Enseignement

Introduction

1Les enseignements de la chaire se proposent d’identifier et de modéliser les mécanismes cellulaires impliqués dans la réponse aux différents agents anti-cancéreux. Dans la continuité des cours sur les anti-hormones, la différenciation cellulaire, p53 comme voie finale commune... nous avons décidé de clore ce premier cycle de cours par l’étude de la sénescence cellulaire.

2Une série de travaux, dont un grand nombre a été mené au cours de ces quinze dernières années, a remis la sénescence au centre de multiples processus du vivant. Initialement considérée comme un artefact de culture cellulaire, la sénescence apparaît aujourd’hui comme un mécanisme cellulaire de réponse et d’adaptation au stress central en biologie. Elle entretient des rapports multiples avec les cancers, protectrice de leur survenue, impliquée dans la réponse thérapeutique, mais aussi dans les rechutes. Le cours de cette année se propose de revisiter les relations parfois imprévues et souvent complexes entre sénescence cellulaire et cancers.

Cours – Sénescence et réponse thérapeutique

3Les modes d’action moléculaires et cellulaires des agents utilisés dans la thérapeutique des cancers restent encore trop souvent mal définis. Au niveau moléculaire, plusieurs équipes ont récemment établi que des médicaments largement utilisés avaient en fait des cibles différentes de celles qui leur étaient classiquement attribuées. Il y a donc une certaine urgence à revisiter la pharmacologie moléculaire des anti-cancéreux ainsi que leurs effets cellulaires. On connaît au moins trois grandes voies de réponse des cellules cancéreuses à une perturbation : la mort (apoptose) qui se décline aujourd’hui en une infinie palette de formes et de mécanismes, le changement de type cellulaire (la différenciation, cf. le cours de l’an dernier) et la sénescence. Cette troisième voie constitue une forme de réaction au stress caractérisée par un arrêt irréversible de la croissance. Si, initialement, les communautés médicales et scientifiques estimaient que la mort des cellules transformées était le seul mode d’action de la thérapeutique, des travaux ultérieurs ont aussi impliqué la différenciation et/ou la sénescence, contribuant ainsi à rendre le paysage plus complexe. Il faut aussi garder en mémoire que le contexte (in vivo ou ex vivo) dans lequel ces études sont menées a une très grande importance pour orienter vers l’une ou l’autre de ces voies. Nos travaux sur la leucémie aiguë promyélocytaire ont ainsi contribué à faire de cette maladie, qui était le paradigme de la thérapeutique par différenciation, le paradigme d’une thérapeutique agissant par la sénescence. Outre le cas très particulier de cette maladie, il y a un regain d’intérêt pour la sénescence, tant du fait de son implication dans les thérapeutiques (en particulier du cancer) que dans le vieillissement physiologique (qui n’a été que superficiellement abordé dans le cours).

Présentation de la sénescence

4La sénescence cellulaire est un ensemble de réactions à diverses situations de stress, se manifestant par un arrêt de croissance, initialement considéré comme irréversible. La sénescence est différente de la quiescence cellulaire, car le métabolisme reste très actif, ainsi que les sécrétions de cytokines et le métabolisme mitochondrial. En fait, la sénescence cellulaire naît souvent d’une situation de conflit entre des signaux contradictoires. Suivant la cellule d’origine et les stimuli déclenchants, de nombreux signes permettent d’évoquer la sénescence : induction de l’activité de TP53, de p21, arrêt de la voie de prolifération contrôlée par E2F, sécrétion de cytokines, accentuation des corps PML, modifications de la chromatine, forte activité des lysosomes… Ex vivo, les cellules sénescentes gardent un métabolisme très actif et peuvent vivre longtemps. Les cellules sénescentes peuvent présenter une résistance à l’apoptose. In vivo, elles sont souvent éliminées par les cellules immunitaires. La sécrétion par les cellules sénescentes d’un riche cocktail de cytokines pro-inflammatoires, pro-angiogéniques ou de protéases, va provoquer des effets en trans, y compris induire la propagation de la sénescence aux cellules avoisinantes. C’est un des mécanismes importants impliqués dans le vieillissement.

