• 1 Hayes, Graeme, Ollitrault, Sylvie, La Désobéissance civile, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. (...)
• 2 Hayat Samuel, Démocratie, Paris, Anamosa, 2020, pp. 14-15.
• 3 Ibid., p. 66.

1Ce numéro se propose d’interroger la spécificité des mouvements politiques et sociaux contemporains à partir d’une réflexion collective autour de la notion de désobéissance civile, définie comme « un mode d’action illégal et citoyen1 » et comme une forme d’action politique et de résistance en démocratie. Cette approche requiert d’appréhender le concept de démocratie dans sa pluralité, avec ses ambiguïtés et dans sa dimension politique et sociale2 : « A la démocratie comme souveraineté populaire et comme participation au gouvernement par des organisations formées sur la base d’expériences collectives communes peut alors se combiner une conception de la démocratie comme activité collective de contestation de l’ensemble de ces relations de pouvoir3 ». Cette double mise en perspective s’avère centrale pour approfondir l’analyse de ces insoumissions collectives qui agissent sur la transformation et la structuration des engagements militants et associatifs mais aussi sur les stratégies et réponses apportées par la sphère institutionnelle.

• 4 Ogien, Albert et Laugier, Sandra, Pourquoi désobéir en démocratie ?, Paris, La Découverte, 2011, p. (...)
• 5 Rawls, John, Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1987, p. 405.
• 6 Sommier, Isabelle, « Cycle de mobilisation », Dictionnaire des mouvements sociaux, sous la directio (...)

2Alors que face à une demande citoyenne de changements institutionnels et sociétaux, ces formes de mobilisation qui visent à transgresser des interdits se multiplient, les contributions réunies dans cette publication cherchent à rendre compte de la diversité des modes d’action désobéissants, de leur évolution dans un contexte de crise des régimes représentatifs ainsi que de leur impact sur les discours politiques. Quelles sont les revendications portées par la désobéissance dans la sphère publique contemporaine et quelles sont les stratégies mises en œuvre par les acteurs institutionnels face à cet activisme citoyen ? Comment se manifestent les rapports de force mais aussi les interactions entre ces mouvements protestataires et le pouvoir politique ? Il s’agit de comprendre comment ces mouvements qui nourrissent de nouvelles formes d’organisation collective participent d’un changement social et politique. Ainsi, considérée comme un moyen d’agir dans l’espace public, la désobéissance civile est « un geste politique qui conduit des individus à s’associer pour contester, en refusant de s’y soumettre, la légitimité de dispositions législatives ou réglementaires bafouant ou mettant en péril un droit dont un citoyen devrait jouir4 ». Autour de cette définition s’articulent, cependant, un certain nombre d’interrogations qui mettent au jour la relation complexe et conflictuelle entre pratiques désobéissantes et légitimité. En effet, bien que dès les années 1970, la philosophie politique anglo-saxonne ait posé un cadre théorique pour aborder ces questionnements et que de nombreux auteurs s’accordent à retenir la définition proposée par John Rawls – « la désobéissance civile est un acte public, non violent, décidé en conscience mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement5 » – cette notion ne fait toujours pas l’objet d’un consensus et semble en perpétuelle évolution, au regard des situations politiques et sociales dans lesquelles elle est mobilisée et revendiquée. En ce sens, elle est à relier au concept de « cycle de mobilisation » qui se caractérise par « l’intensification du conflit, sa diffusion géographique et sociale, l’apparition d’actions spontanées mais aussi de nouvelles organisations, l’émergence de nouveaux symboles, de nouvelles interprétations du monde et idéologies, ainsi que l’extension du répertoire d’action6 ».

• 7 Butler, Judith, « “Nous, le peuple” : Réflexions sur la liberté de réunion », Qu’est-ce qu’un peupl (...)

3A travers des exemples concrets qui s’appuient sur l’étude des luttes féministes, écologistes, anti-extractivistes ou de mouvements d’indignation citoyenne, les travaux rassemblés dans cette publication montrent que la désobéissance civile s’inscrit dans ces dynamiques protestataires qui convoquent des symboliques particulières et de nouveaux modes de contestation. Autant de signes de reconnaissance qui construisent l’identité de ces mouvements et leur mémoire sociale et peuvent devenir une source d’inspiration pour l’émergence de futures mobilisations. Les analyses présentées démontrent que leurs logiques organisationnelles font interagir des identités sociales et culturelles dans lesquelles l’occupation de l’espace public s’avère être un élément central. Cette appropriation physique et symbolique de l’espace public peut également se faire à travers une théâtralisation des actions et des scénographies qui accroissent le sentiment d’appartenance au groupe. En effet, l’étude des pratiques désobéissantes qui se construisent en réaction à des modèles de société implique d’aborder la dimension du collectif/de la communauté afin de penser cette transgression en fonction de solidarités (ré)activées, destinées à favoriser une émancipation sociale et culturelle. Ainsi se pose la question de la corporéité dans ces processus contestataires et de leur incidence dans la création d’une identité collective stratégique. Comment ces processus contestataires mettent en jeu/en scène les corps des activistes de façon réelle ou figurée ? Il s’agit de s’interroger sur la sémiologie manifestante à travers la fonction physique et symbolique des corps « qui se réunissent dans la rue, ou sur Internet […] et dont les revendications se font par la parole, l’action, le geste, le mouvement, par les bras entrelacés, par le refus de bouger […] et forment ensemble des réseaux de résistance7 ». Ces formes d’engagement contemporaines se développent également au travers de pratiques artistiques qui redessinent l’espace contestataire et contribuent à visibiliser et à médiatiser différentes modalités de désobéissance. L’artivisme participe d’un renouvellement des répertoires d’action, et permet aux collectifs désobéissants d’expérimenter de nouvelles formes d’interaction.

• 8 Ogien, Albert et Laugier, Sandra, op.cit., p. 13.
• 9 Rosanvallon, Pierre, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2014.

4A partir de réflexions théoriques mais aussi d’études de terrain et d’échanges avec des activistes, cette publication confronte, dans une perspective pluridisciplinaire très stimulante, différentes approches pour aborder la notion de désobéissance civile en tant que « revendication d’une participation étroite au processus de décision politique, […] ou d’une transformation des formes de l’activité politique8 ». Elle vise ainsi à éclairer les débats contemporains sur la démocratie et « la contre-démocratie9 » dans les sociétés européennes et américaines en s’appuyant sur des exemples qui portent sur les Etats-Unis, l’Espagne, le Chili, l’Argentine.