 Mbembe, Achille, op. cit., p. 76-78.

15La guerre culturelle menée par Vox à travers la militarisation des imaginaires de la nation, apporte, selon nous, un sens complémentaire à la notion développée par James D. Hunter57. En effet, la lutte pour la domination d’un éthos culturel et moral sur tous les autres, définition même de la guerre culturelle, se déroule aussi dans un cadre qui mobilise les symboles et la logique militaire : le résultat de ce combat doit être « ultime »58, définitif. La défaite des opposants, reconstruits discursivement sous forme spectrale puisqu’ils sont une menace existentielle, doit être totale59. A quel type de polarisation plus radicale que celle-ci pourrait-on penser ?

Militarisme et polarisation dans l’action et le programme politiques de Vox

  • 60 Illouz, Eva, op. cit., p. 94.

16Enraciné dans l’histoire politique des états, l’appareil symbolique et culturel qui relie polarisation et militarisme avec les propositions politiques de militarisation sociale est traversé par un même idéal : l’efficacité, l’idée d’une solution définitive, qui peut aller jusqu’à discipliner et/ou éliminer des groupes de population. La base de cette équation se trouve entre autres dans la peur en tant qu’émotion politique, car elle fait des altérités des figures menaçantes, prête à « nous » annihiler60 et qu’il faut donc neutraliser. A cet égard, les principaux axes d’action et propositions de Vox (même si les échéances électorales peuvent nuancer ses positionnements) sont traversés par le processus de militarisation précédemment analysé et reposent sur trois piliers : la restauration du service militaire obligatoire, la militarisation des frontières et de l’unité nationale, ainsi que la remise en question de la légitimité du gouvernement de coalition dirigé par Pedro Sánchez.

  • 61 Bessin, Marc, Autopsie du service militaire, Paris, éditions Autrement, 2002.
  • 62 Le document complet est en ligne sur le site du parti, https://agendaespaña.es, consulté le 4/10/20 (...)

17Le retour du service militaire obligatoire fut proposé par le leader du parti lors d’un acte de campagne des élections générales de 2019, dans le cadre des débats sur la « perte d’autorité » des enseignants à l’école. Cette forme de militarisation sociale est inextricablement liée, dès ses débuts, à la formation (l’alphabétisation surtout) et à la création d’un corps et d’une conscience nationale traversée par l’institution militaire, mais aussi au contrôle et au recensement des populations61. La discipline de la jeunesse devient donc un prérequis pour le maintien de l’ordre social et l’engagement dans la défense de la nation. Il s’agit d’une idée ancienne mais toujours d’actualité. A cet égard, un document programmatique du parti, nommé « Agenda España »62 en réponse à l’Agenda 2030 des Nations Unies, considéré par Vox comme un piétinement des intérêts de l’Espagne, défend le déploiement des armées sur toute la frontière sud de l’Espagne dans le but d’éviter une hypothétique invasion où les migrants deviennent envahisseurs. Pourtant, dans les villes de Ceuta et Melilla, cette frontière est déjà matérialisée par une longue clôture métallique double, haute de plusieurs mètres, et surveillée par la Gendarmerie marocaine et la Guardia Civil espagnole. Elle est donc déjà fortement militarisée.

  • 63 Illouz, Eva, op. cit., pp. 39-99.
  • 64 En 2020 et en 2023 Vox présenta un projet de loi visant à rendre illégaux les partis indépendantist (...)

18Ce que Vox propose s’inscrit dans la lignée des arguments mentionnés précédemment : la force militaire fantasmée mobilise des émotions profondes qui transforment le vivre ensemble et la politique institutionnelle. La peur prépare la militarisation sociale63, présentée comme synonyme d’efficacité pour le pouvoir. Les principes organisationnels des armées (la discipline, l’unité d’action, l’obéissance ou la hiérarchie) garantiraient, dans la gestion militariste des frontières, une solution présentée comme ferme et définitive, la préservation de l’Espagne et de l’identité espagnole qui serait menacée par les séparatismes (notamment les indépendantistes catalans et basques) et le « globalisme ». Ce type de proposition politique est possible dans un cadre de déshumanisation structurelle préalable, historique, des personnes migrantes et racisées, des minorités en général. Les indépendantistes n’échappent pas à ce phénomène bien que s’inscrivant dans une généalogie différente. De ce fait, le parti demande l’exclusion de la vie politique des partis indépendantistes basques et catalans64, c’est-à-dire leur élimination des institutions démocratiques, afin de protéger l’Espagne. Il s’agit donc, de nouveau, d’en finir avec l’ennemi de façon efficace et définitive, d’appliquer la logique de l’anéantissement de l’autre propre à la pensée militariste reversée sur le monde civil. La paix, la fin de la polarisation, ne serait possible qu’à cette condition.