5L’une des toutes premières cibles de la sénescence est le contrôle négatif du cycle cellulaire. L’arrêt du cycle est induit conjointement par l’expression des deux principaux inhibiteurs de CDK, p21 et p16. Le rôle de p53 est essentiel dans l’activation de l’expression de p21. Les mécanismes moléculaires à l’origine de l’induction de l’expression de p16 sont plus variés, impliquant l’activation de la voie MAPK et/ou des modifications épigénétiques. À la suite de cette inhibition du cycle cellulaire, d’autres mécanismes, en particulier épigénétiques, permettent de rendre irréversible cet arrêt de prolifération, notamment la formation de zones d’hétérochromatine, facilitée par les corps PML. D’autres changements, en particulier métaboliques, contribuent à l’établissement et au maintien de la sénescence cellulaire.

La sénescence réplicative

6Historiquement, les premières descriptions de la sénescence ont porté sur des cultures à long terme de fibroblastes primaires humains. L’usure télomérique, acquise au fur et à mesure des divisions cellulaires, induisait un arrêt de cycle, sans mort, caractérisé par une morphologie plate, de grands cytoplasmes, l’expression d’une enzyme lysosomiale (β-Galactosidase acide) et la formation de mottes d’hétérochromatines traduisant des changements épigénétiques majeurs et irréversibles. Le métabolisme restait néanmoins très actif, comme le montre la présence de nombreuses mitochondries et même d’un stress du réticulum endoplasmique encombré par les synthèses protéiques. La sénescence réplicative est initiée par la signalisation des dommages à l’ADN, liée à la dé-protection des télomères. Outre l’usure progressive des télomères – du fait de la réplication incomplète de ces extrémités des chromosomes –, l’architecture des régions télomériques rend la réparation de l’ADN très difficile. Ainsi, au fil du temps, ces régions peuvent accumuler des lésions non réparables et donc chroniques de l’ADN, à l’origine d’une signalisation continue de type « DNA damage response », induisant la sénescence via l’activation de p53. L’existence de ces zones de dommage à l’ADN juxta-télomérique a été démontrée dans différents tissus in in vivo et a été impliquée dans le vieillissement physiologique. La persistance de ces zones d’ADN non réparé est également observée après des traitements anti-cancéreux (voir plus bas). Il existe un vaste éventail de maladies liées à des mutations de protéines associées aux télomères. Les mutations associées à un raccourcissement accéléré des télomères facilitent le vieillissement physiologique. À l’inverse, les polymorphismes liés aux télomères longs prédisposent aux cancers, en particulier aux mélanomes.

La sénescence par activation d’oncogènes

7Après les premières descriptions de la sénescence réplicative, un second modèle a fait l’objet de très nombreuses études : la sénescence induite par l’expression des oncogènes. Historiquement abordé par l’expression de l’oncogène RASV12 dans des fibroblastes primaires, ce modèle a permis une exploration poussée des voies de signalisation impliquées dans les réactions rapides au stress oncogénique. Les modèles animaux ont ensuite montré que la sénescence était un mode de protection majeur contre la survenue des cancers. Dès la fin des années 1990, l’hyper-réplication de l’ADN (conduisant à des dommages à cette macro-molécule) ainsi que le stress oxydant ont été impliqués en aval de l’activation inappropriée de RAS ou de sa kinase d’aval MEK. En aval des lésions ADN et du stress oxydant, on retrouve les points de contrôles maîtres de la prolifération cellulaire que sont p53/p21 et p16. p53 et p16 sont probablement les deux gènes les plus fréquemment mutés ou inactivés dans les cancers humains, suggérant que la sénescence joue un rôle majeur de protection dans la carcinogenèse. Un autre gène clef dans ce modèle est PML, marqueur et effecteur clef de cette sénescence oncogénique, qui agit comme amplificateur de l’activité de p53 et de l’inhibition de p16 sur les kinases contrôlant le cycle cellulaire.

