1Le musée de Bretagne dans son actuel Projet scientifique et culturel, qui définit la stratégie de l’établissement pour six années (2015-2021), exprime comme premier point de sa stratégie de rayonnement la volonté d’amplifier « l'ingénierie numérique » dans le musée1. Cette expression est multiple et s’est en partie concrétisée en 2017 par la mise en ligne du portail des collections du musée de Bretagne et de l'Écomusée du pays de Rennes, qui offre aux utilisateurs l’accès à plus de 205 000 documents accessibles, téléchargeables et réutilisables sous licences Creative Commons2. Les collections du musée étant estimées à près de 600 000 items, le portail des collections fait figure de partie émergée de cette incroyable collection patrimoniale qui dort dans les réserves. Le musée, par le biais de cette vitrine lauréate du Prix Territoriaux Gazette-GMF 2018, a renouvelé avec succès son outil de diffusion, a ravivé son empreinte sur le territoire et a appliqué la volonté de restituer à la région son patrimoine matériel et immatériel. Outre le portail des collections, le musée de Bretagne exprime le souhait « d’amplifier les projets de diffusion numérique », faisant de ceux-ci « un axe prioritaire [structuré] dans un plan d’actions pluri-annuel »3. Ce dessein s’est matérialisé par la création de parcours thématiques (le parcours « Les mystères de Rennes » en 2012, le parcours « Anne au cœur de Rennes » en 20144, etc.), la création de contenus augmentés dans les expositions et la mise en place de divers dispositifs multimédias. L’ensemble de cette stratégie vise à proposer une offre culturelle attractive pour les publics jeunes et étrangers, à initier une interaction entre les collections et les visiteurs, et à inventer de nouvelles formes de médiation.
2La collaboration entre le musée de Bretagne et le master Humanités numériques de l’université de Rennes 2 répond à ce premier postulat. Le deuxième étant la mise en place d’un partenariat entre le musée (et de facto avec Les Champs Libres selon les vœux de la directrice Corinne Poulain) et les formations universitaires locales. Cette coopération a pris la forme d’un projet de classe que nous avons imaginé, exécuté et valorisé pendant notre master 2, dernière année de notre formation universitaire. La consigne était de mettre en valeur les collections textiles du musée au prisme d’un parcours de visite numérique, disponible sur l’application GuidiGo. Cette commande s’inscrit dans la recomposition du parcours permanent du musée, et par l’inauguration de la nouvelle vitrine « S’habiller en Bretagne ».
3Le cadre technique de la commande étant ainsi défini, nous avons d’abord réalisé un état des lieux des pratiques existantes dans les musées. La plupart d’entre nous ne venant pas de milieux universitaires dédiés à l’histoire de l’art, la médiation du patrimoine ou encore à la muséographie des objets, nous avons dû nous approfondir nos connaissances, et de fait, dû réinterroger nos propres pratiques et expérience d’utilisateurs. Les dispositifs numériques dans les musées sont aujourd’hui communs. De nature diverse, ils sont devenus des services usuels pour les visiteurs. Les parcours numériques, quant à eux, sont une nouvelle pratique bien ancrée chez les visiteurs.
- 5 GENTES Annie et JUTAND Camille, 2012, « Nouveaux médias au musée : Le visiteur équipé », Culture & (...)
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4Cette étude des divers dispositifs numériques et des nouvelles pratiques usagers nous a servies à circonscrire et définir notre propre parcours numérique5. En choisissant d’une part de privilégier l’audio au texte, et d’autre part de valoriser la fiction aux propos strictement documentaires, nous avons souhaité dès le départ créer un parcours jeu qui puisse s’adresser à un public large et transgénérationnel. Créer ainsi un objet de médiation qui répond aux attentes des utilisateurs déjà familiers de cette pratique, et qui se distingue des parcours déjà disponibles au musée de Bretagne (celui-ci proposant déjà un large choix de parcours6). Naturellement, le caractère ludique de l’exposition virtuelle n'amoindrit nullement sa valeur scientifique. Les connaissances acquises au cours de la visite sont vérifiées à chaque fin d’étape par le biais de jeux (questionnaires à choix multiples, rébus, défis photo, etc.). Le parcours réalisé « On trouve de tout dans une armoire » n'a donc pas fonction à remplacer le discours muséal existant. Nous l’avons davantage considéré comme un dispositif augmenté à la visite in situ, comme un « facilitateur » de connaissances.
