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AccueilVolumes121Cours et recherches des professeursI. Sciences mathématiques, physiq...Sciences de l'UniversÉvolution du climat et de l’océan

Cours et recherches des professeurs
I. Sciences mathématiques, physiques et naturelles
Sciences de l'Univers

Évolution du climat et de l’océan

Edouard Bard
p. 153-163

Notes de la rédaction

La série de cours « Climats extrêmes et analogues actuels : l’optimum holocène (suite) » est disponible en audio et vidéo sur le site internet du Collège de France (https://www.college-de-france.fr/agenda/cours/climats-extremes-et-analogues-actuels-optimum-holocene-suite), ainsi que le colloque « Le cycle du carbone dans l’océan » (https://www.college-de-france.fr/agenda/colloque/le-cycle-du-carbone-dans-ocean).

Texte intégral

Enseignement

Cours – Climats extrêmes et analogues actuels : l’optimum holocène (suite)

1Il faut replacer le réchauffement climatique du dernier siècle dans un contexte temporel plus large afin d’en déterminer la singularité et de distinguer les causes sous-jacentes, naturelles et anthropiques. Les variations climatiques de la période Holocène, qui démarre vers 11600 avant le présent (B.P.) peuvent servir à tester de multiples hypothèses avec une fiabilité des enregistrements généralement suffisante. Pour ces périodes reculées, les connexions entre les populations humaines étaient relativement limitées en comparaison avec notre société mondialisée. Il est donc a priori plus facile d’identifier l’impact des changements climatiques régionaux sur les sociétés anciennes. Ces leçons de l’histoire et de la préhistoire peuvent aussi nous éclairer dans nos choix et réactions face au changement climatique actuel et à ses expressions régionales souvent amplifiées par rapport à la tendance à l’échelle mondiale.

Cours 1 – Évolution de la température au cours de l’Holocène

2Plusieurs centaines de séries de paléotempératures fondées sur des indicateurs paléoclimatiques géochimiques et micropaléontologiques permettent de cartographier les températures holocènes à l’échelle mondiale. Les archives utilisées sont des sédiments marins et lacustres, le plus souvent datés grâce au radiocarbone. Bien qu’imparfaites, les couvertures temporelles et spatiales des séries sont suffisantes pour évaluer les contrastes thermiques entre le continent et l’océan, ainsi qu’en fonction des latitudes.

3Les amplitudes des variations compilées sont assez faibles, de l’ordre des précisions intrinsèques des indicateurs géochimiques et micropaléontologiques. Au premier ordre, les compilations indiquent un optimum holocène dont l’amplitude est inférieure à 1 °C à l’échelle mondiale. Les compilations récentes les plus complètes montrent peu de contrastes océan-continent, en fonction des latitudes. L’existence de l’optimum holocène ne semble pas dépendre du type d’indicateur, mais les données palynologiques conduisent à l’optimum thermique le plus marqué. En outre, l’âge de l’optimum varie entre une estimation précoce vers 10000 ans B.P. et une plus tardive vers 6000 ans B.P. avec le pollen. Enfin, l’amplitude de l’optimum holocène semble aussi varier suivant la technique de compilation statistique qui doit pallier les imperfections de la couverture spatio-temporelle de l’ensemble des séries et tenir compte de la complexité des calibrations des différents indicateurs paléothermométriques.

