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Durabilité alimentaire et perception du risque ; une étude sur les initiatives alimentaires alternatives dans la ville de Mexico

Food sustainability and risk perception; a study of alternative food initiatives in Mexico City
Ayari G. Pasquier Merino and Miriam Bertran

Abstracts

Contemporary food systems are riddled with contradictions, with negative impacts on resources, ecosystem services and consumer health. There is a growing consensus on the need for transformation, but differing views on the priorities to be addressed and the type of strategies to be implemented to this end. This research focuses on the different conceptions and practices related to sustainability among agroecological producers and citizen collectives that distribute their products in Mexico City. The study was carried out using qualitative research techniques, including field visits, interviews and group discussions. The results highlight, on the one hand, the variety of conceptions of sustainability found among the different actors and, on the other, the link between these notions and perceived food risks (the environment; health and socio-cultural); sustainability being closely associated with strategies for managing these risks.

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Full text

Les auteurs remercient toutes les personnes qui ont participé au développement de cette recherche.

Introduction

1L'alimentation est un phénomène complexe déterminée par les possibilités et contraintes offertes par les écosystèmes, les caractéristiques biologiques et les besoins du corps humain, les processus sociaux, politiques, et économiques, diverses conditions culturelles, comme l'identité et la religion, la perception du corps et de la santé, ainsi que les préférences personnelles (Contreras 2005). Ces éléments entrent en jeu au quotidien dans les décisions concernant ce qu'il faut manger à chaque occasion, où en plus du goût, du temps et du budget, il faut tenir compte de ce qui est (ou n'est pas) approprié pour chaque occasion (Bertran 2015). La culture alimentaire de notre époque est imprégnée d'un ensemble d'idées et de prescriptions sur ce que devrait être une « bonne nourriture ». Ces prescriptions sont le résultat de l'interaction de récits culturels, médicaux, médiatiques et des traditions locales, entre autres, qui se manifestent dans la gestion quotidienne des choix alimentaires entre ce qu’on peut, veut et doit manger.

2Les agences internationales avertissent que le système alimentaire actuel présente de graves risques pour la santé des personnes et de la planète (Dury et al. 2019 ; Elver 2020). Cela a conduit à l'élaboration d'une série de recommandations diététiques et nutritionnelles visant non seulement à promouvoir une alimentation saine, mais aussi durable. Un exemple en est l'exercice développé par la Commission EAT - Lancet, qui affirme qu'il existe suffisamment de preuves scientifiques montrant la relation synergique entre les risques pour la santé et les risques environnementaux dans les modes de production et de consommation des aliments, et proposent une série de changements dans les habitudes alimentaires pour réduire ces risques, tels que la réduction de la consommation de viande, l'augmentation de la consommation de fruits, de légumes et de légumineuses et la réduction des déchets (Willet et al. 2019).

3Progressivement, les appels des organisations internationales à changer le système alimentaire ont pénétré les agendas politiques locaux et ont été intégrés dans les prescriptions alimentaires : des choix sains et durables doivent être faits. Dans ce contexte, le concept de « régimes alimentaires durables » s'est répandu, défini comme suit :

« … ceux qui ont un impact réduit sur l'environnement et qui contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle et à une vie saine pour les générations actuelles et futures. Ils protègent et respectent la biodiversité et les écosystèmes, sont culturellement acceptables, accessibles, économiquement équitables et abordables, nutritionnellement adéquats, sûrs et sains, et optimisent les ressources naturelles et humaines. » (FAO 2010).

4Dans ce contexte, la nécessité de transformer les systèmes alimentaires fait l'objet d'un consensus croissant et la référence à la durabilité de l’alimentation est de plus en plus fréquente dans différents domaines, mais sa signification concrète est souvent floue (Béné et al. 2019 ; Pasquier 2022). Les modalités d'intégration de ces recommandations dans les systèmes alimentaires nationaux et locaux, les politiques et programmes gouvernementaux ou les initiatives sociales dépendent des contextes, des ressources disponibles et d'autres circonstances particulières (Bertran et al. 2022). Les médias sont de plus en plus actifs sur ce sujet et le marché s'est approprié ces discours, pour concevoir des produits qui se réfèrent à des idées plus ou moins vagues de durabilité, en commercialisant des aliments « bio », « traditionnels », « locaux », et en en faisant une valeur ajoutée (Contreras 2020). Parmi les acteurs impliqués dans la transformation des systèmes alimentaires, il convient de souligner les contributions des initiatives sociales qui soutiennent des formes de production sans produits agrochimiques, une distribution en circuit court, une rémunération équitable du producteur, une participation collaborative entre les acteurs impliqués, une consommation consciente, entre autres, et dont la diversité des valeurs est l'expression de la diversité des idées sur la durabilité et sur la manière de la mettre en œuvre (DuPuis et Goodman 2005).

5Dans la mesure où les actions visant à transformer le système alimentaire sont constituées comme une position politique, la durabilité a également été configurée comme une référence morale, autour de laquelle une pluralité de représentations et de lectures ont été générées (Sachdeva et al. 2015). Dans ce cadre, l'augmentation rapide au cours des dernières années des « initiatives alternatives », lesquelles cherchent à promouvoir des schémas de production et de distribution alimentaires aux impacts environnementaux limités, accompagnés d’une série d'avantages sociaux (Pardo y Durand 2019), a créé un espace privilégié d'analyse et de discussion sur ce que devrait être la durabilité alimentaire, ainsi qu'un espace d'innovation sociale pour la promouvoir (De Shutter et Dedeurwaerdere 2022).

