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Un os de vautour dans la basse cour du château de Broue (xive siècle, Saint-Sornin, Charente-Maritime)

A black vulture bone in Broue castle’s outer bailey (14th century, Saint-Sornin, Charente-Maritime)
Ein Geierknochen aus der Vorburg von Broue (Gemeinde Saint-Sornin, Saintonge, 14. Jh.)
Maude Barme et Benoît Clavel
p. 121-133

Résumés

La découverte récente d’un os de vautour moine sur le site castral de Broue (France, Charente-Maritime) conduit à s’interroger sur une potentielle valorisation de cet oiseau, voire un possible négoce de tout ou partie de ce dernier. Après avoir dressé un état des lieux des découvertes de restes de vautour moine en contextes archéologiques médiévaux et modernes, les auteurs se sont interrogés sur les usages possibles des plumes, voire de la dépouille de l’oiseau. L’hypothèse du vautour captif a également été abordée car la détention d’un tel volatile, rare dans l’espace charentais, pouvait revêtir un caractère ostentatoire. Cette modeste contribution, en s’appuyant sur l’examen conjugué des sources archéozoologiques et des sources textuelles tente, autant que faire se peut, de cerner le statut du vautour, en général, et du vautour moine, en particulier, aux époques médiévale et moderne.

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Texte intégral

  • 1 Opération programmée menée sous la direction d’Éric Normand (SRA Nouvelle-Aquitaine, UMR 7302, CESC (...)

1La découverte d’un fragment de diaphyse d’ulna (os de l’aile) appartenant au vautour moine sur le site castral de Broue1 à Saint-Sornin, en Charente-Maritime, conduit à s’interroger sur les circonstances de son abandon, dans la seconde moitié du xive siècle, parmi les débris jonchant une courette de la basse cour du château (fig. 1). En effet, les charognards souffrent, même encore dans l’imaginaire contemporain, d’une sinistre réputation : jugé prédateur indigne et proie infamante, ce volatile, souvent perçu comme disgracieux et disgracié, ne flatte ni le palais par sa chair, ni l’œil par son plumage, ni l’oreille par son chant, ni l’esprit par sa charge symbolique.

Fig. 1 Localisation du site de Broue (Saint-Sornin, Charente-Maritime) et vue du donjon.

Fig. 1 Localisation du site de Broue (Saint-Sornin, Charente-Maritime) et vue du donjon.

Cl. B. Clavel, DAO B. Clavel et É. Normand

  • 2 Van Den Abeele 2016.

2La marginalisation de ces inquiétants volatiles transparaît encore récemment, en négatif, dans les travaux de Baudoin Van den Abeele consacrés aux Oiseaux dans la maison médiévale2 : il n’est fait aucune mention du vautour, dont la présence aux abords des habitats médiévaux n’est sans doute nullement recherchée. Mais si l’oiseau vivant est supposé indésirable, qu’en est-il des produits de sa dépouille ? Ce ne sont pas les conceptions morales ou savantes cultivées par les érudits médiévaux sur ces rapaces à l’état vif qui retiendront ici notre attention : refermant volucraires et encyclopédies, nous délaisserons la question de savoir ce que l’on pense ou connaît du vautour vivant pour nous attarder sur ce que l’on en fait.

3Les développements consacrés à l’attribution taxonomique de l’ulna seront suivis d’une tentative de replacer cette découverte au sein du corpus européen dont nous disposons. Nous discuterons ensuite quelques hypothèses tendant à expliquer la présence d’un ossement de vautour dans un castrum médiéval charentais.

1. Argumentaire en faveur du vautour moine (Aegypius monachus)

  • 3 La méthode s’applique principalement aux ulnae de vautours converties en instruments de musique, le (...)

4Un premier examen ostéologique confirme l’appartenance de cet ulna à un grand vautour, permettant d’exclure d’emblée le gypaète barbu (Gypaetus barbatus) et le vautour percnoptère (Neophron percnopterus). L’attribution au vautour moine (Aegypius monachus) ou au vautour fauve (Gyps Fulvus) demeure plus délicate. D’une part, la différence d’envergure entre les deux espèces n’est pas suffisamment significative pour les distinguer, bien que le premier demeure plus imposant que le second. D’autre part, l’anatomie squelettique de ces deux nécrophages stricts, occupant sensiblement la même aire de répartition sur le territoire français actuel, offre de grandes similitudes. Enfin, la perte des extrémités proximale et distale de l’ulna nous prive de plusieurs critères diagnostiques et interdit une application fiable de la méthode ostéométrique, récemment proposée, pour différencier les diaphyses d’ulnae de vautour moine de celles de vautour fauve3.

5Malgré ces réserves, la consultation de sept spécimens de vautours moines et vautours fauves, conservés dans la collection d’anatomie comparée du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, laisse penser que le reste osseux étudié doit être attribué au vautour moine. Cette détermination repose notamment sur l’aspect des formations osseuses correspondant aux papilles d’insertion des rémiges secondaires (papillae ulnares ou papillae remigales), systématiquement plus saillantes sur l’ulna du vautour moine que sur celui du vautour fauve.

2. Distribution des vestiges médiévaux et modernes attribués au vautour moine

  • 4 Les recherches bibliographiques menées n’ont pas enrichi le corpus déjà établi par Audoin-Rouzeau 1 (...)
  • 5 Audoin-Rouzeau 1986, p. 141 ; Audoin-Rouzeau 1993, p. 65. L’identification de l’avifaune a été effe (...)
  • 6 Démians d’Archimbaud 1980, p. 429-430 ; Jourdan 1980, p. 233. L’examen ostéologique est dû à Cécile (...)

6En France métropolitaine, les vestiges osseux appartenant au vautour moine (Aegypius monachus) découverts en contexte médiéval ou moderne s’avèrent rares (fig. 2 ; tab. 1). Une recension des cas publiés4 atteste d’abord la présence de deux restes de l’espèce dans les assemblages des xie-xiie siècles issus du monastère bénédictin de La Charité-sur-Loire5 (Nièvre). Une seconde mention concerne l’établissement villageois de Rougiers6 (Var), dont les niveaux datés des xiiie-xive siècles livrent une flûte taillée dans l’ulna d’un grand rapace, reconnu comme étant sans doute un vautour moine.

Fig. 2 Distribution des restes de vautour moine (Aegypius monachus, écofacts et artefacts) au cours des périodes médiévale et moderne.

Fig. 2 Distribution des restes de vautour moine (Aegypius monachus, écofacts et artefacts) au cours des périodes médiévale et moderne.

