Architecture et forme urbaine
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La série de cours « L’architecture entre les arts et la ville : les itinéraires de Frank Gehry » est disponible en audio et/ou vidéo, sur le site internet du Collège de France (https://www.college-de-france.fr/site/jean-louis-cohen/course-2016-2017.htm) ainsi que le colloque « Le musée contemporain : stratégies, espaces, esthétiques » (https://www.college-de-france.fr/site/jean-louis-cohen/symposium-2016-2017.htm).
Texte intégral
Enseignement
Cours – L’architecture entre les arts et la ville : les itinéraires de Frank Gehry
1Peu de concepteurs ont autant transformé la pratique de l’architecture au cours des dernières décennies que Frank Gehry, dont l’œuvre a redéfini la notion même d’édifice.
2Le cours a analysé en détail le corpus de ses principaux projets, des plus précoces, imaginés à partir de 1954, aux plus récents, saisis au travers de l’ample gamme des moyens mis en œuvre, des dessins systématiquement employés pour explorer et préciser ses idées, aux maquettes et aux modèles informatiques, dont il a été un pionnier.
3Les innovations introduites par Gehry ont été interprétées comme autant de réponses à la condition urbaine de Los Angeles, qui les a initialement inspirées, et aux préoccupations de l’art contemporain. Leur ancrage dans une réflexion sur la ville et le paysage et leur fonctionnalité parfois masquée ont été mis au jour. La généalogie des projets a été reconstruite sur la base de milliers de dessins et de centaines de maquettes conservés dans les archives de l’architecte.
Cours 1 – Années d’apprentissage à Los Angeles et Paris
4La formation initiale de Frank Gehry s’opère à l’University of Southern California de Los Angeles et à Harvard University, puis lors d’un séjour déterminant à Paris, en 1960-1961. Au contact des architectes modernes de Californie du Sud, tels que Rudolf Schindler, le jeune homme découvre des modes de construction légers et inventifs. Dessinateur dans l’agence de Victor Gruen, l’inventeur des centres commerciaux américains, il s’y familiarise avec les enjeux urbains, qui le passionnent d’emblée, et y rencontre des architectes et des ingénieurs avec qui il ne cessera d’être en relation pendant des décennies. Il acquiert alors une bonne connaissance de l’œuvre de Frank Lloyd Wright et surtout de l’architecture japonaise, à laquelle il ne cessera de se référer dès ses premiers bâtiments, souvent fort modestes.
5Avec la maison Steeves et l’immeuble d’appartements Hillcrest, il engage avec son associé Gregory Walsh une opération de subversion des types d’édifices dominants à Los Angeles.
Cours 2 – La leçon des artistes, des ateliers au musée
6Depuis les années 1970, Gehry a souvent été qualifié d’« artiste parmi les architectes ». Mais sa relation avec l’art, les artistes, les galeries et les musées demande à être établie avec précision.
7Tout en devenant proche des artistes de sa génération actifs à Los Angeles, notamment dans le cadre de la galerie Ferus, Gehry a très tôt établi des liens avec la scène new-yorkaise, rencontrant Jasper Johns et Robert Rauschenberg, et découvrant le minimalisme. À Los Angeles, ses amis les plus proches sont alors John Altoon, Ed Moses, Billy Al Bengston, Larry Bell et Edward Ruscha.
8Dans le même temps, il est invité par le Los Angeles County Museum of Art, qui ouvre ses portes en 1965, à concevoir plusieurs expositions marquantes sur l’art japonais, la sculpture moderne, ou sur des contemporains comme Bengston.
9Ainsi les artistes sont-ils devenus pour lui tout à la fois des familiers, des modèles de rôles et parfois des maîtres d’ouvrage. Le studio du graphiste Lou Danziger et la maison-atelier du peintre Ron Davis, qui marquent en 1972 un point d’inflexion déterminant dans sa démarche, cristallisent ces relations, tout comme le projet qu’il édifie pour Gemini GEL, pionnier des multiples d’artistes.
