Michel Bruneau, De l’Asie Mineure à la Turquie : minorités, homogénéisation ethno-nationale, diasporas
CNRS Éditions, 2015, 412 pages.
Texte intégral
1Dans une perspective géohistorique Michel Bruneau retrace le destin plus que tourmenté de l’espace actuel de la Turquie, Thrace orientale et Anatolie tout en mettant l’accent sur cette dernière. Sans jugements de valeur et avec une grande précision, il explique la singularité et la radicalité du passage de l’Asie Mineure à la Turquie démontrant que sa possession a donné lieu a des luttes plus âpres qu’ailleurs, dans les Balkans ou le Caucase, entre les deux peuples impériaux, les Grecs et Turcs et entre les deux religions dominantes l’Islam et le Christianisme orthodoxe. Par « luttes plus âpres qu’ailleurs », il faut entendre l’expulsion, la déportation et souvent le massacre de groupes humains. Le sort des Arméniens est bien connu et l’auteur ne s’y attarde pas, préférant traiter en détail de l’éradication des populations grecques ou rûm déracinées et contraintes à l’exil.
2Le fait est que l’Asie Mineure qui avait été conquise par les Grecs à partir de ses côtes occidentales et profondément hellénisée a ensuite été deshellénisée et turquisée à partir de ses frontières orientales. Le recul généralisé de l’hellénisme en Anatolie est avant tout dû à quatre siècles de guerre et de razzias turques. Ce processus d’islamisation et de turquisation, les deux allant de pair, a connu des pauses. Il a été provisoirement arrêté ou du moins fortement ralenti sous la domination ottomane et une sorte de coexistence – fragile – des populations s’est établie. L’avènement de l’État-nation lui a porté le coup de grâce. Avec un constant souci de précision et évitant les jugements de valeur, Michel Bruneau expose les tenants et aboutissants de la politique d’ingénierie démographique poursuivie d’abord par les Unionistes, ensuite par les Kémalistes et qui a perduré longtemps après la fin de la Première Guerre mondiale. Toutefois, on regrette qu’il n’ait pas jugé bon de se pencher un peu plus sur les ambiguïtés et les imprudences d’Elefthérios Venizélos et dans une moindre mesure sur celles du Phanar au moment clé qu’a été la Guerre d’Indépendance turque.
3L’homogénéisation ethnique de l’Asie Mineure, tout au moins de sa partie occidentale, et de la Thrace, entendre leur turquification, est aujourd’hui sur le terrain un fait acquis et de ce point de vue les ultranationalistes turcs ont obtenu satisfaction. Il n’en demeure pas moins que ces événements violents ont causé des traumatismes qui perdurent. Les victimes directes ont aujourd’hui presque toutes disparu mais leurs descendants, qu’ils soient installés dans les Balkans ou loin ailleurs n’oublient pas. Cette nostalgie des « patries perdues » des déracinés Michel Bruneau l’a perçu et en rend compte avec une discrète empathie.
4Solidement documenté et pourvu de cartes et de schémas en grand nombre, ce livre est destiné pour longtemps à être l’ouvrage de référence sur la triste et encore trop méconnue histoire de la deshellénisation et de la déchristianisation de l’Asie Mineure.
Pour citer cet article
Référence papier
Fabrice Monnier, « Michel Bruneau, De l’Asie Mineure à la Turquie : minorités, homogénéisation ethno-nationale, diasporas », Anatoli, 9 | 2018, 217-218.
Référence électronique
Fabrice Monnier, « Michel Bruneau, De l’Asie Mineure à la Turquie : minorités, homogénéisation ethno-nationale, diasporas », Anatoli [En ligne], 9 | 2018, mis en ligne le 05 décembre 2020, consulté le 14 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/anatoli/777 ; DOI : https://doi.org/10.4000/anatoli.777
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