Mara Fazio, Pierre Frantz et Vincenzo De Santis (dir.), Les Arts du spectacle et la référence antique dans le théâtre européen (1760-1830)
Mara Fazio, Pierre Frantz et Vincenzo De Santis (dir.), Les Arts du spectacle et la référence antique dans le théâtre européen (1760-1830), Paris, Classiques Garnier, 2018, 402 p., 37 € / ISBN 9782406066439.
Texte intégral
1Cet ouvrage est issu d’un colloque international portant le même titre qui s’est tenu en deux temps les 14 et 15 décembre 2012 à l’Université Paris Sorbonne et les 8 et 9 février 2013 à l’Università di Roma la Sapienza. En introduction M. Fazio, P. Frantz et V. De Santis soulèvent la problématique de l’utilisation dans certaines œuvres de sujets liés à l’Antiquité au théâtre qui se retrouvent, pour cette raison, catégorisées comme néoclassiques. Au contraire, l’ouvrage propose de montrer que cette utilisation n’est plus nécessairement synonyme de conservatisme dans le théâtre du xviiie siècle et que l’Antiquité permet de « penser le nouveau sur le mode du retour », accompagnant les évolutions du théâtre de son temps voire favorisant les changements de règles d’écriture. Les contributions de l’ouvrage sont réparties en trois parties : « dramaturgie et référence antique » ; « l’Antiquité et la scène » ; « chanter et danser l’Antiquité ». Une bibliographie thématique sélective de quatre pages est proposée en fin d’ouvrage ainsi qu’un index des noms propres.
2La contribution proposée par R. Bret-Vitoz présente le Spartacus de B.-J. Saurin (1760) et l’utilisation du personnage afin de renouveler l’idéal du héros classique et lutter notamment contre le préjugé de naissance avec un héros de basse extraction, à la suite de l’esprit des Lumières. M. Delon revient en trois temps sur la Térentia de Diderot : après avoir comparé l’écriture du plan du philosophe et celle, classique, de la versification en alexandrin de Tronchin, il aborde la redirection de l’héroïsme masculin sur les personnages féminins puis la question de la désacralisation du serment antique. T. Julian évoque quant à lui l’usage paradoxal de l’Antiquité, à la fois rejetée et persistante, dans la construction des tragédies nationales à travers les œuvres de M.-J. Chénier et présente les différences et les points communs entre pièces à l’antique et pièces nationales. E. Bellot distingue plusieurs degrés de rapprochements entre l’Antiquité et la France révolutionnaire (1789-1799) dans différents genres où la métaphore devient « plus politique que poétique » et suit les évolutions de la période. S. Marchand propose le suivi des réécritures, de 1767 à 1845, de Virginie, fable romaine tirée de Tite-Live, oscillant entre tragédie sentimentale et politique, entre drame privé et public. La contribution de M. Saint Martin approche le problème posé par l’imitation du théâtre antique : comment adapter la fable ancienne au public et aux règles dramatiques modernes, mais aussi comment définir puis appliquer l’esthétique « antique » appelée comme pierre de refondation. Le texte de M. Melai dresse le portrait du peuple romain dans la tragédie de la France post-révolutionnaire, alternant entre la plebs haïssable et stupide et le populus incarné et héroïque selon l’idéologie de l’auteur. Fr. Lecercle revient sur le sujet prisé de Médée avec les exemples de R. Glover (1761) et J.-M.-B. Clément (1779) et sur l’inventivité du retour à l’Antiquité et notamment la mise en avant de l’idéologie maternelle. La réécriture porte aussi au fabuleux et à l’hybridation des genres comme le présente A. Fabiano via le Sémiramis de Gozzi (1786). B. Alfonzetti livre, elle, une approche thématique sur les représentations de la Grèce antique en Italie, notamment Sparte et Athènes, à l’époque impériale (1796-1813). G. Laudin aborde les usages, en particulier politiques et classico-romantiques, de l’Antiquité dans le théâtre allemand en décrivant de très nombreux exemples pris entre 1760 et 1830.