6Partant de ce postulat, ce texte explore les compréhensions et les significations attribuées au concept de la « durabilité alimentaire » parmi une diversité d'acteurs impliqués dans la construction d’alternatives de distribution, génériquement identifiées comme « durables », dans la ville de Mexico. L'étude intègre les points de vue de petits producteurs situés dans la zone périurbaine du sud de la ville de Mexico, reconnue comme zone de conservation écologique, où diverses initiatives publiques et sociales cherchent à promouvoir une production agroécologique inscrite dans une économie sociale. De manière complémentaire, les visions des personnes liées à des collectifs de citoyens qui facilitent la vente de leurs produits dans différentes parties de la ville, travaillant sous différents schémas organisationnels, tels que les marchés de producteurs, les groupes de consommateurs, les coopératives, entre autres, sont également incorporées. Un ensemble d'acteurs partageant un intérêt pour la création de pratiques de production, de distribution et de consommation alimentaires plus équitables et plus durables, mais qui diffèrent de multiples façons, notamment en termes de capital social, d'éducation, de références à la durabilité, de revenus et d'idéaux de vie future. Par-là, nous cherchons à comprendre comment les prescriptions globales en matière de durabilité alimentaire sont traduites dans le contexte de l’étude, où les acteurs engagés dans la transformation des systèmes alimentaires visent à répondre aux avertissements concernant les risques du système alimentaire dominant, en adaptant leurs formes de production et de distribution au mieux de leurs connaissances, dans une grande ville mondialisée d’un pays du Sud, avec un taux d’inégalités élevé et une forte incidence de double et triple charge de malnutrition. 

7Cette étude cherche donc à contribuer à la compréhension des transitions alimentaires modernes, en montrant l'importance des recommandations de durabilité. Celles-ci vont toutefois au-delà de l'amélioration de l'efficacité des systèmes de production ou de l'incitation des consommateurs à faire de meilleurs choix pour eux-mêmes et pour la planète. C’est pourquoi nous montrons l'importance de considérer les particularités sociales et culturelles qui donnent forme aux projets d'avenir des acteurs impliqués dans les initiatives qui cherchent à conduire le changement.

Description méthodologique

8Ce travail fait partie d'un projet de recherche plus large visant à documenter les initiatives alimentaires liées à la durabilité à la ville de Mexico, réalisé entre 2020 et 2022. La recherche est de nature qualitative. Les données utilisées correspondent à 60 unités de production de la zone périurbaine de Mexico (voir la carte ci-dessous) et 25 collectifs travaillent avec différents schémas d'organisation pour la distribution alternative d’aliments opérant dans différents quartiers de la ville. Des entretiens semi-structurés et des visites des parcelles et d’ateliers de transformation ont été réalisés dans les unités de production. Les initiatives de distribution alternatives impliquées dans l'étude comprenaient des marchés de producteurs, des coopératives de consommateurs, les organisations d'agriculture en coresponsabilité, des magasins spécialisés, la vente directe sur les sites de production et des systèmes de vente par catalogue en ligne. Dans tous les cas, il s'agit de stratégies de commercialisation qui cherchent à réduire le nombre d'intermédiaires, favorisant le commerce local, même si elles incluent parfois des produits d'autres régions du pays, comme le café, le cacao et différents fruits. Pour chacune d'entre elles, une fiche d'information générale a été remplie et les responsables de ces initiatives ont participé à des discussions collectives sur les défis et les opportunités auxquels ils sont confrontés.

9La première période de l'enquête a été affectée par la pandémie de COVID-19. Afin de s'adapter aux restrictions imposées aux interactions sociales dans ce contexte, tous les entretiens ont été menés dans des espaces ouverts et avec l'utilisation réglementaire de masques, tandis que les discussions effectuées au cours de cette période ont été menées via des plateformes virtuelles. La collecte des données a été effectuée par une équipe composée Isabelle TECHOUEYRES2024-12-21T14:09:00ITde deux chercheurs, deux assistants et deux étudiants.

Initiatives d’ « approvisionnement alimentaire durable » à Mexico

  • 1 24,4% de la population de la ville fait face à un certain degré d'insécurité alimentaire (Coneval 2 (...)

10Mexico est une métropole typique des pays du Sud, où les processus d'urbanisation accélérée du XXe siècle se sont déroulés sans la planification ni les investissements nécessaires, ce qui s'est traduit par un accès profondément inégal aux espaces et aux opportunités de la vie urbains (Borja et al. 2016). Actuellement Mexico a une population de 9 209 944 habitants (INEGI 2020), cependant elle fait partie d'une agglomération urbaine qui dépasse les 22 millions. Le problème central en matière d'alimentation est l'accès à une alimentation saine, un problème courant en Amérique latine, identifiée comme la région la plus chère au monde pour manger sainement (FAO 2023), ce qui se traduit par une forte présence du double et triple fardeau de la malnutrition1. Bien que Mexico concentre une grande partie de la richesse nationale, c'est aussi une ville avec de fortes inégalités. L'approvisionnement alimentaire de la ville est organisé sur la base d'un grand marché de gros – appelé « Central de abastos » –, où les aliments arrivent de tout le pays et d'autres parties du monde, et où s’approvisionnent les commerces de détail. Depuis le développement des politiques de libéralisation du commerce dans les années 1990, les chaînes de supermarchés ont pris une importance croissante, toutefois ils coexistent avec les systèmes d’approvisionnement traditionnels, répondant à des fonctions économiques et sociales complémentaires (Torres Torres 2011). Depuis lors, se sont également répandus de nouveaux modèles de consommation avec une forte présence d'aliments ultra-transformés, distribués par tous les canaux possibles, qui s'intègrent à la vie alimentaire quotidienne de la population (Pasquier 2020). Dans ce contexte, on peut s'attendre à ce que les questions de durabilité jouent un rôle secondaire dans les décisions quotidiennes de la plupart des familles de la ville. Cependant, depuis au moins une décennie, nous observons l'émergence d'un nombre croissant d'initiatives de production et distribution alimentaires associées à l'idée du « local », « biologique », « agroécologique » et « équitable », génériquement associées à l'idée de durabilité alimentaire.