  • 65 González, Miguel, « Vox capitaliza la primera manifestación de militares en España », dans El País, (...)
  • 66 Segura, Luis Gonzalo, El ejército de Vox, Madrid, Akal, 2020, p. 29.

19La rhétorique du « globalisme », quant à elle, englobe aussi bien les programmes des organisations internationales que les migrations et le multiculturalisme. Il s’agit d’un type de discours répandu dans l’extrême droite internationale qui, en Espagne, prend une tournure similaire à celle des mouvements de Trump et de Bolsonaro. Ainsi le gouvernement est présenté comme illégitime car en lien avec les deux menaces identifiées auparavant. Face à cette illégitimité il ne resterait d’autre option que la révolte. Vox cultive ainsi, et depuis quelques années, différents leviers au sein de la société civile (déjà évoqués) et des structures de l’Etat. Le cas des associations de policiers et de militaires est paradigmatique : l’organisation des militaires en associations est un phénomène en hausse en Espagne depuis une décennie et se traduit par une présence accrue dans l’espace public et ses liens avec autres acteurs civils. La présence visible et nombreuse de représentants de Vox dans les manifestations de militaires pour la défense des droits professionnels (retraites, salaires, etc.) ne relève nullement du hasard65 et permet au parti de consolider son influence idéologique au sein de ces organisations. Les militaires sont, de fait, un groupe professionnel attiré par ce que représente Vox, comme l’ont montré les résultats des élections générales de 2019 : Vox obtient des scores entre 15 % et 20 % plus élevés dans les territoires, quartier et villes avec des casernes ou des installations militaires proches66.

Conclusion

20Cet article avait pour but de montrer l’intérêt de penser ensemble les notions de militarisme et de polarisation à travers l’étude du cas de Vox, principal parti d’extrême droite en Espagne, qui constitue un terrain particulièrement intéressant. Comme nous l’avons rappelé, historiquement les armées ont joué un rôle central dans la structuration de l’Etat et de l’arène politique du pays ibérique. En même temps, la pensée militaire a également pesé sur l’identité nationale et les solutions envisagées à des différentes problématiques sociopolitiques. Cet héritage est particulièrement visible dans les discours et la pratique politique de Vox comme il vient d’être montré. Ce qui, nous semble-t-il, justifie d’adapter le concept de « nationalisme banal » de Billing et de parler de militarisme banal dans certains contextes. En mobilisant les émotions politiques, ce parti construit un imaginaire de solutions supposément efficaces et des visions subalternes et altérisées de ses adversaires – les indépendantistes, les personnes migrantes, les féministes, les minorités sexuelles, la gauche, etc. Le militarisme sert en tant que stratégie et amplificateur de la polarisation politique, martelant la conception schmitienne d’inimitié qui est enracinée dans la culture politique héritée du franquisme.

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Notes

1 Alcoceba Hernando, José Antonio, et al., « Análisis del discurso parlamentario de Vox en la XIV Legislatura. Crispación, polarización y nacionalpopulismo », Estudios sobre el mensaje periodístico, vol. 29, nº 1, 2023, pp. 1-14.

2 Waisbord, Silvio, « ¿Es válido atribuir la polarización política a la comunicación digital ? Sobre burbujas, plataformas y polarización afectiva », Revista de la Sociedad Argentina de Análisis político, vol. 14, nº 2, 2020, pp. 248-279 ; Rebollo-Bueno, Sarah, « El miedo en la propaganda de Vox. Twitter y su irrupción en la política española », Observatorio, vol. 16, nº 4, 2022, pp. 42-62 ; López-Rabadán, Pablo et Domenech-Fabregat, Hugo, « Nuevas funciones de Instagram en el avance de la “política espectáculo”. Claves profesionales y estrategia visual de Vox en su despegue electoral », El profesional de la información, vol. 30, nº 2, 2021, pp. 1-18.