D’après Audoin-Rouzeau 1993 ; Démians d’Archimbaud 1980 ; Jourdan 1980 ; Gál, Stanc, Bejenaru 2010 ; Hernández Carrasquilla 1993 ; Id. 1994 ; Moreno-García, Pimenta, Gros 2005 ; Moreno-García, Pimenta 2006 ; Moreno-García, Pimenta 2007b ; Moreno-García, Pimenta 2010 ; Pimenta, Moreno-García 2010 ;Pimenta, Moreno-García, Lourenço 2015 ; DAO : B. Clavel

Tableau 1 Liste des sites médiévaux ayant livré des ossements de vautours moines travaillés ou non.

Tableau 1 Liste des sites médiévaux ayant livré des ossements de vautours moines travaillés ou non.
  • 7 Les occurrences citées recouvrent celles relevées par : l, Stanc, Bejenaru 2010. Nous écartons ce (...)
  • 8 Groot, Ervynck, Pigière 2010.
  • 9 Piehler 1976.
  • 10 Reischtein 1986 ; Reischtein, Pieper 1986.

7Dans les régions bordant les frontières orientales de la France, la présence de vautours moines dans les listes fauniques médiévales s’avère tout aussi rare7. Ainsi, les publications traitant des territoires de la Belgique et des Pays-Bas ne recensent aucune occurrence de ce rapace8 tandis que celles consacrées à la Suisse n’en dénombrent qu’une seule, sur le site de Niederrealta (canton des Grisons ; xie-xive siècle)9. Par ailleurs, les contextes les plus septentrionaux ayant livré un reste de cette espèce appartiennent au port d’Haithabu (Schleswig-Holstein, Allemagne), occupé durant l’ère viking (ixe-xie siècle)10.

  • 11 Kunst 2000, cité dans : Gál, Stanc, Bejenaru 2010.
  • 12 Bökönyi 1974 ; Jánossy 1985.
  • 13 Gál, Stanc, Bejenaru 2010.

8L’Europe centrale offre encore deux exemples de sites castraux dans lesquels la présence du vautour moine est avérée. Le château de Möllersdorf (Basse-Autriche ; xiiie siècle) compte un humérus gauche sub-complet11 alors que la Tour de Salomon de Visegrád (« Visegrád-Alsóvár » ou « Visegrád-Salamon Torony », Comitat de Pest, Hongrie ; xve-xviie siècles) fournit un carpométacarpe gauche quasiment intègre12. Enfin, le site rural roumain d’Oltina, en Dobrogée, livre un unique distum d’humérus, daté des xe-xie siècles13.

  • 14 Si l’abondance du vautour moine dans ces régions aux époques concernées ne saurait être remise en c (...)
  • 15 Moreno-García, Pimenta 2004 ; Moreno-García, Pimenta, Gros 2005 ; Moreno-García, Pimenta 2006 ; Mor (...)
  • 16 À ces quatre cas établis s’ajoutent plusieurs artefacts attribués génériquement au « vautour », une (...)
  • 17 Moreno-García, Pimenta 2010.
  • 18 Moreno-García, Pimenta 2007b.
  • 19 Moreno-García, Pimenta, Gros 2005 ; Moreno-García, Pimenta 2006 ; Moreno-García, Pimenta 2007b. La (...)
  • 20 Pimenta, Moreno-García 2010.

9La littérature archéozoologique relative à la péninsule Ibérique, région dans laquelle niche encore aujourd’hui le vautour moine (fig. 3), se révèle considérablement plus dense14. Néanmoins, les importants travaux de recensement entrepris ces dernières années se concentrent plus spécifiquement sur les instruments de musique (aérophones et cordophones) élaborés à partir d’ulnae de vautours15. En l’état actuel, quatre exemplaires sont reconnus appartenir au vautour moine16. Le premier provient du Castillo de Albarracín (Teruel, Espagne) et est daté des xe-xie siècles17. Cette diaphyse d’ulna gauche ne correspond cependant qu’à une ébauche, de sorte que la finalité du travail de l’os demeure incertaine. Le second, un proximum d’ulna droit, se trouvait associé à de nombreuses céramiques almohades (xiie-xiiie siècle), dans un dépotoir du secteur de l’Alcazaba de Alarcos (Ciudad Real, Espagne). L’auteur remarque pourtant que la facture de cet instrument suggère une datation ultérieure18. L’Alcáçova de Mértola (Alentejo, Portugal) livre le fragment d’un troisième artefact, consistant en la partie distale d’une diaphyse d’ulna gauche, vraisemblablement confectionné entre le xie et le xiiie siècle19. Enfin, le dernier instrument dont on puisse affirmer qu’il a été conçu dans l’ulna d’un vautour moine appartient à l’époque moderne (xve-xviie siècle)20. Cette diaphyse, exhumée dans l’un des nombreux silos (n° 68) bordant extérieurement le mur de la cité de Beja (Alentejo, Portugal), s’apparente peut-être à une esquisse abandonnée et mise au rebut.

Fig. 3 Aire de répartition du vautour moine, actuelle et à la fin de la période moderne.

Fig. 3 Aire de répartition du vautour moine, actuelle et à la fin de la période moderne.

D’après Meyburget al.2016 ; Petersonet al.2012 ; SnowetPerrins 1998 ; Terrasse 1989 ; DAO B. Clavel

  • 21 Les inventaires consacrés à l’avifaune ancienne collectée dans la péninsule Ibérique (Hernández Car (...)
  • 22 Morales-Muñiz et al. 1992.
  • 23 Moreno-GarcÍa et al. 2008.
  • 24 Pereira 2013.

10Au moins trois établissements ibériques médiévaux proposent encore des restes de vautour moine21, cette fois envisagés en tant qu’« écofacts ». En premier lieu, le site de Calatrava la Vieja (Carrión de Calatrava, Ciudad Real, Espagne) livre seize restes du charognard, appartenant vraisemblablement à un unique individu (NR = 16, NMI = 1)22. Cette dépouille est sans doute parvenue entière dans le dépotoir d’époque almohade (xiie-xiiie siècle), que sa carcasse s’y trouve déposée par les occupants ou que l’oiseau soit fortuitement mort alors qu’il se repaissait des déchets carnés laissés à l’air libre. Un tibiotarse droit de vautour moine provient de la Alcaria de Arge (Portimão, Algarve, Portugal)23, établissement rural occupé aux xiie-xiiie siècles. Ce reste osseux, découvert dans le silo 10 de l’aile sud de la « casa » 1, présente plusieurs incisions superficielles en partie proximale. Ces stigmates conduisent les auteurs à s’interroger sur l’éventuelle consommation de ce charognard mais cette question reste ouverte. Enfin, les échantillons osseux issus du Castelo de Paderne (Algarve, Portugal xiie-xive siècles), contenaient un proximum de radius adulte24.