  • 2 Catégorie administrative décrétée en 1978, qui désigne plus de la moitié de la surface de la ville (...)

11Bien qu'il existe un mouvement d'agriculture urbaine qui se consolide progressivement, surtout dans les quartiers de classe moyenne de la ville, la plupart des initiatives de production alimentaire s'inscrivant dans ce cadre se déroulent dans des zones périurbaines avec le statut juridique de « sol de conservation » (suelo de conservación)2. Au cours des dernières décennies, la croissance urbaine a réduit l'extension des terres agricoles de cette zone et ses habitants se sont dirigés vers d'autres emplois, principalement dans le secteur des services. Cependant, certaines pratiques agricoles d'auto-approvisionnement ont persisté, généralement de manière complémentaire dans l'économie domestique. Actuellement environ 30 000 hectares de cette zone sont consacrés à des activités agricoles, dont la plupart sont la continuation des activités agricoles des villages originels des municipalités de Xochimilco, Tláhuac, Milpa Alta, Tlalpan (Figure 1), où l'on produisait historiquement les aliments pour approvisionner la ville.

12Au cours de ces dernières années, on constate un regain d'intérêt pour la production alimentaire dans cette zone, tant de certaines familles qui avaient abandonné l'agriculture que de nouveaux acteurs urbains (Bertran et al. 2022). Ce regain d'intérêt est en grande partie le résultat d'une demande naissante de produits « biologiques », « locaux » et « durables » de la part de certains secteurs sociaux de la ville. L'élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques destinées aux petits producteurs de cette zone ont également contribué à ce processus, bien que ces interventions aient été conçues dans le cadre de la politique environnementale, plutôt que comme une stratégie de production.

13Les entretiens et les visites effectués nous ont permis de documenter la variété de ces unités de production, en ce qui concerne les caractéristiques du territoire où elles sont situées mais aussi le profil des acteurs impliqués, l'organisation des activités et l'accès aux ressources productives.

Figure 1 : Initiatives alimentaires et utilisation des terres à Mexico : systèmes agricoles, infrastructures urbaines et zones de conservation.

Figure 1 : Initiatives alimentaires et utilisation des terres à Mexico : systèmes agricoles, infrastructures urbaines et zones de conservation.

Source : élaboré sur la base des données de l'INEGI, 2013.

Les territoires

  • 3 La propriété sociale au Mexique a été établie dans la période post-révolutionnaire (Loi Agraire en (...)

14Les formes les plus courantes de propriété foncière sont la propriété privée et la propriété sociale3 . En outre, la location de terrains est de plus en plus courante. Les zones agricoles du « territoire de conservation » comprennent des terroirs contrastés que l'on peut distinguer, de manière générique, en deux catégories. L'agriculture de coteaux et l'agriculture de la zone lacustre. La première est une agriculture pluviale. Sur les pentes les plus raides, l'agriculture était autrefois pratiquée en terrasses, bien que ce système ait été progressivement abandonné. La production était alors essentiellement constituée de milpa (système agricole intégrant le maïs, les haricots et les courges). Il y a quelques temps, la culture du figuier de barbarie (nopal) a été encouragée dans certaines zones et, plus récemment, s’est développée la production de légumes dans de petites serres. Le second est un système de production connu comme sous le nom de « chinampa », développé sur de petites parcelles construites à l'époque préhispanique dans la zone lacustre, connue pour sa fertilité, mais souffrant de nombreux problèmes de contamination de l’eau.

Les producteurs

15Dans la plupart des cas, les activités agricoles s'inscrivent dans la continuité des activités économiques des générations précédentes. En général, il s'agit d'activités complémentaires dans l'économie familiale. En ce qui concerne les groupes d'âge, on constate qu'environ un tiers des responsables d'unités de production interrogés ont plus de 60 ans. Pour certains, les activités agricoles ont toujours été leur occupation principale. Pour d'autres, il s'agit d'une activité reprise après la retraite d’un emploi urbain. Les deux autres tiers des responsables des unités de production que nous avons interrogés avaient entre 30 et 60 ans, seuls deux avaient moins de 30 ans.

Tableau 1. Caractéristiques générales des unités de production.