3 Galtung, Johan, « Violence, Peace and Peace Research », Journal of Peace Research, 1969, vol. 6, nº 3, pp. 167-191; Jessop, Bob, The State: Past, Present, Future, Cambridge, Polity, 2015.

4 Ce concept, pour Achille Mbembe, permet de rendre compte de comment « les armes sont déployées dans le but d’une destruction maximum des personnes et de la création de ‘mondes de mort’, formes uniques et nouvelles d’existences sociale, dans lesquelles de nombreuses populations sont soumises à des conditions d’existence leur conférant le statut de ‘morts-vivants’« , pour plu voir : Mbembe, Achille, « Nécropolitique », Presses de Sciences Po – Raisons politiques, 2006, nº 21, p. 59. Reprenant ainsi cette notion, on peut mentionner les zones frontalières entre le sud et le nord global, lieux majeurs de nécropolitique, de « mondes de mort ». Melilla, enclave espagnole au Maghreb et frontière militarisée entre le Maroc et l’Espagne, est le théâtre quotidien de faits sanglants. Un des épisodes avec les plus mortifères, s’est soldé le 24 juin 2022 par la mort, en une seule journée, de 37 personnes et par la disparition d’au moins 76 autres. Voir Senante, Alfredo, « Tragedia en la valla de Melilla : Un año de impunidad tras la masacre », Amnistia Internacional, 26 juin 2023, https://www.es.amnesty.org/en-que-estamos/blog/historia/articulo/tragedia-en-la-valla-de-melilla-nunca-mas/, consulté le 30/06/2023.

5 Hunter, James Davison, Culture wars: the struggle to define America, New York, BasicBooks, 1992, pp. 35-43.

6 Lleixà, Joaquim, Cien años de militarismo en España : funciones estatales confiadas al Ejército en la Restauración y el franquismo, Barcelone, Anagrama, 1986 ; Ballbé Mallol, Manuel, Orden público y militarismo en la España constitucional, (1812-1983), Pamplona, Thomson Reuters Aranzadi, 2020.

7 Preston, Paul, La política de la venganza : el fascismo y el militarismo en la España del siglo XX, Barcelone, Península, 2020, p. 229.

8 Selon Finer, l’interventionnisme militaire en politique peut prendre quatre formes : l’influence, l’armée cherche à peser sur les décisions du gouvernement dans les limites de la légalité), le chantage, l’armée oblige le gouvernement les mesures qu’elle défend en brandissant la menace d’un soulèvement), le déplacement, l’armée fait chuter le gouvernement et le remplace par un autre gouvernement civil qui lui est plus favorable) ; la substitution, l’armée instaure un gouvernement militaire à la suite d’un coup d’Etat. Voir Samuel E. Finer, Los militares en la política mundial, Buenos Aires, Editorial Sudamericana, 1969.

9 Voir notamment, Navajas Zubeldía, Carlos, « La larga transición militar », Historia de la transición en Españalos inicios del proceso democratizador, sous la direction de : Quirosa-Cheyrouse Muñoz, Rafael, Madrid, Biblioteca nueva, 2007, pp. 219-234.

10 Voir à ce sujet Joana, Jean et Mérand, Frédéric, « Politique de défense et variétés du militarisme libéral », Gouvernement et action publique, vol. 2, nº 4, 2013, pp. 549-566.

11 Voir notamment Gusterson, Hugh et Besteman, Catherine, « Cultures of Militarism », Current Anthropology, vol. 60, sup. 19, février 2019, pp. 3-14; Lutz, Catherine, « Making war at home in the United States: Militarization and the current crisis », American Anthropologist, vol. 104, nº 3, pp. 723-735.

12 Gusterson, Hugh et Besteman, Catherine, op. cit., p. 53.

13 Ibid., p. 53.

14 DiMaggio, Paul, Evans, John et Bryson, Bethany « Have Americans’ Social Attitudes Become More Polarized », American Journal of Sociology, vol. 102, nº 3, 1996, pp. 690-755.

