Santé publique (chaire annuelle 2018-2019)
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La chaire Santé publique a été créée en partenariat avec Santé publique France. Les séries de cours « Les pandémies » et « Histoire de l’épidémiologie » sont disponibles en audio et vidéo, sur le site internet du Collège de France (https://www.college-de-france.fr/site/arnaud-fontanet/_course.htm), ainsi que le colloque « Le futur de l’épidémiologie à l’ère des “big data” » (https://www.college-de-france.fr/site/arnaud-fontanet/symposium-2018-2019.htm).
Texte intégral
Enseignement
Cours – Les pandémies
Introduction
1Alors que l’on pensait au xxe siècle en avoir fini avec les maladies infectieuses grâce aux progrès de l’hygiène, et à l’arrivée des antibiotiques et des vaccins, l’émergence de deux nouveaux virus, Ébola en 1976 et le virus de l’immunodéficience humaine en 1981 nous ont brutalement rappelé que les risques de nouvelles pandémies étaient toujours bien présents. Ce cours sur les pandémies explore les mécanismes d’émergence de nouveaux agents pathogènes, les conditions de diffusion de ces agents au travers de la planète, leur impact, et est illustré de nombreux exemples tirés des grandes pandémies récentes : Sida, Ébola, Sars, hépatite C, Zika, etc.
Cours 1 – Naissance des pandémies
2Les maladies émergentes peuvent être classées selon le mode d’émergence des agents pathogènes. Trois modes d’émergence sont décrits :
1) le franchissement de la barrière d’espèce par un pathogène, le plus souvent un virus, qui, une fois adapté à son nouvel hôte humain, sera en mesure de déclencher une épidémie. Les exemples les plus courants sont le Sras ou le Sida ;
2) la modification du génome d’un agent infectieux qui, de fait, acquiert une nouvelle virulence ou échappe à la réponse immunitaire que l’hôte avait développé contre cet agent infectieux. Cette modification du génome peut prendre la forme de réassortiments comme dans le cas du virus de la grippe, ou de mutations sous pression médicamenteuse dans le cas des virus, bactéries, parasites ou champignons ;
3) l’arrivée d’un agent infectieux dans une zone géographique où il ne circulait pas. Cela a été le cas pour le virus du Nil occidental, arrivé pour la première fois sur le continent américain à New York en 1999, ou pour le virus du chikungunya et le virus Zika, qui ont entamé un tour du monde au cours de la dernière décennie alors qu’ils étaient jusqu’à présent cantonnés à l’Afrique et à l’Asie. Les facteurs associés à la plus grande circulation des agents infectieux sont l’augmentation considérable de la population humaine, multipliée par quatre au xxe siècle ; les densités humaines très élevées atteintes au sein des mégalopoles tropicales, souvent insalubres ; et la mobilité accrue des populations, permettant avec l’avion la diffusion des pathogènes en quelques heures aux quatre coins de la planète. Un autre facteur important de propagation des maladies est le moustique du genre Aedes, présent en zone tropicale (Aedes aegypti) ou tempérée (Aedes albopictus). Ce moustique transmet plusieurs arboviroses qui sont de véritables fléaux, comme la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya et le Zika. La colonisation planétaire entamée par Aedes albopictus il y a cinquante ans devrait s’accentuer sous l’effet du réchauffement climatique, comme le montre la progression du moustique dans la moitié sud de la France au cours des dix dernières années. Parmi les autres modes de propagation des agents infectieux, il est pertinent de mentionner la généralisation des injections et des transfusions (transmission des virus du Sida et des hépatites B et C), le commerce mondial des aliments (ex : importation en Allemagne du fénugrec égyptien à l’origine de l’épidémie à Escherichia coli 0104:H4 en 2011) et le commerce illégal des animaux (ex : épidémie de variole du singe aux États-Unis après l’importation clandestine de rats de Gambie en 2003).