Âge du responsable de l'unité de production (UP)

15-29 ans

2

30-45

19

46-59

20

> 60

19

Source de revenus

Production agricole uniquement

20

Sources de revenus complémentaires

40

Type de propriété

Privée

22

Sociale

30

En location

8

Nombre de personnes travaillant dans l'UP

1-5

47

6-10

10

>10

2

16Le renouvellement générationnel est identifié par les producteurs comme l'un des principaux défis pour consolider la transition vers l’agroécologie, système de gestion agricole à plus forte intensité de main-d'œuvre. Cela a eu pour conséquence une augmentation de l'emploi de travailleurs agricoles originaires d'autres régions du pays. Certains d'entre eux souhaitent développer leurs propres projets, mais l’accès à la propriété foncière est difficile car elle dépend des capacités économiques et des relations sociales de propriété liées à la parenté.

17D'autre part, on a constaté la présence de divers acteurs urbains, davantage scolarisés et disposant de ressources financières plus importantes, qui mettent en place des projets productifs profitant de la niche de marché, souvent selon un schéma combinant la production alimentaire et l'agrotourisme. Jusqu'à présent, ce groupe est minoritaire, mais il a augmenté de façon constante, avec une certaine opposition de la part de la population locale. Les critiques s’expriment selon les arguments suivants : ces projets génèrent des profits pour des personnes extérieures à la communauté qui ne contribuent pas aux processus territoriaux ; ils se réclament de projets paysans mais fonctionnent selon une logique commerciale ; ils commercialisent avec l’image de la tradition lorsqu'ils vendent de l'agrotourisme ou des circuits expérientiels, alors qu’ils ne font pas partie de la communauté ; ils ne respectent pas les normes et les accords environnementaux, pour ne citer que les plus courants.

Les produits

18Dans les zones de montagnes, on y produit principalement du maïs, du figuier de barbarie et quelques arbres fruitiers. Dans la zone lacustre, on y produit surtout des légumes. Lors des visites des lieux de production et de distribution, on observe une présence importante de légumes qui répondent aux attentes des consommateurs « alternatifs », tels que les tomates, carottes et blettes multicolores, le chou frisé ou brocoli « queue de dragon », qui ne sont pas consommés localement ; cette tendance a été signalée par d'autres études récentes dans ce secteur (Morales 2023 ; Pasquier y Buratti 2024). La production de viande est marginale. Il existe des produits laitiers issus de petits troupeaux de bovins. Certains producteurs se sont lancés dans la production de saucisses artisanales et la vente de viande de lapin. D’autres fabriquent différents produits artisanaux, cherchant à apporter une valeur ajoutée à leurs produits, en utilisant des recettes traditionnelles, comme le « mole » (sauce à base de piments, graines et cacao), les fruits confits et les « alegrías » (mélange d’amarante et de miel), ou cherchent à innover avec des produits tels que des chutneys, des assaisonnements ou des confitures épicées.

La production

19L'une des principales caractéristiques de ces initiatives est l’engagement des producteurs locaux à minimiser l'impact de la production sur l'environnement. Bien que souvent considérées comme « agroécologiques », les connaissances et les interprétations des formes de production agroécologiques varient, s'adaptant aux impondérables de la production. L'idée dominante est d'éviter les engrais chimiques, herbicides et pesticides de synthèse, ou les stimulants de croissance dans le cas de l'élevage, mais n'implique pas toujours le système de gestion agricole dans son ensemble (en termes de semences, de labour, d'irrigation, de rotation des cultures, etc.). Certains producteurs identifient le « bio » surtout comme un système de certification et soulignent la complexité de l'obtention de ce type de reconnaissance formelle et les limites des politiques publiques dans ce domaine. Les producteurs interrogés se distancient souvent de ce type de certification et revendiquent leurs produits dans d'autres catégories, comme « traditionnelle », « ancestrale » ou « locale ».

La distribution

20La production de la « zone de conservation » était traditionnellement une production d'autoconsommation, avec quelques excédents vendus sur les marchés locaux. Cette pratique persiste pour beaucoup d'entre eux, mais de nouvelles formes de commercialisation se sont développées en réponse à la demande croissante d'aliments « alternatifs » dans certains secteurs de la ville. Ce phénomène, courant dans de nombreuses villes du monde, a pris de l'ampleur au cours de cette dernière décennie, en particulier dans les pays du Nord et, plus récemment, dans certains pays du Sud (Martínez Salvador et al 2021).

21À Mexico, l’offre d’aliments alternatifs a débuté dans les années 1990 avec l'ouverture de magasins spécialisés dans les produits « bio » et s'est depuis diversifiée pour inclure une variété d’initiatives d'économie sociale qui proposent des aliment « locaux » et « agroécologiques », valorisant la production à petite échelle et les principes du commerce équitable (Schwenstesius et Gómez 2015). Ainsi, même si ces initiatives opèrent au niveau local, leur définition est influencée par le discours global sur la durabilité.

22Ces initiatives sont menées par de jeunes adultes issus des classes moyennes qui souhaitent promouvoir des stratégies concrètes de développement durable dans la ville (Pasquier et al. 2022). Au-delà de la forme spécifique d’organisation avec laquelle ils travaillent, il s'agit d'initiatives commerciales fondées sur l'attribution d'une série de valeurs, tant à leurs produits qu'au type de relations sur lesquelles elles se fondent. En ce qui concerne les produits, les acteurs impliqués mettent l'accent sur des concepts tels que « qualité », « local », « petite échelle », « biologique », « traditionnel », « artisanal », « sain » ; renvoyant à des valeurs qui coïncident avec ce qui a été documenté dans des recherches menées dans d'autres contextes (par exemple, Murdoch et al. 2000). En ce qui concerne les relations, des valeurs telles que « le juste », « l’équitable », « la confiance » et « la responsabilité » sont prépondérantes.
Dans leur organisation interne, on peut généralement distinguer trois positions : les producteurs, les coordinateurs et les consommateurs.

