1Franz Cumont (1868-1947) et Alfred Loisy (1857-1940) comptent parmi les grands spécialistes d’histoire religieuse du xx^e siècle, le premier dans le domaine des religions orientales dans le monde romain, le second au sujet des origines du christianisme. Leur parcours académique n’est pas comparable. Cumont est un enseignant de l’université de Gand. Loisy est ordonné prêtre en 1879. Exégète, il est au cœur de la querelle moderniste qui lui vaut l’excommunication en 1908 et l’admission au Collège de France l’année suivante. Mais les deux hommes vont entretenir une importante correspondance qu’une publication de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, sous la responsabilité de Annelies Lannoy, Corinne Bonnet et Danny Praet, offre au public en deux volumes. La totalité de cette correspondance représente 409 lettres allant du 8 mai 1908 au 10 mai 1940. Le premier volume, agrémenté d’une belle introduction présentant les biographies des deux intellectuels, le contexte, les enjeux intellectuels, politiques, idéologiques liés à la correspondance, regroupe l’ensemble des missives. Le second propose aux lecteurs une étude critique érudite des lettres. L’ensemble met à la disposition du public une documentation passionnante sur plusieurs plans. Tout d’abord, les échanges intellectuels entre deux savants. Par exemple, le 24 août 1919, Loisy écrit à Cumont au sujet de saint Ambroise : « J’avais bien vu que votre texte de saint Ambroise ne se rapportait pas à une ascension réelle. Par rapport à celle-ci l’ascension morale est une façon de transposition. Si Ambroise ne parle que de la dernière, c’est qu’il n’a pas trouvé autre chose dans ses sources. Comme il pille volontiers volontiers (sic) Origène, c’est peut-être là qu’il aura pris son idée de l’ascension morale contrariée par les puissances de l’air, Origène n’ayant pas voulu admettre autre chose. Mais je ne suis pas en état de vérifier cette conjecture ».

2Ensuite, sur les effets de la crise moder­niste qui traverse le monde catholique au début du xx^e siècle mais dont les effets ont duré jusqu’au pontificat de Jean XXIII. Les travaux d’Emile Poulat jusqu’à ceux de Maurilio Guasco et Pierre Colin nous permettent de mieux comprendre cette crise majeure de la pensée catholique. Le 2 avril 1913, Cumont en présente les enjeux : « Vous ne serez compris ni de ceux qui acceptant aveuglément une théologie traditionnelle, ni de ceux qui prétendent à l’aide de notre pauvre science résoudre toutes les énigmes de l’univers. On vous lapidera de droite et de gauche, on vous accusera à la fois de blasphème et de cléricalisme, mais vous possédez mieux que vos adversaires l’intelligence de ce qu’est la religion et de ce qu’elle devrait être, vous avez acquis en mangeant du fruit défendu la connaissance du bien et du mal, et tous ceux que n’aveuglent pas de préjugés héréditaires ou contemporains, vous sui­vront avec sympathie, et s’instruiront en vous lisant ».

3Puis, un éclairage sur l’actualité de l’époque de la correspondance. Ainsi, l’impact de la Première Guerre mondiale qui fracture la communauté scientifique et sur laquelle les jugements portés ne manquent pas de pertinence par moments. Le 24 septembre 1915, Cumont écrit à Loisy que « les Bougres vont probablement allumer un nouvel incendie dans les Balkans. On aurait pu l’empêcher de s’allumer, il sera difficile de l’éteindre. La guerre se propage au lieu de se circonscrire et les dévastations se font plus atroces. C’est évidemment un remède radical à la surpopulation, mais c’est aussi le suicide de l’Europe. L’Amérique sera le tertius gaudens, appelé à recueillir les fruits de notre labeur passé ». De même, la condamnation de l’Action française par le pape Pie XI en 1926. Le 25 novembre 1927, Loisy écrit à Cumont : « Pie XI est à sa manière un gardien aussi rigide de l’orthodoxie que l’était feu Pie X. L’Action française s’en est encore aperçue ces jours-ci. Je ne sais si vous avez lu les instructions données par la Pénitencerie aux évêques français sur ordre du pape. On veut entièrement désaffecter la chapelle de Maurras. Il faudra choisir entre elle et l’Église ».

4La présente publication est donc un outil passionnant mis à la disposition de ceux qui travaillent sur l’historiographie de l’histoire ancienne et sur l’histoire culturelle de la période contemporaine.