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Dossier thématique

Se raconter et prendre soin. Étude anthropologique participative à partir de récits de Françaises (dé)confinées en période de covid-19

Care through storytelling. A participative anthropological study based on lockdown stories during COVID-19 in France
Delphine Burguet et Pierrine Didier

Résumés

L’article a pour objectif de questionner la méthodologie d’enquête du projet de recherche participatif « Récits Confinés », conduit de mars à mai 2020. Cette méthodologie engageait les répondant∙e∙s à mobiliser l’écriture par une mise en récit du vécu du confinement. Le projet a ainsi permis de documenter, « sur le vif », les adaptations individuelles, familiales et quotidiennes par le recueil de journaux personnels. Il a également mis en exergue l’amplification du travail domestique des participantes dans le foyer et le renforcement des inégalités de genre. Le témoignage des participantes permet de saisir les profils, les motivations et les appétences à produire un « récit de soi », à raconter le quotidien dans un temps de « crise ». Cette tâche introspective s’inscrit dans une volonté de témoignage et de soin pour soi-même mais aussi pour les autres.

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Texte intégral

Introduction

1Comme de nombreux projets de recherche nés avec la survenue de la pandémie de covid et le confinement de mars 2020 en France, « Récits Confinés »1 est venu interroger certains aspects de ce bouleversement. Ce projet s'est développé dès les premiers jours de la mise en place des mesures sanitaires en France. Il a procédé de la sidération de vivre une expérience collective transformant profondément les modes de vie habituels et des nombreuses interrogations scientifiques suscitées par les adaptations aux transformations. Après avoir constaté la multiplication des journaux de confinement en ligne dans des médias nationaux, et pris connaissance des campagnes de collecte des mémoires du confinement par des archives départementales et régionales, nous avons proposé un recueil des mémoires dans un format original et numérique : un support de journal « contraint » ou « orienté » avec des thématiques spécifiques à compléter sur un document au format Word. La personne pouvait alors l’envoyer aux chercheuses mais également le garder comme archive personnelle, sur son ordinateur. L’objectif était de proposer une structure différente des questionnaires en ligne, foisonnant tout au long du confinement, et qui permette alors aux répondant∙e∙s de garder une trace des données envoyées.

  • 2 Le projet a été cofondé par Pierrine Didier, anthropologue et Laurent Gontier, artiste pluridiscipl (...)
  • 3 Nous avons établi un partenariat avec le Mucem de Marseille suite à leur appel au don des objets du (...)

2L’orientation de ce projet s’est donc voulue double dès le départ2 : une orientation socio-anthropologique permettait de recueillir des données sur les expériences et les adaptations du quotidien au moment où elles étaient vécues, « sur le vif » ; une orientation historique, par la stimulation de la production de récits écrits, contribuait à l’écriture des archives de demain dans un cadre imposé par notre méthodologie3.

3« Récits Confinés » a pris part au travail de mémoire à plusieurs niveaux : une mémoire individuelle et personnelle, par et pour la personne qui écrit ; une mémoire collective et sociale avec les récits individuels d’un événement vécu collectivement ; une mémoire scientifique, à destination de la recherche, par l’archivage et l’analyse de données personnelles en vue de la compréhension d’un phénomène extraordinaire et de l’amélioration des dispositifs d’enquêtes en période de crise.

  • 4 Ce terme dérive du mot anglais diarist, celui qui tient un journal intime (diary).

4Cette « méthode du journal personnel » (Conway et al., 2006), basée sur le recueil de témoignages de participant∙e∙s à différents moments de la pandémie par le biais d’un journal de confinement, s’inscrit dans la lignée des diary studies (Zimmerman & Wieder, 1977 ; Symon, 1998 ; Carter & Mankoff, 2005 ; Alaszewski, 2006 ; Paolisso & Hames, 2010 ; Janssens et al., 2018). Le·la répondant∙e, l’enquêté∙e endosse le rôle de « diariste4 » (Paperno, 2004 ; Bordas, 2006 ; Hummel, 2021) ou de « scripteur » (Lahire, 2008). Nous retrouvons dans ce dispositif certaines caractéristiques du journal intime comme « genre littéraire » qui se définit par trois « catégories épistémologiques : la subjectivité, la temporalité et la dimension privée-publique » (Paperno, 2004 : 571). Le journal intime est un document « écrit à la première personne, en plusieurs parties, idéalement sur une base quotidienne, et ostensiblement dans le but de rendre compte de l’expérience personnelle de l’auteur au cours d’une journée donnée, qui n’est pas nécessairement adressé à quelqu’un d’autre que le diariste » (Paperno, 2004 : 562). Il s’ancre également dans un « contexte historique et culturel spécifique » (Paperno, 2004 : 567). Ce sont ces éléments que nous retrouvons dans le dispositif méthodologique des « Récits Confinés ». Les répondant∙e∙s relatent de façon quotidienne et longitudinale leurs ressentis et expériences personnelles dans la période spécifique de la crise sanitaire. Ce « quotidien terne – les tâches banales de la vie quotidienne dépourvues de sens historique ou métaphysique – devient une source de sens personnel et de valeur historique » (Paperno, 2004 : 570). Ils∙elles sont libres et en charge de raconter les éléments de leur vie quotidienne et leurs pensées qu’ils∙elles estiment être à la fois racontables à un tiers (les chercheuses) et dignes d’intérêt (pour eux-mêmes et pour la recherche à laquelle ils∙elles prennent part).

  • 5 Les Echos Start, Le Point, La Dépêche du Midi, Le journal du CNRS.
  • 6 Envoi en copie caché à tout∙e∙s les participant∙e∙s ayant déjà envoyé une première trame sur l’adre (...)
  • 7 La trame était également disponible chaque semaine sur le site internet du projet. Nous constatons (...)
  • 8 Les trames ont été anonymisées (avec un code fourni par le participant lui-même), stockées sur un s (...)
  • 9 À l’exception d’un participant ayant habituellement la garde alternée d’un enfant de 5 ans, mais qu (...)
Dispositif méthodologique du projet « Récits Confinés »

Le dispositif d’enquête consistait en un document Word de treize pages à compléter chaque semaine. Après la notice explicative et l’espace de description de l’identité du scripteur (situation et lieu de confinement, profession avant confinement, etc.), le document comportait deux pages de tableaux à remplir par des variables quantitatives (d’une à dix) et quotidiennes (sur la semaine) concernant : le jour du confinement, le niveau du moral, le temps, le nombre de sorties, l’exercice physique ou les devoirs des enfants, etc. Il se poursuivait avec six pages de questions avec des variables qualitatives, plus longues à remplir. Ces questions étaient réparties en six thématiques couvrant les différents aspects de la vie quotidienne lors du confinement – Routine (vie quotidienne, professionnelle, nouvelles habitudes) ; Alimentation (modifications des habitudes alimentaires, lieux d’approvisionnement, stocks) ; Entretien du corps ; Hygiène et santé ; À l’extérieur (interactions, expériences de sorties) ; À l’intérieur (culture médias, interactions sociales) – suivies d’une zone d’expression libre.