La « SASP » et les effets à distance

8Contrairement à l’apoptose, où la cellule disparaît rapidement sans laisser de trace, la cellule sénescente est une cellule stressée, mais pas mourante. Ainsi, la cellule sénescente ne disparaît pas, mais elle sécrète de nombreux messagers, induisant une signalisation de stress se propageant à proximité ou même à distance. Si l’arrêt irréversible de la synthèse d’ADN et celui du cycle mitotique bloquent la division cellulaire, les synthèses protéiques restent, quant à elles, très élevées. En particulier, l’une des caractéristiques fondamentales des cellules sénescentes est une sécrétion de protéines associées au stress (SASP). La composition de cette sécrétion en médiateurs ou effecteurs (cytokines, chémokines, facteurs de croissances, protéases, facteurs angiogéniques...) varie beaucoup en fonction du type cellulaire et du facteur inducteur de la sénescence. Ces sécrétions SASP vont avoir un rôle majeur, au niveau local et parfois même au niveau de l’organisme tout entier. Par exemple, au niveau local, la SASP a été impliquée dans les processus de cicatrisation et de reprogrammation cellulaire. Au niveau général, elle a été impliquée dans le vieillissement physiologique ou réactionnel à des stress, comme lors des traitements anticancéreux. De plus, certains de ces facteurs sont eux-mêmes directement capables d’induire la sénescence des cellules voisines. Cela constitue une importante boucle d’auto-activation impliquée dans l’extension de certains phénomènes physiopathologiques, comme les fibroses. D’autres facteurs vont contribuer au recrutement du système immunitaire, qui participe alors à l’élimination des cellules sénescentes.

9Dans l’histoire naturelle de la progression des cancers, la sénescence des cellules tumorales va contribuer au recrutement et à l’activation du stroma. Ce stroma peut lui-même devenir sénescent et transmettre alors à la tumeur des signaux de survie ou de croissance. Ainsi, dans des modèles de xénogreffes, l’injection de cellules sénescentes facilite la prise de greffe de cellules cancéreuses en mimant ce micro-environnement stromal. Ainsi, la SASP, comme le Yin et le Yang, est capable d’induire, selon les contextes, des effets opposés, voire paradoxaux, mais très importants en physiopathologie. L’une des voies de signalisation centrale de la réponse au stress, NFκB, a été directement impliquée dans l’activation de la SASP. L’activation de NBκB contribue aussi au maintien de la sénescence en induisant l’expression de p16. NBκB joue un rôle clef dans la facette immune en facilitant le recrutement des lymphocytes de type NK, qui participent à l’élimination des cellules sénescentes. De nombreuses analyses, parfois contradictoires, ont cherché à élucider les voies de signalisations et d’amplification de cette réponse SASP qui est indispensable à de nombreux aspects de la sénescence. Ainsi, la voie Notch a été impliquée dans la sénescence physiologique chez l’embryon, les interleukines 6 et 8, le TGFβ ou la voie cGAS/Interféron sont aussi importants dans d’autres contextes. Plus récemment, il a été montré que des dysfonctionnements mitochondriaux pouvaient induire une sénescence avec une SASP atypique, caractérisée par l’activation de p53, mais aussi, paradoxalement par un effondrement de la voie NBκB.

La sénescence in vivo

10Pendant longtemps, toutes les études des mécanismes cellulaires de la sénescence étaient menées ex vivo, au point qu’il avait été proposé qu’il puisse s’agir d’un artefact de culture cellulaire. À l’inverse de l’usure progressive des extrémités des chromosomes, une autre forme de sénescence est observée dans le développement embryonnaire, soulignant l’importance de ce phénomène in vivo, en dehors des modèles un peu artificiels mentionnés ci-dessus. Ainsi, comme l’apoptose, la sénescence participe à « la sculpture du vivant » suivant l’expression de J.C. Ameisen. La signalisation dans ce cas nécessite le TGFβ et l’activation en aval de p21.

11Plusieurs innovations technologiques ont permis de mettre en exergue l’existence et l’importance physiologique des cellules sénescentes in vivo, principalement chez la souris. Les deux approches sont fondées sur l’utilisation du promoteur du gène p16, massivement induit lors de la sénescence. Dans un premier modèle, le promoteur du gène p16 contrôle l’expression d’une protéine fluorescente (permettant la mise en évidence in vivo des cellules exprimant p16). Cette même unité de transcription contrôle aussi l’expression d’un gène viral qui permet de convertir un dérivé de nucléotide inactif en un nucléotide analogue toxique, car bloquant la synthèse de l’ADN et induisant la mort cellulaire. L’autre modèle fait appel à l’expression, sous la dépendance du même promoteur p16, d’une protéine hybride formée d’une caspase, enzyme capable d’induire l’apoptose, et d’un domaine de dimérisation inductible par une petite molécule. Ainsi, dans ces deux systèmes, un inducteur chimique externe va induire la mort des cellules dans lesquelles le gène p16 est exprimé, en particulier dans les cellules sénescentes. Ces technologies ont permis des avancées considérables, bien que naturellement limitées au modèle souris.