15 Schulze, Heidi, Mauk, Marlene et Linde, Jonas, « How Populism and Polarization Affect Europe’s Liberal Democracies », Politics and Governance, 2023, vol. 8, nº 3, p. 2.

16 Fiorina, Morris P. et Abrams, Samuel J., « Political Polarization in the American Public », Annual Review of Political Science, nº 11, 2008, pp. 563-588.

17 González Calleja, Eduardo, « Ejército », Diccionario político y social del siglo XX español, sous la direction de : Fernández, Sebastián, Javier et Fuentes, Juan Francisco, Madrid : Alianza Editorial, 2008, p. 434.

18 Votée au parlement espagnol, (Cortes) en 1906 et publiée dans son intégralité dans la Gaceta de Madrid, équivalent espagnol du Journal Officiel jusqu’en 1936), https://www.boe.es/datos/pdfs/BOE/1906/114/A00317-00318.pdf, consulté le 29/09/2022.

19 Cette loi s’inscrivait dans la continuité d’une norme juridique antérieure, la loi constitutive de l’Armée, « Ley Constitutiva del Ejército », de 1878, qui, dans son article 2, indiquait que l’une des missions des armées était de défendre la patrie face à « des ennemis externes et internes ».

20 Chaves Palacios, Julián, Justicia militar y franquismo : radiografía de los consejos de guerra, Cáceres, Ediciones del Ambroz, 2017.

21 Alvaro Dueñas, Manuel, « Los militares en la represión política de la posguerra : la jurisdicción especial de responsabilidades políticas hasta la reforma de 1942 », Revista de Estudios Políticos, nº 69, julio-septiembre 1990, p. 142.

22 Vilar, Sergio, Fascismo y Militarismo, Barcelone, Grijalbo, 1978, pp. 157-162.

23 Lleixà, Joaquim, Cien años de militarismo en España : funciones estatales confiadas al Ejército en la Restauración y el franquismo, Barcelone, Anagrama, 1896, p. 84.

24 Carro Martínez, Antonio, El Estado y las Fuerzas Armadas, Madrid, Ministerio de la Presidencia, 2012 [1975], p. 15. Citation originale : « el nervio y basamento de la Patria, […] las depositarias de los valores esenciales y permanentes que informan nuestro sistema político ».

25 Ibid., p. 15

26 Casals i Meseguer, Xavier, « De Fuerza Nueva a Vox : de la vieja a la nueva ultraderecha española (1975-2019) », Ayer. Revista de Historia Contemporánea, vol. 118, nº 2, 2020, pp. 365-380.

27 ETA est l’acronyme du basque « Euskadi Ta Askatasuna » voulant dire « Euskadi et liberté », ancien groupe terroriste qui combattait pour l’indépendance des territoires faisant partie d’Euskal Herria, Pays Basque français et espagnol ainsi que la Navarre.

28 Voir à ce sujet Rama, José, Zanotti, Lisa, Turnbull-Dugarte, Stuart J. et Santana, Andrés, « VOX: The Rise of the Spanish Populist Radical Right », London/New York, Routledge, 2021, pp. 17-23.

29 Le Lieutenant Général José Mena parlait déjà en 2006 de la possibilité d’une intervention autonome des armées espagnoles en Catalogne si le statut d’autonomie, « Estatuto de Autonomía », de 2006 ne respectait pas la Constitution. Aizpeolea, Luis et González, Miguel, « Bono destituye e impone arresto domiciliario al teniente general que expresó opiniones políticas », El País, 8/01/2006, https://elpais.com/diario/2006/01/08/espana/1136674802_850215.html, consulté le 22/09/2022.

30 Voir notamment Said Hund, Elias, Merino Arribas, María Adoración et Sánchez Esparza, Marta, « Polarización, misinformation and expressions of hate on Twitter: a case of nationalist and pro-independence groups in Spain », Observatorio, vol. 17, nº 2, 2023, pp. 52-80.

31 Martí-Danés, Aleix, Antón-Merino, Javier et Tena-Sanz, Eduardo,« La confrontació com a bandera. Anàlisi del discurs polític de Vox a les eleccions catalanes del 2021 », Comunicació. Revista De Recerca I d’anàlisi, vol. 40, nº 2, pp. 113-139.