Cours 3 – Iconoclasme : une maison et un centre commercial à Santa Monica
10Grâce aux contacts conservés avec les anciens de l’agence de Victor Gruen, Gehry établit dans les années 1960 des rapports durables avec le promoteur James Rouse, à l’origine d’une série de projets urbains innovants. Il construisit plusieurs bâtiments dans la ville nouvelle de Columbia, Maryland, avant de travailler pendant cinq ans à la conception du centre commercial Santa Monica Place, pensé comme un authentique ensemble urbain. Cette grande opération lui permit de poursuivre les recherches engagées pour les magasins Magnin à Costa Mesa et San José.
11Dans la seconde moitié des années 1970, après avoir réalisé la maison-atelier de Ron Davis, Gehry commence à concevoir des projets d’habitations de plus en plus hardis, exploitant les ressources de l’ossature bois et décomposant les bâtiments en fragments autonomes ou articulés de façon flexible. Il abandonne également les matériaux de revêtement utilisés en Californie du Sud pour travailler avec des textures prosaïques de contreplaqué brut, de tôle ondulée et de grillage. En « déchirant », en quelque sorte, sa propre maison de Santa Monica, il parvint à acquérir une notoriété qui dépassa l’Amérique du Nord.
Cours 4 – Entre le mobilier et l’espace urbain, l’expérimentation en œuvre
12L’intérêt de Gehry pour le projet urbain fut dans une large mesure renforcé par l’apparition du postmodernisme, qui coïncida avec son invitation à la mémorable Biennale d’architecture de Venise de 1980. Un projet complexe tel celui de la Loyola Law School à Los Angeles révèle son intérêt pour les démarches d’Aldo Rossi et de James Stirling, alors que l’ensemble commercial Edgemar de Santa Monica répondrait plutôt par l’usage de procédés pittoresques au discours de Robert Venturi, tout en évoquant les théories urbaines de Camillo Sitte.
13Si l’intérêt pour l’art éprouvé par Gehry trouve une expression en 1981 dans sa collaboration avec Richard Serra pour le projet Bridges, et dans une série de recherches communes avec Claes Oldenburg et Coosje van Bruggen, son exclusion du concours organisé pour la construction du Museum of Contemporary Art de Los Angeles fut un coup sévère, qui sera racheté par la suite avec la réalisation réussie du Temporary Contemporary.
14À partir de ce moment, ses projets pour les musées s’amplifièrent, de l’extension de l’Aerospace Museum de Los Angeles à son premier bâtiment européen – le Vitra Design Museum de Weil/Rhein (respectivement 1984 et 1989).
Cours 5 – Vers le tournant numérique
15Avec l’étude de la très grande maison de Peter Lewis à Lindhurst, Ohio, qui l’occupa pendant pratiquement cinq ans, et les problèmes rencontrés pour la construction du Walt Disney Concert Hall de Los Angeles, dont le projet fut engagé en 1987, Gehry prit la mesure du potentiel des procédures numériques. Alors utilisées essentiellement pour la création d’images ou la conception des structures, elles devinrent un moyen de maîtriser la fabrication des composants des bâtiments et de les évaluer rationnellement, fussent-ils complexes et déroutant comme ceux de Gehry.
16Sans pour autant modifier sa méthode de conception initiale, toujours fondée sur les croquis et les maquettes, Gehry put prendre le contrôle de toutes les phases de la production du bâtiment, grâce au logiciel CATIA, initialement conçu par les ingénieurs de Dassault pour la conception et la construction des avions. Pionnier des formes nouvelles, il devint ainsi un explorateur des nouvelles procédures, comme le musée Guggenheim de Bilbao le révéla au monde en 1997.
Cours 6 – Le musée réinventé, de Vitra à Bilbao
17L’extraordinaire succès de Bilbao ne tarda pas à apporter à Gehry un grand nombre de commandes de musées ou de lieux d’exposition, le conduisant à explorer de nouvelles directions de recherches, plutôt que de réaliser des plagiats ou des pastiches de ses propres œuvres.
18Ainsi fut-il conduit à réfléchir sur l’espace muséal, notamment celui des galeries d’exposition, et à repenser l’organisation de plusieurs institutions importantes, telles que l’Art Gallery of Ontario, à Toronto, ou le Museum of Fine Arts, à Philadelphie. Des concours infructueux, comme celui du Musée national des arts de Chine à Pékin, l’ont vu proposer des idées provocantes quant à la notion même de lieu monumental de culture.
