• 1 . Toutefois, la procédure prévue par la constitution n’a pas été suivie à la lettre. Il fallait que (...)
• 2 . Voir Gobe (2018), H.J. (2019) et Ben Achour (2019).
• 3 . Leaders, « B. Caïd Essebsi à l’AFP : les élections du 24 juillet, le RCD et le “péril islamiste”  (...)
• 4 . Sinda, « Béji Caïd Essebsi : “L’exclusion des anciens du RCD est anti-citoyenne” », Business News(...)

1Le jour de la fête de la République, le 25 juillet 2019, à la suite du décès du président de la République de Tunisie, Béji Caïd Essebsi, le président de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), Mohamed Ennaceur, assure la présidence par intérim. L’organisation de la succession de Béji Caïd Essebsi se déroule sans anicroche donnant lieu à un spectacle digne d’une démocratie ancrée de longue date1. Ces deux compagnons de route, dont l’essentiel de la carrière politique a été longuement imprégnée par les pratiques autoritaires des régimes de Bourguiba et de Ben Ali (Chouikha, Gobe, 2015), se sont rapidement retrouvés sur le devant de la scène de la Tunisie post-Ben Ali. Ce retour a signifié que la « transition » ne se ferait pas sans la présence politique d’une partie importante de l’élite de l’ancien régime2. En effet, la distinction opérée entre RCDistes et Destouriens a significativement contribué à réhabiliter l’ancien régime. Béji Caïd Essebsi a fortement insisté sur ladite distinction, sans s’en prendre au RCD, estimant que ce dernier avait « été dévoyé par le clan Ben Ali ». Et d’ajouter, « Beaucoup de patriotes en ont été écartés, et dans le RCD, il n’y a pas que des monte-en-l’air »3. Toutefois, pour se démarquer du RCD, il a fait valoir que « la liste des membres fondateurs du parti (Nidaa Tounes) ne comportait aucun RCDiste »4.

• 5 . Munck et Leff, 1997, « Modes of Transition and Democratisation. South America and Eastern Europe (...)
• 6 . À propos du retour de l’ancien régime au Portugal, Ana Saldanha, 2010, « Révolution des Œillets : (...)

3Ainsi, le personnel de l’ancien régime s’est retrouvé avec un rôle important, voire clé dans le processus de transformation démocratique. Or, comme l’affirment les « transitologues » Gerardo L. Munck et Carol Skalnik Leff (1997), la consolidation démocratique dépend, entre autres, de la disposition des acteurs sociaux et politiques majeurs à respecter les règles du jeu démocratique5. Dans le même temps, l’expérience politique comparée montre aussi que dans presque toutes les « transitions démocratiques », les représentants de l’ancien régime restent réfractaires aux changements induits par les dynamiques de changement politique6.

• 7 . Le rôle du président de la République a fait l’objet d’un open.ed. du même auteur dans lequel il (...)

4Sur la base de ces constats, il s’agit de s’interroger sur le rôle joué par Mohamed Ennaceur dans le processus de la transformation démocratique en Tunisie. En tant que président de l’ARP, il est la deuxième figure institutionnelle représentant l’ancien régime aux côtés du président de la République, Beji Caïd Essebsi. Nous avons précisément choisi de nous focaliser sur le président de l’ARP7 car Mohamed Ennaceur s’est retrouvé à la tête de l’institution supposément centrale dans le régime parlementaire mixte décrit par la Constitution du 27 janvier 2014.

• 8 . Sur la notion de régime mixte : Boudon, 2018.

7Le régime politique issu de la Constitution de 2014 est un régime parlementaire « mixte »8 car il combine des caractéristiques du régime parlementaire et d’autres du régime présidentiel. L’un des traits caractéristiques de ce régime mixte est que le président de la République tire sa légitimité du suffrage universel direct. Par ailleurs, la Constitution de 2014 organise les rapports entre l’ARP et la présidence de la République. À cet égard, l’usage détourné par le président de la République de sa faculté constitutionnelle à s’adresser à l’ARP est révélateur de la logique de la présidentialisation du régime. Il s’agit, en fait, du seul domaine où une polémique directe et virulente a émergé entre le Parlement et le chef de l’État. Le président de la République s’est affranchi des dispositions des articles 155 et 156 du règlement intérieur de l’ARP qui précisent la procédure à suivre par le président de la République lorsqu’il souhaite s’adresser à l’ARP. Alors que l’article 79 de la Constitution indique que « Le président de la République peut s’adresser à l’Assemblée des représentants du peuple », les modalités procédurales sont précisées dans les articles 155 et 156 du règlement intérieur de l’ARP. Selon ledit règlement, le président de la République envoie une demande au président de l’ARP pour s’adresser aux députés. Lorsque ce dernier reçoit la demande, il la soumet « au Bureau de l’Assemblée à la première réunion qu’il tient pour fixer une date de la séance plénière consacrée à ce sujet dans un délai ne dépassant pas deux semaines ». Le jour de la réunion, le « président de l’Assemblée ouvre la séance plénière avec une allocution concise et donne la parole, par la suite, au président de la République. À la fin du discours du président de la République, la séance est levée ».