32 Sur la compétition entre Vox, PP et Ciudadanos lors des élections régionales catalanes de 2021, voir Gil Grande, « Ciudadanos, PP, Vox y la pugna por el voto conservador en Cataluña », RTVE, 04/02/2021. https://www.rtve.es/noticias/20210204/ciudadanos-pp-vox-pugna-por-voto-conservador-cataluna/2072569.shtml, consulté le 29/11/2023. Sur les résultats des élections voir Fedriani, Irene, « 'Sorpasso' de Vox al PP y Ciudadanos : entra en el Parlament con once escaños y se convierte en cuarta fuerza », RTVE, 15/02/2021, https://www.rtve.es/noticias/20210215/vox-elecciones-parlament-catalan/2075546.shtml, consulté le 29/11/2023.

33 Forti, Steven, Extrema derecha 2.0. ¿Qué es y cómo combatirla ?, Madrid, Siglo XXI, 2021.

34 Forti, Steven, « Aturar el discurs de l’odi és una urgència democràtica, també a Catalunya », Politica i prosa, 01/04/2021, https://politicaprosa.com/aturar-el-discurs-de-lodi-es-una-urgencia-democratica-tambe-a-catalunya/, consulté le 11/12/2023.

35 Mudde, Cas, The Ideology of the Extreme Right, Manchester, Manchester University Press, 2000.

36 Ferreira, Carles, « Vox as representative of the radical right in Spain: A study of its ideology », Revista Española de Ciencia Política, vol. 51, 2019, p. 96.

37 Billing, Michael, Nacionalismo Banal, Madrid, Capitán Swing, 2014.

38 Ibid., p. 24.

39 Gonzalo Segura, Luis et Mora, Miguel, « La ultraderecha intenta apropiarse del ejército y la monarquía », dans CTXT, 8/5/2019, https://ctxt.es/es/20190508/Politica/26048/Luis-Gonzalo-Segura-Miguel-Mora-voto-extrema-derecha-militares-monarquia-vox.htm, consulté le 30/09/2022.

40 Público [editorial], « Militares retirados insisten con otra carta al rey en arremeter contra el gobierno de ‘comunistas, golpistas y proetarrras’«  Diario Público, 3/12/2020, https://www.publico.es/politica/militares-retirados-insisten-nueva-carta.html, consulté le 19/09/2022.

41 Le gouvernement de centre gauche dirigé par le socialiste Pedro Sánchez était alors constitué de représentants de différents partis : PSOE et Unidas Podemos.

42 Gutierrez, Alicia, « El chat de 'La XIX del Aire' : mensajes de altos mandos del Ejército retirados que sueñan con fusilamientos y golpes de Estado », Infolibre,1/12/2020, https://www.infolibre.es/politica/chat-xix-aire-mensajes-altos-mandos-ejercito-retirados-suenan-fusilamientos-golpes_1_1190758.html, consulté le 19/09/2022.

43 Moraga, Carmen, « Vox, sobre los militares retirados que escribieron al rey diciendo que el Gobierno amenaza la seguridad nacional : “Por supuesto que son nuestra gente », Eldiario.es, 4/12/2020, https://www.eldiario.es/politica/olona-militares-retirados-enviaron-carta-rey-supuesto-gente_1_6476955.html, consulté le 19/09/2022.

44 Casal, Xavier, « Exmilitares y Vox : pasado y presente », El Periódico de Aragón, le 18/12/2020, https://www.elperiodicodearagon.com/opinion/2020/12/18/exmilitares-vox-pasado-presente-46476264.html, consulté le 19/09/2022.

45 Ce discours lui permet d’affirmer sa légitimité malgré le fait qu’il n’a pas effectué le service militaire qui était obligatoire, à l’époque où il aurait dû le faire, et de désactiver les critiques et accusations d’imposture que cette situation peut engendrer.

46 Redaction du Huffington Post, « Abascal responde a las críticas por haber llevado esta mascarilla en el Congreso », Huffington Post, 15/09/2020, https://www.huffingtonpost.es/entry/abascal-mascarilla-bripac_es_5f607b77c5b6e27db1325cf0.html, consulté le 30/09/2022.