19À Paris, où il avait réalisé un American Center quelque peu timide dans son engagement avec la ville, la fondation Louis Vuitton lui a donné l’occasion d’imaginer des espaces à la fois couverts et ouverts sur la ville.
Cours 7 – La tentation du gratte-ciel
20Gehry a attendu pratiquement trente ans avant de construire son premier gratte-ciel, celui de Spruce Street à New York, achevé en 2011 dont la silhouette répond à la fois aux piles du pont de Brooklyn et au Woolworth Building. Son projet initial sur ce thème remonte à 1981, avec sa proposition pour le centre des affaires de Kalamazoo, Michigan.
21Entre ces deux moments, ses recherches ont porté à la fois sur la forme d’ensemble du gratte-ciel, sur son couronnement, et sur les espaces le raccordant à l’espace urbain, comme le montrent ses projets infructueux pour le concours du New York Times en 1981 et pour l’ensemble d’Atlantic Yards à Brooklyn.
22L’agence de Gehry a eu l’occasion d’imaginer un grand nombre d’immeubles en hauteur, réinterprétant notamment la relation entre leur structure et leur enveloppe, comme le montrent des projets apparemment conventionnels, tel celui conçu pour l’Alexanderplatz de Berlin, ou plus provocants, comme ceux en cours de mise au point à Toronto.
Cours 8 – Entre musique et science : le Disney Concert Hall et le Stata Center
23Grand amateur de musique, Gehry a travaillé depuis longtemps avec des acousticiens, de Christopher Jaffe, rencontré dans les années 1960, à Yasuhisa Toyota, qui coopère avec lui depuis vingt ans. Au fil des années, il a forgé des amitiés solides avec des chefs d’orchestre tels que Pierre Boulez, Esa-Pekka Salonen, Michael Tilson Thomas, ou Simon Rattle.
24Depuis le pavillon de musique Merriweather Post à Columbia, Maryland, celui de Concord, en Californie, et le Hollywood Bowl, il s’est attaché à concevoir des lieux hospitaliers pour la musique, et dont la sonorité est exemplaire, du Walt Disney Concert Hall longtemps retardé à la salle Pierre-Boulez de Berlin.
25Une même attitude tendant à mettre en cause les types courants d’édifices se rencontre dans le champ de la recherche et de l’enseignement, dans lequel Gehry a su prendre le temps de repenser, au prix d’un dialogue attentif avec les utilisateurs futurs de ses bâtiments, les implications spatiales de leurs méthodes de travail et d’interaction. De Cambridge, Massachusetts, à Sydney, il a ainsi planté sur les campus des édifices frappants, dont le mode de conception et de fonctionnement mérite l’analyse.
Cours 9 – Œuvres récentes : l’atelier Gehry comme modèle spatial
26Au cours des dernières années, la production de Gehry s’est amplifiée et diversifiée. Il s’est engagé dans l’étude d’un grand projet d’aménagement de la Los Angeles River, dont les implications sociales sont vastes. Plusieurs autres projets, dont l’un sera une contribution décisive à la revitalisation du centre, marquent son retour dans une ville qui l’avait négligé, tout en l’enviant.
27Dans le même temps, la construction du siège social de Facebook à Menlo Park, dans la Silicon Valley, a marqué un seuil dans les relations entre l’espace de l’entreprise et celui de l’atelier. Alors qu’au cours du xxe siècle les architectes s’étaient efforcés de façonner leur lieu de travail à l’image des usines ou des bureaux d’ingénieurs, la relation s’est en quelque sorte inversée, l’entreprise de Mark Zuckerberg faisant du hangar dans lequel l’agence de Gehry est déployée informellement le modèle de ses propres bureaux.
28Dans le prolongement de la fondation Vuitton, Gehry a lancé l’étude d’une reconstruction de l’ancien musée des Arts et Traditions populaires, dont il conservera les volumes, tout en créant une nouvelle salle de concert. Enfin, la fondation Luma, dont il achève la construction en 2018 à Arles, lui donne l’occasion de créer un nouveau type d’interaction entre création artistique et pédagogie, revenant ainsi aux démarches utopiques vécues dans le Los Angeles des années 1960.