Cette trame de questionnaire a été mise à disposition à la fin du mois de mars 2020 et sur une durée de quinze semaines (huit de confinement et sept de déconfinement). Le projet de recherche a été diffusé par les réseaux sociaux (Facebook et Twitter), les réseaux professionnels (universitaires, recherche, école d’ingénieur·e·s, journalistes indépendant·e·s…) et personnels des cofondateur∙trices et par les médias qui en ont parlé5.

Le recueil s’est fait de façon passive, avec les envois des trames par les participant∙e∙s, chaque semaine, sur la boite mail du projet. Les seules interactions initiées par la chercheuse responsable consistaient en l’envoi hebdomadaire, groupé et anonyme6 de la nouvelle trame de questionnaire hebdomadaire à compléter7 et en la réponse à de rares mails individuels demandant des précisions.

Le projet a récolté 473 trames remplies par 78 participant∙e∙s francophones, âgé·e·s de 18 à 75 ans, avec une participation plus accrue lors des semaines de confinement (70 % des trames reçues)8. La majorité des participant∙e∙s résidaient en France métropolitaine, deux en Belgique, deux au Canada (Québec) et une à la Réunion. Soixante-neuf participant·e·s ont envoyé au moins deux trames de récits confinés, et nous comptons six trames par participant∙e∙s en moyenne sur la durée du dispositif.

Soixante-et-onze pourcent des participant∙e∙s ont déclaré occuper un emploi actif avant le confinement. Les autres se divisaient en trois catégories : étudiant∙e∙s (quinze), sans emploi (sept) et retraité∙e∙s (sept). Pour les personnes actives, il se dégageait une majorité de catégories socioprofessionnelles favorisées ou « supérieures » : ingénieurs, cadre de la fonction publique, documentaliste, éducateur spécialisé, journaliste, chef d’entreprise et des métiers de la recherche et de l’enseignement (enseignant·e, professeur·e des écoles, chercheur·e, conseiller·ère d’éducation, formatrice). Quatre participant∙e∙s ont déclaré travailler dans les métiers du soin (ostéopathe, infirmière libérale, psychologue, rééducateur) et deux autres continuaient d’exercer une activité non confinée (boulanger, employé de supermarché).

Nous constatons une surreprésentation des femmes parmi les participant∙e∙s : 64 femmes (82 %) pour 14 hommes (18 %). La moyenne d’âge des femmes répondantes était de 41 ans contre 46 ans pour les hommes.

Les participantes étaient plus souvent co-confinées, que ce soit avec un conjoint et/ou avec des enfants (un à quatre), avec des parents ou avec des colocataires (53 personnes, soit 82 %). Vingt-et-une participantes étaient confinées avec un ou plusieurs enfants, dont sept femmes avec des enfants en bas âge (de vingt mois à cinq ans). Les femmes seules confinées avec un enfant étaient très peu représentées : trois participantes, avec des enfants dans la vingtaine. Les répondants étaient quant à eux la plupart du temps confinés seuls (six d’entre eux, soit 42 %), avec un∙e conjoint∙e (deux personnes) ou un parent (deux personnes). Trois d’entre eux étaient confinés chacun avec une conjointe et un enfant déjà grand (16, 17 et 22 ans). Aucun enfant en bas âge n’était déclaré dans l’entourage des répondants hommes9.

5Les données récoltées nous ont permis de mettre en lumière les différentes temporalités vécues, perçues et livrées par les participant∙e∙s, que ce soit par la mise en œuvre d’une routine stricte pour « reconfigurer » le temps ou d’apprentissages multiples, la réalisation d’objectifs personnels ou familiaux pour « combler » le temps, ou encore l’appréciation effective de la décélération du temps confiné pour mieux le « contempler », c’est-à-dire le considérer avec admiration, notamment en saison printanière où les sens s’éveillent (Burguet & Didier, 2021). Dans ce présent article, nous nous intéressons particulièrement aux participantes des « Récits Confinés ». Qui sont celles qui ont raconté leur confinement par notre dispositif d’enquête ? Au-delà du fait de comprendre comment ces participantes l’ont vécu, il s’agit de rendre compte de la manière dont elles ont vécu la mise en récit de leur confinement. Quels étaient leurs profils, leurs statuts familiaux, leurs motivations, leurs démarches ? Cette méthodologie de recherche mobilisant l’écriture peut être perçue comme fastidieuse et astreignante. Pour quelles raisons ces personnes ont-elles adhéré à cette enquête, dans un quotidien confiné déjà bien rempli ? Que retenir du dispositif méthodologique d’enquête centré sur une recherche participative dans la phase de production de données par l’écriture en temps de crise ?

6Dans une première partie, nous abordons l’implication des femmes dans la pratique de l’écriture de soi, dans la livraison de témoignages à des enquêtes en ligne ainsi que leur rôle dans le « prendre soin » pendant et hors temps pandémique. Nous développons ensuite, dans une seconde partie, le profil des femmes ayant livré un témoignage écrit aux « Récits Confinés » et la façon dont cette activité, se rajoutant aux tâches quotidiennes, participe au care, que ce soit pour elles-mêmes et pour les autres.

« Où sont les hommes ? » (Sur)représentation et (sur)charge des femmes en temps de pandémie

Récits de femmes confinées et représentation genrée dans les études en sciences sociales

7Les participant∙e∙s aux « Récits Confinés » avaient la possibilité de mentionner leur genre dans leur journal – « Féminin », « Masculin » ou « Ne souhaite pas le renseigner » (la dernière option a concerné une seule personne sur les 78 participant∙e∙s). Le projet s’est caractérisé par le recueil des témoignages d’une majorité de femmes répondantes. Les projets de recherche en sciences sociales (sociologie, anthropologie, économie, etc.) lancés en ligne pendant ou juste après le confinement et ayant communiqué leurs données brutes recueillies ont témoigné d’une majorité de femmes répondantes, quelles que soient les thématiques abordées et le nombre total de réponses reçues. Les taux de réponses des femmes à ces diverses études se situent entre deux tiers et trois quarts pour les questionnaires quantitatifs (Bourdeau-Lepage, 2020 ; Dessinges & Desfriches-Doria, 2020 ; Équipe Vico, 2020 ; Barthou & Bruna, 2021 ; Charlap, 2021b ; Clément et al., 2021 ; Granjon, 2021) et atteignent 88 % pour une étude qualitative (Hummel, 2021 : 52). « Récits Confinés » ne fait donc pas exception avec une proportion de 82 % de femmes participantes.

  • 10 Pour une lecture de la pratique de l’écriture en temps de pandémie par des anthropologues, voir Her (...)