Cours 2 – Impact des pandémies et nouvelles réponses face aux émergences infectieuses
3Plusieurs indicateurs peuvent être utilisés pour juger de l’impact d’une pandémie. Pour un épidémiologiste, les taux de mortalité ou de morbidité sévère sont un indicateur naturel – et qui réserve des surprises. En effet, la mortalité des épidémies à fort impact médiatique (ex : Sras, Ébola), est très inférieure à celle d’épidémies silencieuses et beaucoup plus dévastatrices (ex : hépatites B et C) : l’épidémie de Sras a tué 774 individus en six mois, celle d’Ébola 11 500 en 18 mois en Afrique de l’Ouest, tandis qu’hépatites B et C tuent plus de 2 500 personnes chaque jour, soit un million de gens par an. Les maladies liées aux virus du Sras et d’Ébola ont comme caractéristiques communes une incubation courte (une à deux semaines) et une expression clinique bruyante (détresse respiratoire ou fièvre hémorragique). C’est ce qui les rend effrayantes, mais également plus vulnérables aux mesures de contrôle, car la contagiosité ne débute que plusieurs jours après le début des symptômes. Il est donc possible d’identifier les patients sur la base de leurs symptômes et de les isoler avant qu’ils ne deviennent contagieux. À l’inverse, un virus comme celui de l’hépatite C a une incubation longue (20 à 30 ans), et une expression clinique silencieuse (les patients ne deviennent symptomatiques qu’au stade de la cirrhose), permettant une propagation sournoise du virus pendant toute la période d’incubation où les patients sont déjà contagieux. C’est ainsi que plus de 300 millions d’individus sont aujourd’hui chroniquement infectés par les virus des hépatites B et C. Les épidémies vont également avoir un impact économique considérable, en lien avec le ralentissement des échanges commerciaux et touristiques, la fermeture d‘aéroports, d’hôpitaux, voire des écoles. On estime à 50 milliards de dollars le coût économique de l’épidémie de Sras à Hong Kong en 2003. Pour les épidémies à forte mortalité, comme le Sida, le coût économique sera d’autant plus grand que la population touchée par la maladie est celle qui est économiquement active. La Banque mondiale estime qu’une épidémie sévère de grippe, d’une ampleur similaire à la grippe espagnole de 1918-1919, pourrait tuer 70 millions de personnes et avoir un coût économique de 7 000 milliards de dollars. Face à ces émergences infectieuses, de nouvelles réponses apparaissent. Le séquençage de nouvelle génération à haut débit permet l’identification de pathogènes inconnus sans a priori sur leur structure génomique, tandis que la production et comparaison en temps réel de séquences virales au cours d’une épidémie devrait permettre dans un avenir proche de reconstruire les chaînes de transmission. L’histoire récente nous a appris que nous ne sommes pas capables de prédire où et quand surviendra la prochaine épidémie : il est donc essentiel de disposer de moyens de surveillance planétaire permettant la détection précoce de foyers de cas anormaux pour une investigation immédiate. La révision du Règlement sanitaire international depuis 2005, obligeant les pays à déclarer à l’OMS tout événement épidémique anormal, et la surveillance de mots-clés liés aux épidémies par des moteurs de recherche spécialisés sur internet, contribuent à une bien meilleure réactivité de la communauté internationale face à ces événements. Enfin, le développement et pré-positionnement pour un essai de phase 3 de vaccins contre une liste de 11 pathogènes à fort potentiel pandémique dans le cadre d’un partenariat public-privé appelé CEPI est une initiative récente qui vient compléter notre arsenal en réponse à ces nouvelles menaces.