Colloque – Le musée contemporain : stratégies, espaces, esthétiques
29La rencontre a été organisée le 19 juin 2017, en conclusion du cours donné par Jean-Louis Cohen au printemps 2017 sur l’architecture de Frank Gehry, afin d’élargir la perspective ouverte sur une œuvre marquante dans le domaine, mais aussi pour examiner certaines des directions prises par la politique des musées en Europe et en Amérique du Nord vingt ans après l’inauguration du musée Guggenheim de Bilbao, authentique seuil dans la relation entre le musée, la ville et la société locale.
30Un cycle sans précédent de création de musées s’est ouvert dans la période récente. Les opérations nouvelles ou les rénovations peuvent se compter par milliers, sinon par dizaines de milliers. Il n’y a guère de précédent par ailleurs quant à l’élargissement de la notion de musée, bien au-delà des domaines consacrés de l’art, de l’histoire ou de l’histoire naturelle.
31Le point de départ de la réflexion a été la contradiction entre la transmission de la connaissance et le principe de plaisir, telle que Paul Valéry l’énonçait en 1923 dans son texte célèbre Le Problème des musées. Il écrivait alors : « Je n’aime pas trop les musées. Il y en a beaucoup d’admirables, il n’en est point de délicieux. Les idées de classement, de conservation et d’utilité publique, qui sont justes et claires, ont peu de rapport avec les délices. » L’architecture des musées récents semble démentir le propos de Valéry, qui fut, il convient de le rappeler, professeur de poétique au Collège de France entre 1937 et 1945.
32Des perspectives différentes ont été tracées pour examiner sur la base d’expériences concrètes les enjeux liés à la programmation, la conception, la construction et la gestion des musées.
Présentation
Jean-Louis Cohen
33Pour introduire les débats de la journée, les grandes étapes dans l’invention du musée sont rappelées, du Museum Fredericianum de Kassel aux grands chantiers contemporains. Le musée est présenté comme un édifice singulier, mais aussi comme un composant de la ville, notamment dans le cas des quartiers spécialisés créés depuis le xixe siècle, et dont l’île des Musées de Berlin forme le type idéal.
34L’ajustement réciproque entre les conteneurs architecturaux et les collections conduit à un incessant changement dans le temps, qui fait des musées des édifices éminemment fragiles, sujets à d’incessantes reconfigurations et extensions. Dans ce processus, l’architecture se contente dans certains cas d’être au service du programme muséal, dont elle orchestre dans d’autres le dépassement.
35Avec la multiplication planétaire des musées, l’article attaché aux grandes institutions devient indéfini. Il est question désormais d’un Guggenheim, d’un Louvre, d’un Centre Pompidou, ou d’un Hermitage. Au travers de ce branding intercontinental, la collection ne semble plus définir ce qu’est le musée.
36Enfin, le musée est une entreprise collective, éminemment pluridisciplinaire, autour de laquelle se rassemblent conservateurs et curateurs, architectes, artistes contemporains invités à faire des œuvres spécifiques au site, scénographes, pédagogues et administrateurs, comme l’ont montré les contributions de la journée.
Le musée comme lieu de jouissance. Anciens espaces, nouveaux types : Orsay, Quimper, Roubaix, Valence
Jean-Paul Philippon (architecte à Paris)
37Jean-Paul Philippon a présenté ses réalisations, en évoquant tout d’abord la conception du projet initial de transformation de la gare d’Orsay en musée (1979-1986), avec Renaud Bardon et Pierre Colboc, au sein du groupe ACT. Il présente ensuite les idées-maîtresses ayant présidé à la modernisation ou à la création de deux musées généralistes : le musée des Beaux-Arts de Quimper (1989-1993) et le musée des Beaux-Arts de Valence (2007-2013). Il en parcourt les séquences spatiales et en explicite l’inscription urbaine. S’arrêtant sur le musée d’Art et d’Industrie de Roubaix – dit « La Piscine » (1994-2001) –, il précise ses réflexions sur les enjeux que représente la transformation en lieux de monstration et de conservation d’édifices destinés à de tout autres usages.