  • 25 Clark et al. 1989.

11Pour clore cette revue des mentions médiévales et modernes du vautour moine en Europe méridionale, signalons un unique reste mis à jour sur le site urbain italien du Palazzo Vitelleschi (Tarquinia, Viterbe)25. L’ossement est issu de la fosse 181, dont le comblement est daté de la fin du xive siècle.

12La fragilité des pièces osseuses d’oiseaux, particulièrement sensibles aux phénomènes de conservation et de préservation différentielles, constitue un premier écueil à une mise en évidence de spécimens de vautours sur les sites archéologiques. Par ailleurs, le corpus présenté reste intrinsèquement tributaire de l’activité archéologique, la densité des sites investigués restant inégale selon les zones géographiques envisagées. De même, les contextes fouillés étant, par essence, anthropisés, ils ne coïncident que très imparfaitement avec les zones d’habitat privilégiées de ces charognards. Des difficultés d’ordre méthodologique peuvent également survenir, tant au cours de la phase de terrain (modalités de collecte inadaptées) qu’au cours de la phase de laboratoire (difficulté d’une diagnose au rang spécifique). Enfin, il convient de garder à l’esprit que la bibliographie accessible demeure lacunaire, nombre de mentions n’étant pas publiées. En conséquence, les biais affectant le corpus constitué restent malheureusement irréductibles. Néanmoins, ce modeste travail de compilation autorise la formulation de quelques hypothèses préliminaires : cette approche vise notamment à tester la capacité de ce matériel faunique à refléter la réalité environnementale, économique ou sociale dans laquelle il s’est constitué.

3. Vautour errant ou marchandé ?

13Ce premier inventaire suffit donc à constater le caractère clairsemé que revêt la distribution spatiale des restes de vautour moine au cours des périodes médiévale et moderne, exception faite de la péninsule Ibérique. Partant, les contours de l’aire de répartition du vautour moine au xiiie-xive siècle demeurent difficiles à cerner : s’il demeure plausible que ce grand charognard s’aventure au-delà des limites actuelles de son territoire, le corpus archéozoologique, en l’état, interdit toute conclusion quant à sa fréquentation de la Saintonge médiévale.

  • 26 L’hypothèse d’un individu désorienté peut toujours être évoquée. Cependant, les juvéniles tendent p (...)
  • 27 Delort 1978, t. I, p. 10. Cette information est d’autant plus intéressante que l’île accueille enco (...)
  • 28 Ibid., t. I, p. 10, note 7.

14De plus, il est à noter que la fréquence des occurrences archéologiques augmente dans les zones de relief ou à leurs abords, circonstance s’accordant pleinement avec le comportement de l’animal. En ce sens, le territoire charentais convient peu aux exigences du vautour moine, ce qui rend d’autant plus inattendue sa présence aux abords du castrum de Broue26. Par ailleurs, il faut conserver à l’esprit que les occurrences françaises les plus septentrionales, soit la « Tour de Broue » et le monastère de La Charité-sur-Loire, correspondent à des centres élitaires. La relative aisance des occupants autorise donc, vraisemblablement, un approvisionnement en denrées moins communes. En effet, durant le bas Moyen Âge, les plumes de vautour font l’objet d’une revente dans toute l’Europe occidentale, les négociants s’approvisionnant notamment sur l’île de Majorque, où ces produits se négocient par oiseau ou par cent27. En France, ces denrées s’exposent sur les étaux des foires de Romans (Drôme) dès le milieu du xiiisiècle, ou se retrouvent dans les villes de Strasbourg (Bas-Rhin) ou de Dieppe (Seine-Maritime) au cours du xvsiècle28. En conséquence, l’analyse se doit de prendre en considération un possible négoce des produits du vautour, dès le Moyen Âge central.

  • 29 Van den Abeele 1990, p. 71.
  • 30 Belon 1555, p. 56.
  • 31 Ibid. ; sur un autre registre, les différentes espèces de vautours comptent parmi les animaux impur (...)

15En l’occurrence, l’intérêt qu’éveillent les plumes de vautour se lit dans les empreintes laissées sur l’ulna repéré dans la basse cour du château de Broue (fig. 4). Les stries marquant la diaphyse ne sont vraisemblablement pas liées à un décharnement de l’aile, la portion concernée offrant peu de chair. Il faut néanmoins noter que, si l’usage médiéval n’encourage pas la consommation des rapaces29, et peut-être à plus forte raison celle des charognards, le vautour n’en demeure pas moins comestible. Au xvie siècle, Pierre Belon du Mans indique que les petits vautours dénichés en Crète se révèlent moins savoureux qu’un chapon engraissé, mais cette expérience culinaire garde surtout valeur d’anecdote30. Par ailleurs, il cite les témoignages de fauconniers ayant estimé la chair d’adultes, rôtie ou bouillie, tendre et goûteuse. Pour autant, il admet que le profane éprouve de la répugnance pour cette viande31.

Fig. 4 Diaphyse d’ulna de vautour moine, présentant des stigmates de découpe. Tour de Broue (Saint-Sornin, Us 1158), xiiie-xive siècle.

Fig. 4 Diaphyse d’ulna de vautour moine, présentant des stigmates de découpe. Tour de Broue (Saint-Sornin, Us 1158), xiiie-xive siècle.

DAO B. Clavel

  • 32 Le dispositif anatomique maintenant les rémiges secondaires solidaires de l’ulna est illustré dans  (...)

16En l’occurrence, les stigmates voisinent les papilles d’insertion des rémiges, confortant plutôt l’hypothèse d’un prélèvement des plumes de l’oiseau. Au surplus, l’intervention est pratiquée au moyen d’une lame légère mais sans doute maniée avec une certaine insistance, ce qui concorde avec un tel geste : ôter les rémiges secondaires, puissamment implantées, est un exercice demandant une certaine persévérance32. Ce constat établi, il nous reste à nous interroger sur les utilisations possibles de la plume de vautour durant la période médiévale.

4. De l’usage de la penne de vautour

  • 33 Belon 1555, p. 83.
  • 34 Cassagnes-Brouquet 1998, p. 34.
  • 35 Malepeyre 1836, p. 77 : « Les tiges des plumes ont une double courbure légère et naturelle ; les pl (...)

