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  • 1 Ce projet de recherche a bénéficié du soutien financier d’UP-SQUARED, projet France 2030, PIA4 « Ex (...)
  • 2 La FE2C est née en 2012 dans le but de fédérer au-delà des structures d’organisation traditionnelle (...)

1Dans le cadre de l’appel à projets « Equilibre(s) des pouvoirs »1, la Fédération des études de civilisation contemporaine (FE2C2) a organisé, en collaboration avec des chercheurs et des chercheuses de différentes disciplines, deux journées d’études sur les mouvements sociaux et leur institutionnalisation à Barcelone et La Rochelle en juin 2023. Ce numéro spécial recueille une partie des communications présentées lors de ces journées et se propose d’approfondir la réflexion autour du thème du renouvellement de l’action collective à la suite de la crise internationale de 2008.

2A travers une approche comparée des contextes européen et américain, nous examinerons les registres d’action et les fondements théoriques de différents mouvements sociaux, leurs stratégies de visibilisation et les processus d’institutionnalisation qui en ont découlé (ou non), dans le but de déterminer s’ils ont contribué à l’émergence de nouveaux pouvoirs (ou, tout au moins, à un rééquilibrage des pouvoirs) en facilitant notamment l’empowerment des citoyens. 

  • 3 Ibarra Güell, Pedro, ¿Tienen otro futuro los movimientos sociales ?, Barcelona, Icaria, 2021, p. 19

3Depuis 2008, de nouvelles formes de mobilisation se sont développées, entraînant de profondes modifications dans la culture sociale. Alors que, jusqu’à la fin des années 1980, prédominait une conflictualité sociale « ordonnée » (c’est-à-dire, caractérisée par des revendications sectorielles faisant l’objet d’une négociation entre les organisations sociales et syndicales et les pouvoirs publics), la fin de l’Etat providence, la mondialisation et le virage néolibéral de l’économie ont provoqué un recul de l’action collective et une désorientation stratégique entre la période 1990-2008, que l’historien et politologue Pedro Ibarra qualifie de cycle d’« incertitude » 3.

4La crise financière internationale et les politiques d’austérité qui lui ont succédé ont conduit à l’avènement d’un troisième cycle de la mobilisation sociale : celui de la « redéfinition des stratégies ». Le raisonnement était le suivant : si les pouvoirs publics cachent derrière une apparence formelle de démocratie une attitude de mépris vis-à-vis des exigences sociales, alors il convient de repenser les stratégies de transformation de la société depuis et vers la société. C'est-à-dire de s’émanciper des partis et des syndicats, opérant essentiellement dans le cadre institutionnel, et de développer des méthodes d’action et de communication pour que ces demandes soient désormais vues, entendues et prises en considération par les gouvernants.

  • 4 Betancour, Gomer et Azquin, Adriana, Diez años construyendo ciudadanía en movimiento(s). El 15-M y (...)
  • 5 Laclau, Ernesto, La Raison populiste, Paris, Le Seuil, 2008. Mouffe, Chantal, The Democratic Parado (...)

5Ces réflexions ont fait émerger de nouvelles revendications (à la fois locales et globales), registres d’actions (occupation des places en Espagne ou des ronds-points en France), d’organisation (administration des lieux de protestation selon une logique communautaire, comme préfiguration de la société à construire) et de communication à travers, notamment, l’usage des réseaux sociaux4. Sous l’influence des théories d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe5, plusieurs mouvements ont également choisi de s’institutionnaliser en fondant des coalitions électorales ou des partis, tels Podemos ou Siriza, tandis que d’autres maintenaient une attitude de défiance vis-à-vis de la politique institutionnelle.

6Treize ans après les événements d’Occupy Wall Steet aux Etats-Unis, le spécialiste de civilisation nord-américaine Saïd Ouaked s’interroge sur l’interprétation controversée de cette mobilisation en faveur d’une plus grande justice sociale et d’une meilleure répartition des richesses : faut-il voir dans cet acte de protestation un « moment » ou un « mouvement » ? Comment évaluer l’efficacité d’une mobilisation sociale ? Les critères de durée et de résultats concrets, appliqués aux mobilisations des cycles historiques antérieurs, sont-ils toujours pertinents ou bien méritent-ils d’être révisés ?

7L’influence de la pensée de Chantal Mouffe et d’Ernesto Laclau sur les mouvements de l’après 2008, et plus particulièrement sur celui des Indignés en Espagne, conduit l’hispaniste Laure Beltran à examiner les concepts d’« hégémonie » et de « contre-hégémonie » développés par ces philosophes postmarxistes. A partir d’une étude de différents discours politiques de Podemos, elle démontre comment ces organisations ont resémantisé certains signifiants diffusés par la culture hégémonique et œuvré en faveur d’une nouvelle praxis politique.