Lieux, parcours, récits. Expériences scénographiques, de la dalle de La Défense au Familistère de Guise
Béatrice Jullien (architecte, muséographe et maître-assistante à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville)
38Béatrice Jullien s’est interrogée sur les lieux, les parcours et les récits muséographiques, à partir de son projet pour l’installation de sculptures sur la dalle de La Défense (en cours) et pour la transformation en musée du pavillon central du Familistère de Guise (2010-2014). Inscrivant ces deux projets dans le corpus plus vaste des musées réalisés au sein de l’atelier Frenak + Jullien, comprenant notamment le musée des Beaux-Arts de Chambéry (2012), elle parcourt un fil thématique – celui des liens fondateurs entre récit et parcours, inhérents à l’idée même de musée. C’est en effet à ses yeux l’une des caractéristiques des musées contemporains que d’investir – de plus en plus souvent – des lieux existants, qui sont transformés, reconvertis, ou simplement rénovés. Le rapport entre le récit muséal, propre aux collections et l’histoire des lieux qui abritent le musée, devient alors déterminant. Au travers d’exemples réalisés ou restés à l’état de projet, les différentes stratégies par lesquelles le parcours architectural et la muséographie peuvent contribuer à organiser ces échanges sont présentées.
Dijon, première tranche, et Blérancourt, dernière tranche
Yves Lion (architecte et urbaniste à Paris)
39Yves Lion revient sur les tranches successives de l’extension du musée franco-américain de Blérancourt et les principes fondateurs de son projet de rénovation du musée des Beaux-Arts de Dijon, qui illustrent une démarche par ailleurs mise en œuvre dans plusieurs salles du Louvre, puis à la Maison Européenne de la Photographie à Paris. Présentant tout d’abord les sites respectifs des deux musées et rendant compte, dans le cas de Blérancourt, de ses interventions antérieures, il rend compte des réflexions que son équipe a dû conduire sur la base des collections qu’il s’agissait de présenter sous un jour nouveau. La conception des circulations et des espaces d’accueil aura été particulièrement délicate, notamment dans l’ensemble complexe des bâtiments de Dijon. La recherche des sources lumineuses et des matériaux adéquats, composante fondamentale des deux réalisations, est aussi évoquée.
American Art Museums in the New Millennium
Victoria Newhouse (historienne et critique d’architecture à New York)
40L’intervention trace un tableau critique des musées construits ou rénovés aux États-Unis depuis les années 1980, tels que l’intervenante les a étudiés dans ses livres Towards a New Museum (1998, édition augmentée 2006) et Art and the Power of Placement (2005). À partir de l’opposition constatée entre le musée Guggenheim de Frank Gehry à Bilbao et le Getty Center de Richard Meier à Bilbao, la critique des opérations récentes, dans leurs aspects les plus aventureux, permet de révéler les différences entre les institutions et entre les démarches des architectes. Dans le cas de New York, les démarches suivies au Metropolitan Museum of Art, qui n’a cessé de s’étendre dans Central Park, au Museum of Modern Art, qui a du croître à l’intérieur d’un îlot contraint, ou à la Morgan Library, qui a investi le centre de l’îlot, sont confrontées. Les transformations du programme même du musée, ouvert à de nouvelles disciplines, et incluant un ensemble toujours plus diversifié de services au public, sont présentées dans leurs grandes lignes. Enfin, des projets en cours, comme celui du Shed, grand abri mobile conçu par Diller Sofidio + Renfro à New York, montrent à ses yeux que, dès lors que l’art a explosé pour embrasser un nombre infini de formes, et que les musées commencent à créer un espace public devenu de plus en plus rare dans les centres urbains, il serait sans doute temps que l’architecture des musées adopte des configurations véritablement nouvelles.
