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Comptes rendus

Annelies Lannoy, Alfred Loisy and the Making of History of Religions. A Study of the Development of Comparative Religion in the Early 20th century

Guy G. Stroumsa
p. 287-288
Référence(s) :

Annelies Lannoy, Alfred Loisy and the Making of History of Religions. A Study of the Development of Comparative Religion in the Early 20th century, Berlin et Boston, De Gruyter, 2020, 366 p. / ISBN 9783110583779, 86,60€

Texte intégral

1Comme nous le rappelle l’exergue de ce beau livre, Alfred Loisy (1857-1940) se prenait pour « l’Einstein de l’histoire des religions », « pour avoir dit que la vérité des Écritures était relative ». On se prend à sourire. Pour s’en tenir aux chercheurs catholiques l’ayant précédé, nommons au moins l’oratorien Richard Simon (1638-1712), ou même son maître Ernest Renan, mort quand Loisy avait trente-cinq ans – sans compter que l’étude critique des textes bibliques ne représente pas vraiment toute l’histoire des religions. Prêtre excommunié en 1908, et élu à la chaire d’histoire des religions du Collège de France l’année suivante, il y enseignera pendant de longues années. C’est cependant plus pour son rôle décisif dans la formation du mouvement moderniste dans le catholicisme français que pour son approche des phénomènes religieux que Loisy est passé à la postérité. On peut citer à ce sujet sa phrase célèbre : « Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est venue. »

2Dans un ouvrage novateur, qui fait le point sur le personnage scientifique de Loisy, Annelies Lannoy se propose de cerner de façon précise le personnage scientifique de Loisy, pour comprendre, en suivant les péripéties majeures de sa carrière, à travers son évolution intellectuelle, sa contribution à la discipline de l’étude historique des religions. En cinq riches chapitres, Lannoy fournit des analyses méticuleuses, en s’appuyant non seulement sur les écrits publiés de Loisy et de ses contemporains, mais aussi sur sa correspondance (par exemple avec des savants tels que Franz Cumont et Salomon Reinach).

3L’auteure part de L’Évangile et l’Église (1902), qui, annonçant la crise moderniste, représente la réponse de Loisy aux vues de Harnack sur la spécificité incomparable du christianisme (Das Wesen des Christentums [1901]), montrant que, déjà, Loisy insiste pour comprendre la naissance du chris­tianisme dans le cadre des religions du monde méditerranéen et proche-oriental : judaïsme et hellénisme avant tout. L’élection de Loisy au Collège de France, objet du second chapitre, peint de couleurs vives le délicat ballet, ou, si l’on préfère, l’imbroglio, entre projets scientifiques, attitudes religieuses, préférences politiques, préjugés et antipathies personnelles qui semble être la règle (en tous cas à l’époque) dans cette auguste institution. Le chapitre trois insère Loisy dans le contexte des relations entre magie, science et religion dans la France du début du xxe siècle. Reinach, porte-parole de l’anthropologie britannique, et Mauss (qui perdit face à Loisy l’élection au Collège en 1909) sont ici les interlocuteurs privilégiés. Le rejet du « mythe du Christ », et Les mystères païens et le mystère chrétien (1919) font l’objet du chapitre quatre. Lannoy montre comment c’est grâce à la théorie (venue d’Angleterre) du ritualisme que Loisy réfute l’idée (saugrenue mais largement diffusée à l’époque) que la personne de Jésus n’avait rien d’historique. Dans un dernier chapitre, ce sont les recherches comparatives (menées pendant plusieurs années dans ses cours au Collège de France) sur l’histoire et l’idée du sacrifice qui sont étudiées. Lannoy montre bien comment l’approche de Loisy sur le sacrifice s’oppose aux conceptions d’Hubert et de Mauss.

4S’il fallait définir le genre dans lequel s’inscrit l’ouvrage, on pourrait parler de micro-histoire intellectuelle et insti­tutionnelle, en faisant allusion à la micro­storia pratiquée avec verve, dans l’Italie des années 1970, par Giovanni Levi, Carlo Ginzburg et Simona Cerutti. On apprend vraiment beaucoup sur Loisy et sur son œuvre, tous deux réintégrés dans leurs milieux intellectuel, religieux, politique et institutionnel. Ce qui frappe avant tout, c’est la complexité de l’agencement de ces milieux. Loisy évolue entre les chercheurs catholiques, protestants, juifs, catholiques hérétiques, comme lui, libre penseurs, laïcs, agnostiques et athées. Les dimensions européennes de la recherche en histoire des religions vers la fin du xixe siècle et dans les premières décennies du xxe siècle, abordées par le biais du héros dans ce livre, montrent à quel point la France (ou plutôt Paris) fait exception. L’histoire des religions prend son essor institutionnel, en France, dans le troisième tiers du xixe siècle, avec la création d’une chaire d’histoire des religions au Collège de France et de la Section des Sciences Religieuses à l’École Pratique des Hautes Études. Le rôle des chercheurs protestants, et aussi des chercheurs juifs, est ici fondamental : nulle part ailleurs, de l’autre côté du Rhin ou de la Manche, on ne trouve des savants de différentes identités religieuses (ou des libres penseurs) travaillant ensemble, avec les mêmes méthodes, en histoire comparée des religions. Une telle situation exceptionnelle de la France devait permettre le développement d’approches nouvelles. Par exemple, à la fois catholiques et juifs insistent sur le rôle central du rite, plutôt que, comme les protestants, sur la foi, pour définir l’essence de la religion. Pourtant, ce statut et ce rôle particuliers de la France dans la discipline sont trop souvent passés sous silence, ou restent mal compris.

5On est en droit de se demander pourquoi l’impact de Loisy, en France tout autant qu’à l’étranger, restera somme toute mineur. La réponse à cette question, seulement esquissée par Lannoy, me semble être liée, au moins en partie, au fait que c’est la naissance du christianisme qui reste le cœur de l’intérêt de Loisy. Or les études néotestamentaires, développées surtout en milieu protestant, ne jouent nulle part un rôle important dans la discipline de l’histoire comparée des religions. La figure intellectuelle de Loisy, qui maintenant, grâce à Lannoy, se profile clairement, est incontournable pour qui veut mieux comprendre l’histoire de la discipline.

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Pour citer cet article

Référence papier

Guy G. Stroumsa, « Annelies Lannoy, Alfred Loisy and the Making of History of Religions. A Study of the Development of Comparative Religion in the Early 20th century »Anabases, 34 | 2021, 287-288.

Référence électronique

Guy G. Stroumsa, « Annelies Lannoy, Alfred Loisy and the Making of History of Religions. A Study of the Development of Comparative Religion in the Early 20th century »Anabases [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 29 octobre 2021, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/anabases/13182 ; DOI : https://doi.org/10.4000/anabases.13182

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Auteur

Guy G. Stroumsa

Université d’Oxford,
Université Hébraïque de Jérusalem
guy.stroumsa@mail.huji.ac.il

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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