12Ces approches ont d’abord permis de mettre en évidence un rôle important de la sénescence dans le processus normal de cicatrisation cutanée. Dans ce modèle, la sécrétion SASP (en particulier celle du PDGF) joue un rôle clef dans l’accélération de la réparation tissulaire. L’élimination des cellules exprimant p16 conduit à un ralentissement net de signes « classiques » de vieillissement, comme la cataracte ou la lordocyphose. L’incidence des cancers spontanés, de la neuro-dégénérescence ou de la sclérose glomérulaire était sensiblement diminuée par la destruction des cellules exprimant p16. Néanmoins, suivant les pathologies, la sénescence peut avoir des effets protecteurs ou accélérateurs : elle semble protéger du cancer (voir plus bas), de l’athérome, de la cirrhose hépatique, de l’infarctus du myocarde et de la sclérose glomérulaire. En revanche, elle favorise la fibrose pulmonaire, la perte musculaire ou le diabète de type II et l’obésité. Cet exemple illustre bien les effets complexes et parfois antagonistes de l’activation de la sénescence, ainsi que la difficulté de l’impliquer de manière univoque dans de nombreux systèmes biologiques. Enfin, le système immunitaire joue aussi un rôle complexe dans la sénescence : il est activé par les cytokines de la SASP permettant le recrutement rapide des cellules immunes, en particulier les cellules NK, qui sont capables d’éliminer les cellules sénescentes. À l’inverse, une situation de sénescence chronique (comme les agressions répétées incapables de cicatriser) va être associée à un infiltrat immun persistant, à une inflammation chronique et à des complications, comme la perte tissulaire et la fibrose.

13Ces observations, toutes faites chez la souris, ne sont pas facilement et directement transposables à l’homme. Néanmoins, une expression augmentée de p16 a été observée dans le vieillissement humain et des polymorphismes du locus exprimant p16 sont fortement liés au diabète ou à l’athérosclérose. Enfin, dans les transplantations rénales, l’expression de p16 par le greffon est fortement liée à la longueur de sa survie chez le receveur, suggérant que la sénescence due à l’ischémie/reperfusion conditionne la durée de vie du rein chez le receveur.

Vers une sénothérapie clinique ?

14Une des caractéristiques de la sénescence est sa capacité à se propager de proche en proche par l’intermédiaire de la SASP. Celle-ci peut conduire à l’élimination des cellules ou à leur maintien, créant alors un système auto-entretenu et amplifié, qui peut conduire à l’inflammation chronique, la perte de fonction et la fibrose. Récemment, des thérapeutiques « sénolythiques » bloquant les cytokines ou détruisant les cellules sénescentes permettent d’arrêter, voire « d’inverser » le vieillissement physiologique dans des modèles animaux. L’inhibition des voies d’activation de la SASP (signalisation NFκB principalement) ou de facteurs sécrétés (IL1a, IL6…) grâce à des anticorps permettrait, en principe, de limiter l’extension des foyers de sénescence. Une seconde approche consisterait à favoriser l’apoptose de ces cellules, qui, bien que stressées, sont très résistantes à l’apoptose. Elles sont néanmoins très sensibles aux inhibiteurs de la voie Bcl2, comme le Navitoclax. Une dernière approche consisterait à augmenter la reconnaissance et la destruction des cellules sénescentes par le système immunitaire. Il est probable que la décennie qui s’ouvre verra des progrès thérapeutiques fondés sur ces concepts.