Cours 3 – Coronavirus du Sras, le virus venu de nulle part
4Le Sras, ou syndrome respiratoire aigu sévère, a marqué les esprits. Ce fut d’abord la première grande pandémie du xxie siècle. Son émergence est due au franchissement de la barrière d’espèces par un coronavirus totalement inconnu dont le réservoir est la chauve-souris, et qui va infecter l’homme par l’intermédiaire des civettes palmistes masquées consommées dans les restaurants du sud-est de la Chine. Grâce aux progrès de la biologie moléculaire, il a été possible de retracer le parcours de ce nouveau virus qui a conquis la planète en quelques semaines. Il a été notamment démontré qu’un médecin de Canton a infecté fin février 2003 dans un hôtel à Hong Kong dix personnes parties ensuite dans cinq pays différents, déclenchant ainsi la pandémie. Même si la mortalité a été faible (774 morts en six mois), l’épidémie a eu un impact médiatique retentissant, du fait de la nouveauté du virus, de sa diffusion rapide dans des pays industrialisés (Hong Kong/Chine, Singapour, ou le Canada) et de son tropisme hospitalier (infection des personnels, fermeture des hôpitaux). Il a fallu deux mois pour l’identification du coronavirus par les équipes de l’université de Hong Kong et du CDC d’Atlanta. La présence de cuisiniers parmi les premiers patients a incité les virologues et les épidémiologistes à enquêter dans les marchés de Canton pour identifier l’animal responsable de la transmission du virus à l’homme, qui s’est avéré être un petit carnivore consommé localement, la civette palmiste masquée. Du fait de la similarité des récepteurs ACE2 de l’épithélium de l’oropharynx des civettes et des hommes, seules deux mutations permettaient l’adaptation au récepteur de l’homme d’un virus adapté au récepteur de la civette, expliquant ainsi comment la civette a pu jouer le rôle d’hôte intermédiaire dans la transmission du virus à l’homme. Le réservoir du coronavirus, une chauve-souris de l’espèce Rhinolophus, a finalement été identifié, sans que l’on sache comment le virus est passé de la chauve-souris à la civette palmiste masquée. Le contrôle de l’épidémie a été possible par des mesures strictes d’isolement des cas, contagieux seulement quatre à cinq jours après le début des symptômes, et la restriction des déplacements. Le retard à la déclaration des premiers cas par la Chine a conduit à une modification du Règlement sanitaire international en 2005, obligeant dorénavant les pays à déclarer à l’OMS les foyers anormaux de cas suspects. Cette pandémie a finalement pris l’allure de grande répétition de ce qui nous attend en cas d’émergence d’un virus inconnu. Espérons que nous en aurons retenu les leçons.
Cours 4 – Hépatite C en Égypte, l’élimination, à quel prix ?
5L’Égypte est le pays qui connaît l’épidémie d’hépatite C la plus importante au monde. On doit cette épidémie à la transmission du virus de l’hépatite C lors des campagnes de traitement de la bilharziose par injections intraveineuses de sels d’antimoine pendant les années 1960 et 1970. Avec l’arrivée des premiers tests diagnostiques dans les années 1990, le gouvernement égyptien prend conscience de l’ampleur du désastre, alors qu’apparaissent cirrhoses et cancers du foie, complications tardives de l’infection. En 2008, lors d’une enquête sur un échantillon national représentatif, la prévalence des infections chroniques est estimée à 10 % chez les adultes, soit 6 millions d’infection dans le pays. Mais du fait de la très longue incubation de la maladie (20 à 30 ans), le pire reste à venir : les travaux de modélisation montrent en effet que le pic de mortalité par cirrhose devrait survenir en 2020, et par hépato-carcinome en 2035. Plusieurs études cas-témoins dans les hôpitaux du Caire et plusieurs études de cohorte en zone rurale, identifient les facteurs associés avec la transmission du virus dans les années 2000 : il s’agit avant tout d’injections médicales et de perfusions par voie intraveineuse, d’actes chirurgicaux, et de soins dentaires à type de détartrage. La transmission au sein d’un même foyer reste limitée, estimée à 5 % des nouveaux cas. Alors que les programmes de prévention (limitation des injections, utilisation de matériel à usage unique, et stérilisation des appareils à usage répété) se mettent en place, le gouvernement égyptien décide de lancer un programme national de traitement pour la prise en charge des patients chroniquement infectés. Alors que l’association interféron pégylé et ribavirine permet de guérir 60 % des patients, au prix d’un traitement long, pénible, et cher (plusieurs milliers d’euros), les premiers antiviraux à action directe font leur apparition au milieu des années 2010. Ces traitements, pris pendant 12 semaines par voie orale, ont peu d’effets indésirables, et des taux de guérison supérieurs à 95 %. Le gouvernement égyptien opte pour la production locale de génériques de ces traitements, et parvient à les fournir à des coûts 1 000 fois inférieurs à ceux pratiqués dans les pays industrialisés (74 dollars contre 75 000 dollars pour l’association sofobusvir-daclatasvir). Depuis octobre 2018, l’Égypte a entamé une campagne nationale de dépistage portant sur 65 millions d’individus. La route vers l’élimination est encore longue, mais les progrès réalisés en Égypte ont été remarquables après la prise de conscience de la gravité de la situation.
