1L’aire géographique couverte par ce projet collectif de recherche réalisé en 2008 et 2010 correspond aux anciens diocèses d’Angoulême, Bazas, Bordeaux, Limoges, Périgueux, Poitiers et Saintes. Ce vaste espace correspond approximativement aux actuelles régions Limousin et Poitou-Charentes, aux confins méridionaux des Pays de la Loire (Vendée, sud de la Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire) et au nord de la région Aquitaine (départements de la Dordogne et de la Gironde).

2Les objectifs de l’entreprise – coordonnée dans le cadre du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers (UMR 6223) – sont modestes : il s’agissait de lancer l’étude des fortifications et des résidences élitaires du haut Moyen Âge par un inventaire systématique des sources textuelles et archéologiques. Trois types de documents ont été produits : un inventaire sommaire des sites repérés, l’analyse sérielle de quelques catégories d’établissements et des notices plus amples témoignant de la diversité typologique du corpus. L’enquête révèle en effet la grande variété des établissements : fortifications de cités, vastes castra de l’Antiquité tardive et du très haut Moyen Âge, palais du royaume carolingien d’Aquitaine, curtes aristocratiques ou ecclésiastiques, monastères et collégiales mis en défense aux ix^e-xi^e s., floraison de castra à partir des premières décennies du x^e s., résidences fossoyées de milites autour de l’an Mil, etc. En l’état des dépouillements, 174 sites bien attestés ont été recensés, auxquels il convient d’ajouter 21 établissements à confirmer.

3Les fortifications et résidences élitaires du haut Moyen Âge ont longtemps été délaissées, aussi bien par l’histoire que par l’histoire de l’architecture et l’archéologie. À l’échelle nationale, ce désintérêt et le maintien de nombreux poncifs (prédominance du bois, décadence des connaissances poliorcétiques, apparition tardive du château médiéval, etc.) empêchent aujourd’hui de mesurer pleinement le rôle du haut Moyen Âge dans le développement des résidences des élites, du château et des fortifications urbaines, d’autant que nous commençons à peine à sortir de la période durant laquelle l’historiographie française – centrée sur le concept de « mutation féodale » – n’envisageait pas l’émergence du château médiéval avant les environs de l’an Mil. Depuis quelques années, la multiplication des découvertes archéologiques (en particulier la révélation par l’archéologie préventive de formes d’habitat élitaire jusqu’alors inconnues) et de nouvelles lectures des sources écrites (lexicographie, prosopographie, étude des réseaux de résidences, etc.) invite à aborder ce thème de manière interdisciplinaire. La région située entre Loire et Garonne n’avait pas encore connu ces remises en question. Le colloque de Pau sur les résidences du pouvoir entre Loire et Pyrénées (2002) illustre bien la faiblesse des recherches : faute de monographies et de problématiques suffisantes pour les périodes hautes, il dresse un panorama qui débute vers la fin du x^e s.

4Les données rassemblées dans le cadre du PCR fournissent quelques pistes pour les différentes séries de monuments. Les réunions et visites menées au cours de l’année 2010 ont permis de produire des notices sur six sites ou séries de sites et de dresser un premier bilan des castra antérieurs à 900 et des palais carolingiens d’Aquitaine.

5Les enceintes de cités ont principalement été étudiées dans leur état de la fin de l’Antiquité, alors qu’elles sont largement transformées au cours des siècles suivants. L’étude du castrum de Périgueux illustre certains aspects de cette longue existence, en particulier à travers la transformation de la porte de Mars (et probablement de la Porte normande) en résidence à la fin du premier millénaire (Hervé Gaillard). Les autres castra antérieurs à la conquête de l’Aquitaine par Pépin le Bref (760-768) invitent à des comparaisons avec les vastes sites de hauteur récemment révélés par l’archéologie sur la façade méditerranéenne. En complément des sites étudiés en 2008 (Chamtpoceaux, Maine-et-Loire ; Bar, Corrèze), les premières données concernant l’éperon de Batefols (Dordogne) ont été rassemblées par Yan Laborie. Pour comparaison, Adrian Bayard a fourni un état de son travail en cours sur les sites de hauteur auvergnats de l’époque mérovingienne.

6La multiplication des sites fortifiés, lente jusqu’aux années 920-930 mais qui s’accélère au cours des décennies suivantes, relève sans doute d’une grande diversité architecturale. En 2010, deux dossiers ont porté sur des castra attestés dans le courant du ix^e s. L’analyse critique de deux diplômes royaux de 818 et 842, confrontée au terrain, a fourni les premières pistes sur le castrum de Castillon, Gironde (Sylvie Faravel et Frédéric Boutoulle). Un exceptionnel dossier documentaire a permis de retracer la destinée du castrum de Château-Larcher (Vienne) et du lignage de nobilissimi qui le détenait entre le ix^e et le début du xi^e s. (Luc Bourgeois).

7La mise en série des mentions de curtes limousines entre le ix^e et le xi^e s. a permis à Jean-François Boyer de mettre en évidence leurs modalités de création par rassemblement cohérent de domaines épars et leur appartenance primitive au roi ou aux agents publics issus de la grande aristocratie. L’étude du réseau palatial du royaume d’Aquitaine à partir de 781 révèle une dispersion limitée au nord du royaume d’Aquitaine, en deçà du glacis défensif établi le long de la Gironde puis des cours inférieurs de la Garonne et de la Dordogne. Une partie de ces résidences demeurent mal localisée et l’archéologie n’a pas encore abordé ces sites, tout au moins dans leur état du ix^e s., puisque la célèbre aula de Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire) vient relayer l’un de ces palais. Les relevés pierre à pierre de ce monument ont permis une nouvelle interprétation de son évolution architecturale (Joseph Mastrolorenzo), assortie d’un bilan des sources textuelles disponibles (Luc Bourgeois et Antony Roux).

8Après deux années d’activité, ce PCR a permis de poser un certain nombre de questions et nous disposons désormais d’une liste de sites qui permettraient sans doute d’y répondre. Toutefois, le panorama demeure fort lacunaire. L’état de la documentation ne permet pas, par exemple, d’aborder des catégories comme les domus épiscopales et les résidences des autres élites urbaines. On remarquera également que la majeure partie de la vingtaine de monographies réalisées fait massivement appel aux sources écrites et à l’analyse morphologique des plans anciens, à défaut de disposer de données archéologiques. L’enrichissement des données sur ces sites essentiels à l’étude de la genèse du château médiéval et, plus largement, à la typologie des pôles du pouvoir du haut Moyen Âge nécessiterait d’accroître l’investissement des historiens (prosopographie des élites du haut Moyen Âge et spatialisation de leur pouvoir) comme des archéologues (fouille de quelques sites représentatifs et affinement des critères distinguant la culture matérielle des élites). Une nouvelle étape s’engage donc.