8Les sociologues ayant travaillé sur le journal intime et personnel (Girard, 1963 ; Lejeune, 1990, 1993, 2009 ; Allam, 1996 ; Didier, 2002 ; Paperno, 2004 ; Lahire, 2008) constatent une pratique genrée, souvent associée à un « passe-temps féminin » (Paperno, 2004 : 566), ainsi qu’une détermination sociale et culturelle de l’activité d’écriture. Le « profil sociologique sommaire » des Français·es tenant un journal correspond à des « diplômé·e·s du supérieur » et se caractérise par son « caractère genré (les femmes ont environ deux fois plus de chances que les hommes d’être pratiquantes) » (Lahire, 2008 : 166). Pouvoir se raconter intimement serait donc l’apanage des femmes. Le contenu des écrits diverge également en fonction du genre de la personne qui écrit, avec des textes « expressifs orientés vers la communication intime (poésie, journaux, lettres) » pour les filles et des « textes créatifs visant à produire un effet dans le contexte de la communication sociale (fiction, bandes dessinées, nouvelles, scénarios de films, etc.) » pour les garçons (Lejeune, 2009 : 35)10.

9Ces mêmes aspects ont été mis en avant par les chercheuses à l’origine du « défi collaboratif » Vitrines en confinement11. Cette collecte des mémoires du confinement, par le recueil de photographies prises dans l’espace public, présentait comme caractéristique d’être « très peu discriminant et très simple et que l’espace public ne suppose pas, a priori, de compétences langagières ou sociales » (Gensburger & Severo, 2021 : §15). En interrogeant le profil des contributeurs et contributrices12, elles mettent en évidence des variables socialement non neutres qui « reflètent ainsi les contours de l’institution à l’origine de la collecte : des femmes, chercheuses, la quarantaine, installées en région parisienne, respectivement française et italienne » (Gensburger & Severo, 2021 : §16). Le contenu même des photographies peut également être différencié selon le genre : « les images de rue et de restaurants sont sur-collectées par les hommes tandis que les commerces de vêtements et de cosmétique et les bâtiments privés (balcons) sont eux sur-partagées par les femmes. » (Gensburger & Severo, 2021 : §20)

Temps ordinaire, temps confiné : quand les écarts se creusent

10Les études en sciences sociales sur les inégalités de genre à l’intérieur du foyer montrent qu’en temps ordinaire, les femmes effectuent un travail domestique plus important que les hommes : 71 % des femmes y consacrent en moyenne près de trois heures par jour, tandis que la durée est d’une heure et dix minutes pour les hommes (Champagne et al., 2015)13. En temps confiné, ces inégalités se renforcent : les femmes prennent en charge ces tâches domestiques, plus nombreuses et sur un temps quotidien plus long.

  • 14 Pour un état des lieux statistique des inégalités de genre dans l’espace domestique en temps de con (...)

11Ainsi, les enquêtes menées principalement au cours du confinement du printemps 2020 soulignent une amplification du travail domestique et parental pris en charge par les femmes (Albouy & Legleye, 2020 ; Givord & Silhol, 2020 ; Lambert et al., 2020 ; Recchi et al., 2020 ; Barbier et al., 2021 ; Lambert & Cayouette-Remblière, 2021). Les écarts préexistants entre les genres se sont creusés concernant les tâches domestiques et le soutien aux proches, comme le ménage et les soins des personnes fragiles ou vulnérables (Charlap, 2021b)14 et la prise en charge des enfants : 83 % des femmes vivant avec des enfants y ont consacré plus de quatre heures par jour contre 57 % des hommes ; 21 % des mères ont renoncé à travailler pour garder leurs enfants contre 12 % des pères ; 80 % des mères passaient plus de quatre heures par jour auprès des enfants contre 52 % des hommes (Albouy & Legleye, 2020). Ainsi, « même quand elles travaillaient à l’extérieur, les femmes ont consacré plus de temps que les hommes aux tâches domestiques et à s’occuper des enfants » (Barhoumi et al., 2020 : 25).

  • 15 Toutes les informations concernant les participant∙e∙s ont été anonymisées.

12Ces reconfigurations inégalitaires dans le domaine du care reposent sur « le temps des femmes » (Méda, 2001), un concept qui met en évidence les inégalités de temps auxquelles les femmes font face entre travail rémunéré, tâches domestiques et soins familiaux non rémunérés. Par exemple, Mathilde15, bibliothécaire et participante aux « Récits Confinés », qui vit avec son conjoint et ses deux enfants de 7 ans et 20 mois, fait le récit de ses multiples tâches réalisées dans un temps synchronique et qui se superposent à son temps professionnel, en télétravail :

Parfois je me retrouve dans des situations dingues : je réponds à un mail du travail tout en réfléchissant à une question posée par ma fille sur ses devoirs tout en ayant mon petit de 20 mois qui piaille pour monter sur mes genoux tout en ayant le déjeuner qui chauffe. Par moments je ne me sens pas loin du burn out. […] ce qui est reposant, c’est de faire une chose à la fois : travailler ou s’occuper des enfants. Les deux en même temps, c’est usant. (Mathilde, 35 ans, Montrouge, confinée avec son conjoint et leurs deux enfants dans une maison de ville de 90 m², bibliothécaire en télétravail, semaine 6)

13Cette stratégie consistant à comprimer les actions et les expériences sociales appelées multitâches permet d’accélérer le rythme de vie dans un temps donné, notamment en faisant plus de choses simultanément (Burguet & Didier, 2021).

Prendre soin du « monde » : les activités du care en situation pandémique

14Le recueil d’expériences domestiques du confinement sous forme de récits nous a amenées à analyser les reconfigurations sociales et familiales sous l’angle du care, afin de mettre en lumière des inégalités de genre renforcées en temps de pandémie. Les questions de care ont été abordées en considérant l’expérience fondée dans les activités qui consistent à s’occuper des autres (Gilligan, 1982, 2009 ; Tronto, 1993). Le care est un processus actif composé de quatre phases liées entre elles : se soucier de (caring about), se charger de (taking care of), accorder des soins (care giving) et recevoir des soins (care receiving) (Tronto, 1993), une activité qui permet de « maintenir, perpétuer et réparer notre “monde” [qui] comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie » (Fisher & Tronto, 1991 : 40).

  • 16 Collectif d’analyse des familles en confinement (CAFC), constitué de Pascal Barbier, Myriam Chatot, (...)

15Les pratiques sociales de confinement établies par les parents – et décrites majoritairement par les mères – sont pensées avant tout pour le bien-être des enfants. Cette reconfiguration centrée sur les enfants s’inscrit dans les normes contemporaines de parentalité et de « puérocentrisme » que Myriam Chatot et al. (2021) observent également dans leur étude sur l’expérience du confinement du point de vue des femmes, mères et conjointes16. Le Collectif d’analyse des familles en confinement révèle le poids de la norme du « bien-être enfant » dont le volet « école à la maison » est devenu un temps familial central.