4Les forçages climatiques reconstitués pour l’Holocène (insolation et irradiance solaire, rejets volcaniques, gaz à effet de serre, albédo des calottes) permettent de réaliser des simulations numériques avec les modèles de circulation générale. La modélisation montre une croissance générale des températures au cours de l’Holocène i.e. sans optimum, en contradiction flagrante avec les données paléoclimatiques. Même si chaque modèle répond aux différents forçages avec des amplitudes spécifiques, leur réponse globale est assez similaire au cours de l’Holocène. Néanmoins, la dispersion des simulations suggère aussi la présence de biais dans les modèles, notamment pour les hautes latitudes de l’hémisphère Nord sensibles à l’amplification arctique. Pour expliquer les différences modèles-données, certains auteurs ont suggéré que les données paléoclimatiques seraient biaisées par un effet de saisonnalité qui varierait au cours de l’Holocène. En d’autres termes, les observations ne représenteraient pas les variations de la moyenne annuelle mais celle de la saison chaude. Plusieurs méthodes ont été proposées pour corriger ce biais encore hypothétique, notamment en comparant les variations pour l’Holocène et la dernière période interglaciaire. Pendant cette période de l’Éémien (vers 125000 ans B.P.), la saisonnalité était plus marquée à cause d’une plus grande amplitude du forçage de l’insolation et de ses contrastes en latitude. Cette approche, dont l’aspect quantitatif a été critiqué récemment, permettrait de réconcilier données et modèles. Pour tester l’influence d’un changement du biais saisonnier, il est aussi possible d’étudier des enregistrements paléoclimatiques dans des archives à haute résolution temporelle comme les coraux massifs qui préservent le cycle saisonnier. Les quelques données disponibles n’indiquent pas d’optimum holocène à basse latitude.

Cours 2 – Évolution du niveau marin et des calottes glaciaires au cours de l’Holocène

5L’Holocène correspond à une phase interglaciaire chaude, mais les calottes continentales de la dernière glaciation, laurentidienne sur le Canada et fennoscandienne au nord de l’Europe, étaient encore présentes à l’état résiduel au début de la période vers 11600 ans B.P. De nombreux enregistrements des niveaux marins ont été obtenus à partir d’archives géologiques côtières datées par les méthodes du radiocarbone et de l’uranium-thorium. Les objets datés sont généralement des fossiles d’organismes marins fixés dont la profondeur de croissance est faible et relativement bien connue, ce qui permet d’estimer le niveau marin du passé. Les meilleurs indicateurs sont les coraux récifaux qui nécessitent beaucoup de lumière pour se développer et vivent dans de faibles tranches d’eau, principalement entre la surface et quelques mètres de profondeur. Lorsque la mer monte, le récif colonise la pente littorale et les coraux plus anciens, ennoyés sous une épaisse tranche d’eau, périssent par manque de lumière.

6Pour l’Holocène, les enregistrements les plus complets sont obtenus par la datation des coraux fossiles prélevés par forage des récifs coralliens des îles de La Barbade, dans les Caraïbes, et de Tahiti en Polynésie. La courbe de Tahiti indique que vers 11600 ans B.P. le niveau marin était encore 50 mètres plus bas que le niveau actuel, une colonne d’eau pratiquement équivalente au volume des glaces actuelles de l’Antarctique. Le niveau marin est ensuite remonté graduellement avec un taux d’environ 10 mm/an pendant la première moitié de l’Holocène avant de se stabiliser avec des taux inférieurs à 1 mm/an pendant les derniers millénaires.

7En plus de ces rares séries longues, les paléoclimatologues ont pu reconstituer de nombreuses courbes locales de remontée du niveau postglaciaire, distribuées à l’échelle de la planète entière. D’autres enregistrements locaux du niveau marin ont été décrits (e.g. Provence, Bretagne, Pays-Bas, Polynésie…) pour illustrer que les formes et amplitudes des courbes holocènes sont très variables et dépendent de la distance aux anciennes calottes de glace. Chaque littoral est affecté par des processus multiples dont les amplitudes respectives sont locales. Aujourd’hui encore, le niveau marin monte dans de nombreuses zones, mais descend rapidement dans d’autres, notamment dans les zones qui étaient situées directement sous les calottes de glace de la glaciation, baie d’Hudson au Canada et mer Baltique en Scandinavie.