Cours 5 – Zika, le pacte du moustique et du virus
6Le virus Zika, nommé d’après la forêt ougandaise où il a été identifié en 1947, est longtemps resté une curiosité exotique. Transmis par les moustiques Aedes, il circule de façon endémique en Afrique subsaharienne et en Asie du sud-est, et semble bénin. En 2007, il apparaît sur l’Île de Yap en Micronésie avant de gagner en 2013-2014 la Polynésie française. Là, il infecte plus de la moitié de la population, et va provoquer un nombre important de paralysies sévères appelées syndromes de Guillain-Barré. En 2015, lors d’une épidémie massive au Brésil, on constate que des enfants nés de mères infectées pendant leur grossesse souffrent d’anomalies neurologiques graves dont des microcéphalies. Le 1er février 2016, l’OMS déclare le Zika « urgence de santé publique de portée internationale », et demande à la communauté scientifique de se mobiliser pour établir le lien entre le virus Zika et les complications neurologiques observées chez les adultes et les bébés. Alors que plusieurs études virologiques documentent la plus grande permissivité des cellules progénitrices neurales, celles qui entre la sixième et la dixième semaine du développement donneront naissance au futur cerveau, une étude de cohorte aux Antilles portant sur 546 femmes enceintes estime à 7 % le risque d’anomalies congénitales chez les enfants nés de mères infectées par le virus Zika pendant la grossesse. Le risque est maximal pour les infections ayant lieu au premier trimestre de la grossesse. L’épidémie s’est arrêtée fin 2016, faute de combattants, après avoir balayé les îles du Pacifique, l’Amérique latine, l’Amérique centrale, et les Antilles. Dans les zones les plus touchées, plus de la moitié de la population a été infectée, si bien qu’une nouvelle épidémie est peu probable tant que le groupe de personnes susceptibles d’être infectées ne s’est pas reconstitué. Au terme de cette épidémie, il n’existe toujours pas de traitement contre le virus Zika. Plusieurs vaccins sont en cours de développement, mais ne pourront vraisemblablement pas être testés en phase 3 en absence d’épidémie. Les études vectorielles ont montré le rôle prédominant joué par Aedes aegypti dans la transmission. Aedes albopictus est un vecteur compétent en laboratoire, mais n’a pas été incriminé « sur le terrain ». Cette épidémie a montré la limite des approches de contrôle vectoriel traditionnelles (destruction des gites larvaires, pulvérisations intra-domiciliaires, et utilisation de répulsifs) et appelle à des approches innovantes (par exemple moustiques infectés par la bactérie Wolbachia ou moustiques génétiquement modifiés), pour le contrôle des moustiques Aedes, responsables non seulement de la transmission du virus Zika, mais également des virus de la fièvre jaune, de la dengue, et du chikungunya.