Ce que le musée fait à la ville
Jean-Michel Tobelem (expert en management de la culture à Paris, professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et enseignant à l’École du Louvre)
41Inversant en quelque sorte les perspectives tracées par les interventions précédentes, celle de Jean-Michel Tobelem présente des données comparatives quant à l’impact économique et social des établissements culturels sur la ville. Au-delà des recettes perçues par les musées auprès de leurs visiteurs, ils sont inscrits dans des cycles économiques bien plus vastes et peuvent devenir des générateurs de croissance à l’échelle de la ville entière, comme cela fut le cas à Bilbao. L’analyse des projets actuels doit donc tenir compte de leur impact sur l’image d’ensemble des villes, mais aussi de leur insertion dans l’économie marchande et dans les flux touristiques.
L’extension des musées : une expérience controversée
Roger Diener (architecte à Bâle)
42Les principes architecturaux mis en œuvre des réalisations marquantes comme le musée d’architecture de Bâle (1984-1985), la galerie Gmurzynska à Cologne (1988-1991), la collection Rosengart à Lucerne (1992-2002), le mémorial de la Shoah à Drancy (2006-2011), la maison de la musique et les archives du monastère bénédictin d’Einsiedeln (2008-2010) et l’extension du Musée d’histoire naturelle de Berlin (2005-2010) illustrent les principes rigoureux qui sont ceux de Roger Diener. Un même refus du pathos s’y lit, notamment dans le cas du mémorial de Drancy, laconique présence face au camp de concentration. Le projet de Berlin porte sur deux registres différents. D’une part, les collections de préparations zoologiques conservées dans des bocaux sont ordonnées de façon à créer un gigantesque volume vitré qui devient, en tant que tel, un édifice dans l’édifice. D’autre part, la partie de la façade détruite pendant la guerre est restituée avec un moulage des parties conservées, utilisant non la pierre initiale, mais le béton, de façon à insister sur l’artificialité de l’opération.
Musées au Moyen-Orient, d’Abou Dabi à Beyrouth
Hala Wardé (architecte à Paris et au Moyen-Orient)
43L’intervention porte tout d’abord sur le Louvre Abou Dabi, inauguré en 2017, dont l’intervenante a été le principal concepteur pour le compte des Ateliers Jean Nouvel. Les principes directeurs du projet architectural sont présentés : une coupole surbaissée laissant passer une lumière évoquant celle des souks orientaux couvre un dédale de galeries d’une dimension presque urbaine, au travers desquelles des bras de mers s’infiltrent. Les principes de la muséographie sont évoqués, entre autres le refus d’un classement géographique des œuvres et le choix d’une confrontation entre les aires culturelles et leur production à un moment donné de l’histoire. Des œuvres spécifiques au lieu jalonnent le parcours. Le projet lauréat au concours de 2016 pour le musée d’Art moderne de Beyrouth – le BeMA – donne l’occasion d’une autre interprétation du thème du musée, cette fois pensé sur un site délicat comme la superposition d’un édifice à patio et d’une tour mince.
Museumsquartier Wien, Creating by Chance a Cultural District; the Role of Politics, Mass Media and Architecture
Dietmar Steiner (architecte, critique et consultant à Vienne)
44Directeur-fondateur de l’Architekturzentrum de Vienne, qui ouvrit ses portes en 1993, l’intervenant relate la chronique de la création du Museumsquartier de la capitale autrichienne, dont il fut l’un des inspirateurs et l’un des plus ardents artisans. L’intervention permet de saisir les mécanismes complexes de l’interaction entre les décideurs politiques – élus locaux ou nationaux –, les directeurs d’institutions et les architectes. Les méandres suivis par le projet de quartier dans son ensemble et celui du centre d’architecture, nouveau type d’institution congénitalement fragile, sont ainsi parcourus.
Pouchkine : Golitsyne, Kandinsky, Morozov, Chtchoukine et al.
Youri Avvakoumov (architecte, artiste et curateur à Moscou)
45À partir d’une démarche associant art et architecture, qui l’a conduit à être à l’origine de la notion d’« architecture de papier », suggérée en 1984 pour rendre compte des projets conceptuels imaginés dans l’URSS d’alors, l’intervenant présente le projet d’agrandissement du musée des Beaux-Arts Pouchkine de Moscou, sur lequel il travaille depuis plusieurs années. Les principaux épisodes marquants dans la constitution de ses collections, avant et après la révolution de 1917, et dans la création de son bâtiment principal, achevé en 1912, sont rapportés. Les solutions envisagées par des équipes d’architectes successifs pour investir le quartier environnant, parfois au prix de travaux cyclopéens autant qu’irréalistes, sont présentées sans complaisance.