17La plume de vautour peut servir à l’empennage des flèches, comme l’atteste Pierre Belon33, au xvie siècle : « Ils vendent aussi la plume des ælles, & de la queuë aux artillliers pour empenner leurs flesches. » Néanmoins, son discours se rapporte plutôt à des régions où le vautour est commun et où il a pu séjourner, en particulier l’Égypte et la péninsule arabique. Par ailleurs, les rémiges du vautour sont parfois usitées pour tracer des caractères, bien que la plume d’oie reste résolument plus courante34. Néanmoins, il est à noter que les pennes portées par l’ulna correspondent à des rémiges secondaires, ce qui ne fournit pas un produit idéal pour une plume destinée à l’écriture. Les rémiges primaires situées sur l’extrémité de l’aile (phalanges et carpométacarpes) et les rectrices (plumes de la queue) sont les plus recherchées. Au surplus, il s’agit d’un ulna droit, de sorte que les pennes obtenues sont réputées mieux convenir à un gaucher35.

  • 36 Pline l’Ancien 1963, 30.130 : « penna vulturina subiecta pedibus adiuvat parturientes ». D’autres s (...)
  • 37 Physiologos, éd. Zucker 2004, p. 143.
  • 38 Sébillot 1906, p. 204-205.
  • 39 Nicole Bozon 1889, p. 101 (Quod anime in purgatorio liberantur per missas et elemosinas).
  • 40 Marinelli 1585, p. 888.
  • 41 Prosperi 2007, p. 292.

18Les plumes du vautour participent également d’une pratique qui s’impose moins spontanément à l’esprit, laquelle consiste à placer ces éléments aux pieds des parturientes pour faciliter l’accouchement. Cette croyance, qui prend racine dans l’Antiquité, se trouve notamment rapportée par Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle36, et semble connaître une certaine faveur jusqu’au Moyen Âge37, malgré la rareté des sources textuelles l’attestant. L’un des rares témoignages auxquels nous ayons eu accès, signalé par l’ethnologue Paul Sébillot38, se trouve sous la plume du franciscain anglo-normand Nicole Bozon. Ses Contes moralisés, rédigés entre 1320 et 1350, laissent penser que les propriétés des plumes de vautour, telles que vantées par les Anciens, ne sombrent pas dans l’oubli au cours des temps médiévaux : « Si femme travaille de enfant e ne peot deliverance aver, pernez un penne ou deus de un oysel q’est appellé voutre, e fetez lier al pié senestre de ceste femme travaillant, e par cel penne trovera eide meigtenant »39. Dans la seconde moitié du xvie siècle, le médecin italien Giovanni Marinelli affirme encore : « les plumes de vautour liées sous la plante des pieds, font accoucher facilement »40. Son traité de gynécologie, centré sur l’obstétrique, rencontre un succès florissant en France : sa traduction connaît sept éditions entre 1570 et 1649, surtout imprimées à Paris mais également à Lyon et Rouen41.

  • 42 Van den Abeele 1994, p. 31-32.
  • 43 Ibid., p. 224 et 245.

19La plume de vautour intègre aussi ponctuellement la pharmacopée des fauconniers. Cet emploi figure encore au rang des applications que l’archéozoologue ne peut soupçonner sans se référer aux sources écrites, mais n’a cependant pas lieu d’étonner : les soins prodigués aux oiseaux de proie mettent à contribution les matières, entre autres animales, les plus variées. Ainsi, le Tractatus de sperveriis, traité des xiiie-xive siècle dédié aux éperviers42, conseille de maintenir un pansement imbibé d’une mixture d’encens, de bol d’arménie, de momie, de surpentum et de blanc d’œuf avec une plume de vautour fendue43. Ce dispositif, supposé favoriser la guérison des os brisés, doit être appliqué à la patte durant cinq jours et cinq nuits.

  • 44 Étienne Boileau et al. 1879, p. 205 (titre XCIII).
  • 45 Delort 1978, t. I, p. 10, note 5 ; Jolivet 2003, t. I, p. 83 et 415 ; t. II, p. 60 et 62.
  • 46 Delort 1978, t. I, p. 9-11.
  • 47 Ibid., t. I, p. 10.

20Se procurer le plumage d’un vautour pouvait enfin répondre à des préoccupations vestimentaires. Ainsi, des pennes agrémentaient peut-être les coiffures bien que, au xiiie siècle, Les métiers et corporations de la ville de Paris restent malheureusement muets sur les oiseaux pourvoyant les « chapeliers de paon » en matières premières44. La preuve la plus flagrante que le vautour incorporait bien le costume médiéval repose sur les « peaux » livrées à la cour de Bourgogne en 1432 et 143345. Ces produits sont fournis par les marchands pelletiers Jean de Lenchière et François Turch, respectivement établis à Bruges et à Bruxelles, pour l’habillement du fou Coquinet et du duc de Bourgogne. Il est à noter que la « penne » (penna) peut autant désigner la plume que la fourrure dans la terminologie médiévale46. La confusion ainsi occasionnée se trouve d’ailleurs encore entretenue par le fait que le commerce de la plume se trouve assumé par les pelletiers47. En revanche, l’expression pellis ne comporte pas cette ambiguïté, de sorte que l’emploi de la formule « peaux de vautours » (pelles vulturum), déconcertante au premier abord, mérite qu’on s’y attarde.

5. Le rapace dont on voulait la peau…

  • 48 Ibid.
  • 49 Belon, 1555 : p. 83. Il semblerait que le « grand vautour cendré » de Belon coïncide avec le « gran (...)
  • 50 Ibid., p. 84.
  • 51 Ibid.
  • 52 Jean de Franchières 1585, p. 106v.