Tableau 2. Positions et rôles dans les initiatives de distribution alternative.

Positions

Fonctions

Coordinateurs

Définition de la logistique de distribution, la gestion économique et la promotion des activités culturelles et de formation, ainsi que dans le contrôle des accords et de la prise de décision. Ils reçoivent généralement des petites rémunérations en espèces ou en nature.

Producteurs

Principalement l'approvisionnement, bien que certains programmes exigent leur participation aux ventes directes et à des activités de sensibilisation, surtout dans le cas des marchés.

Consommateurs

Principalement l'achat, peu d'entre eux entretiennent des relations de solidarité qui vont au-delà des transactions économiques avec les coordinateurs et les producteurs.

23Il convient de noter qu'il existe une différence socio-économique marquée entre les acteurs impliqués dans ces initiatives. Tandis que les zones de production relèvent d’un profil socio-économique faible, les initiatives de distribution sont situées dans des quartiers de classe moyenne et supérieure de la ville. Cela entraîne des défis importants, car elles ne peuvent s'affranchir de la logique dominante de la concurrence du marché et de ses implications dans un contexte de profondes inégalités sociales.

Visions sur la durabilité

24La littérature caractérise généralement les circuits courts de commercialisation et les réseaux alimentaires alternatifs comme des « initiatives durables » (Corsi et al. 2018 ; Forssell et Lankoski 2014 ; Goodman 2004), documentant leurs contributions pour promouvoir une agriculture écologique, améliorer la qualité de vie des agriculteurs, générer un développement économique local, distribuer des aliments de qualité et créer de nouvelles formes de gouvernance des marchés. Cependant, certaines recherches ont pointé les limites pour améliorer les revenus économiques, les conditions de travail et la qualité de vie des producteurs (Blumberg 2018 ; Bellante 2016 ; Tregear 2011 ; Forssell et Lankoski 2014). Il a également été suggéré que ces initiatives excluent la majorité des producteurs et consommateurs (Fourat et al. 2020 ; Tregear 2011) et qu'en pratique, elles reproduisent bon nombre des dynamiques dont elles se distancient formellement en se présentant comme « alternatives ».

25Dans la recherche menée, les initiatives de commercialisation « alternatives » partagent l'idée du « local » et de la réduction des impacts sur l’environnement, mais certaines peuvent être considérées comme plus proches du cadre de durabilité que d'autres. Parmi les différents profils documentés (Bertran et al 2022), certains ont un intérêt commercial marqué, cherchant à occuper des niches de marché leur permettant d'augmenter leurs prix et s'intégrant dans les processus de gentrification en cours dans certains quartiers de la ville (Pasquier et Buratti 2024). D'autres, au contraire, cherchent à générer un certain équilibre entre la reconnaissance de prix « justes » pour les producteurs, la viabilité économique des organisations, et que cela ne se traduise pas par une augmentation trop importante des prix. Dans la grande majorité des cas, leur rentabilité économique est faible.

26La plupart des collectifs qui ont participé à l'étude identifient leurs initiatives comme « durables », même si dans certains cas la durabilité se voit attribuer des significations inhabituelles, par exemple, en mettant l'accent sur la notion du « vivre bien » (buen vivir). Cela coïncide avec d'autres travaux qui ont documenté l'association de la durabilité dans les réseaux alimentaires alternatifs, par exemple, avec le travail sur le soin, l'égalité des sexes et/ou le multiculturalisme (Muñoz 2018). L'un d'entre eux, en revanche, s'éloigne explicitement de la durabilité comme cadre de référence, la considérant comme un concept ambigu, voire colonialiste ou patriarcal ; position qui a été documentée dans d'autres études (Rauchercer et Chan 2017).

27Bien que leur nombre augmente rapidement, ces initiatives représentent un phénomène marginal dans la distribution alimentaire de la ville. Leur visibilité dépend en grande partie de leurs liens avec des organisations de la société civile et certains secteurs de l'académie ; acteurs qui, dans une large mesure, transmettent des idées sur les risques du système alimentaire dominant et sur la nécessité d'évoluer vers des formes plus durables.

28À la question précise de ce qu'on entend par durabilité, différentes réponses ont été obtenues, que l'on peut classer en trois grands groupes : l'impact des formes de production sur l’environnement ; la sécurité, l’hygiène et la santé ; et ceux qui associent la durabilité à l'autoconsommation et au « bien vivre » (buen vivir).

29En ce qui concerne l'impact sur l'environnement des formes de production, on observe clairement que la notion de durabilité a à voir avec une gestion des ressources qui permet de les maintenir dans le temps : « En principe, le concept de durabilité est la gestion appropriée des ressources dans laquelle les avantages actuels peuvent être appréciés et continuer à bénéficier aux générations futures grâce à une gestion appropriée et à la conservation de l'environnement » (Producteur de Tlalpan, 30-45 ans). « Durable c'est que ça ne nuise pas, que tout soit régénératif, on composte tous nos déchets organiques, on essaie de ne pas utiliser d'emballages, de ne pas consommer d'emballages » (Autre producteur de Tlalpan, 30-45 ans).