8Pour illustrer ces complications, on peut comparer l’évolution du niveau marin en Polynésie et pour le golfe du Lion en Méditerranée. Au cours des 4 000 dernières années, le niveau marin a baissé d’environ un mètre en Polynésie, alors qu’il est monté d’environ un mètre sur le littoral du golfe du Lion. Pour cette période assez récente, les calottes de la dernière glaciation avaient déjà complètement disparu depuis longtemps. Ces différences de comportement sont liées au réajustement glacio-hydro-isostatique postglaciaire. En effet, la Terre se déforme sous le poids des calottes de glace, des volumes de glace de plusieurs kilomètres d’épaisseur créant des dépressions de la croûte continentale d’environ un kilomètre. Ceci entraîne des déplacements de masse à grande échelle à l’intérieur de la Terre. Après la fonte des calottes, le globe terrestre reprend lentement sa forme initiale, ces déformations s’ajoutant à celles qui sont liées au transfert d’eau des calottes vers l’océan.

9La modélisation géophysique et les données permettent de reconstituer quantitativement l’évolution du niveau marin moyen eustatique. Depuis le début de l’Holocène, le niveau moyen a varié de 50 m à 60 m suivant les différents modèles, avec une quasi-stabilisation depuis 6000 ans B.P. L’évolution des derniers millénaires est de faible amplitude, difficile à quantifier par modélisation géophysique globale. Elle fait intervenir des contributions de l’Antarctique et du Groenland dont les variations sont étudiées grâce à des données locales.

Cours 3 – Évolution du niveau marin et des calottes glaciaires durant l’Holocène : quelques événements singuliers

10La remontée globale du niveau marin à l’Holocène (environ 50 m à 60 m) a conduit à des particularités régionales. En parallèle à l’évolution du trait de côte, la fonte des calottes continentales s’est accompagnée d’un flux d’eau douce vers l’océan avec des conséquences sur la stabilité hydrologique de l’océan. Des effets locaux complexes liés à la topographie côtière, à la retraite des glaciers continentaux, au flux d’eau douce vers l’océan et au réajustement glacio-hydro-isostatique ont conduit à des événements singuliers.

11Le pont terrestre de Béringie, situé entre la Sibérie et l’Alaska, a été submergé vers 11000 ans B.P., avec une connexion entre le Pacifique Nord et l’océan Arctique formant le détroit de Béring, dont la profondeur du seuil actuel est d’environ −50 m. L’étude du réajustement glacio-hydro-isostatique local indique que le niveau marin est remonté rapidement après 11500 ans B.P. à la suite d’une période de stabilité démarrée vers 13000 ans B.P. Cette évolution locale est compatible avec la datation au radiocarbone et le contenu stratigraphique des sédiments submergés au niveau du détroit de Béring. L’ouverture de cette connexion océanique a conduit à une modification des échanges d’eau de surface avec un flux net du Pacifique vers l’océan Arctique. La modélisation numérique a permis d’évaluer l’impact sur la circulation globale de retournement de l’océan avec des répercussions sur les températures à l’échelle globale, notamment en Atlantique Nord et dans l’océan Pacifique Nord.

12L’étude détaillée des moraines en Amérique du Nord et en Europe permet de reconstituer la chronologie de la retraite postglaciaire des calottes laurentidienne et fennoscandienne. D’énormes lacs proglaciaires se sont formés au sud des calottes, avec des vidanges possibles vers l’océan via des réseaux hydrographiques régionaux, en pleine transformation pendant la période postglaciaire. Pour l’Amérique du Nord, des données géomorphologiques datées vers 11300 ans B.P. indiquent un flux massif d’eau douce vers l’océan Arctique en provenance du lac Agassiz via la rivière Mackenzie. Un autre épisode de drainage du lac Agassiz accompagné d’une débâcle de la calotte laurentidienne résiduelle a eu lieu vers 8200 ans B.P. Cet événement rapide a causé une diminution de la circulation de retournement de l’océan avec des conséquences à l’échelle de la planète, notamment un refroidissement marqué en Atlantique Nord et sur les continents bordant ce bassin océanique. Une configuration similaire prévalait au sud de la calotte fennoscandienne avec un lac proglaciaire occupant l’actuelle mer Baltique. La connexion avec l’océan a eu lieu au tout début de l’Holocène, entraînant un flux d’eau douce vers l’Atlantique Nord. Ces accélérations du drainage de l’eau de fonte des calottes sont probablement à l’origine de certains refroidissements brusques mis en évidence dans les séries à haute résolution de paléotempérature atmosphérique mesurées dans les carottes de glace du Groenland.