5Le visiteur du musée, par l'intermédiaire du parcours créé, peut faire l’expérience d’une nouvelle relation avec les collections du musée. Il devient davantage acteur de sa propre expérience. Une expérience qui l’interroge sur son rapport au vêtement et à sa pratique de conservation. Le parcours tel que nous l’avons appréhendé doit questionner les implicites et les souvenirs propres de chacun des utilisateurs. Comme nous l’avons annoncé en amont, l’objectif est de transmettre différentes formes de savoir : savoir vécu, patrimonial, académique, mémoire familiale, etc., en faisant intervenir une dimension émotionnelle et personnelle chez les utilisateurs.
6Le parcours a été pensé comme une histoire : une discussion entre une grand-mère (Marie-Ange) et sa petite-fille (Héloïse).
Fig. 1 : Marie-Ange
Marie Dupont, tous droits réservés
Fig. 2 : Héloïse
Marie Dupont, tous droits réservés
7Le prétexte de cette conversation, et de fait de notre parcours, est très simple. Notre jeune héroïne, Héloïse, est en classe de CE1 et doit réaliser un exposé sur la Première Guerre mondiale à l’occasion de la célébration de l’Armistice. Sa grand-mère Marie-Ange se rappelle avoir conservé une boîte contenant les effets d’un ancêtre décédé pendant cette guerre. La recherche de cette boîte du souvenir dans l’armoire familiale va être le point de départ d’une longue pérégrination à travers les nombreux tiroirs et étagères de cette armoire, contenant des objets textiles de cinq générations différentes. C’est par le détour de ces nombreux vêtements et accessoires, imprégnés de la mémoire de leurs propriétaires, qu’Héloïse va découvrir l’histoire de ses ancêtres. A l’issue de leur conversation, l’enfant (et donc le visiteur) aura eu l’occasion de découvrir l’histoire de l’habillement breton traditionnel, mais aussi contemporain, ainsi que des précisions sur la façon dont étaient réalisés et conservés ces artefacts.
8Le parcours est modelé sur l’histoire fictive d’une famille bretonne. Pour ce faire nous avons créé une généalogie, basée sur des recherches socio-historiques, et inventé l’histoire de celle-ci.
Fig. 3 : Généalogie de la famille d’Héloïse
Marie Dupont, tous droits réservés
9Tout au long de la conception du récit, nous avons accordé beaucoup d’importance au respect de la cohérence historique, démographique et géographique. Nous voulions également représenter divers milieux sociaux et diverses professions par le biais de nos personnages. Le parcours s’élabore à partir « d’archives » (c’est-à-dire à partir des documents multiples que nous avons présentés comme venant d’une même famille) de cette famille, qui sont les reflets de la mémoire d’une société et d’une époque, des années 1880 à nos jours. Mais ils sont également les échos des propres souvenirs des utilisateurs du parcours.
- 7 CHARLE Christophe, 1989, « Histoire sociale, histoire globale ? », Vingtième Siècle. Revue d’histoi (...)
- 8 GUELLEC, Agnès, 1985, « Le textile en Bretagne : points de repère », Norois, 1985, vol. 125, no 1, (...)
10Il nous a été demandé de valoriser, dans notre parcours numérique, les collections textiles du musée de Bretagne. Le vêtement est un artefact complexe à manipuler et sémiologiquement très marqué. Les manières d'aborder la question du vêtement et de l'histoire culturelle de celui-ci sont multiples. Nous avons choisi de travailler sur le vêtement en tant qu’instrument patrimonial et historique, plutôt qu’un médium politique, social ou économique. Néanmoins les liens et les rapports entre ces différents thèmes sont sous-jacents. Ainsi le choix des différents objets de notre parcours fait toujours écho, par petites touches, à l'histoire de la culture des apparences, à l’économie et la sociologie du paraître ou encore à l’industrie de l’habillement. Inspirées par le mouvement italien de la microstoria, qui privilégie l’étude d’objets historiques considérés comme étant ordinaires, nous avons lié pour cette exposition l’étude d’une histoire sociale à celle d’une histoire culturelle7. Nous voulions en effet rappeler au public que les Bretons ont eu une part active dans l’histoire de la mode et de l’habillement8.
Fig. 4 : Musée de Bretagne, Jupe, dimensions 86x41 (taille) cm, D958.0001.38.2
Musée de Bretagne, licence CC0
Fig. 5 : Musée de Bretagne, Soutien-gorge, dimensions 22,5x39 cm, 2007.0011.4
Musée de Bretagne, licence CCO
- 9 ROCHE, Daniel, 1989, La culture des apparences: une histoire du vêtement (XVIIe-XVIIIe siècle), Par (...)