Moderniser le musée du xixe siècle et imaginer celui du xxie siècle
Blandine Chavanne (conservatrice générale du patrimoine, sous-directrice de la politique des musées au Service des musées de France du ministère de la Culture et de la Communication)
46Dans un premier temps, le propos porte sur la rénovation du musée des Beaux-Arts de Nantes, dont, directrice, Blandine Chavanne a conduit la rénovation de 2006 à 2015. Sa nouvelle dénomination de « Musée d’arts » n’est pas qu’un jeu sémantique, et traduit l’effort mené en commun par les conservateurs et les architectes Alan Stanton et Paul Williams pour éclairer les bâtiments existants et investir les locaux industriels adjacents. Puis l’intervention présente les grandes lignes du rapport de la mission Musées du xxie siècle, remis en mars 2017 à la ministre de la Culture, et à l’élaboration duquel l’intervenante a participé. Elle souligne l’accent mis sur l’évolution souhaitable de la fréquentation et des types de publics, dont les conséquences architecturales devront être mesurées.
Cours à l’extérieur
Enseignements donnés à l’Institute of Fine Arts de la New York University
Automne 2016
47− Frank Gehry’s architecture on the global scene (cours magistral)
− Problems of interpretation in architectural history (séminaire)
Enseignements donnés à l’Accademia di architettura della Svizzera italiana, à Mendrisio, Tessin, dans le cadre de la chaire Borromini
Printemps 2017
48− Il governo dello spazio (cours magistral)
− Architecture in/as photography (séminaire)
Recherche
L’architecture de Frank Gehry
49Une recherche approfondie a été engagée sur le déploiement de la démarche de projet de l’architecte américain du milieu des années 1950 à nos jours, fondée sur l’analyse détaillée des archives de l’agence – dessins, correspondances, photographies de maquettes et de chantiers, articles de presse –, et sur la visite des édifices. L’activité de Gehry est inscrite à la fois dans son cadre culturel et social – la métropole de Los Angeles, et dans les transformations qu’a connu l’architecture mondiale depuis la crise fatale du Mouvement moderne intervenue dans les années 1960. Un catalogue raisonné des quelque 12 000 croquis d’étude conservés par l’agence, répartis en huit volumes, sera publié au cours des années à venir.
L’américanisme dans l’architecture et l’urbanisme de la Russie
50Dans le cadre du phénomène d’ensemble de l’américanisme, ce système de transferts culturels déterminant de la modernité et de la modernisation, la relation la plus paradoxale est celle qui a relié la Russie et les États-Unis entre le dernier tiers du xixe siècle et la seconde moitié du xxe siècle. Chaque conjoncture dans l’histoire russe a été marquée par des représentations spécifiques des techniques, des territoires, de l’architecture et de la culture matérielle de l’Amérique. Une interprétation d’ensemble de ce phénomène est entreprise, au travers du prisme de l’architecture et de l’urbanisme, passant par une analyse serrée des discours, des projets et des édifices, inscrits dans leurs déterminations politiques, économiques et techniques, tout autant que dans la chronique de la littérature et celle du cinéma.
Le Corbusier : de la biographie aux chantiers
51L’étude de l’œuvre de Le Corbusier a été poursuivie, notamment à l’occasion du colloque « Passés recomposés : Le Corbusier et l’architecture française 1929-1945 », organisé en novembre 2016 par le Centre Pompidou.
52Dans la perspective de la publication d’un ouvrage consacré aux photographies des édifices réalisés par l’architecte, les circonstances de la conception et de la construction de ses principaux bâtiments ont été analysées.
53Par ailleurs, en réponse à une demande de la fondation Le Corbusier, qui envisage de créer à Poissy un musée consacrée à l’architecte, un projet de principe pour la collection permanente a été élaboré. Ce document suggère une problématique pour un musée qui n’a aucun précédent, et dessine les grandes lignes de son parcours, en identifiant les œuvres-clés susceptibles de le jalonner.