• 9 . M.B.Z., « Walid Jalled appelle Mohamed Ennaceur à dévoiler le contenu de la lettre adressée par B (...)
• 10 . Mosaique FM, « Béji C. Essebsi fait des reproches aux députés », <http://bit.ly/2kt92d6>.
• 11 . Confirmation d’un avocat et ancien membre de l’Assemblée Constituante qui a essayé d’en obtenir u (...)

8Au lieu de s’en tenir à ce protocole, le chef de l’État a convoqué le président de l’ARP au palais de Carthage pour lui remettre une lettre adressée à l’ARP. Quelques jours après, le 5 mars 2016, un député du groupe parlementaire Al Horra a appelé, sur les antennes de la radio Mosaïque FM, le président de l’ARP à dévoiler le contenu de la lettre9. Or, devant la plénière, le président de l’Assemblée a refusé de lire la lettre et d’en dévoiler le contenu10. En fait, non seulement la lettre ne sera pas publiée, mais elle n’a été enregistrée nulle part à l’ARP11.

• 12 . Béji Caïd Essebsi dévoile la teneur de la lettre envoyée à l’ARP, Mosaique FM, 30 mars 2016, <htt (...)

10Pour tenter de calmer la polémique, Béji Caïd Essebsi a répondu aux griefs des parlementaires dans une interview télévisée12. Estimant que la Constitution ne précise pas les modalités de cette procédure et que le règlement intérieur de l’Assemblée ne s’applique qu’à l’Assemblée, le président de la République a affirmé que sa manière d’agir n’avait mis aucunement en cause l’équilibre des pouvoirs. Par la suite, il a précisé qu’il était dans son rôle constitutionnel, i.e. celui de garant de l’application de la Constitution. Aussi lui appartient-il d’attirer l’attention de l’ARP sur les délais fixés dans les dispositions transitoires de la Constitution et, par conséquent, de l’inviter à accélérer le rythme quotidien de ses travaux. L’objectif affiché par la présidence aurait été d’accélérer la mise en place des institutions prévues dans la Constitution, notamment la Cour constitutionnelle.

• 13 . Ibid.

11Toutefois, une question demeure : pour quelle raison ni Béji Caïd Essebsi ni Mohamed Ennaceur n’ont-ils pas voulu rendre public le contenu de la lettre ? Si ce courrier est, comme le prétend Béji Caïd Essebsi, une invitation courtoise adressée aux députés à faire plus d’efforts pour accélérer la mise en place des institutions manquantes13, pourquoi Mohamed Ennaceur s’est-il abstenu de lire la lettre en séance plénière ou de la rendre publique ? Par ailleurs, pourquoi Béji Caïd Essebsi n’a-t-il pas respecté les dispositions prévues par le règlement intérieur se rapportant à l’article 79 de la Constitution ?

• 14 . Laameri, « Tunisie-INLUCC : 80 % des tunisiens ne font pas confiance aux partis politiques », Web (...)

13Quoi qu’il en soit, de telles pratiques ne sont pas de nature à renforcer les acquis démocratiques du processus engagé depuis 2011. Elles participent plutôt à renforcer le sentiment généralisé14, auprès de la population, de discrédit du personnel politique. L’arrivée en tête des élections présidentielles de 2019 de Kaies Saïed, candidat au discours anti-establishment, antipartis politiques, se positionnant plutôt aux côtés de la population avec le slogan de campagne « Le peuple veut » est révélatrice de la crise de la représentation politique en Tunisie.

• 15 . Pour de plus amples détails sur le sujet, voir Limam, 2019 ; Ben Aissa, « La décision relative au (...)

Cette relation de confusion des pouvoirs, entre le président de l’ARP et le président de la République s’est également vérifiée une deuxième fois, lors de la polémique relative à la prorogation du mandat de l’Instance Vérité et Dignité (IVD). Mohamed Ennaceur a joué le rôle de relais de Béji Caïd Essebsi dans l’entreprise menée par ce dernier contre le processus de justice transitionnelle conduit par IVD15. La manœuvre du président du perchoir a créé une atmosphère d’extrême tension au sein du parlement et a soulevé trois problèmes juridiques qui ont été tranchés à la marge de la légalité.