13Les lacs proglaciaires situés au sud-est de la calotte fennoscandienne étaient connectés au réseau hydrographique de l’est de l’Europe avec un débouché sur la mer Noire. Au début de l’Holocène, cette mer était encore déconnectée de la Méditerranée, le seuil du détroit du Bosphore étant situé au-dessus du niveau marin de l’époque. Des évidences géologiques indiquent que le seuil du Bosphore était plus haut que son niveau actuel (−35 m). Deux auteurs de l’université de Columbia à New York, Bill Ryan et Walter Pitman, ont émis l’hypothèse d’une rupture catastrophique du Bosphore avec un intense flux d’eau méditerranéenne dans le bassin de la mer Noire. Avant la reconnexion, un énorme lac d’eau douce occupait le bassin comme le montrent les mesures géochimiques réalisées sur les eaux interstitielles et les sédiments de mer Noire. La compilation des enregistrements datés par le radiocarbone conduit à un âge de 9000 ans B.P. pour le début de l’intrusion d’eau méditerranéenne. Cette datation est compatible avec un seuil du Bosphore plus élevé d’une dizaine de mètres par rapport à l’actuel. Par ailleurs, les sédiments du delta du Danube montrent que le niveau du lac qui occupait le bassin de la mer Noire était environ à −30 m juste avant la reconnexion. Pour quantifier la différence de hauteur d’eau entre les deux bassins pendant la phase d’inondation, il faut aussi tenir compte des effets isostatiques car l’eau de la Méditerranée a littéralement poussé le fond de la mer Noire, augmentant ainsi l’élévation apparente du niveau marin au niveau du Bosphore.

14Les événements singuliers et rapides de la déglaciation holocène ont probablement eu des répercussions sur les populations animales et humaines de l’époque. La submersion de la Béringie a isolé les continents américain et eurasiatique avec des conséquences sur le peuplement nord-américain. L’inondation rapide de la mer Noire aurait eu un impact négatif sur les populations néolithiques installées autour du lac qui précédait la mer Noire.

Cours 4 – Variations des précipitations durant l’Holocène et la période humide africaine

15Aujourd’hui, le climat de l’Afrique est dominé par une mousson avec apport estival de précipitations depuis l’Atlantique équatorial, phénomène modulé par la migration saisonnière de la zone de convergence intertropicale. Le réchauffement estival de l’hémisphère Nord au début de l’Holocène s’est accompagné d’un changement des pluies avec une intensification et une migration vers le nord de la mousson africaine. Depuis plusieurs décennies, les géologues ont accumulé les évidences d’un climat beaucoup plus humide autour de 9000 ans B.P. Les données les plus emblématiques concernent le niveau des lacs avec de grandes fluctuations des lacs existants (e.g Abhé, Assal, Turkana, Tchad) et la découverte de paléo-lacs, aujourd’hui disparus, localisés en plein désert (e.g. Haijad, Shati, Hassi el Mejnah, Taoudenni-Agorgott). Pendant cette période humide africaine, le lac Tchad était le plus grand lac du monde (méga-lac Tchad) avec un niveau plus élevé de 150 m par rapport à l’actuel. Le réseau hydrographique du Sahara était aussi beaucoup plus étendu (e.g. paléo-fleuve de Tamanrassett débouchant sur l’Atlantique). D’autres évidences proviennent des analyses géochimiques et micropaléontologiques de sédiments lacustres et marins, notamment des carottes prélevées au large de la côte atlantique nord-africaine qui préservent les poussières en provenance du désert.