47 Bourdieu, Pierre, Le Sens pratique, Editions du Minuit, 1980, p. 117.

48 Illouz, Eva, Les Emotions contre la démocratie, Paris, Premier Pasarelle, 2022.

49 La Legión Española est une force militaire d’élite crée par José Millán-Astray en 1920 dans le contexte de la guerre coloniale au Maroc, dont Francisco Franco était officier.

50 Martínez, Laura, « Vox en Valencia : el novio de la muerte que quiere ofrendar glorias a España », Eldiario.es, 25/04/2019. https://www.eldiario.es/comunitat-valenciana/vox-valencia-ofrendar-glorias-espana_1_1578187.html, consulté le 27/11/2023.

51 Redacción de La Vanguardia, « Abascal, partidario de cambiar el himno de España por ‘El novio de la muerte’ y cantarlo en las escuelas », La Vanguardia, 22/04/2019, https://www.lavanguardia.com/politica/20190422/461777369098/santiago-abascal-himno-espana-escuelas-el-novio-de-la-muerte-elecciones-generales.html, consulté le 30/09/2022.

52 Vox appelle dans plusieurs de ses antennes à participer à ces événements : lien vers l'appel, consulté le 1/10/2022.

53 Lien vers le site du festival Viva22 : https://viva22.es/, consulté le 2/10/2022.

54 Notion développée par l’écrivain et intellectuel réactionnaire Ramiro de Maeztu dans son essai « Defensa de la Hispanidad », publié en 1934. Santiago Abascal a posé ostensiblement avec le livre de de Maetzu lors d’une photo du groupe parlementaire Vox en 2019.

55 Lien vers le streaming de l’événement : https://www.youtube.com/watch ?v =dj05nUrhg-c, consulté le 3/10/2022.

56 A ce sujet, voir notamment : Álvarez Benavides, Antonio Nicolás, Jiménez Aguilar, Francisco, « La contraprogramación de Vox : secularización, género y antifeminismo », Política y sociedad, vol. 58, nº 2, 2021, pp. 1-12 ; Alcaide Lara, Esperanza, « La imagen de la mujer en Vox. El discurso antifeminista de la “derecha radical” en España », Discurso y sociedad, vol. 16, nº 2, 2022, pp. 275-302 ; Santamaría Colmenero, Sara, « Masculinidad nacional e imperio en Vox » en Andreu Miralle, Xavier, coord.), El imperio en la casa : género, razón y nación en la España contemporánea, Madrid, Sílex, 2022, pp. 245-270 ;

57 Hunter, James D., Culture War… op. cit., p. 42.

58 Ibid., p. 42-43.

59 Mbembe, Achille, op. cit., p. 76-78.

60 Illouz, Eva, op. cit., p. 94.

61 Bessin, Marc, Autopsie du service militaire, Paris, éditions Autrement, 2002.

62 Le document complet est en ligne sur le site du parti, https://agendaespaña.es, consulté le 4/10/2022.

63 Illouz, Eva, op. cit., pp. 39-99.

64 En 2020 et en 2023 Vox présenta un projet de loi visant à rendre illégaux les partis indépendantistes basques et catalans afin de protéger l’unité de l’Espagne, que ces partis mettraient en danger. A la suite de ces deux échecs, le parti propose un référendum national sur cette question. Romero, Alexis, « Vox se queda solo en su intento de ilegalizar a los partidos independentistas », Público, 15/09/2020, https://www.publico.es/politica/vox-queda-ilegalizar-partidos-independentistas-no-prohi %20bir-ideas.html, consulté le 13/10/2022.

65 González, Miguel, « Vox capitaliza la primera manifestación de militares en España », dans El País, 19/9/2020, https://elpais.com/espana/2020-09-19/vox-capitaliza-la-primera-manifestacion-de-militares-en-espana.html, consulté le 10/10/2022.

66 Segura, Luis Gonzalo, El ejército de Vox, Madrid, Akal, 2020, p. 29.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vicente López Clemente, « Militarisme, polarisation et extrême droite : le cas de Vox en Espagne »Amnis [En ligne], 5 | 2024, mis en ligne le 25 décembre 2024, consulté le 17 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/amnis/10743 ; DOI : https://doi.org/10.4000/130is

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Auteur

Vicente López Clemente

Université Paris-Est Créteil, France, vicente.lopez-clemente@u-pec.fr

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