16Cette reconfiguration des pratiques du care à travers le prisme du bien-être des enfants est très perceptible dans la description que certaines femmes font du quotidien dans la sphère domestique, notamment concernant la vigilance et l’attention qu’elles portent à leur(s) enfant(s). Pour Laure, 50 ans, le bien-être de ses deux fils adolescents semble être corrélé à un surcroît d’attention de sa part :

Je me suis dit dès le début que je devrais faire attention à l’ambiance de la maison, faire attention à mes humeurs. Il fallait que je parle un maximum pour éviter le processus cocotte-minute. Il fallait que je sois attentive à ce que me disaient mes enfants. […] Je devais être vigilante sur leur moral, parce que de ça, personne ne parle. La dépression possible des ados qui souffrent d’être confinés. […]  Je sors marcher avec L. [son fils adolescent] qui est beaucoup sur l’ordinateur (IUT). C’est un deal entre nous, il DOIT sortir prendre l’air une heure plusieurs fois par semaine. (Laure, 50 ans, village en Normandie, confinée avec son conjoint et ses deux fils adolescents dans une grande maison ancienne rénovée avec jardin, conseillère principale d’orientation, semaine 3)

  • 17 « COronavirus et CONfinement : Enquête Longitudinale » ou COCONEL, est une enquête en ligne déployé (...)

17Selon l’étude Coconel17, dans le domaine de la gestion de l’espace domestique et du télétravail, les hommes avaient une pièce dédiée au télétravail, avec des écarts plus marqués pour les cadres : 53 % des pères cadres avaient une pièce réservée à cet effet contre 28 % des mères cadres. L’enquête a révélé une « réappropriation masculine de l’espace domestique, pour le travail et les loisirs […] souvent installée de manière informelle, sans donner lieu à des négociations préalables. Elle révèle l’intériorisation du primat masculin dans la hiérarchie des pratiques et son redéploiement dans la sphère privée en contexte de crise » (Lambert et al., 2021 : 25). Une étude qualitative sur le vécu des couples en confinement montre également un surinvestissement des femmes confinées avec enfants (en bas âge ou avec plusieurs enfants) dans l’espace domestique au détriment de leur propre télétravail (Santelli, 2022).

18L’attention portée au bien-être de la famille se vérifie dans les reconfigurations de l’espace domestique : les conjoints et les enfants adolescents ou jeunes adultes (lycéens et étudiants) sont dotés d’espace de télétravail, contrairement aux femmes qui le sont moins souvent. Cet espace n’est pas redéfini « comme un espace de coworking dans lequel l’agencement des places […] et du travail (professionnel et domestique) devrait être envisagé à parité. À l’inverse, la réorganisation de l’espace procède de la hiérarchisation du travail des différents individus cohabitants » (Baudot et al., 2021 : 112).

19Juliette, qui travaille en temps ordinaire uniquement à domicile en tant que journaliste pigiste (sauf pour les interviews qu’elle conduit à l’extérieur), a laissé son bureau à son conjoint lors du confinement : « Je suis pigiste et travaille toujours à domicile. En revanche, c’est maintenant mon conjoint qui prend le bureau tous les jours car lui travaille énormément (informaticien) en ce moment. » (Juliette, 46 ans, banlieue de Toulouse, confinée avec sa fille et son conjoint dans une maison de 110 m² avec jardin, journaliste pigiste, semaine 4). Elle réinvestit son espace de travail dès qu’elle le peut, et de façon temporaire, lors des congés de son conjoint : « C’est la semaine où je peux vraiment travailler car mon conjoint est en vacances, du coup je réinvestis le bureau (la pièce de la maison appelée bureau) et je me mets à démarcher de nouveaux journaux. » (semaine 8).

20Ces extraits mettent en évidence le fait que la répartition distincte des espaces de travail a non seulement des implications en termes d’inégalités genrées, mais représente également, pour les femmes, la conséquence de leur préoccupation à prendre soin de leur entourage.

21Les femmes témoignent de relations tendues entre les membres de la famille co-confinés et de leurs aménagements pour atténuer les conflits ou réduire les risques de rupture. Elles endossent, de façon successive ou parfois simultanée, un rôle de médiatrice, de garante de la cohésion et de l’organisation familiale, tout en intériorisant des sentiments et réactions pouvant nuire à cet équilibre.

Je fais un peu « tampon » entre le père et le fils mais pas forcément différent de d’habitude. (Christine, 55 ans, Orange, co-confinée avec son fils et son conjoint dans un appartement en centre-ville de 100 m² avec terrasse de 30 m² plus un studio/bureau de 25 m² à l’étage supérieur, ingénieure, semaine 3)

C’est dur de supporter la fatigue en s’occupant des enfants et en travaillant… je me sens à bout, c’est une lutte de tenir l’édifice de notre vie. (Mathilde, semaine 8)

  • 18 Le « travail relationnel » implique « des responsabilités et des activités réalisées pour la famill (...)

22Il s’agit d’un « travail relationnel » (Rosenthal, 1985), mais aussi d’un « travail émotionnel » (Hochschild, 2017)18 relevant des activités du care, qui permet de maintenir une cohésion et une solidarité familiale, souvent investies par les femmes en temps ordinaire, et surinvesties en temps de crise. Elles prennent soin des relations avec la famille, proche ou éloignée (Fisher & Oliker, 1983 ; Moore, 1990). Elles s’attachent également à gérer les émotions de la vie familiale et professionnelle, afin de répondre aux attentes sociales. « Cheffes d’orchestre du temps parental et des tâches ménagères » (Barbier et al., 2021 : 134), les femmes embrassent les activités du care au sein de leur monde : conjoint, enfants, famille, entourage, etc. Les participantes à l’étude sont comme les autres femmes qui répondent habituellement aux enquêtes en sciences sociales : surreprésentées en tant que répondantes, elles prennent ainsi le temps d’écrire pour faire un « retour sur soi » (Lahire, 2008 : 170), même surchargées de tâches relatives au care. L’écriture du journal « comme travail » est associée à « la prise en compte du “souci de soi” » (Hess et al., 2016 : 139). Pour les femmes participantes, nous pouvons étendre cette remarque du « souci de soi » au « souci des autres » et de leur sphère familiale.

L’expérience du récit féminin pour prendre soin

Un engagement préalable, une habitude de l’écriture et de la transmission de mémoires

  • 19 Et selon notre appréciation de la profession renseignée.
  • 20 Ces professions liées à l’écriture concernent 48 participant∙e∙s sur 78, dont 42 femmes. En ne comp (...)

23Le projet « Récits Confinés » a été diffusé par effet boule de neige dans les réseaux personnels et professionnels des chercheuses impliquées. Un des premiers constats de l’analyse des profils des personnes répondantes est qu’une majorité d’entre elles exercent une activité professionnelle dite intellectuelle en lien avec l’écriture19 : documentariste, documentaliste, bibliothécaire, journaliste, chargée de communication, professeure des écoles, enseignante, formatrice linguistique, professeur d’histoire, professeur de lettres modernes retraité, chargé∙e de recherche, d’études, de projets, ainsi que doctorant∙e∙s et étudiant∙e∙s20.

24L’activité d’écriture, et notamment d’un journal, était pour certaines participantes antérieure au projet « Récits Confinés », soit motivée par le confinement, soit encore plus ancienne :

  • 21 Au lancement du projet, le site internet était abrité à cette adresse. Il est désormais disponible (...)