21Au bas Moyen Âge, le trafic de dépouilles de vautours se concentre peut-être sur les rémiges de ces oiseaux, impliquant le plus souvent la seule vente des ailes (rémiges) et de la queue (rectrices)48. Néanmoins, la lecture de l’Histoire de la nature des oyseaux, composée au milieu du xvie siècle par Pierre Belon, engage à nuancer cette opinion. Dans le commentaire consacré au « grand Vautour cendré »49, l’auteur affirme : « Les paisants de Crete, & les autres qui habitent par les montaignes de divers païs, & ceux des plaines d’Égypte & Arabie deserte s’estudient de les prendre en diverses manieres. Et apres qu’ils les ont prins, ils les escorchent, à fin de vendre les peaux aux pelletiers, qui les sçavent conroyer, & accoustrer soigneusement ». L’auteur ajoute : « Les pelletiers sçavent tirer les plus grosses plumes de la peau des Vautours laissants le duvet, qui est au dessous, & ainsi le conroyent faisants pelices, qui valent grand somme d’argent »50. Cette description confirme que, débarrassée de ses tectrices, la peau de vautour garnie de son duvet fait bien l’objet d’un commerce à part entière. Sur le plan vestimentaire, Belon précise que la rareté de la peau de vautour dans les contrées françaises limite son usage aux ornements : « Estants en Égypte, & es plaines de l’Arabie deserte avons observé, que les Vautours y sont frequents & grands : parquoy est à penser qu’il n’en fault que quelque couple de douzaines pour en fourrer une robe, toutefois qu’en France en faisons seulement les parrures ». Par ailleurs, au sujet des précieuses pelisses apprêtées dans les régions qu’il a eu l’occasion de parcourir, le naturaliste remarque : « en France s’en servent le plus à faire pieces pour mettre sur l’estomach »51. Dans son Recueil de tous les oiseaux de proye qui servent à la vollerie & fauconnerie, Guillaume Bouchet fait écho de cet usage français. Selon lui, le « grand vautour cendré » est « congneu plustot par la peau qu’autrement, parce que les pelletiers ont coustume d’en faire des pelisses pour mettre sur l’estomach »52. Cependant, il s’agit d’un épigone de Belon, de sorte que la valeur de sa déclaration reste relative.

  • 53 Estienne, Liébault 1564, fol. 153r. La première édition latine du traité, publiée en 1554 sous le t (...)
  • 54 Estienne, Liébault 1564, fol. 152v.
  • 55 Ibid., fol. 16r.

22La même assertion se trouve reprise dans un ouvrage d’agronomie des plus renommés, L’agriculture et maison rustique, dû à Charles Estienne. En effet, en 1564, le traité de fauconnerie augmentant la traduction en langue vernaculaire de l’ouvrage signale que le « vautour » est « cogneu en ce pays plustost par sa peau & plumes qu’autrement, parce que les peletiers ont coustume d’en faire pelisses pour mettre sur l’estomach »53. Les développements sur le « vautour », d’ailleurs décrit de façon générique, trahissent néanmoins une reprise servile, et au demeurant largement tronquée, de textes antérieurs. Quelques remarques de la main de l’auteur traduisent d’ailleurs une grande méconnaissance du comportement de ces charognards. On relèvera notamment la classification de cet oiseau de rapine parmi les rapaces convenant à la chasse au vol54 ou la recommandation selon laquelle il est nécessaire d’aménager un abri auprès de la mare pour garantir les canards et autres oiseaux d’eau « des chats & belettes, du milan, de l’aigle, & du vautour »55.

  • 56 La première édition de l’ouvrage de Jean de Varanda, en langue latine, n’intervient que l’année de (...)
  • 57 Varanda 1666, p. 371 ; Mauriceau 1681, p. 127 et 146.
  • 58 Serres 1600, p. 915.

23Remarquons que l’usage proposé de la peau de vautour, en application sur le ventre, laisse soupçonner une visée prophylactique. En effet, cet élément intègre la pharmacopée, au plus tard durant la Renaissance, car il est réputé favoriser la digestion. Ainsi, à la charnière des xvie et xviie siècles56, puis dans le courant du xviie siècle, le médecin nîmois Jean de Varanda et le chirurgien parisien François Mauriceau préconisent de porter la peau d’un vautour sur le ventre, entre autres remèdes, pour soulager les nausées des femmes enceintes57. De même, dans son célèbre Théâtre d’agriculture, Olivier de Serres incite ceux souffrant du « mal de l’estomach » de se prémunir du froid et prodigue notamment ce conseil : « Portera contre l’Estomach, une piece de drap de laine, taincte en escarlate, saupoudree avec du girofle, de la canelle, & autres poudres aromatiques : ou bien une peau de vautour, ou autre délicate fourreure pour lui conserver la chaleur »58.

  • 59 Belon 1555, p. 83-84.
  • 60 Jean de Franchières 1585, fol. 107r : « Leur peau est quasi aussi espoisse que celle d’un Chevreau  (...)
  • 61 Belon 1555, p. 84.
  • 62 Ibid., p. 84-85

24Pierre Belon dresse une description complète des qualités de la peau du « grand vautour cendré », la comparant tour à tour à celle du chevreau, du veau ou à de la soie : « Leur peau est quasi aussi espesse que celle d’un chevreau : & mesmement lon trouve un endroit au dessoubs de leur gorge, de la largeur de la paulme, ou la plume est rougeatre, semblable au poil d’un veau : car telle plume n’a point ses tuyaux formez, non plus que aux deux costez du collet, & au dessus du ply des ælles : auquel endroit le duvet est si blanc, qu’il en est luisant & délié comme soye »59. Douze ans plus tard, cet exposé sera repris mot pour mot par Guillaume Bouchet60. L’auteur de l’Histoire de la nature des oyseaux vante la qualité de ce matériau, assurant qu’à « peine pourroit lon croire que les peaux en fussent si fortes, qui ne l’auroit veu »61. Au surplus, il élève certaines pièces à la hauteur des fourrures les plus luxueuses : « Qui seroit au Caire, & iroit voir les marchandises par les Basestans qui sont exposees en vente, trouveroit des vestements de fine soye fourrez de peaux de Vautours, tant des noirs, que des blancs. […] Les blancs ont le duvet si blanc, qu’on jugeroit estre la peau de fine fourrure d’hermine ou regnards blancs. Aussi est elle plus belle que des noirs »62. Cette précision laisse penser que le vautour moine, arborant un plumage sombre, était peut-être moins prisé que le vautour fauve ou le vautour percnoptère.

6. De la penne au duvet ?

  • 63 Ibid., p. 85.

25A priori, l’ulna de vautour moine découvert à la Tour de Broue, soit un élément participant à la charpente osseuse des ailes, semble n’entretenir aucun lien évident avec l’usage et la circulation de peaux de vautour. Néanmoins, un dernier extrait de Pierre Belon conduit à s’interroger : « Voulons encor faire sçavoir […] que les estrangers, qui apportent vendre diverses peaux d’animaux pour fourrures, les nous apportent entiëres, ayants encor leurs pieds, leurs testes, & ælles avec toutes la peau : lesquels lon peut recognoistre & observer les uns des autres, & les distinguer d’avec les peaux d’Aigles »63.