• 16 . En italique, c’est nous qui soulignons.
• 17 . Voir les séances de débat du 22 mars 2018 : <https://www.youtube.com/watch?v=BWF5BVW_IvU&t=2s et (...)

Sur cette base, l’IVD a pris la décision de prolonger son mandat d’une année et en a informé l’ARP. Les opposants de l’IVD ont virulemment réagi et ont fini par donner une nouvelle interprétation aux dispositions de l’Art. 18. Des députés de Nidaa Tounes, de Machrou‘ Tounes et Afek Tounes ont soutenu que ledit article exigeait un vote de la part de l’ARP pour approuver la décision de prorogation prise par l’IVD. Cette interprétation s’appuie sur les expressions utilisées par l’Art.18, à savoir que le renouvellement du mandat se fait « par décision motivéede l’Instance qui sera soumise16 à l’assemblée chargée de législation… ». La motivation de la décision et sa soumission impliquent, selon eux, qu’une autorité supérieure (en l’occurrence l’ARP) doit trancher et vérifier si la motivation fournie pour renouveler le mandat est convaincante17.

• 18 . Voir la liste des matières définies dans l’Art. 126 du règlement intérieur de l’ARP.
• 19 . Ibid.

Or, une majorité de députés, composée principalement du front populaire, Ennahdha, le Courant démocratique et Hirak Tounes (le nouveau parti de Moncef Marzouki, l’ancien président de la République de la période transitoire), s’est opposée à cette interprétation. L’argument central consistait à affirmer que l’ARP n’était pas compétente pour statuer sur une question qui ne relève pas des matières arrêtées dans l’Art. 126 de son règlement intérieur18. Ces matières sont listées et répertoriées dans trois rubriques. Pour chaque rubrique, une majorité est définie. Or, la décision de l’IVD ne rentre pas dans le cas de figure défini par ces rubriques et, par conséquent, il n’existe pas de fondement juridique donnant une quelconque compétence à l’ARP pour statuer sur la décision de l’IVD. Donc, le président de l’ARP et le Parlement ont des compétences liées en la matière19. Cela signifie, selon les tenants de cette position, qu’il ne leur appartient pas d’approuver ou non la décision de l’IVD.

• 20 . Ben Aissa, op.cit.
• 21 . Ibid.
• 22 . Khouni, « Des députés réclament le retrait de confiance au président de l’Assemblée Mohamed Ennac (...)
• 23 . Ibid.

15Mais Mohamed Ennaceur, gagné à la première interprétation, entend demander le vote des députés pour approuver ou rejeter la décision de l’IVD. Il convoque le bureau de l’ARP et ce dernier décide de soumettre la décision au vote20. Il retient pour le besoin du vote la majorité absolue21. Lorsque le président du Parlement informe les députés qu’il y aura vote, l’hémicycle s’agite. La séance houleuse du samedi 24 mars 2018 se poursuit le lundi 26 mars. Alors que Mohamed Ennaceur rappelle qu’il est question de statuer sur la décision de l’IVD, un député du parti le Courant démocratique (opposition) l’interpelle : « Vous avez une responsabilité, celle de respecter le règlement intérieur et de ne pencher vers aucune des parties, chose que vous n’êtes pas en train d’appliquer » et d’ajouter « Vous avez privé samedi des députés de la parole comme Samia Abbou et Zouhair Maghzaoui, en faveur de députés de Nidaa Tounes. C’est de la partialité et du favoritisme flagrants »22. D’autres demandent alors à Mohamed Ennaceur de ne pas présider la séance puisqu’il est lui-même concerné par la justice transitionnelle. Face à ces accusations, il leur coupe la parole et lève la séance23.

• 24 . Sur les aspects techniques de cette polémique, Voir Bsili Adel, « Un exercice parlementaire patho (...)

16À sa reprise, la séance du 26 mars s’ouvre sur une autre polémique juridique. Plusieurs députés dénoncent la violation du règlement intérieur et prétendent que les conditions du quorum requises pour l’ouverture de la séance plénière ne sont pas respectées24. En effet l’Art 109 du règlement intérieur dispose que le « président ou l’un des deux vice-présidents déclare l’ouverture d’une séance plénière au jour et à l’heure fixés pour cette séance, et en présence d’un quorum représentant la majorité absolue des membres. Si le quorum n’est pas atteint, la séance est reportée d’une demi-heure. Après ce délai, la séance se tient de plein droit à condition que le nombre des présents ne soit pas inférieur au tiers (1/3) de l’ensemble des membres », c’est-à-dire 73 des 217 députés.