Je découvre par hasard sur internet le site : recitsconfines.net21 et je décide alors de participer à cette étude. Depuis le premier jour de confinement, j’avais au préalable noté beaucoup de choses sur mon agenda et c’est pour cette raison que j’ai pu commencer le récit à la semaine 1 et le continuer. (Charlotte, 38 ans, Dax, confinée avec ses deux parents de 67 ans dans leur maison de plain-pied de 80 m² avec jardin, terrasse et garage, gestionnaire, semaine 8)

25Pour d’autres, comme Antoinette, deux activités de rédaction se superposent alors : « Nouvelles habitudes : Tenir “Récits Confinés” tous les jours ainsi que mon petit journal en parallèle. » (Antoinette, 58 ans, banlieue rurale de Toulouse, confinée avec son mari et son fils de 23 ans dans une maison individuelle de 120 m² avec un jardin de 2000 m², formatrice linguistique, semaine 6). Cette participante a une appétence pour l’écriture qui se ressent au quotidien, au-delà de la tenue d’un journal. Elle s’en sert comme moyen d’expression pour résoudre des conflits éventuels au sein du foyer : « Avec mon mari, nous avons eu une petite altercation et j’ai vraiment apprécié avoir du temps pour lui écrire, pour être le plus juste et objective. » (semaine 7)

26Ici, l’écriture peut être utilisée comme moyen de médiation entre les conjoints pour apaiser des tensions. Cette communication par l’écrit, au sein même du foyer confiné, correspond au « travail relationnel » développé par Carolyn J. Rosenthal (1985). Nous ne constatons cependant aucune mention de correspondance épistolaire entre les conjoints tout au long des trames de confinement d’Antoinette. La médiation par l’écriture semble être à sens unique. 

27Mathilde est également engagée dans des activités d’écriture personnelle en plus du projet. Bien que débordée par son quotidien, elle remplit assidûment les trames chaque semaine pendant huit semaines, et tient également deux journaux pour ses enfants (une fille de 7 ans et un garçon de 20 mois) depuis leur naissance : « J’aimerais […] écrire pour mes enfants sur ces deux mois de confinement (je tiens un journal de leur vie pour chacun, où je raconte leurs premières fois, les anecdotes importantes, etc.). » (Mathilde, semaine 8)

28D’autres participantes sont engagées dans la transmission de la mémoire par l’écriture, au-delà même du confinement et de la pandémie : « J’ai écrit sur mon enfance pour laisser une trace à mes petits-enfants. » (Geneviève, 70 ans, Bruxelles, confinée seule dans un appartement de 60 m² avec terrasse donnant sur un petit parc, retraitée, semaine 15)

29C’est aussi le cas de Valérie qui a commencé un travail d’entretiens avec sa grand-mère pour recueillir ses mémoires, sans préciser le format final que prendra ce recueil :

Mon cousin et moi avons pris le temps d’appeler notre grand-mère en vidéo, et de lui poser plein de questions sur sa vie, sur notre famille, c’était génial. […] Mon cousin enregistre tout. Nous sommes très heureux de prendre le temps de faire ça. Nous n’aurions pas pris ce temps-là autrement que pendant le confinement. (Valérie, 44 ans, banlieue parisienne, confinée avec son mari de 50 ans, son fils de 14 ans et sa fille de 13 ans dans une maison 120 m² avec un jardin de 80 m² en ville, musicienne)

30Ces participantes ont un profil de « diariste » avant même la participation au projet. Elles sont impliquées dans des « écritures personnelles […] telles que la correspondance avec des proches […] ou l’album de naissance qui constitue autant une occasion d’“expression de soi” en tant que “mère” (ou, plus rarement, en tant que “père”) qu’une façon de laisser des “souvenirs” à l’enfant ». (Fine et al., 1993, cités dans Lahire, 2008 : 166).

  • 22 Nous avons proposé aux participant∙e∙s de répondre à une question portant sur le bilan qu’ils et el (...)

31La participation de ces femmes est venue en quelque sorte sublimer une activité d’écriture déjà engagée. Cette double activité de rédaction, à la fois pour soi et pour les chercheuses, demande un fort investissement quotidien et sur la durée. Antoinette en témoigne lors du bilan22 qu’elle rédige lors de sa dernière semaine de participation :

Très vite, j’ai eu besoin de tenir un journal personnel de confinement afin de poser un cadre, le Récit était complémentaire, même s’il m’est arrivé d’en avoir assez car cet engagement demande un investissement ; je suis heureuse de n’avoir pas abandonné. (Antoinette, semaine 15)

32Le partage de ces écrits avec les chercheuses distingue cette démarche de la pratique d’un journal intime caractérisé par « sa relation avec l’espace privé, l’intimité et le caractère secret » (Paperno, 2004 : 562). Il comporte toutefois une dimension d’anonymat, car grâce à l’utilisation d’un code personnalisé qui vaut pour identification, il n’est pas nominatif. Les participant∙e∙s avaient cependant conscience d’écrire à une tierce personne, comme en témoignent les clins d’œil ou encouragements aux chercheuses qu’ils·elles glissaient dans les trames : « Bravo pour votre projet de recherche auquel j’espère vous avoir un peu aidé avec ma petite participation. » (Marie, 62 ans, petite commune rurale du Finistère, confinée seule dans une maison individuelle de 60 m² avec garage de 15 m² attenant et jardin de 100 m², enseignante, semaine 11)

Le temps du récit, le poids de l’écrit

33Cette participation aux « Récits Confinés » peut être vue comme une charge supplémentaire. Raconter son quotidien, participer à l’écriture d’une mémoire (qu’elle soit individuelle ou collective) et se mettre en récit ont grandement pesé sur les femmes qui constituent la majorité de notre échantillon. Une participante en témoignage : « J’essaie d’évacuer les tâches en retard (y compris remplir ce questionnaire). » (Marjorie, semaine 14)

  • 23 Les « anecdotes du jour » est un tableau qui précède les questions ouvertes et qui invite les parti (...)

34Ce temps de l’écriture se superpose quelquefois à des moments de vie « intenses », comme c’est le cas pour Gwénaëlle, 35 ans, confinée dans une ville de l’île de la Réunion avec son conjoint (en arrêt maladie avant le début du confinement) et sa fille de 3 ans. À ce noyau familial s’ajoutent ses beaux-parents en « vacances prolongées », qui n’ont pas pu repartir en métropole où ils résident, en raison de l’arrêt des vols long-courriers. Biologiste de métier, Gwénaëlle est, au début du confinement, en congé maternité et entame son huitième mois de grossesse. Elle participe pendant six semaines. Elle témoigne de son quotidien bien chargé jusqu’à la semaine de son accouchement en semaine 8, événement qu’elle relate dans le tableau des « anecdotes du jour »23.

Mercredi XX/05/20

On doit acheter une voiture, nous sommes allés chez le concessionnaire, il était fermé… on a essayé en vain de réparer notre imprimante, la voiture est tombée en panne de batterie (je suis à six jours de mon terme, même pas peur), j’ai eu une mini gastro, je suis sortie boire un verre avec les copines qui ont fini saoules (j’ai dû les raccompagner) couché 1 h du mat’

Jeudi XX/05/20

Visite concessionnaire, on a trouvé notre voiture ! Mais pas l’imprimante, contractions au soir crotte espérais faire une bonne nuit.