30Les réponses qui interprètent la durabilité par rapport à la sécurité, l'hygiène et la santé sont les plus fréquentes, ce qui n'est pas surprenant car la diffusion du risque sanitaire par l'alimentation est plus ancienne que les appels à l'attention sur les impacts environnementaux. La façon dont les aliments sont produits est importante pour le bien-être du corps, pour éviter les maladies, et est une caractéristique importante des prescriptions alimentaires. En ce sens, l'idée du « naturel » s'oppose à l’idée d’aliments transformés et industrialisés. « L'alimentation durable va être ce qui est à l'origine des aliments, comment ils sont transformés et quel bien-être ils produisent pour le corps, tout est une chaîne intégrée, que le corps peut digérer » (Productrice de Tlalpan, 46-59 ans). « C'est un aliment qui va aider l'organisme, les performances physiques. Vous pouvez remplacer un produit du magasin, par d'autres. » (Producteur de Xochimilco, plus de 60 ans). La sécurité s'exprime par rapport à la propreté, par opposition à l'idée que l'utilisation de produits agrochimiques salit les aliments : « Nutritif, propre, naturel. Maintenir la propreté » (Productrice de Xochimilco, plus de 60 ans). « Que c'est quelque chose de propre, d'inoffensif. Qu'il n'y a pas de produits agrochimiques dedans » (Producteur de Xochimilco, 30-45 ans).

31Il est intéressant de présenter un témoignage qui fait référence au fait que la sécurité est liée à la tradition, à l'artisanat et à l'identité. « Que le produit soit propre, qu'il soit bio, qu'il ne contienne pas de pesticides, qu'il soit local et qu'il aide directement les producteurs, qu'il soit artisanal, très mexicain. » (Productrice de Xochimilco, 30-45 ans). L'intérêt de cette expression de durabilité par rapport à la tradition réside dans le fait qu'elle renvoie aux idées du nationalisme gastronomique qui suppose que tout ce qui vient d'une petite production, locale, traditionnelle, est propre, mais renvoie aussi à un idéal d’un Mexique ancien, comme fiable et commun (Bak-Geller 2020).

32Enfin, un groupe de réponses sur ce qui est considéré comme durable est relié à l'idée d'autoconsommation et de mode de vie, à la manière dont la réforme agraire a été faite au Mexique après la Révolution de 1910. Les parcours de vie de la majorité des producteurs interviewés, fils et petits-fils de paysans au sens classique, expliquent ces idées : « Consommez ce que l'on produit, ne gaspillez pas. Ne gaspillez pas autant d'eau. Achetez entre producteurs. Par exemple, ce que nous faisons : consommer ce qui est produit. Ce que nous produisons est consommé, pas gaspillé, cela me semble être quelque chose de durable » (Productrice de Talpan, 30-45 ans). « Vous récoltez vous-même vos choses, vous produisez vous-même votre nourriture » (Productrice de Xochimilco, 46-59 ans). « Durable, c'est « que nous produisons notre propre nourriture (...) achetons le moins possible » (Productrice de Milpa Alta, 30-45 ans).

Discussion

33Comme cela s'est également produit dans d'autres villes, les préoccupations environnementales et les risques du système alimentaire actuel se sont manifestés par l'émergence d'unités de production qui recherchent des systèmes avec moins d’impacts environnementaux (Nichols et al 2020). S'il est vrai que ces unités de production, en raison de leur taille, sont loin de pouvoir alimenter une mégalopole comme Mexico, il est également vrai qu’elles se sont multipliées et sont de plus en plus fréquentes (Monachon 2017 ; Pardo et Durand 2018).

34Nos recherches ont permis de constater qu'à Mexico l'agriculture périurbaine en transition agroécologique est l'expression de mouvements sociaux à petite échelle qui cherchent à affronter le système alimentaire mondialisé. Les petits producteurs que nous avons interrogés présentent des caractéristiques différentes, notamment en termes de trajectoires de vie, d'accès à la terre et de relations sociales pour l'insertion dans les circuits de commercialisation. Ces différences sont en grande partie dues à leur capital culturel et social (Bertran et al. 2022). En ce sens, les idées sur ce qu'est la durabilité, comme le soulignent (Bené et al. 2019), montrent que le concept est imprécis, mais pertinent ; les pratiques et les récits documentés sur le terrain font écho des appels à transformer le système alimentaire et éviter de mettre en péril la santé des personnes et de la planète.

35Des inquiétudes concernant des risques potentiels pour la santé, associées à la production et la transformation industrielle des aliments ont été exprimées il y a déjà un certain temps. Ces idées ont généré une demande en produits bio, en particulier dans les secteurs socio-économiques moyens et élevés, ce qui a favorisé le développement de l’agroécologie (Lozano et Novo 2021). Dans ce contexte, il semble logique que l'idée la plus répandue de la durabilité soit liée à la perception des risques sanitaires quant à l'utilisation de produits chimiques dans les processus de production et de transformation industrielles. Ce qui est produit à petite échelle, localement, traditionnellement, sans produits agrochimiques, est donc considéré comme pur, fiable, dans la mesure où il est connu. 