Sénescence dans les cancers 

15Dans le domaine des cancers, la sénescence joue un rôle clef aux trois étapes de la vie d’une tumeur. Elle bloque la transformation en réponse à l’activation d’oncogènes, elle participe à la réponse à de nombreuses thérapeutiques et enfin elle peut favoriser la rechute. En effet, la SASP induit une forme de plasticité cellulaire et de reprogrammation des cellules tumorales vers des phénotypes de progéniteurs. L’induction de la sénescence en réponse à l’activation d’oncogènes apparaît comme un mécanisme majeur d’inhibition de la transformation cellulaire, à travers l’arrêt immédiat du cycle cellulaire, suivie de l’élimination de ces cellules par le système immun. À ce titre, la quasi-totalité des effecteurs maîtres de la sénescence impliqués dans l’arrêt de prolifération sont des anti-oncogènes majeurs comme p53, p16 ou RB. Leur perte lors de la progression tumorale permet de court-circuiter l’effet anti-prolifératif protecteur de la sénescence. Expérimentalement, l’élimination précoce chez la souris des cellules sénescentes diminue significativement l’incidence des cancers spontanés. À l’inverse, la disparition ou l’inhibition de la fonction des oncogènes va souvent induire une sénescence massive. Un des premiers modèles exploré a été l’ablation oncogénique dans les modèles de cancers induits par la surexpression de l’oncogène Myc. Dans des modèles d’hépato-carcinomes ou de lymphomes, l’extinction de l’expression de c-MYC induit une sénescence massive et une régression tumorale nécessitant la fonction de p53. À l’inverse, dans des modèles de cancers induits par l’absence de p53, la restauration de la fonction de p53 dans la tumeur déjà établie induit aussi de la sénescence et la régression tumorale. Dans des modèles de tumeurs hépatiques induites par l’activation de Ras et la perte de p53, la restauration de pRb53 induit la SASP et une régression tumorale, qui est dépendante de la présence de lymphocytes NK.

16Néanmoins, en cas d’échec de cette première phase de protection, la sénescence peut au contraire favoriser le développement ou le maintien du cancer. Cet effet pro-survie passe entres autres par la SASP, le recrutement du stroma et des échanges réciproques de facteurs de croissance ou de survie entre tumeur ou stroma. L’induction d’une plasticité cellulaire favorise aussi l’émergence de cellules souches cancéreuses et même l’induction de l’extravasation vasculaire ou lymphatique suite à la sécrétion des protéases associées à la SASP. L’intervention du système immunitaire, aussi bien sur le stroma que sur la tumeur, contribue à un niveau supplémentaire de complexité. Ainsi, un stroma constitué de cellules sénescentes (spontanément ou en réponse au traitement) peut secondairement favoriser l’invasion tumorale.

17La sénescence est également intimement liée à la thérapeutique et peut induire des effets bénéfiques ou délétères pour l’évolution de la maladie. Le traitement à la cyclophosphamide de lymphomes obtenus par surexpression de Myc nécessite l’intégrité de la fonction de p53, mais ne passe pas par l’apoptose. La forte induction de p16 dans ce modèle suggérait l’implication de la sénescence dans la réponse thérapeutique. D’autres travaux ont accrédité l’idée que l’induction de la sénescence pouvait être une voie thérapeutique, au moins dans les tumeurs dans lesquelles la signalisation p53/p16/RB est réprimée, mais reste activable, car exempte de mutations inactivatrices. Néanmoins, la situation reste encore assez confuse. Dans certains modèles, l’induction de la sénescence par des médicaments (inhibiteurs de kinases en aval de Ras et inhibition du cycle cellulaire) va permettre l’activation de NFκB, d’une réponse SASP, le recrutement des lymphocytes NK et l’élimination des cellules tumorales. Dans les leucémies aiguës myéloïdes, la combinaison entre un activateur de sénescence (chimiothérapie ou agent déméthylant) et un inhibiteur de l’activité anti-apoptotique de Bcl2 ciblant les cellules sénescentes a montré un net bénéfice clinique. Néanmoins, le rôle clef de la sénescence n’a pas été établi de manière formelle dans ce modèle.

18Dans d’autres systèmes, l’induction de la sénescence a un effet négatif sur l’évolution de la tumeur, du fait de l’acquisition d’une plasticité cellulaire en réponse à la SASP, qui favorise un phénotype de type cellule souche et donc la ré-acquisition de la clonogénicité. À ce titre, la plupart des gènes impliqués dans la sénescence (p53, p16, p21) s’opposent à la reprogrammation cellulaire en induced pluripotent stem cells. À l’inverse, les facteurs sécrétés présents dans la SASP facilitent l’action de reprogrammation des facteurs de Yamanaka. Par ailleurs, beaucoup des effets secondaires des traitements « classiques » de chimiothérapie ou de radiothérapie passent par l’induction de SASP par des cellules sénescentes, expliquant la fatigue et l’inflammation. La compréhension du mécanisme de ces effets délétères ouvre des perspectives cliniques pour essayer de les contrôler chez les patients. Des travaux récents, menés dans des lignées cellulaires, suggèrent que l’amplitude de l’induction de p21 après un traitement à la doxorubicine pourrait être un des critères essentiels déterminant l’équilibre entre sénescence définitive et sénescence incomplète qui est associée à la reprise de la croissance tumorale.