Vendredi XX/05/20

Accouchement à 4 h 27 sans péridurale pas le temps, arrivée mater 3 h 50. Aïe ! Aïe ! Déposer à 3 h 30 A. [sa fille aînée] chez nounou. Mon conjoint a essayé la voiture d’occasion trouvée nous l’avons lundi.

Samedi XX/05/20

Journée à la mater, n’ai le droit qu’aux visites du papa.

Dimanche XX/05/20

Examen du BB ok, sortie mater fin d’aprèm, première rencontre entre sœurs.

Source : Gwénaëlle, 35 ans, île de La Réunion, confinée avec sa fille, son conjoint et ses beaux-parents dans une maison de 165 m² avec piscine et terrasse, en congé maternité, semaine 8)

35Gwénaëlle prend non seulement le temps de consigner son accouchement dans sa trame hebdomadaire, mais elle la remplit jusqu’à la fin de la semaine. Cette trame sera néanmoins sa dernière participation aux « Récits Confinés ».

L’écriture, un temps de solitude choisi

36Le temps consacré à l’écriture est souvent valorisé par les femmes malgré les nombreuses tâches environnantes. Anne passe beaucoup de temps en famille, enchaînant quotidiennement les dîners et les soirées, parfois même avec les voisins des jardins attenants au sien. Pour elle, ce temps de l’écriture est perçu comme un temps personnel, à part de l’agitation du foyer, un temps de solitude choisie :

J’écris des choses personnelles dans un carnet, ce que je ne prends jamais le temps de faire d’ordinaire. Je l’ai fait quelques fois au début du confinement, et cette semaine, c’est devenu bien plus fréquent, presque tous les jours. J’ai l’impression que ça va devenir une nécessité, comme pour compenser l’absence de solitude. (Anne, 36 ans, Bordeaux, confinée avec son conjoint et ses deux belles-sœurs dans un appartement de 45 m² en rez-de-jardin, documentaliste, semaine 4)

37L’écriture permet aussi de garder une trace du temps confiné, qui peut devenir monotone dans le cas de marqueurs temporels flous et d’activités peu diversifiées. C’est le cas d’Antoinette, qui télétravaille partiellement :

À la fin de la deuxième semaine, j’ai décidé de tenir un journal de manière très modeste, sans faire de la grande littérature, mais pour tout simplement me permettre de m’ancrer, de savourer l’instant présent car il m’arrivait en fin de journée de me demander ce que j’avais fait le matin ou dans la journée et de ne pas être en capacité de m’en souvenir. (Antoinette, semaine 5)

38Cette caractéristique du « traçage temporel » dans la pratique du journal est aussi présente dans l’étude de Cornelia Hummel sur les « journaux de confinement des aînés ». La chercheuse remarque que « le journal a servi de marqueur temporel, ainsi que d’espace de réflexivité où discuter “avec soi-même” de la grande incertitude qui traverse l’ensemble des écrits » (Hummel, 2021 : 52). Pour Irina Paperno (2004 : 571), c’est « la concomitance de l’expérience et de l’acte d’écrire [qui] appelle la présence ». C’est ainsi le rapprochement de ces deux activités dans le temps qui permet une prise de conscience de l’événement et une réflexivité sur ce qui est vécu.

Une aptitude pour l’introspection, les questionnements personnels et le suivi thérapeutique

39Six participantes ont librement mentionné l’existence d’un travail ou d’un suivi thérapeutique avec un « psychologue » et/ou un « thérapeute », entamé avant le confinement. Ces informations n’apparaissaient pas forcément dans la thématique « santé » du questionnaire, mais par exemple dans le bilan du confinement et des émotions ressenties lors de cette période :

Le sentiment le plus fort fut celui de la culpabilité par rapport à mon fils aîné qui n’a pas pu venir nous rejoindre à la maison où était son jeune frère. C’est lors d’un entretien avec ma psychologue que j’ai mesuré cette culpabilité. (Antoinette, semaine 15)

40De nouvelles formes d’interactions thérapeutiques sont évoquées, comme une consultation par Skype (Anne, Laure) ou une reprise des consultations au déconfinement (Marjorie) :

Surtout : une consultation psy via Skype. Je n’étais pas du tout motivée à continuer mes séances par visio, mais dans un objectif de ne pas perdre le fil, j’ai accepté, ça s’est bien passé. Prochain rdv pris pour dans +15 jours. (Anne, semaine 3)

41Le dispositif d’enquête du projet nourrit une tendance à l’introspection. L’« écriture personnelle est déjà, en soi, l’indicateur assez fiable d’une certaine réflexivité (en cours, rétrospective ou prospective) du scripteur sur sa vie » (Lahire, 2008 : 177) et permet au diariste « d’atteindre la connaissance (et de ce fait la possession et le contrôle) de soi » (Paperno, 2004 : 566). Les participantes des « Récits Confinés » en ont librement témoigné : « Le fait de répondre à cette enquête sur une semaine me convient bien. Cela m’aide à réfléchir, à cerner davantage mes pensées. Je modifie un peu ce que j’écris au cours de la semaine. » (Isabelle, 63 ans, périphérie de Lyon, confinée avec son compagnon de 72 ans dans une maison de village sur deux étages de 100 m² habitables avec une petite terrasse, retraitée, semaine 6)

42Le questionnaire anonyme et hebdomadaire permet de se livrer et d'exprimer des ressentis intérieurs régulièrement.

Pour ce dernier récit, je souhaite vous remercier pour cette belle initiative. J’ai beaucoup apprécié d’avoir ce rendez-vous écrit hebdomadaire. Il m’a permis de me « confier » de manière anonyme sur ce que je traversais chez moi, de comprendre avec justesse et profondeur mes questionnements et de réajuster aussi certains comportements. (Antoinette, semaine 15)

43Charlotte n’a pas de suivi thérapeutique mais remplit assidûment ses trames chaque semaine, qui lui permettent d’exprimer ses ressentis :

Stress et panique à l’idée du déconfinement. Je n’ai consulté personne ; j’ai essayé de me rassurer toute seule […]. Recitsconfines.net m’aide beaucoup car tout ce que je garde à l’intérieur de moi, je l’exprime sur ces carnets. (Charlotte, semaine 9)

44Le projet « Récits confinés » est remercié, car il a joué le rôle de média dans le travail d’écriture sur soi et pour soi : « Je remercie recitsconfines.net de m’avoir permis de faire cette étude, cela m’a fait du bien d’exprimer mes sentiments et émotions face à cette situation sans précédent. » (Charlotte, semaine 13)

45Marjorie, confinée avec sa fille de 28 ans avec laquelle des conflits relationnels surgissent explique également avoir pu s’exprimer grâce à ce média :

Des moments d’angoisse au début et d’abattement aussi. Je n’avais pas vraiment la possibilité d’en parler… je me suis beaucoup retenue pour éviter des conflits avec ma fille (confinée avec moi). Dès la mi-mai, j’ai repris les séances avec la thérapeute que j’avais commencé à voir un peu avant le confinement. (Marjorie, semaine 12)

46Isabelle compare quant à elle cette démarche d’écriture sur soi à une démarche thérapeutique : « Les récits confinés m’ont un peu tenu lieu de séance chez un psychiatre. Cela m’a fait beaucoup de bien de mettre mes pensées au clair. » (Isabelle, semaine 15)

  • 24 Cornelia Hummel remarque la même chose avec son recueil « passif » de « journaux de confinement des (...)