16Les enregistrements datés au radiocarbone montrent des transitions rapides au début, à la fin et au milieu (vers 8000 ans B.P.) de la période humide africaine. La fin de la période est clairement transgressive dans le temps et dans l’espace : précoce à l’est, et plus tardive à l’ouest et au sud. En parallèle, l’hydrologie de la mer Méditerranée a été perturbée pendant la période humide africaine avec le dépôt de sédiments riches en matières organiques (sapropèle no 1) correspondant à une stratification des masses d’eau de surface, signature d’une augmentation des pluies et des apports du Nil. Les transitions rapides mises en évidence sur le continent sont aussi identifiées dans les enregistrements du sapropèle 1.

Cours 5 – Modélisation de la période humide holocène

17Les modèles climatiques sont utilisés pour comprendre l’origine de la période humide africaine de l’Holocène. Le principal forçage est l’augmentation de l’insolation estivale causée par les variations de l’orbite terrestre, notamment le paramètre de précession climatique (voir cours précédents). Les modèles climatiques perturbés par les forçages de l’Holocène simulent une migration vers le nord de la zone de convergence intertropicale. Le forçage orbital se révèle insuffisant pour expliquer l’ampleur de la période humide africaine, mais la perturbation est amplifiée par les rétroactions liées aux modifications des sols, des lacs, des aérosols et de la végétation, composantes qui sont maintenant introduites dans les modèles numériques de façon explicite ou paramétrisée. Les simulations suggèrent que la rapidité du début et de la fin de la période humide, ainsi que son caractère transgressif dans le temps et dans l’espace seraient liés à ces rétroactions climatiques.

18L’interruption de la période humide africaine et du sapropèle 1 vers 8000 ans B.P. est cohérente avec les simulations numériques de cet événement dont l’origine est la débâcle de la calotte de glace résiduelle de la Laurentide située au Canada (voir cours 3). Les modélisations indiquent une migration de la zone de convergence vers le sud accompagnée d’une diminution des pluies. Comme pour le maximum de la période humide, les simulations numériques ne sont encore que partiellement en accord avec les données, les observations indiquant de plus grandes ampleurs et vitesses des variations hydrologiques.

Cours 6 – L’optimum holocène et ses conséquences sur les populations humaines

19Les enregistrements paléoclimatiques mesurés sur des archives variées, stalagmites des grottes, et sédiments lacustres et marins, prélevés dans plusieurs sites du Proche-Orient, permettent de brosser un tableau cohérent de la transition Tardiglaciaire-Holocène. Le réchauffement et l’augmentation des précipitations ont étendu l’aire de croissance des céréales sauvages. En parallèle, l’étude des restes végétaux de nombreux sites archéologiques a permis de dater l’utilisation des céréales et leur transformation morphologique liée à la domestication par l’Homme. Des recherches similaires ont été conduites pour établir la chronologie du contrôle et de l’adaptation des principaux mammifères domestiques. L’amélioration climatique postglaciaire a donc clairement favorisé la sédentarisation et l’invention de l’agriculture et de l’élevage au Proche-Orient. Ces facteurs environnementaux se sont combinés à des facteurs humains des premières sociétés, ce qui complique la distinction quantifiée des différentes causes. Des cultures complexes ont notamment pu se développer dans la région du Croissant fertile dès le début de l’Holocène (e.g. Néolithique précéramique). La période humide africaine a aussi permis la diffusion de l’élevage vers l’ouest, bouleversant le mode de vie des populations de chasseurs-cueilleurs.

20Plusieurs sites archéologiques, à l’est comme à l’ouest, suggèrent un impact de l’événement climatique de 8200 ans B.P. (e.g. crise au Yarmoukien du Levant, signature isotopique des lipides des poteries du site de Çatal Höyük en Anatolie, interruption des occupations de sites comme Gobero au Niger). Le caractère transgressif de la fin de la période humide africaine, précoce à l’est et tardive au sud-ouest, a conduit les populations néolithiques à se concentrer dans les zones les plus favorables, notamment aux abords des fleuves comme le Nil.