19Au total, la sénescence est devenue un élément central dans la compréhension cellulaire des mécanismes de cancérogenèse, comme dans la réponse thérapeutique. L’existence de facteurs sécrétés ouvre des possibilités d’intervention. Néanmoins, beaucoup d’observations ont été faites dans des modèles assez artificiels et une validation chez l’homme reste indispensable.

Colloque – Cancer et immunité

20Le colloque « Cancer et immunité », organisé en collaboration avec la chaire Médecine expérimentale, a été reporté à cause de la crise sanitaire.

Cours à l’extérieur

21Deux cours, destinés aux étudiants de l’université Saint-Joseph de Beyrouth et organisés dans le cadre des accords internationaux du Collège, devaient avoir lieu en mars 2020. Ils devaient permettre de maintenir la tradition francophone dans l’une des universités phares du Moyen-Orient. La situation politique au Liban n’a pas permis à ses cours de se tenir, l’université étant fermée.

Recherche

22La leucémie aiguë promyélocytaire (LAP) est déclenchée par une translocation chromosomique qui conduit à la formation d’une protéine de fusion PML/RARA, maître-d’œuvre de la transformation leucémique. Deux médicaments (l’acide rétinoïque et l’arsenic) induisent la dégradation de PML/RARA. Celle-ci conduit à la différenciation et à la sénescence, à travers la restauration de l’activité de PML. C’est autour de ce modèle que tourne l’ensemble de nos travaux, cherchant à explorer, au-delà de la LAP, comment RARA et PML peuvent être impliqués dans la leucémogenèse et la réponse thérapeutique des leucémies.

Rôle biochimique de PML

23L’équipe, notamment V. Lallemand-Breitenbach, a beaucoup investi dans l’étude des fonctions de PML in vivo, en particulier à travers des analyses de protéomiques in vivo. Celles-ci montrent que l’assemblage des corps nucléaires PML en réponse au stress oxydant a un rôle majeur de facilitation d’une modification post-traductionnelle, la sumoylation. Dans le foie, la conjugaison par SUMO2, est facilitée par le recrutement de l’enzyme UBC9. La formation de ces chaînes de SUMO2 s’accompagne d’une poly-ubiquitination et d’une dégradation par le protéasome, généralisant ainsi le modèle et la cascade biochimique que nous avions établis pour PML/RARA et l’arsenic.

24À ce titre, dans un travail mené avec les laboratoires IPSEN, nous avons pu identifier des petites molécules capables de se lier au récepteur des androgènes et d’induire sa conjugaison par SUMO2, puis ubiquitine, suivie de sa dégradation par le protéasome. Néanmoins, si ce candidat médicament est très actif ex vivo, il l’est beaucoup moins in vivo. Nos travaux ont pu montrer que cette molécule a également une activité inhibitrice sur le protéasome in vivo, limitant, par là-même, l’efficacité thérapeutique de cette molécule. Ces effets off-target sur l’activité du protéasome sont fréquents et pourraient expliquer certains des effets secondaires des médicaments.

PML dans la réponse thérapeutique de maladies autres que la LAP

25Un deuxième axe important des recherches de l’équipe a été d’étudier le rôle physiologique de PML dans la réponse au stress in vivo. Ces travaux, qui viennent d’être soutenus par un contrat de l’ERC, cherchent à comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans la sénescence PML-dépendante et à identifier des situations pathologiques où, comme dans la LAP, celle-ci pourrait avoir un bénéfice thérapeutique. En collaboration avec des équipes de l’institut Gustave Roussy et de l’hôpital Saint- Louis, nous avons pu montrer le rôle clef de PML dans la réponse des syndromes myélo-prolifératifs mutés pour Jak2 dans la réponse clinique à l’interféron alpha. Cette implication de PML dans la réponse explique que la combinaison de l’interféron à l’arsenic renforce considérablement ses effets thérapeutiques. Cette observation démontre que la formation des corps nucléaires PML, très probablement par le biais de la sénescence des cellules initiatrice de leucémie, est impliquée dans la réponse thérapeutique. L’association interféron-arsenic étant bien tolérée chez l’homme, des essais cliniques pourraient être rapidement débutés (au moins dans les pays où l’arsenic est disponible sous forme orale) pour augmenter l’effet bien établi (mais d’amplitude modeste) de l’interféron alpha.