3Introduisant la deuxième partie, l’article de P. Frantz met sur le même plan théâtre national et à l’antique quant au traitement de la dimension visuelle du sujet. J. Razgonnikoff jauge l’évolution de la scénographie (décors et costumes) dans les représentations de J. Racine, en particulier Andromaque, Iphigénie en Aulide et Britannicus. V. De Santis se centre sur la représentation du modèle antique des Atrides, notamment chez N. Lemercier, Mely-Janin et A. Soumet et au regard du contexte politique de l’époque (1797-1822). G. Ambrus livre une véritable enquête historique autour de la relation chaotique entre L.-J. Chénier et J.-L. David, plus précisément autour du projet des Thermopyles. Toujours autour du modèle spartiate, M. Fazio présente la mise en scène picturale du Léonidas (1825) de M. Pichat proposée par le baron J. Taylor et P. Cicéri tout en évoquant son rapport avec l’actualité de la guerre d’indépendance grecque. L’utilisation de l’Antiquité et en particulier de la sculpture dans les réflexions sur les théories du jeu des acteurs et le parallélisme entre les arts est plus globalement mise en avant par la contribution de L. Marie. S. Bellavia aborde les réflexions sur l’idéal dramatique de Goethe à Weimar et, à l’intérieur, l’influence de l’Antiquité grecque sur le poète allemand. Enfin, F. Moulin propose une relecture du paradoxe des références à l’Antiquité dans la production littéraire et architecturale de N. Ledoux : l’écriture classique protège l’innovation extrême de l’architecture qui voit s’effacer l’amphithéâtre antique.
4La dernière partie, consacrée à l’opéra et au ballet, élargit les bornes chronologiques de l’ouvrage avec tout d’abord l’article de Fr. Lévy qui aborde, notamment à travers les exemples d’Achille in Sciro de P. Metastasio et A. Caldara (1736) et Gli Orazi i Curiazi d’A. Sografi et D. Cimarosa (1796), l’influence de la référence antique sur les décors et, dans une moindre mesure, sur la musique des opéras du xviie siècle. A. Rostagno compare ensuite l’utilisation de la même référence antique à Sappho chez G. Pacini (1840) et Ch. Gounod (1851) et replace leurs œuvres dans leur cadre national réciproque. M.-C. Schang analyse, à partir des réflexions d’A. Grétry dans ses Mémoires, le traitement des personnages antiques et le modèle construit par le compositeur, notamment dans Le jugement de Midas (1778), en réaction à celui de Chr. W. Glück. M. Stacca s’intéresse aux déclinaisons du topos du triomphe d’inspiration antique au regard du contexte politique et religieux de l’Italie se dirigeant vers son Risorgimento. Fl. Pappacena s’attache à évaluer les innovations techniques et chorégraphiques du Télémaque de P. Gardel (1790) et Dauberval (1791). Enfin c’est La Vestale de S. Viganò et G. Spontini (1818) qui est présentée par Cl. Celi qui montre dans la construction chorégraphique l’équilibre entre référence antique et nécessités romantiques du moment.
5Le lecteur tire de cette « juxtaposition » (p. 10) de contributions une somme extrêmement riche et des réflexions novatrices. Les créations d’Italie et de France servent de socle principal aux analyses, viennent ensuite celles d’Allemagne et, dans une moindre mesure, d’Angleterre. L’introduction, claire et accessible, gagnerait, en l’absence de conclusion générale, à développer les questionnements terminologiques afin de donner un peu plus de relief aux « convergences, similitudes qui apparaissent, mais aussi des différences, nationales ou liées à la singularité des trajets et des carrières » (p. 10) à la lecture des contributions individuelles. Pour exemple, la polysémie du terme classicisme, l’ambiguïté et la difficulté à classer les sujets « à l’antique » chez les Anciens ou les Modernes ne font l’objet d’aucun traitement spécifique, d’aucun renvoi historiographique, même en note, et chaque auteur propose (ou non) ses propres définitions. Exception faite de cet éparpillement épistémologique qui aurait donné plus de relief à un tout très foisonnant, l’ouvrage alterne avec pertinence entre études monographiques et analyses plus globales et comparatistes, entre périodes, entre styles et entre nations.
Pour citer cet article
Référence papier
Arnaud Saura-Ziegelmeyer, « Mara Fazio, Pierre Frantz et Vincenzo De Santis (dir.), Les Arts du spectacle et la référence antique dans le théâtre européen (1760-1830) », Anabases, 30 | 2019, 237-239.
Référence électronique
Arnaud Saura-Ziegelmeyer, « Mara Fazio, Pierre Frantz et Vincenzo De Santis (dir.), Les Arts du spectacle et la référence antique dans le théâtre européen (1760-1830) », Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2019, consulté le 17 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/anabases/10173 ; DOI : https://doi.org/10.4000/anabases.10173
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