21En parallèle, à l’impact de la dégradation climatique de la fin de la période humide, les sociétés humaines installées sur les côtes de la Méditerranée ont été affectées par la remontée du niveau marin (e.g. sites d’Atlit-Yam et Tel Hreiz en Israël). Les sites submergés et l’étude de l’évolution géomorphologique du delta du Nil démontrent l’importance de la transgression marine sur les premiers villages. Les conditions paléoclimatiques de l’Égypte sont étudiées à partir des sédiments du delta et prodelta du Nil, et de l’oasis du Fayoum. Certains indicateurs géochimiques permettent de décrire les évolutions parallèles des apports en eau et en alluvions fertiles provenant des régions sources situées plus au sud (Nil Blanc, Nil Bleu et Atbara). La diminution du flux sédimentaire du Nil et l’aridification progressive de son bassin versant, ainsi que la transgression marine postglaciaire ont conduit à l’adoption d’un nouveau mode de vie fondé sur l’élevage et l’agriculture irriguée. Ces facteurs environnementaux auraient aussi favorisé la centralisation politique de l’Égypte antique.

22Les périodes d’intenses variations climatiques sont donc à l’origine d’innovations technologiques et sociétales majeures. Même s’il faut se garder de tout déterminisme environnemental excessif pour le passé comme pour l’avenir, la (pré)histoire nous donne des leçons évidentes sur l’évolution des sociétés soumises aux changements climatiques.

Colloque − Le cycle du carbone dans l’océan

18 juin 2021

23Les océans contiennent environ 60 fois plus de carbone que l’atmosphère, essentiellement sous la forme d’ions bicarbonates dissous, ainsi que d’une grande quantité de matière organique synthétisée et recyclée par une multitude d’organismes vivants composant la biosphère marine. Depuis le début de l’ère industrielle, l’océan a absorbé plus du tiers du gaz carbonique émis par l’Homme. Le pompage océanique est essentiellement dû à la diffusion physico-chimique de l’excès de CO2, à son hydrolyse acido-basique et à son transport en profondeur par la circulation océanique. L’efficacité de la pompe océanique devrait évoluer dans le futur en réponse aux changements climatiques et biogéochimiques associés. En parallèle, l’invasion du CO2 anthropique dans l’océan s’accompagne d’une acidification de l’eau de mer qui affecte aussi les organismes biologiques.

24Le colloque a permis de faire le point sur les aspects novateurs de ce domaine de recherche, afin de mieux comprendre les enjeux actuels et futurs. Claire Lo Monaco (LOCEAN-IPSL) a décrit l’état de l’art sur les observations in situ pour détecter les changements dans le flux air-mer de CO2 et la distribution du CO2 anthropique dans l’océan intérieur. L’importance de la prise en compte du continuum aquatique continent-océan sur les flux de carbone vers l’océan a été soulignée par Pierre Regnier (Université libre de Bruxelles). La circulation océanique globale permet la séquestration du carbone dans les couches profondes de l’océan et son relargage au niveau des zones d’upwelling. En utilisant la modélisation numérique de l’océan, Laurie Menviel (université de Nouvelle-Galles du Sud à Sydney) a comparé les influences des changements de la circulation profonde et des vents sur l’océan Austral dans les contextes différents des climats passés et prévus pour le futur.
Les aspects biogéochimiques ont été abordés par Laurent Bopp (LMD-IPSL) grâce à des modèles numériques simulant le comportement du phytoplancton et des autres composantes du réseau trophique marin. Les variations modélisées permettent d’évaluer l’impact des changements climatiques et océaniques sur les écosystèmes et les puits de carbone, avec des effets connexes comme la désoxygénation et l’acidification des masses d’eau. Afin de mieux comprendre les bases de la sensibilité, de la résistance et de l’adaptabilité des organismes biologiques à l’acidification, Sylvie Tambutté (Centre scientifique de Monaco) a décrit le cas des coraux étudiés dans des conditions expérimentales contrôlées. Sabrina Speich (LMD-IPSL, ENS Paris) a comparé les hétérogénéités spatio-temporelles des aspects abiotiques et biologiques en insistant sur les phénomènes de petites échelles océaniques. La spécificité de l’océan Arctique a été abordée par Marcel Babin (Takuvik, CNRS/université Laval, Canada) en soulignant l’impact du réchauffement amplifié de cette zone (boréalisation) et de la diminution de la banquise sur les flux de carbone et les écosystèmes régionaux.