Cours 6 – Ébola, une épidémie après l’autre
7La première épidémie connue liée au virus Ébola remonte à 1976. Elle survient à une époque où l’on pensait les maladies infectieuses vaincues, au moins dans les pays industrialisés, grâce aux progrès de l’hygiène, aux antibiotiques et aux vaccins. Ébola, puis le Sida quelques années plus tard, nous montrent que l’on n’en a pas fini avec les maladies infectieuses : ainsi naît le concept des maladies émergentes. La maladie liée au virus Ébola est particulièrement effrayante, du fait de ses manifestations cliniques à type de fièvre hémorragique et du taux de mortalité très élevé qui lui est associé. De plus, les personnels soignants sont très exposés au risque de contracter la maladie. L’investigation de la première épidémie de Yambuku au Zaïre sera fructueuse : le virus sera pour la première fois identifié ; l’évolution clinique de la maladie et le rôle des injections et des contacts interpersonnels dans la transmission du virus seront décrits ; les mesures de contrôle associant surveillance, isolement et quarantaine seront mises en place, ainsi que l’utilisation d’équipement protecteur, la décontamination des surfaces infectées et la gestion des cadavres. Enfin, les premières transfusions de plasma de convalescents seront testées. Plus de 20 épidémies ont eu lieu depuis, toutes en Afrique centrale, sauf une en Afrique de l’Ouest (2014-2015), la plus importante, avec plus de 25 000 cas et 11 500 décès. Les connaissances cliniques et épidémiologiques sur la maladie se précisent. On apprend que les patients peuvent excréter du virus dans le sperme plusieurs mois après la guérison et être ainsi la source de redémarrage de l’épidémie. On comprend surtout que la réponse à l’épidémie doit être adaptée aux coutumes et croyances locales, et le concept d’enterrement sécurisé et digne, respectant les rites funéraires, est mis en place. Les recherches d’un réservoir animal aboutissent à la mise en évidence d’anticorps et de séquences nucléotidiques virales chez des chauves-souris frugivores d’Afrique centrale. Les grands singes et les antilopes jouent le rôle d’hôtes intermédiaires, permettant la transmission du virus à l’homme. Ce sera seulement lors de l’épidémie d’Afrique de l’Ouest en 2014-2015 que des progrès significatifs seront réalisés dans l’évaluation des outils de la réponse biomédicale. Un essai vaccinal en Guinée démontre l’efficacité d’un vaccin vivant atténué recombinant, qui est administré aux contacts des patients selon une stratégie dite « en anneau ». Quant aux traitements, les anticorps monoclonaux semblent prometteurs, mais les essais pratiqués dans un contexte difficile manquent de puissance statistique pour démontrer leur efficacité. La survenue d’une nouvelle épidémie au Nord-Kivu en 2018, atteignant des centres urbains de plus d’un million d’habitants, et dans un contexte de conflits armés et de défiance de la population vis-à-vis des personnels de santé, fait craindre le passage de l’épidémie à un stade endémique où l’élimination du virus deviendra extrêmement complexe.