• 25 . Al Bawsala, Rapport annuel des travaux de l’ARP – 4e année, octobre 2017- juillet 2018, p. 92 (en (...)

17Or, parmi les députés présents à l’hémicycle, seulement 56 députés étaient inscrits électroniquement à la séance, alors que d’autres étaient présents mais ne se s’étaient pas inscrits électroniquement. De ce fait, certains députés du parti Ennahdha, du Courant démocratique et du Front populaire ont soutenu que les conditions du quorum pour l’ouverture de la séance plénière n’étaient pas remplies et que donc il n’était pas possible de passer au vote qui, de toute manière, serait illégal25.

• 26 . Ibid.

18En revanche, d’autres groupes, tels que Nida Tounes et Afek Tounes, ont estimé que la séance était légale car le nombre des présents dépassait les 73 requis pour l’ouverture de la plénière. Selon eux, les conditions du quorum pour l’ouverture de la plénière se réfère au nombre des présents dans l’hémicycle et non pas le nombre d’inscrits électroniquement à la séance26.

• 27 . Bellamine, « Tensions à l’ARP en marge du vote sur la prolongation du mandat de l’IVD : Ben Sedri (...)
• 28 . Ibid.

20Mabrouk Hrizi (Hirak Tounes) a demandé au président de l’ARP de lever la séance en l’absence du quorum pour l’ouverture de la séance plénière, car « il s’agit d’une violation de la loi de votre part parce que vous avez outrepassé la décision du peuple et la loi. Vous devrez être poursuivi par la justice. Vous n’êtes pas digne de diriger cette assemblée »27. De son côté, Yamina Zoghlami (Ennahdha) a fustigé le président de l’ARP : « La décision ne doit pas être prise individuellement, comme dans une dictature, appliquez la loi et levez la séance »28.

• 29 . Ibid., p. 93-94. Sur les associations de surveillance démocratique, voir Ben Mami et Gobe, 2019.

21Une troisième polémique a émergé autour de la question de la soumission au vote la prorogation du mandat de l’IVD. Certains observateurs de l’association de surveillance démocratique, Al Bawsala, considèrent que Mohamed Ennaceur a manipulé le vote en jouant sur la formulation de la question à trancher29. En effet, au lieu de poser une question claire, Mohamed Ennaceur a demandé aux députés de s’exprimer sur « qui est pour, qui est contre et qui s’abstient ? », sans pour autant préciser l’objet du vote. S’agit-il de s’exprimer pour la prorogation ou contre la prorogation du mandat de l’IVD ? Car le libellé de la question déterminera la manière de compter les voix. Il convient de rappeler que le vote sur la prorogation ne rentre pas dans les matières répertoriées dans l’Art. 126 du règlement intérieur et que le bureau de l’Assemblée avait décidé d’une manière ad hoc que la règle du vote serait la majorité absolue, c’est-à-dire 109 voix. Dans ces conditions, si la question avait été « qui est pour la prorogation ? », il aurait fallu obtenir 109 voix en faveur de la prorogation. Si la question avait été « qui est contre la prorogation ? », 109 voix en faveur de la non-prorogation auraient été nécessaires. En reprenant les résultats du vote de ce jour-là, on a : 0 pour, 68 contre et 2 abstentions.

• 30 . Haddad, « Tunisie : Mohamed Ennaceur, la fin d’une génération », Le Monde, 27 juillet 2019, <http (...)
• 31 . Ibid.

23Ce passage en force et la manière inhabituelle de poser, ou pour être précis, de ne pas poser de question ont poussé la majorité des députés à ne pas participer au vote. En ne précisant pas le contenu de la question d’une manière univoque, Mohamed Ennaceur s’est, estiment les observateurs de l’ONG Al Bawsala, donné toute latitude pour décider du résultat du vote. Considérant que la décision était négative puisqu’il n’y avait pas eu 109 voix en la faveur de la prorogation du mandat de l’IVD, Mohamed Ennaceur a tranché dans le sens des adversaires de la justice transitionnelle et, plus particulièrement du président de la République. Samia Abbou, du Courant démocratique (opposition), a déploré à ce sujet : « Ce jour-là, le président de l’Assemblée est sorti de son rôle d’arbitre. Il a pris fait et cause pour son parti, Nidaa Tounes »30. Et Monia Brahim (Ennahdha) d’ajouter que le président du Parlement avait « dépassé les limites »31.