36Le manque de confiance dans les systèmes alimentaires conventionnels est un élément central qui opère dans le cadre d'autres incertitudes de la modernité alimentaire pour caractériser certains risques, centrés avant tout sur la santé - à la fois pour les producteurs et les consommateurs (Fischler 1990). Ce même processus semble avoir été transféré dans le cadre symbolique de la durabilité à la suite des avertissements d’organisations internationales et d’activistes environnementaux. Désormais, les risques sanitaires et les risques d'impact sur l'environnement doivent être gérés pour l'avenir. En ce sens, les mouvements sociaux en faveur d'un mode de production et de consommation alimentaire plus durable face à l'incertitude, comme celui des petits producteurs de Mexico, peut être interprété comme une expression de la modernité réflexive proposée par Beck (2002). Étant donné que le système alimentaire actuel, au-delà des promesses de résoudre les problèmes alimentaires de la population mondiale, a laissé des impacts indésirables qui remettent en question l'avenir même de la planète, une action politique est nécessaire, qui se manifeste aussi bien dans les institutions que dans les organisations sociales et les décisions individuelles.

37S'il est vrai que l'approche de la société du risque et de la modernité tardive est utile pour expliquer l'essor des actions de contestation du système alimentaire dominant, il est également vrai qu'elle n'est pas suffisante pour interpréter ce qui se passe à Mexico, car il s'agit de projets marginaux dans une société marquée par de nombreuses inégalités. À cet égard, Farrugia et Woodman (2015) soulignent que les décisions individuelles dans la modernité réflexive sont inévitablement contraintes par les conditions socio-économiques et les caractéristiques culturelles. Dans le cas des petits producteurs que nous avons décrits, la production à moindre impact environnemental est également liée au fait qu'ils ont trouvé dans cette activité un moyen de compléter leurs revenus avec un produit qui a une meilleure valeur marchande, bien que pour maintenir la production, d'autres sources de revenus soient nécessaires. Cette circonstance avait déjà été soulignée dans une autre étude sur le Mexique (Ávila-Sánchez 2001) et pour d'autres régions du sud global (Boncinelli et al. 2016) et contraste avec ce qui a été décrit pour les pays ayant de meilleures conditions économiques, où les petites unités de production agroécologiques sont organisées à des fins récréatives -éducatives ou dans le cadre de mouvements sociaux (Orsini 2013 ; Pirro et Anguelovski 2017).

38D'autre part, pour vendre leurs produits, les producteurs se rendent dans les foires et les marchés des secteurs sociaux moyens et supérieurs, voire dans les meilleurs restaurants de la ville. Nous avons ici un des grands défis de la transformation des systèmes alimentaires : produire suffisamment pour l'ensemble de la population et non seulement pour quelques élites. En ce sens, les « alliances » entre producteurs et consommateurs n'ont pas lieu dans un vide social, mais sont immergées dans les inégalités caractéristiques des systèmes sociaux contemporains, particulièrement accentuées en Amérique latine. Inégalités que l'on peut observer dans différents domaines, comme le fait de laisser aux petits producteurs la responsabilité de garantir des produits de bonne qualité qui ne nuisent pas à l'environnement et de maintenir des relations « équitables » dans les échanges sociaux et commerciaux, dans la concurrence entre producteurs pour les points de vente les plus efficaces, ou dans l'exclusion des consommateurs qui peuvent se permettre l'investissement en temps et en ressources financières qu'implique l'approvisionnement auprès de circuits alimentaires alternatifs, même lorsqu'il s'agit d'un complément aux circuits alimentaires classiques. Dans l'ensemble, ces processus présentent de nombreuses continuités et peu de ruptures avec les systèmes conventionnels.

39Bien que ces initiatives puissent être considérées comme des formes d’« activisme alimentaire » qui cherchent à construire des espaces d'autonomie et de responsabilisation, elles s'inscrivent dans un régime alimentaire dominé par les agro-industries, où la pression des marchés concurrents et des chaînes de régulation dominent (Narotzky 2016). Les modes d'expression et de réalisation de l'alimentation durable dans le contexte d'un idéal social sont divers et reflètent la variété des interprétations d'une alimentation saine et les difficultés que cela impose pour sa mise en œuvre (Bertran 2016). En effet, la principale préoccupation de la population concernée par cette recherche est la sécurité sanitaire. Les aliments issus de pratiques agroécologiques, considérés exempts de produits agrochimiques, donnent confiance au consommateur, ce qui est également un élément important pour les producteurs qui ont opté pour ces pratiques. L'importance de cette notion de confiance dans l'agriculture urbaine à petite échelle a aussi été décrite dans le cas de Sao Paulo au Brésil (Caldas 2022). Cette confiance vient de la notion de proximité, d’une idée du traditionnel en opposition à la technicité, mais aussi de la proximité dans les relations sociales, comme le montre le travail de Wang et al. (2015) sur les foires agroécologiques à Pékin. Cependant, comme nous l'avons souligné, ces relations sociales, bien qu'elles soient à la base de la construction de la confiance, ne s'inscrivent pas dans un cadre d'égalité. A cet égard, il a été souligné que les relations entre producteurs et organisations non-gouvernementales avec les universitaires concernés par la durabilité, sont essentielles pour la diffusion et l'appropriation des discours sur les risques du système alimentaire actuel (Blanc 2009 ; Paiva et Amancio 2021). Ce sont ces discours qui permettent, à leur tour, la construction d'un récit sur ce qu'est la production durable et justifient la vente de tels produits sur les marchés « alternatifs ».

40Les prescriptions alimentaires associées à la durabilité semblent avoir une certaine profondeur, du moins dans certains secteurs. Il convient de se demander dans quelle mesure cela est praticable dans la vie quotidienne et dans quelles catégories sociales cela est possible, étant donné que les réseaux alimentaires alternatifs eux-mêmes soulignent que l'un de leurs principaux défis est d'inclure des groupes de toutes les couches sociales.