26Pour élucider les mécanismes impliqués dans la réponse PML-dépendante, nous avons construit des lignées de souris portant des mutations sur plusieurs domaines fonctionnels de PML. Nous analysons le rôle de ces mutants dans l’accélération de la leucémogénèse par PML/RARA ou d’autres oncogènes. Nous sommes également en train d’évaluer la réponse de ces souris mutantes à différents stress oxydants.

27L’oncoprotéine NPM1c, présente dans près d’un tiers des LAM, interfère avec la formation des corps PML. Elle pourrait donc contribuer à la pathogénie de cette forme de leucémie. L’actinomycine D induit des rémissions cliniques prolongées chez des patients présentant des LAM résistantes aux traitements conventionnels. De manière remarquable, l’actinomycine D, induit la reformation des corps PML, accompagnée par l’activation de p53 et de la sénescence. Cette cascade PML/p53 est indispensable à la réponse thérapeutique ex vivo. Nos travaux, en voie de soumission, apportent un éclairage mécanistique nouveau sur les relations entre NPM1c et PML. De manière inattendue, nos travaux, aussi bien dans le modèle Jak2 que NPM1c, mettent en évidence un mécanisme de la réponse thérapeutique qui ressemble étrangement à celui des LAP. Ainsi, les corps nucléaires PML pourraient constituer une voie finale commune de réponse thérapeutique dans plusieurs types de LAM.

L’immortalisation par surexpression de RARA

28Un dernier axe de nos travaux cherche à appréhender l’initiation de la LAP par la dérégulation de la signalisation des récepteurs à l’acide rétinoïque. En effet, si les bases moléculaires de la rémission en réponse à l’acide rétinoïque ou l’arsenic sont maintenant très bien comprises, les mécanismes moléculaires sous-tendant l’initiation de la maladie restent très insuffisamment explorés. Une revue de la littérature sur les translocations variantes a bien mis en exergue le rôle central des récepteurs à l’acide rétinoïques (RARA, le plus souvent, mais également RARB ou RARG). Néanmoins, les gènes cibles d’aval, comme les partenaires protéiques impliqués dans la répression, restent très mal connus et sont l’objet de recherches en cours.

Publications

29Auvin S., Öztürk H., Abaci Y.T., Mautino G., Meyer-Losic F., Jollivet F., Bashir T., de Thé H. et Sahin U., « A molecule inducing androgen receptor degradation and selectively targeting prostate cancer cells », Life Science Alliance, vol. 2, n^o 4, 2019, https://doi.org/​10.26508/​lsa.201800213.

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Dagher T., Maslah N., Edmond V., Cassinat B., Vainchenker W., Giraudier S., Pasquier F., Verger E., Niwa-Kawakita M., Lallemand-Breitenbach V., Plo I., Kiladjian J.J., Villeval J.L. et de Thé H., « JAK2V617F myeloproliferative neoplasm eradication by a novel interferon/arsenic therapy involves PML », J Exp Med., vol. 218, n^o 2, 2020, art. e20201268, https://doi.org/​10.1084/​jem.20201268.

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Humeau J., Sauvat A., Cerrato G., Xie W., Loos F., Iannantuoni F., Bezu L., Levesque S., Paillet J., Pol J., Leduc M., Zitvogel L., de Thé H., Kepp O. et Kroemer G., « Inhibition of transcription by dactinomycin reveals a new characteristic of immunogenic cell stress », EMBO Molecular Medicine, vol. 12, n^o 5, 2020, art. e11622, https://doi.org/​10.15252/​emmm.201911622.

Paubelle E., Zylbersztejn F., Maciel T.T., Carvalho C., Mupo A., Cheok M., Lieben L., Sujobert P., Decroocq J., Yokoyama A., Asnafi V., Macintyre E., Tamburini J., Bardet V., Castaigne S., Preudhomme C., Dombret H., Carmeliet G., Bouscary D., Ginzburg Y.Z., de Thé H., Benhamou M., Monteiro R.C., Vassiliou G.S., Hermine O. et Moura I.C., « Vitamin D receptor controls cell stemness in acute myeloid leukemia and in normal bone marrow », Cell Reports, vol. 30, n^o 3, 2020, p. 739-754.e4, https://doi.org/​10.1016/​j.celrep.2019.12.055.