Cours – Succès et limites de l’épidémiologie
8Nous connaissons tous les risques associés au tabac, à l’alcool ou à une alimentation trop riche en graisses ou en sucres. Nous avons été sensibilisés à l’importance du dépistage de l’hypertension artérielle, de certains cancers ou de maladies infectieuses. Ce que beaucoup ne savent pas, c’est que ces recommandations sont issues d’études épidémiologiques fondées sur le suivi de dizaines, voire de centaines de milliers d’individus pendant des dizaines d’années. C’est ainsi que l’étude de cohorte de Framingham aux États-Unis (5 209 individus suivis depuis 1948) a permis l’identification des principaux facteurs de risque cardio-vasculaires, tandis que les cohortes d’infirmières américaines (première cohorte de 121 700 femmes suivies depuis 1976) et de médecins britanniques (34 439 hommes suivis depuis 1951) ont permis d’identifier de nombreux déterminants des cancers. Ces années seront également très riches en développements méthodologiques, avec la formulation des tests d’hypothèse, la mesure de l’amplitude des effets associés aux expositions, la prise en compte des fluctuations d’échantillonnage, l’analyse des biais de sélection, de classement et de confusion, et l’établissement de critères de causalité. Au décours de ces « trente glorieuses » de l’épidémiologie, correspondant aux années 1960 à 1980, vient une période de doute, avec notamment la publication de résultats contradictoires entre différentes études, et la non-confirmation lors d’essais randomisés de l’effet protecteur de certaines molécules (notamment beta-carotènes, vitamine E et traitement hormonal post-ménopause contre le risque cardio-vasculaire). La multiplication des tests statistiques croisant sans hypothèse préalable l’ensemble des expositions et maladies mesurées dans ces gigantesques études de cohorte a certainement contribué à la découverte d’associations fortuites, fruit du hasard d’échantillonnage. Parallèlement, l’existence de profils « health conscious » parmi les participants des études de cohorte, cumulant toutes les pratiques associées à une bonne hygiène de vie, font qu’il est devenu difficile de dissocier l’effet indépendant de chacune de ces pratiques (effet de confusion). Ces écueils sont aujourd’hui traités avec une réflexion approfondie sur l’usage et l’interprétation de la valeur P comme indicateur du rôle potentiel des fluctuations d’échantillonnage, et l’introduction de nouvelles approches pour appréhender la causalité comme la randomisation mendélienne ou les graphes orientés acycliques.
Colloque – Le futur de l’épidémiologie à l’ère des big data
9Comme beaucoup d’autres disciplines scientifiques, le futur de l’épidémiologie va être profondément impacté par l’irruption des analyses des big data ou données massives. Les big data nous dépassent par leur abondance et leur diversité. Le premier défi va être celui de recueillir des données de nature très différente, comme celles du séquençage du génome, mais également des objets connectés, des dossiers médicaux électroniques, de l’imagerie médicale, des réseaux sociaux ou des capteurs de pollution atmosphérique. Il faudra ensuite vérifier ces données, les transformer, les stocker, les partager, les analyser et enfin en visualiser les résultats d’analyse, le tout dans un contexte réglementaire de plus en plus strict, notamment pour la protection des données des personnes. Une des initiatives les plus avancées dans le domaine est portée par la cohorte appelée UK Biobank. Près de 500 000 individus ont été recrutés depuis 2006 au sein de cette étude de cohorte où les données médicales sont mises en relation avec celles du séquençage du génome. Un des principaux enjeux est l’identification des déterminants génétiques des maladies, sous la forme de scores polygéniques associés à une augmentation de risque de développer telle ou telle maladie. Des approches similaires pourraient être utilisées pour identifier les déterminants environnementaux des maladies, où les expositions incriminées regroupent l’ensemble des agents physiques, chimiques et biologiques présents dans l’air, l’eau, les sols, et l’alimentation. Ce colloque a permis de réunir plusieurs experts du sujet pour une description : de la UK Biobank (Jonathan Marchini et Raymond Walters) ; des méthodes d’analyse fondées sur des approches statistiques inférentielles (Hugues Aschard) ou sur l’intelligence artificielle (Jean-Philippe Vert) ; des domaines d’application des cohortes big data comme la pharmacogénomique (Marie-Pierre Dubé) ou la santé environnementale (Robert Barouki) ; de l’interprétation des scores polygéniques (David Hunter) ; de l’impact de l’annonce des résultats sur le changement des comportements (Adrienne Cupples) ; et enfin des aspects éthiques liés au recueil et à l’utilisation de ces données (Laure Coulombel et Claude Kirchner).
Pour citer cet article
Référence papier
Arnaud Fontanet, « Santé publique (chaire annuelle 2018-2019) », L’annuaire du Collège de France, 119 | 2022, 243-249.
Référence électronique
Arnaud Fontanet, « Santé publique (chaire annuelle 2018-2019) », L’annuaire du Collège de France [En ligne], 119 | 2022, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 22 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/annuaire-cdf/17065 ; DOI : https://doi.org/10.4000/annuaire-cdf.17065
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