26Il faut d’abord admettre que ces quelques lignes, pour édifiantes qu’elles soient, appartiennent au xvie siècle et demeurent donc bien ultérieures à la période qui intéresse notre vestige osseux. Par ailleurs, l’auteur s’attache ici à défendre la rigueur de ses observations et, par là même, l’exactitude de ses descriptions. Par conséquent, il ne peut être exclu que les peaux de vautour ne soient pas communément présentées sous cette forme aux acquéreurs : les préoccupations scientifiques de Belon conduisent éventuellement ce dernier à formuler des exigences inhabituelles auprès des fournisseurs, ou du moins à orienter ses recherches vers les pièces les moins apprêtées. Enfin, les « estrangers » désignent sans doute les marchands locaux, rencontrés au cours de ses déplacements dans les régions orientales de la Méditerranée, plutôt que les négociants acheminant les marchandises jusqu’aux villes portuaires françaises. Malgré toutes ces objections, et aussi fragile que soit cette hypothèse, la possibilité que l’aile de vautour soit encore solidaire de la peau lorsqu’elle parvient au château de Broue, débarrassée ou non de ses rémiges en amont, mérite d’être considérée.

7. Un oiseau de volière ?

  • 64 Van den Abeele 1990, p. 8, note 28.
  • 65 Frédéric II de Hohenstaufen 2000, trad. B. Van den Abeele et A. Paulus.
  • 66 Van den Abeele 2015.

27En dernier lieu, il est tentant d’imaginer que l’ulna étudié provient d’un individu captif, entretenu pour le divertissement des élites séjournant dans l’enceinte castrale. Si le comportement de charognard du vautour le rend impropre à la chasse au vol64, cet « oiseau de rapine » intègre parfois les fauconneries au titre d’animal d’apparat. Ainsi, au xiiie siècle, l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen a sans nul doute détenu des vautours, comme le prouve la lettre de son traité de fauconnerie De arte venandi cum avibus65. Outre des remarques démontrant la familiarité de l’auteur avec les mœurs des spécimens sauvages, sa tentative de coudre les yeux d’un vautour pour évaluer ses capacités olfactives et visuelles suppose nécessairement un oiseau à sa disposition. Cette dernière pratique, courante durant l’affaitage des oiseaux de proie, procède cependant plus volontiers d’une profonde curiosité que d’une volonté de dresser l’animal : l’expérience vise à vérifier l’opinion selon laquelle les vautours jouissent d’un odorat remarquable66.

  • 67 La Marck 1838, p. 9.
  • 68 Belon 1555, p. 83.
  • 69 Ibid., p. 85.
  • 70 Jean de Franchières 1585, p. 107r.

28Deux siècles plus tard, le recueil des indices suggérant l’existence de vautours maintenus en captivité s’étoffe, bien que ces gages soient de valeur inégale. Ainsi, dans le premier quart du xvie siècle, au sujet de la fauconnerie royale, Robert III de La Marck affirme que les fauconniers suivent François Ier dans tous ses déplacements, « osté que, quand ce vient à l’esté, ils vont mettre leurs oyseaux en muë ; mais tousjours il en demeure quelques-uns pour voler les perdreaux avec les vautours, les lénerets et les tiercelets »67. Cependant, un vautour étant inapte à chasser le perdreau, nous pouvons légitimement nous interroger sur l’exactitude de ce passage. Au milieu du siècle, dans son Histoire de la nature des oyseaux, Pierre Belon écrit : « Le Roy Françoys père nourrissier des lettres (que Dieu absolve) avoit un grand oyseau de rapine, lequel, à ce qu’on dit, luy fut nommé un Miliő. Plusieurs nous ont raporté l’avoir veu à Fontainebleau, & ayants ouï les enseignes, pensons que ce fust Vautour »68. Pour autant, l’autorité de l’éminent « naturaliste » ne s’exerce que sur des descriptions orales… En revanche, afin d’étayer le fait que les vautours « noirs » et les vautours « blanchâtres » ou « bruns » doivent être tenus pour deux espèces distinctes, il tire argument des diverses occasions qui lui ont fourni matière à comparaison. Il précise notamment qu’on « les voit souvent es courts des grands seigneurs : parquoy n’avons pas eu si grande difficulté à en recouvrer les portraicts »69. Dans son Recueil de tous les oiseaux de proye qui servent à la vollerie & fauconnerie, Guillaume Bouchet assure également : « on les voit souvent chez les grans seigneurs, aussi communs les uns que les autres »70. Néanmoins, le traité de Guillaume Bouchet, édité pour la première fois à Poitiers en 1567, s’inspire très largement de la somme de Pierre Belon, publiée douze ans auparavant. Aussi a-t-on tout lieu de croire que l’auteur ne fait que reprendre à la lettre le texte de son illustre prédécesseur.

29De ces quelques mentions ressort d’abord la confusion faite entre oiseaux de vol et de rapine, et plus encore, entre espèces de vautour. Par ailleurs, les rares sources textuelles incitent à penser que la possession d’un tel oiseau demeure l’apanage de quelques grands privilégiés, même encore à la Renaissance. L’hypothèse selon laquelle le castrum de Broue a pu abriter un vautour, qui plus est un vautour moine, semble donc très aventurée. Par ailleurs, les amateurs de chasse au vol paraissent les plus susceptibles d’acquérir un vautour : l’oiseau de rapine peut alors se concevoir comme un ornement, ajoutant à un prestige d’abord conféré par l’équipage de volerie. Or aucun vestige archéologique ne suggère l’existence d’une volière. D’un point de vue archéozoologique, l’assemblage ne livre qu’un unique reste osseux attribuable à un oiseau de proie, provenant d’ailleurs d’une unité stratigraphique différente de celle contenant l’ossement de vautour moine (Us 1340). La pièce appartient à un rapace nocturne, une chouette chevêche (Athene noctua), dont l’affaitage est d'ailleurs possible mais mal attesté. Pour séduisante qu’elle soit, la thèse d’un vautour en captivité doit donc être abandonnée.

Conclusion

30En définitive, la découverte d’un reste de vautour moine dans les assemblages de la seconde moitié du xive siècle, issus de la basse cour du castrum de Broue, revêt un caractère exceptionnel. Ce vestige suggère que le rapace ne se cantonnait pas aux reliefs du pourtour méditerranéen durant la période médiévale ou que certains produits de ce volatile suscitaient un réel intérêt au cours du Moyen Âge central et du bas Moyen Âge. Cette seconde hypothèse nous semble devoir d’ailleurs être privilégiée. En outre, les pennes des différentes espèces de vautour n’éveillent pas seules les convoitises : leur peau duveteuse sert bel et bien à la confection de certaines pièces d’habillement et, du moins au xvie siècle, est tenue en haute estime.