41Enfin, il est important de signaler la prédominance des études analysant les réseaux alimentaires alternatifs en Europe de l'Ouest et aux États-Unis. Ces études présentent certaines similitudes avec les réalités latino-américaines, notamment en ce qui concerne les modes de consommation des classes moyennes et supérieures. Parmi les différences, l'inégalité sociale est la plus importante. Cette situation est importante pour comprendre certaines des différences observées entre des initiatives similaires dans divers contextes et, selon nous, représente une condition qui impose des limites importantes dans le cas de la ville de Mexico, comme dans d'autres contextes du Sud global.

Conclusion

42La transformation du système alimentaire vers des modes d'alimentation plus sains et plus durables, doit être analysée en tenant compte des différences et des inégalités existant dans les contextes où les initiatives de transformation sont générées. En ce sens, il est nécessaire de problématiser la construction de l'idéal du « sujet engagé » (Herrera 2020), figure utilisée pour éviter une confrontation critique de type systémique, avec des antécédents qui remontent à la construction de l'individu comme responsable de sa réussite économique et sociale. Comme l'expliquent Herrera (2020) et Paul Crawshaw (2012), entre autres, la récupération de cette dynamique d'attribution des responsabilités dans le monde contemporain s'insère dans une culture de la peur, imposée par les images catastrophiques de la crise socio-environnementale, qui représente une expression claire de la société du risque posée par Beck (1986).

43Si la production de l'alimentation apparaissait il y a quelques décennies comme un enjeu en passe d'être résolu, elle est aujourd'hui l'un des grands enjeux de santé et de durabilité des sociétés présentes et futures. Face à ce scénario il convient de s'interroger sur la place qu'elle occupe et comment les idées sur la durabilité alimentaire sont liées aux modèles normatifs multiples et contradictoires qui cherchent à influencer l'alimentation contemporaine, fondés sur des idées sur la santé, les discours médicaux, les idéaux esthétiques, la pression publicitaire et les préceptes sur le goût et le plaisir.

44Les résultats de notre recherche ne sont qu'un aperçu de la complexité du système alimentaire et des mouvements vers la transition agroécologique dans une mégapole du Sud. D'autres recherches sont nécessaires pour décrire et analyser les formes de production, de distribution et de consommation dans la ville de Mexico. En particulier, il est nécessaire d'étudier les préoccupations de la population concernant l'environnement et la manière dont les aliments sont produits, l'impact réel de ces préoccupations sur le choix des aliments dans les différentes couches sociales, et la place de ces préoccupations par rapport aux autres contingences de la vie quotidienne. Il faudra aussi voir combien de temps durent ces petites unités de production agroécologiques, si elles grandissent et se multiplient ou, au contraire, si elles déclinent et ne restent qu'une forme de consommation récréative et occasionnelle. En ce sens, il est également pertinent de s'interroger sur les nouvelles formes que prend la ruralité dans les zones urbaines. Dans le cas spécifique de la ville de Mexico, les zones rurales se sont maintenues malgré la méga-urbanisation et l'intégration de la population dans les activités des deuxième et troisième secteurs de l'économie. La demande de produits agroécologiques et de proximité semble avoir donné de nouvelles possibilités aux zones rurales, bien que de manière différente. La grande question est de savoir si elles seront durables dans le temps et si elles seront réellement un facteur de changement vers une alimentation saine et durable pour la population.

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Notes

1 24,4% de la population de la ville fait face à un certain degré d'insécurité alimentaire (Coneval 2022), alors que la prévalence du surpoids et de l’obésité est de 76% (ENSANUT 2018).

2 Catégorie administrative décrétée en 1978, qui désigne plus de la moitié de la surface de la ville - 876 km2 - comme « terre de conservation » dans laquelle le développement urbain n'est pas autorisé, afin de préserver les services écosystémiques que cette zone fournit à la ville.

3 La propriété sociale au Mexique a été établie dans la période post-révolutionnaire (Loi Agraire en 1915). Cette forme de propriété se réfère à une distribution collective selon deux schémas : les communautés agraires, dans le cas de terres revendiquées par des droits préhispaniques sur des territoires ; et les ejidos, dans le cas des groupes de paysans sans terre qui pouvaient être indigènes ou métis. Jusqu'à la réforme de l'article 27 de la Constitution en 1997, les droits de propriété sociale excluaient la possibilité de louer et de vendre des terres et celles-ci ne pouvaient être transmises que par succession familiale.

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List of illustrations

Title Figure 1 : Initiatives alimentaires et utilisation des terres à Mexico : systèmes agricoles, infrastructures urbaines et zones de conservation.
Credits Source : élaboré sur la base des données de l'INEGI, 2013.
URL http://journals.openedition.org/aof/docannexe/image/15612/img-1.jpg
File image/jpeg, 245k
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References

Electronic reference

Ayari G. Pasquier Merino and Miriam Bertran, “Durabilité alimentaire et perception du risque ; une étude sur les initiatives alimentaires alternatives dans la ville de Mexico”Anthropology of food [Online], Online since , connection on 20 May 2025. URL: http://journals.openedition.org/aof/15612

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About the authors

Ayari G. Pasquier Merino

Centro de Investigaciones Interdisciplinarias en Ciencias y Humanidades, Universidad Nacional Autónoma de México.

Miriam Bertran

Universidad Autónoma Metropolitana, Mexico City.

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