• 32 . Rapport final de l’IVD, décembre 2018, p.149. Notons que l’IVD a terminé son mandat conformément (...)

24Il est à noter qu’après le vote, le président de l’ARP a envoyé à la présidence du gouvernement un courrier intitulé « correspondance » et non « décision de l’ARP ». Dans cette correspondance, il demande à la présidence du gouvernement de prendre les mesures adéquates pour mettre fin à la mission de l’IVD32. Cette correspondance n’a jamais été publiée car ne relevant pas des catégories d’actes que l’ARP est habilité à prendre conformément à l’Art. 126 du règlement intérieur. En se montrant solidaire du président de la République et des députés de son parti Nidaa Tounes Mohamed Ennaceur a usé de procédés renvoyant à certaines pratiques des régimes autoritaires de Bourguiba et Ben Ali.

• 33 . Guisy, 2007.

25« Le monde politique, […] présuppose, dans tous les sens du terme, des intrigues. C’est ainsi que le décryptage… d’un moment fort de la vie politique, conduit à analyser le jeu secret des agents électoraux, les basses stratégies mises en œuvre, etc. »33. L’annonce, le 27 juin 2019, de l’hospitalisation d’urgence de Béji Caïd Essebsi et la rumeur de son décès ont été propices au développement d’intrigues et des manœuvres pré-électorales.

• 34 . Mourad, « Tunisie : accusation de tentative de coup d’État de la part d’Ennahdha, Abdellatif Mekk (...)

26Mais à l’ARP, la confusion a été double, car son président Mohamed Ennaceur était lui-même en convalescence. Le bureau de l’ARP s’est alors réuni sous la présidence Abdelfatteh Mourou, vice-président de l’ARP et co-fondateur du parti Ennahdha, pour discuter de la situation. En effet, en cas de vacance définitive à la présidence de la République, le président de l’ARP exerce l’intérim. Par conséquent, il fallait s’assurer que l’état de santé de Mohamed Ennaceur lui permettait de remplir cette fonction transitoire. Dans le cas contraire, il fallait déterminer si le vice-président pouvait assurer l’intérim de la présidence de la République. Le député de Nidaa Tounes, Soufien Toubal, qui a pris connaissance des discussions engagées au bureau de l’ARP a alors crié au putsch d’Ennahdha pour s’emparer de la présidence de la République34. Aussi cette rumeur de putsch de Abdelfatteh Mourou contre Mohamed Ennaceur s’est-elle propagée comme une traînée de poudre.

• 35 . Derbali, « ARP : Ouverture d’une enquête pour tentative de coup d’État institutionnel : Qui en es (...)

28Lors de la séance plénière, tenue le jour même sous la présidence de Mohamed Ennaceur, qui a regagné l’ARP alors en détresse, un député lui a demandé d’éclairer ses collègues et le peuple tunisien et de confirmer que Abdelfattah Mourou l’avait bien appelé le jeudi 27 juin pour l’inviter à rejoindre l’Assemblée35. Mohamed Ennaceur s’est alors abstenu de répondre.

• 36 . Cette accession à la présidence de la République est entachée d’inconstitutionnalité en raison de (...)
• 37 . Traduction de l’auteur, Al Shara’ Al Magharibi, 31 août 2019, <http://bit.ly/2mw9Qih>.

32Le jour du décès de Béji Caïd Essebsi, Mohamed Ennaceur devient président de la République par intérim36. Dans une interview accordée au journal arabophone Alshara’ Al Magharibi (2019), le président du Parlement revient sur ses liens avec feu Béji Caïd Essebsi : « ce qui me lie à M. Beji est un lien précieux fait de parcours commun et de positions semblables dans l’analyse des évènements. Cela est dû à notre appartenance à l’école de Bourguiba, celle qui croit en la supériorité de l’État, l’allégeance à la patrie, l’acceptation de l’autre, la faculté de dialoguer et le soin de rassembler »37.

• 38 . Voir le compte rendu des activités de I Watch du 10 novembre 2018. <https://www.iwatch.tn/ar/arti (...)

33Serait-ce cette école de Bourguiba qui aurait inspiré Mohamed Ennaceur à s’obstiner à présider la commission du règlement intérieur, de l’immunité, des lois parlementaires et des lois électorales, réunie pour l’auditionner au sujet du budget de l’ARP pour l’année 2017, sous prétexte que l’Art. 49 du règlement intérieur l’autorise à présider « les séances des commissions au cas où il y assiste » ? 38. La force de l’habitus autoritaire, est de transmettre les enseignements d’une école qui a toujours constitué un obstacle à l’avènement d’un régime démocratique en Tunisie.