Architecture et urbanisme de la France de Vichy
54À la suite du cours donné au Collège de France au printemps 2016 et du colloque qui l’a conclu, la préparation d’un ouvrage collectif intitulé Architecture, arts et culture dans la France de Vichy, 1940-1944 a été entreprise.
55Sur la base des recherches engagées depuis plusieurs années, un projet d’exposition a été élaboré, dont la présentation pourrait intervenir en 2020. L’identification des principales œuvres susceptibles d’être exposées a été engagée dans les fonds d’archives parisiens et régionaux.
Publications
Ouvrages
56Cohen J.-L., Architecture, modernité, modernisation, Paris, Collège de France / Fayard, coll. « Leçons inaugurales », 2017.
Préfaces et contributions à des ouvrages collectifs
57Cohen J.-L., « “Mise Au Point” : The Political Affects of Le Corbusier », in J. Torres Cueco et C.E. Mejía Vallejo (dir.), La Recherche patiente : Le Corbusier, cinquenta años después – Fifty Years Later, Valencia, General de Ediciones de Arquitectura, 2017, p. 10-27.
Cohen J.-L., « Ornement et vertu », in Ravage, illustre inconnu, Eindhoven, Lecturis, 2017, p. 229-230.
Cohen J.-L., « L’habitat temporaire, une recherche permanente », in M. Bouisson et F. Meadows (dir.), Habiter le temporaire, la nouvelle maison des jours meilleurs, Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2017, p. 115-122.
Cohen J.-L., « Lissitzky’s “Amerikanizm” », in E. Steierhoffer (dir.), Imagine Moscow: Architecture, Propaganda, Revolution, Londres, The Design Museum, 2017, p. 131-134.
Cohen J.-L., « Le Corbusier après Le Corbusier : de l’inachevé à l’inconstructible », in Fondation Le Corbusier, Le Corbusier, l’œuvre à l’épreuve de sa restauration, Paris, Éditions de La Villette, 2017, p. 234-247.
Cohen J.-L., « Ordre et destin de la villa urbaine », in Atelier Kempe Thill, Villa urbaine, Ostfildern, Hatje-Cantz, 2017, p. 8-15.
Cohen J.-L., « Il caso della memoria », in P. P. Tamburelli (dir.), Baukuh: Casa della memoria, Milan, a+m bookstore, 2016, p. 61-63.
Articles de périodiques
58Cohen J.-L., « Hubert Damisch; Noah’s Ark: Essays on Architecture », Journal of the Society of Architectural Historian, vol. 76, no 2, 2017, p. 244-245.
Cohen J.-L., « Micro e macrostoria di un recupero », L’Indice, no 6, 2017, p. 37.
Cohen J.-L., « Frank Gehry in Malibu: The Ron Davis Studio and Residence », Cahiers d’Art, vol. 40, 2016-2017, p. 148-158.
Cohen J.-L., « Auschwitz, miejsce wielopzemysłowe », Autoportret, no 1, 2017, p. 68-71.
Cohen J.-L., « Retour d’Amérique : pages d’écriture russes », Europe, mars 2017, p. 43-54.
Cohen J.-L., « Il progetto di architettura e la scuola », Architettura civile, no 16, 2016, p. 4.
Cohen J.-L., « Anatomia del libro di architettura », Domus, no 1007, novembre 2016, p. 20-23.
Cohen J.-L., « La maison atelier de Jean Lurçat », La Lettre de l’Académie des Beaux-Arts, no 82, 2016, p. 30-31.
Cohen J.-L., « Architecture without Capital Letters », Álvaro Siza 1995-2016, AV Monografías, no 186-187, 2016, p. 4-11.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Louis Cohen, « Architecture et forme urbaine », L’annuaire du Collège de France, 117 | 2019, 505-515.
Référence électronique
Jean-Louis Cohen, « Architecture et forme urbaine », L’annuaire du Collège de France [En ligne], 117 | 2019, mis en ligne le 04 juin 2020, consulté le 10 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/annuaire-cdf/14368 ; DOI : https://doi.org/10.4000/annuaire-cdf.14368
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