47« Les pratiques scripturales pour soi » (Serre, 2008 : 54) telles que développées dans le dispositif d’enquête peuvent être ici perçues comme une forme d’activité « thérapeutique », qui « peut jouer un tel rôle d’apaisement, d’élucidation et de reconstruction de soi » (Lahire, 2008 : 173). Prendre le temps de coucher ses pensées à l’écrit peut avoir une vertu dans ce temps confiné. Certaines participantes de l’étude se sont emparées du dispositif pour tirer des bénéfices de l’écriture et développer une narration, un récit personnel, comme elles l’auraient fait dans un journal intime. Cet espace écrit leur a permis de faire le point, de passer la période de crise, de livrer des ressentis sur des conflits internes à la bulle familiale. D’autres participantes, au contraire, ne s’en sont pas saisies. Elles ont participé à l’étude méthodiquement, parfois durant de nombreuses semaines, en livrant des réponses lacunaires et monosyllabiques, qui demeurent finalement peu exploitables dans le cadre de l’analyse que nous aurions souhaité en faire24.

48Le projet « Récits Confinés » ne s’inscrit pas dans une volonté initiale de soins par l’écriture, mais dans une approche anthropologique de l’analyse des récits du quotidien et de l’archivage de l’ordinaire en temps de crise épidémique. Nous constatons que les récits rapportent pour certaines répondantes une dimension thérapeutique par l’écriture que nous n’avions pas anticipée. Cette démarche du soin par l’écriture, des « soins narratifs », est cependant développée par les travaux et les initiatives en narrative medicine (Charon, 2006). Ils s’inscrivent clairement dans cette volonté thérapeutique de « médecine fondée sur le récit du patient » pour donner au « médecin un moyen d’accéder aux évènements vécus par le patient en permettant à chaque individu, de raconter une histoire, son histoire » (Charon, 2006). Utilisée dans certains services hospitaliers (Sagaert, 2020) ou palliatifs (Avérous & Galichon, 2021), ce « processus de biographisation (Delory, 2014 : 16) [par l’écriture] peut permettre de donner une forme et un sens à cet évènement, et de l’inscrire dans un parcours de vie » (Dos Santos et al., 2020 : 11). Dans « Récits Confinés », il s’agit de raconter son histoire (Charon, 2006) dans un contexte de crise épidémique, et non dans un contexte médical, mais dans les deux cas, l’écriture propose une dimension thérapeutique et rapporte un récit d’expérience aux anthropologues.

Conclusion

49Le projet « Récits Confinés » en France apporte plusieurs niveaux d’éclairage sur les expériences du confinement dans l’espace domestique, le travail du care majoritairement réalisé par les femmes, et l’écriture participante et féminine en sciences sociales. Le premier constat que nous dressons est que la population répondante partage de nombreuses caractéristiques avec celle d’autres études portant sur les ménages : ce sont les femmes qui répondent majoritairement aux enquêtes (sans quota et/ou avant pondération). Le second constat est que les femmes ont une surcharge de responsabilités et de tâches domestiques liées à l’environnement familial dans les sphères du care. Même si le projet « Récits Confinés » diffère d’autres études d’un point de vue méthodologique, la portée analytique des témoignages confirme les résultats d’autres enquêtes dans le domaine des inégalités de genre.

50L’originalité de notre étude résidait dans sa méthodologie d’enquête qui invitait les répondant∙e∙s à mobiliser l’écriture pour une mise en récit de leur vécu. Le contexte sanitaire à l’échelle mondiale et l’expérience du confinement amènent au témoignage et ainsi au récit : le « vécu du temps réel » ou le « temps de ce qui se passe » (Worms, 2021) favorise une cohésion plus forte, un besoin de raconter ce qu’on est en train de vivre. L’appétence pour l’écriture s’accompagne d’une volonté et d’une capacité d’introspection, d’« autoréflexivité » (Paperno, 2004 : 564), de « travail sur soi » (Lahire, 2008 : 177). Les femmes parlent de leurs ressentis, des relations qu’elles ont avec leurs co-confinés, les émotions qu’elles traversent, les détails du quotidien, de la « vie ordinaire » (Kaufmann, 1989). Mais alors qu’elles vivent une surcharge de travail de care, elles prolongent leur responsabilité jusque dans le travail d’écriture pour elles-mêmes et pour la recherche en sciences sociales. La mise en récit de leur expérience semble prioritaire par rapport à d’autres activités liées au temps libre. En tant que femme, conjointe et mère, il y a alors une nécessité d’exprimer son vécu et celui des co-confiné∙e∙s. L’écrit est une manière de prendre soin de soi et des autres, de tenter de faire face pour maintenir l’édifice familial, semblable au petit « monde » (Fisher & Tronto, 1991), dans l’expérience inédite de la pandémie.

  • 25 Pour ce qui concerne principalement la prise en charge du bien-être et de la santé dans son ensembl (...)

51Ainsi, par une méthode d’enquête originale, adaptée à la situation de confinement, « Récits Confinés » a produit des données narratives mettant en avant le travail domestique et de care, ce que Geneviève Cresson (1995) nomme le « travail sanitaire profane »25. La variété de tâches majoritairement assumées par les femmes est réalisée dans le contexte de la famille et selon un temps quotidien, ce qui donne alors lieu à une invisibilisation de ce « travail sanitaire profane ». En répondant à « Récits Confinées » par l’écriture, les enquêtées l’ont alors mis en visibilité. Pour elles, rendre visible ce travail de care dans la sphère domestique et confinée, qui s’ajoute au travail émotionnel (Hochschild, 2017) et relationnel (Rosenthal, 1985) qu’elles endossent, permet de surmonter le travail d’écriture nécessaire à la production des données scientifiques. Il semble qu’elles se soient mobilisées pour éclairer leur expérience de ce temps confiné dans leur quotidien, par ailleurs souvent resté dans l’ombre. La production scientifique issue de ces témoignages permet d’accéder à la visibilité de ces formes de travail.

52La crise sanitaire a fait émerger des interrogations socio-anthropologiques sur le vécu et l’adaptation quotidienne au cours de cette période, et ce projet est le résultat de ces interrogations. Les conditions de confinement ont quant à elles déterminé le protocole d’enquête. Le projet s’inscrit à la fois dans le prolongement des diary studies, des méthodes d’enquête par journal, mais il possède également une dimension créative, par son format, sa diffusion et son adhésion, propre à cette situation bien particulière. La temporalité du protocole est adaptée à la situation de confinement et pourrait être appliquée à d’autres objets d’étude. Les anthropologues sont ainsi en mesure de développer une dimension créative en termes de dispositifs méthodologiques pour faire face aux crises épidémiques.