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Notes

1 Opération programmée menée sous la direction d’Éric Normand (SRA Nouvelle-Aquitaine, UMR 7302, CESCM) et d’Alain Champagne (Université de Pau, EA 3002, ITEM).

2 Van Den Abeele 2016.

3 La méthode s’applique principalement aux ulnae de vautours converties en instruments de musique, le travail de l’os ayant alors oblitéré la plupart des caractères morphologiques pertinents. La démarche se trouve décrite, entre autres, dans : Moreno-García, Pimenta 2004 et Moreno-García, Pimenta, Gros 2005.

4 Les recherches bibliographiques menées n’ont pas enrichi le corpus déjà établi par Audoin-Rouzeau 1993 et Pascal et al. 2006, p. 101-102. Incidemment, ces travaux répertorient également les attestations d’autres vautours, tels que le gypaète barbu, le vautour percnoptère ou le vautour fauve. Cependant, nous avons choisi de nous concentrer sur le vautour moine, taxon mis en évidence sur le site de la Tour de Broue.

5 Audoin-Rouzeau 1986, p. 141 ; Audoin-Rouzeau 1993, p. 65. L’identification de l’avifaune a été effectuée par Joëlle Pichon.

6 Démians d’Archimbaud 1980, p. 429-430 ; Jourdan 1980, p. 233. L’examen ostéologique est dû à Cécile Mourer-Chauviré.

7 Les occurrences citées recouvrent celles relevées par : l, Stanc, Bejenaru 2010. Nous écartons cependant de l’analyse les restes, trop mal datés pour être pertinents, issus du site d’Am Hetelberg près de Gielde en Basse-Saxe (occupé du début ier siècle au viiie siècle ; Schaal 1968) et du site fortifié slave, fondé au ixe siècle, de Demblin en Pologne (Piehler 1976).

8 Groot, Ervynck, Pigière 2010.

9 Piehler 1976.

10 Reischtein 1986 ; Reischtein, Pieper 1986.

11 Kunst 2000, cité dans : Gál, Stanc, Bejenaru 2010.

12 Bökönyi 1974 ; Jánossy 1985.

13 Gál, Stanc, Bejenaru 2010.

14 Si l’abondance du vautour moine dans ces régions aux époques concernées ne saurait être remise en cause, elle est sans doute d’autant mieux démontrée par les remarquables efforts fournis pour inventorier l’avifaune archéologique : Hernández Carrasquilla 1993 ; Id. 1994 ; Pimenta, Moreno-García, Lourenço 2015.

15 Moreno-García, Pimenta 2004 ; Moreno-García, Pimenta, Gros 2005 ; Moreno-García, Pimenta 2006 ; Moreno- García, Pimenta 2007a ; Moreno-García, Pimenta 2007b ; Moreno-García, Pimenta 2010.

16 À ces quatre cas établis s’ajoutent plusieurs artefacts attribués génériquement au « vautour », une détermination au rang spécifique n’ayant pu être établie. Peuvent ainsi être cités les deux exemplaires andalous de la Calle San Fernando (Séville, xiiie siècle) et de la ville de Jaén (xiie-xiiie siècle), ainsi qu’un autre fragment issu du site d’Alarcos (Ciudad Real, xiie-xiiie siècle), exhumé à proximité de la barbacane de la grande tour pentagonale de l’Alcazaba. Concernant l’aire portugaise, plusieurs fragments datés de la période islamique (viiie-xve siècle) proviennent encore de Mértola (Encosta do Castelo, Câmara Municipal, Alcáçova, Rossio do Carmo). Enfin, un second fragment issu des silos de la ville de Beja (xve-xvie siècles) et des Paços do Concelho (Torres Vedras, xviie siècle) peuvent encore être mentionnés. Voir : Moreno-García, Pimenta, Gros 2005 ; Moreno-García, Pimenta 2006 ; Moreno-García, Pimenta 2007b ; Moreno-García, Pimenta 2010 ; Pimenta, Moreno-García 2010.

17 Moreno-García, Pimenta 2010.

18 Moreno-García, Pimenta 2007b.

19 Moreno-García, Pimenta, Gros 2005 ; Moreno-García, Pimenta 2006 ; Moreno-García, Pimenta 2007b. La détermination spécifique repose sur l’évaluation ostéométrique du positionnement du foramen nourricier sur la diaphyse.

20 Pimenta, Moreno-García 2010.

21 Les inventaires consacrés à l’avifaune ancienne collectée dans la péninsule Ibérique (Hernández Carrasquilla 1993 ; Id. 1994) et au Portugal (Pimenta, Moreno-GarcÍa, Lourenço 2015) répertorient également les sites de Mértola (Alentejo, Portugal ; xie-xiie siècle) et du Castillo de Albarracín (Teruel, Espagne ; xisiècle). Cependant, nous n’avons pas pu établir avec certitude si ces deux mentions se réfèrent aux instruments de musique évoqués précédemment ou si d’autres restes de vautour moine y ont été mis en évidence.

22 Morales-Muñiz et al. 1992.

23 Moreno-GarcÍa et al. 2008.

24 Pereira 2013.

25 Clark et al. 1989.

26 L’hypothèse d’un individu désorienté peut toujours être évoquée. Cependant, les juvéniles tendent plus volontiers à s’égarer que les adultes et il est à préciser que l’aspect de l’ulna étudié se rapporte à un sujet mature.

27 Delort 1978, t. I, p. 10. Cette information est d’autant plus intéressante que l’île accueille encore actuellement des colonies de vautour moine.

28 Ibid., t. I, p. 10, note 7.

29 Van den Abeele 1990, p. 71.

30 Belon 1555, p. 56.

31 Ibid. ; sur un autre registre, les différentes espèces de vautours comptent parmi les animaux impurs cités dans l’Ancien Testament (Lévitique 11, 13-14).

32 Le dispositif anatomique maintenant les rémiges secondaires solidaires de l’ulna est illustré dans : Moreno-García, Pimenta 2004, p. 411, fig. 3. La photographie documente cependant la préparation d’un vautour fauve (Gyps fulvus).