Intervenants :

  • Edouard Bard (Collège de France/Cerege, Aix-en-Provence) : « Perspective paléoclimatique sur le carbone dans l’océan » ;

  • Claire Lo Monaco (Locean-IPSL, UPMC, Paris-Saclay) : « Invasion du CO2 anthropique dans l’océan » ;

  • Pierre Regnier (Université libre de Bruxelles, Belgique) : « Flux de carbone des continents vers l’océan » ;

  • Laurie Menviel (University of New South Wales, Sydney, Australie) : « Changement climatique et impacts sur l’océan » ;

  • Laurent Bopp (LMD-IPSL, ENS Paris) : « Modélisation biogéochimique de l’océan » ;

  • Sabrina Speich (LMD-IPSL, ENS Paris) : « Dynamique océanique, échanges de carbone et climat » ;

  • Sylvie Tambutté (Centre scientifique de Monaco) : « Acidification de l’océan et impacts sur les organismes benthiques calcifiants » ;

  • Marcel Babin (Takuvik, CNRS/université Laval, Canada) : « Dynamique des écosystèmes planctoniques ».

Recherche

25En parallèle à l’amélioration de la justesse du chronomètre radiocarbone, l’enregistrement des variations naturelles du 14C est essentiel pour notre compréhension des processus climatiques, de l’activité solaire, de la géophysique et du cycle biogéochimique du carbone. Le développement d’un enregistrement précis du 14C atmosphérique remontant à 50000 ans permet d’étudier et de simuler les processus terrestres et d’améliorer les modèles informatiques utilisés pour les projections du changement climatique actuel (Heaton et al., 2021). Les simulations climatiques compilées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’appuient sur le 14C comme indicateur de l’activité solaire et en tant que traceur du cycle global du carbone – ainsi que, bien sûr, comme chronomètre pour la plupart des séries paléoclimatiques des 50 000 dernières années. Le radiocarbone est donc crucial pour comprendre et se préparer aux futurs changements climatiques. Le 14C nous renseigne aussi sur l’occurrence dans le passé d’éruptions solaires extrêmes, avec des amplitudes beaucoup plus grandes que celles observées par les astronomes. De tels événements pourraient endommager de façon catastrophique nos satellites, ainsi que les réseaux électriques et de télécommunication.

26L’étude des variations du 14C dans les archives marines, comme les coraux ou les sédiments marins, permet de compléter la calibration du radiocarbone ainsi que de quantifier les variations du cycle du carbone en comparant les séries atmosphériques et océaniques (Bard et Heaton, 2021). L’utilisation d’un modèle de circulation océanique tridimensionnel a permis au groupe IntCal d’appliquer une correction variable dans le temps pour l’âge 14C du réservoir marin de surface (Reimer et al., 2020 ; Heaton et al., 2020), ce qui constitue une amélioration significative par rapport aux versions antérieures (IntCal 1993 à 2013). Le groupe IntCal continue activement ses travaux pour préparer la prochaine itération. Parmi les améliorations en cours, on peut espérer une augmentation de la couverture et de la résolution temporelles par des séries d’arbres subfossiles ainsi qu’une meilleure prise en compte des gradients interhémisphériques atmosphériques et océaniques.