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Notes

1 https://recitsconfines.fr/

2 Le projet a été cofondé par Pierrine Didier, anthropologue et Laurent Gontier, artiste pluridisciplinaire et auteur, qui explore la dimension historique dans ses projets de création. Ils ont été rejoints par une équipe de chercheuses anthropologues bénévoles (Delphine Burguet, Daria Rostirolla, Myriam Castaldo, Véronique Duchesne et Lucia Candelise). Le projet a dans un deuxième temps été administrativement rattaché au Ceped (UMR 196) Université Paris Cité, notamment pour la conduite du projet dans deux pays africains (Guinée, Cameroun) suivant une méthodologie adaptée aux contextes locaux.

3 Nous avons établi un partenariat avec le Mucem de Marseille suite à leur appel au don des objets du confinement, lancé le 20 avril 2020. https://www.mucem.org/collecte-participative-vivre-au-temps-du-confinement#. Il s’est matérialisé par l’ajout d’un encadré dans notre trame de questionnaire en semaine 8 (mi-mai 2020), demandant à nos participants le(s) objet(s) symbolisant leur confinement. Après accord explicite des participant∙e∙s, les réponses et les photos des objets ont été transmises au Mucem. Certain∙e∙s participant∙e∙s aux « Récits Confinés » ont été recontacté∙e∙s par les responsables de cet appel à don et ont pu envoyer leur objet, dont certains figurent désormais dans le catalogue du Mucem (Fanlo, 2021).

4 Ce terme dérive du mot anglais diarist, celui qui tient un journal intime (diary).

5 Les Echos Start, Le Point, La Dépêche du Midi, Le journal du CNRS.

6 Envoi en copie caché à tout∙e∙s les participant∙e∙s ayant déjà envoyé une première trame sur l’adresse mail du projet.

7 La trame était également disponible chaque semaine sur le site internet du projet. Nous constatons cependant que l’envoi par mail de la nouvelle trame de questionnaire à compléter motivait plus favorablement les retours des participants que la trame à télécharger librement sur le site internet.

8 Les trames ont été anonymisées (avec un code fourni par le participant lui-même), stockées sur un serveur Huma-Num, puis analysées avec l’aide du logiciel MaxQDA, en prenant en compte la temporalité des données en fonction des semaines remplies par chaque participant∙e.

9 À l’exception d’un participant ayant habituellement la garde alternée d’un enfant de 5 ans, mais qui ne l’a cependant pas reçu pendant la grande majorité du premier confinement, pour des raisons relatives à son travail de soin non confiné.

10 Pour une lecture de la pratique de l’écriture en temps de pandémie par des anthropologues, voir Hermesse et al., 2020.

11 https://anr-collabora.parisnanterre.fr/index.php/vitrinesenconfinement/ (page consultée le 12/09/2023).

12 Par l’envoi d’un questionnaire aux 1 500 contributeurs et contributrices qui a récolté une centaine de réponses.

13 Sur la base de l’enquête « Emploi du temps », Insee, 2010 : www.insee.fr/fr/statistiques/2118074 (page consultée le 12/09/2023).

14 Pour un état des lieux statistique des inégalités de genre dans l’espace domestique en temps de confinement comparé au temps ordinaire, Cécile Charlap, dans un article intitulé « Le “temps des femmes” pendant le confinement », met en évidence les résultats des études sur le sujet à travers le prisme des tâches domestiques, ordinaires, familiales et plus largement du travail du care (Charlap, 2021b).

15 Toutes les informations concernant les participant∙e∙s ont été anonymisées.

16 Collectif d’analyse des familles en confinement (CAFC), constitué de Pascal Barbier, Myriam Chatot, Bernard Fusulier, Julie Landour, Marianne Le Gagneur, Alexandra Piesen, Sebastián Pizarro Erazo, Bertrand Reau, Valerya Viera Giraldo, du réseau Articulation des temps sociaux (RT48), de l’Association française de sociologie.

17 « COronavirus et CONfinement : Enquête Longitudinale » ou COCONEL, est une enquête en ligne déployée par l’institut de sondage IFOP auprès d’un panel d’un millier de personnes représentatif de la population française adulte sur divers aspects de la crise sanitaire. Conduite par un consortium de chercheurs de l’UMR Vitrome, du Centre d’investigation clinique Cochin-Pasteur, de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et de l’Observatoire régional de la santé Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’étude visait à suivre plus spécifiquement la réponse psychologique, émotionnelle et comportementale de la population française à l’épidémie de covid-19 et au confinement.

18 Le « travail relationnel » implique « des responsabilités et des activités réalisées pour la famille et qui contribuent à la solidarité familiale et à sa pérennité » (Rosenthal, 1985 : 965, notre traduction, cité dans Charlap, 2021b), alors que le « travail émotionnel » désigne l’effort ou l’acte qui consiste à changer le degré ou la qualité d’une émotion ou d’un sentiment (Hochschild, 2017).

19 Et selon notre appréciation de la profession renseignée.

20 Ces professions liées à l’écriture concernent 48 participant∙e∙s sur 78, dont 42 femmes. En ne comptabilisant pas les participant∙e∙s dont le métier n’est pas connu (neuf participants ont mentionné « retraité » ou « en recherche d’emploi » sans préciser leur domaine d’activités), ces professions intellectuelles concernent 70 % des participant∙e∙s.

21 Au lancement du projet, le site internet était abrité à cette adresse. Il est désormais disponible à l’adresse https://recitsconfines.fr/

22 Nous avons proposé aux participant∙e∙s de répondre à une question portant sur le bilan qu’ils et elles pouvaient faire de leur confinement.

23 Les « anecdotes du jour » est un tableau qui précède les questions ouvertes et qui invite les participant∙e∙s à raconter « l’anecdote du jour en lien avec votre vie en confinement, elle peut concerner votre sortie du jour, vos relations avec les co-confinés ou votre voisinage, votre humeur ou votre angoisse du jour, une expérience en lien avec votre travail…) ».

24 Cornelia Hummel remarque la même chose avec son recueil « passif » de « journaux de confinement des aînés ». Souhaitant investiguer le rapport au logement, les participant∙e∙s ont largement développé d’autres thèmes tels que les sorties du domicile (Hummel, 2021 : 53).

25 Pour ce qui concerne principalement la prise en charge du bien-être et de la santé dans son ensemble des membres de la famille.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Delphine Burguet et Pierrine Didier, « Se raconter et prendre soin. Étude anthropologique participative à partir de récits de Françaises (dé)confinées en période de covid-19 »Anthropologie & Santé [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 30 novembre 2023, consulté le 16 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/anthropologiesante/12979 ; DOI : https://doi.org/10.4000/anthropologiesante.12979

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Auteurs

Delphine Burguet

Institut national de médecine agricole (INMA) / Mutualité sociale agricole (MSA) / IMAf, EHESS, burguet.delphine@gmail.com

Pierrine Didier

UMR EPIA INRAE/VetAgro Sup/Ceped et ENTPE - Laboratoire Aménagement Économie Transports (UMR 5593) / Université de Lyon, pierrine.didier@gmail.com

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