8En écho à cette contribution, le géographe et philosophe Eric Puisais revient sur la révolte des Gilets jaunes en France. L’analyse de leurs revendications fiscales, de leur slogan « Nous sommes le peuple » et de leur stratégie de mise en scène du corps l’amène à définir ce mouvement comme une tentative d’ouverture de l’espace public. En effet, bien que le mouvement des Gilets jaunes possède certaines similitudes avec d’autres mobilisations collectives de la période, il ne prétend pas révolutionner l’économie néolibérale, ni changer les règles de la démocratie libérale, mais plutôt en rappeler les fondements.

9La politologue Julie Massal propose, quant à elle, une réflexion sur les transformations de la mobilisation sociale en Colombie dans le contexte de négociation puis d’accord de paix avec la guérilla des FARC, au cours de la dernière décennie. Elle démontre comment la recomposition des acteurs sociaux traditionnels, couplée à la création d’alliances intersectorielles, ont réactivé la mobilisation collective, comme en attestent les grèves générales de 2019-2021. Malgré la permanence d’une répression institutionnelle, cette mobilisation a également formulé la demande de changements socio-culturels et économiques profonds, auxquels le gouvernement récemment élu du progressiste Gustavo Petro est désormais amené à répondre.

10Ce numéro fait aussi la place à deux types de retour d’expérience. Le philosophe et militant écologiste Alain Deneault, fondateur du Parti de la transition – Péninsule acadienne au Canada, relie ici son expérimentation de la politique au concept de biorégionalisme. Cette pensée, qui propose un affranchissement des délimitations frontalières et des logiques productivistes en faveur d’une vie humaine en harmonie avec les écosystèmes, invite notamment à repenser l’action politique à l’échelle municipale et régionale pour sauver ce qui peut encore l’être de la planète.

11L’analyse de deux ouvrages autobiographiques écrits par des figures féminines de partis politiques émergents (Catherine Dorion de Québec Solidaire et Gala Pin de Barcelone en Commun) conduit enfin l’hispaniste Ludivine Thouverez à s’interroger sur le rôle des livres politiques dans la communication de ces partis et sur une éventuelle transgression des codes de ce genre (ou sous-genre) littéraire, généralement associé aux « politiciens professionnels ». Indirectement, sa contribution invite aussi à dresser un bilan de ce troisième cycle historique de l’action collective.

12La frustration générée par le non-avènement de cet « autre monde possible » promis lors de l’épidémie mondiale de COVID-19, la débâcle des partis émergents aux dernières élections, l’ascension de l’extrême-droite dans plusieurs pays du monde occidental, de même que le retour à des mobilisations sectorielles (dont l’exemple le plus récent serait la révolte des agriculteurs en Europe) laissent en effet présager la fin de la « redéfinition des stratégies » et l’inauguration d’un nouveau cycle historique, dont il conviendra d’observer les évolutions avec attention.

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Notes

1 Ce projet de recherche a bénéficié du soutien financier d’UP-SQUARED, projet France 2030, PIA4 « Excellences sous toutes ses formes » (ANR-21-EXES-0013).

2 La FE2C est née en 2012 dans le but de fédérer au-delà des structures d’organisation traditionnelles des équipes de scientifiques rattachés à des départements de langue et dont l’enseignement et la recherche portent sur les civilisations étrangères. Elle regroupe des membres des laboratoires MIMMOC (Poitiers), EHIC (Limoges), D2IA (La Rochelle-Bordeaux Montaigne) et REMELICE (Orléans). URL : https://fe2c.prd.fr/

3 Ibarra Güell, Pedro, ¿Tienen otro futuro los movimientos sociales ?, Barcelona, Icaria, 2021, p. 19.

4 Betancour, Gomer et Azquin, Adriana, Diez años construyendo ciudadanía en movimiento(s). El 15-M y otras luchas hermanas, Manresa, Bellaterra, 2021.

5 Laclau, Ernesto, La Raison populiste, Paris, Le Seuil, 2008. Mouffe, Chantal, The Democratic Paradox, London, Verso, 2000.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Ludivine Thouverez et Eric Puisais, « Avant-propos »Amnis [En ligne], 4 | 2024, mis en ligne le 21 juin 2024, consulté le 18 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/amnis/9067 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11vil

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Auteurs

Ludivine Thouverez

Université de Poitiers, France, ludivine.thouverez@univ-poitiers.fr

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Eric Puisais

Université catholique de l’Ouest, France, epuisais@uco.fr

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