27Dans ce cadre, l’unité du radiocarbone du Cerege continue de travailler sur de nouvelles séries d’arbres subfossiles du sud-est des Alpes (collaboration avec l’IMBE) et des archives marines. Nous nous concentrerons sur la variabilité de l’âge 14C du réservoir marin de surface (ARM) qui est un traceur des échanges gazeux air-mer et du mélange du carbone dans l’océan. Ces processus sont liés aux paramètres du climat, de l’océan et du cycle du carbone qui ont varié au cours des 50 000 dernières années. Notre nouveau projet de recherche collaborative internationale (ANR PRCI Marcara 2021-2025 avec l’institut Alfred Wegener de Bremerhaven) est focalisé sur l’observation et la modélisation numérique de l’ARM pour des sites clés des principaux océans. Nous mesurons les âges 14C de micro-échantillons grâce à la source d’ions polyvalente d’AixMICADAS, permettant notamment de dater des foraminifères individuels (Fagault et al., 2019). Cela nous conduit à mieux quantifier l’ARM en évitant, ou en corrigeant, certains biais (Bard et Heaton, 2021). Pour la modélisation numérique, nos partenaires de l’AWI utilisent une approche en maillage non structuré à haute résolution pour zoomer sur les régions d’intérêt, avec assimilation des données 14C marines et atmosphériques. Notre projet est focalisé sur la dernière déglaciation et les changements climatiques brusques tels que les événements de Heinrich et de Dansgaard-Oeschger, dont le rôle sur le cycle du carbone est encore mal compris.

28Au cours de la période de l’Holocène moyen à tardif (de 8000 ans à 150 ans avant le présent, B.P.), la calotte glaciaire du Groenland a été moins étendue et volumineuse que dans sa configuration actuelle : déterminer l’extension minimale de cette calotte et la durée de cette phase sont encore des défis scientifiques. Nous collaborons à un effort international (Young et al., 2021) employant les cosmonucléides (10Be, 14C, 26Al) créés in situ dans le substrat rocheux récemment libéré des glaces à cause de la fonte actuelle de la calotte. Le site d’étude est la région du glacier de Kangiata Nunaata Sermia (KNS) au sud-ouest du Groenland. Les mesures du 14C formé in situ ont été réalisées à l’aide du spectromètre AixMICADAS installé à Aix-en-Provence (équipe de la chaire de l’évolution du climat et de l’océan intégrée à l’UMR Cerege). Les reconstitutions glaciaires fondées sur les cosmonucléides ont été complétées par d’autres enregistrements géologiques du sud-ouest du Groenland et des simulations de modèles numériques de la calotte du Groenland. Les mesures de 10Be-14C-26Al révèlent que le glacier KNS s’est retiré derrière sa position actuelle juste avant 10000 ans B.P., et s’est probablement stabilisé près de la limite actuelle pendant plusieurs milliers d’années avant de se retirer récemment. Les nouveaux résultats indiquent que l’étendue minimale de la calotte s’est probablement produite après 5000 ans B.P., et que la calotte pourrait avoir approché son extension maximale dès 2000 ans B.P.

Publications (2021)

29Bard E. et Heaton T.J., « On the tuning of plateaus in atmospheric and oceanic 14C records to derive calendar chronologies of deep-sea cores and records of 14C marine reservoir age changes », Climate of the Past, vol. 17, no 4, 2021, p. 1701-1725, https://doi.org/​10.5194/​cp-17-1701-2021.

Braucher R., Blard P.-H., Brown E.T., Carcaillet J., Lebatard A.-E., Siame L., Simon Q., Thouveny N., Aumaître G., Bard E., Carretier S., Cornu S., Fink D., Finkel R., German C., Godard V., Gosse J., Hamelin B., Hofmann F.M., Jomelli V., Keddadouche K., Kurz M.D., Matmon A., Palacios D., Measures C., Merchel S., Regard V., Schimmelpfennig I., Von Blanckenburg F. et Zerathe S., « Didier L. Bourlès (1955-2021), the 5 MV cosmogenic rock star », Quaternary Geochronology, vol. 65, 2021, p. 101186, https://doi.org/​10.1016/​j.quageo.2021.101186.

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Pour citer cet article

Référence papier

Edouard Bard, « Évolution du climat et de l’océan »L’annuaire du Collège de France, 121 | 2024, 153-163.

Référence électronique

Edouard Bard, « Évolution du climat et de l’océan »L’annuaire du Collège de France [En ligne], 121 | 2024, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 16 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/annuaire-cdf/19330 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12ktv

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Auteur

Edouard Bard

Membre de l’Institut (Académie des sciences), professeur au Collège de France

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