11Si le vêtement régional a récemment fait l’objet d’un renouvellement scientifique tant sur le plan historique qu’ethnographique, il n’en demeure pas moins que le regard que lui portent les visiteurs et les non-spécialistes reste encore aujourd’hui majoritairement inchangé9. Les costumes régionaux participent à l'imaginaire régional. Ils sont affectés d'une charge idéologique qui ne rend pas toujours compte des pratiques courantes. Les limites temporelles de notre parcours – et également de la nouvelle vitrine - permettent ainsi d'aborder les bouleversements liés à l'ouverture sociale et économique de la Bretagne aux autres régions. Et de fait, de mettre en lumière le renouvellement des enjeux liés au paraître et à l'identité régionale, qui opère au XIXème siècle.
Fig. 6 : Musée de Bretagne, Portrait de famille, négatif du verre, dimensions 8,9X11,9 cm, 2000.0054.263
Musée de Bretagne, domaine public
- 10 BARD Christine, 2007, « Les photographies de famille commentées : une source sur l’habillement dans (...)
12La valorisation des collections textiles nécessite de prendre en compte toutes les typologies d’artefacts vestimentaires (vêtement, tissus, accessoires), mais également toutes les sources documentaires qui enrichissent notre connaissance de ces objets (photographies10, affiches, factures) en venant en soutien à l'objet qui n'a pas été conservé et préservé pour lui-même. Ainsi, nous avons privilégié les vêtements quotidiens issus des collections textiles plus récentes, et provenant des réserves du musée de Bretagne, puisque celles-ci sont peu exposées dans le parcours permanent. Ce souci de valoriser ces collections plus récentes accompagnait notre envie de faire correspondre ces objets aux centres d’intérêt des usagers du parcours. Nous avons sélectionné les objets de notre parcours dans le portail des collections du musée de Bretagne et de l’Ecomusée du pays de Rennes, en prêtant une attention particulière à l’histoire de ceux-ci et à celle de leur donateur lorsqu’ils étaient communiqués. Nous avons également été soucieuses de choisir des objets libres de droit. Les objets présents dans notre parcours virtuel sont à la fois tirés des réserves, mais également - et c’est l’ADN même d’une application de visite virtuelle - présents dans le parcours de visite permanent. Nous avons été attentives aux choix des objets par l’équipe du musée pour la nouvelle vitrine « S’habiller en Bretagne ». Les objets textiles choisis dans notre parcours sont accompagnés d’une notice historique.
Fig. 7 : Affiche de présentation du parcours On trouve de tout dans une armoire
Marie Dupont, tous droits réservés
13Notre parcours virtuel a été créé pour le musée de Bretagne et ses visiteurs. Nous espérons avoir imaginé un objet virtuel capable de transmettre des connaissances mais également des émotions. Cette fiction audio relatant le textile, son histoire et le souvenir que l’on garde de lui a été conçue afin d’être potentiellement reprise par les équipes de médiation du musée lors des visites de la nouvelle vitrine. Ce parcours est déjà intégré aux ressources pédagogiques du musée et présenté aux téléchargements par le biais du site internet11.
- 12 FOLCHER-BOUBY Chrystel, 2017, Odyssée de Pénélope - #O2P - Un dispositif Transmédia inventif et pré (...)
14Nous avons eu l’occasion de la faire tester auprès de petits groupes, puis auprès des visiteurs de la Nuit européenne des musées. Leurs retours ont été fondamentaux et nous ont permis d'apporter plusieurs améliorations. Nous avons eu également le souci de prendre à notre charge la communication et la présentation du projet. Indépendamment de la réalisation du parcours, nous sommes sorties du cadre technique, et avons œuvré à la promotion de notre travail. D’abord sur les réseaux sociaux (Twitter, Instagram et Facebook), en reprenant les codes de communication des institutions culturelles et des projets culturels (Museum Week). Nous nous sommes notamment inspirées du projet “Odyssée de Pénélope” réalisé par des étudiants en collaboration avec le Théâtre des Champs-Elysées, afin d’articuler le récit créé dans le cadre de notre parcours avec les plateformes de réseaux sociaux12. Puis en sollicitant aussi les organes de presse et opérateurs radios.
15En définitive ce projet universitaire nous a permis de découvrir un aspect plus pédagogique des humanités numériques. L’investissement déployé pour la valorisation du projet a aussi servi notre propre promotion professionnelle et personnelle.