33 Belon 1555, p. 83.

34 Cassagnes-Brouquet 1998, p. 34.

35 Malepeyre 1836, p. 77 : « Les tiges des plumes ont une double courbure légère et naturelle ; les plumes extraites de l’aile droite, en supposant qu’on les tient dans la position que prend la main en écrivant, sont infléchies à droite. Ces dernières sont préférables pour écrire, parce qu’elles prennent naturellement une position plus commode dans la main qui les dirige ». De fait, certains calligraphes préfèrent les plumes de l’aile gauche (dont le tuyau s’oriente vers la droite) à celles de l’aile droite, qui s’orientent vers la gauche.

36 Pline l’Ancien 1963, 30.130 : « penna vulturina subiecta pedibus adiuvat parturientes ». D’autres sources antiques et altomédiévales font état du même usage médical des plumes notamment dans trois courts écrits : le chapitre correspondant du Liber medicinae ex animalibus attribué à Sextus Placidus, celui du livre 3 des Cyranides, et l’Epistula vulturis, d’un auteur anonyme (Teresa, Hernández 2001, p. 1-10). On y retrouve le remède destiné aux parturientes inspiré de Pline.

37 Physiologos, éd. Zucker 2004, p. 143.

38 Sébillot 1906, p. 204-205.

39 Nicole Bozon 1889, p. 101 (Quod anime in purgatorio liberantur per missas et elemosinas).

40 Marinelli 1585, p. 888.

41 Prosperi 2007, p. 292.

42 Van den Abeele 1994, p. 31-32.

43 Ibid., p. 224 et 245.

44 Étienne Boileau et al. 1879, p. 205 (titre XCIII).

45 Delort 1978, t. I, p. 10, note 5 ; Jolivet 2003, t. I, p. 83 et 415 ; t. II, p. 60 et 62.

46 Delort 1978, t. I, p. 9-11.

47 Ibid., t. I, p. 10.

48 Ibid.

49 Belon, 1555 : p. 83. Il semblerait que le « grand vautour cendré » de Belon coïncide avec le « grand vautour » de Buffon, soit le vautour moine. Cependant, les descriptions de Belon, notamment concernant l’Égypte, sont en contradiction avec cette proposition, les vautours fauves ou percnoptères y étant bien mieux représentés.

50 Ibid., p. 84.

51 Ibid.

52 Jean de Franchières 1585, p. 106v.

53 Estienne, Liébault 1564, fol. 153r. La première édition latine du traité, publiée en 1554 sous le titre Praedium rusticum, est bien antérieure à la somme de Belon du Mans mais n’était pas encore assortie des développements sur la fauconnerie, manifestement moins inspirés.

54 Estienne, Liébault 1564, fol. 152v.

55 Ibid., fol. 16r.

56 La première édition de l’ouvrage de Jean de Varanda, en langue latine, n’intervient que l’année de sa mort, en 1617.

57 Varanda 1666, p. 371 ; Mauriceau 1681, p. 127 et 146.

58 Serres 1600, p. 915.

59 Belon 1555, p. 83-84.

60 Jean de Franchières 1585, fol. 107r : « Leur peau est quasi aussi espoisse que celle d’un Chevreau : & mesmement lon trouve un endroict au dessoubs de leur gorge, de la largeur d’une paume, où la plume est rougeastre, semblable au poil d’un Veau : car telle plume n’a point ses tuyaux formez, non plus qu’aux deux costes du collet, & au dessus du ply des aisles : auquel endroict le dumet est si blanc, qu’il en est luysant, & délié comme soye. »

61 Belon 1555, p. 84.

62 Ibid., p. 84-85

63 Ibid., p. 85.

64 Van den Abeele 1990, p. 8, note 28.

65 Frédéric II de Hohenstaufen 2000, trad. B. Van den Abeele et A. Paulus.

66 Van den Abeele 2015.

67 La Marck 1838, p. 9.

68 Belon 1555, p. 83.

69 Ibid., p. 85.

70 Jean de Franchières 1585, p. 107r.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 Localisation du site de Broue (Saint-Sornin, Charente-Maritime) et vue du donjon.
Crédits Cl. B. Clavel, DAO B. Clavel et É. Normand
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/30332/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1005k
Titre Fig. 2 Distribution des restes de vautour moine (Aegypius monachus, écofacts et artefacts) au cours des périodes médiévale et moderne.
Crédits D’après Audoin-Rouzeau 1993 ; Démians d’Archimbaud 1980 ; Jourdan 1980 ; Gál, Stanc, Bejenaru 2010 ; Hernández Carrasquilla 1993 ; Id. 1994 ; Moreno-García, Pimenta, Gros 2005 ; Moreno-García, Pimenta 2006 ; Moreno-García, Pimenta 2007b ; Moreno-García, Pimenta 2010 ; Pimenta, Moreno-García 2010 ;Pimenta, Moreno-García, Lourenço 2015 ; DAO : B. Clavel
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/30332/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 833k
Titre Tableau 1 Liste des sites médiévaux ayant livré des ossements de vautours moines travaillés ou non.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/30332/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 551k
Titre Fig. 3 Aire de répartition du vautour moine, actuelle et à la fin de la période moderne.
Crédits D’après Meyburget al.2016 ; Petersonet al.2012 ; SnowetPerrins 1998 ; Terrasse 1989 ; DAO B. Clavel
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/30332/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 626k
Titre Fig. 4 Diaphyse d’ulna de vautour moine, présentant des stigmates de découpe. Tour de Broue (Saint-Sornin, Us 1158), xiiie-xive siècle.
Crédits DAO B. Clavel
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/30332/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 683k
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Pour citer cet article

Référence papier

Maude Barme et Benoît Clavel, « Un os de vautour dans la basse cour du château de Broue (xive siècle, Saint-Sornin, Charente-Maritime) »Archéologie médiévale, 50 | 2020, 121-133.

Référence électronique

Maude Barme et Benoît Clavel, « Un os de vautour dans la basse cour du château de Broue (xive siècle, Saint-Sornin, Charente-Maritime) »Archéologie médiévale [En ligne], 50 | 2020, mis en ligne le 15 février 2021, consulté le 19 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/archeomed/30332 ; DOI : https://doi.org/10.4000/archeomed.30332

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Auteurs

Maude Barme

Centre de Recherche Archéologique de la Vallée de l’Oise (CRAVO), Compiègne

Benoît Clavel

Archéozoologie, Archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements (AASPE), Muséum national d’histoire naturelle, CNRS, CRAVO, Compiègne

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Droits d’auteur

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