Châteauroux (Indre). Avenue des Marins
Notes de la rédaction
Organisme porteur de la fouille : Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine
Texte intégral
1La fouille programmée réalisée en 2019 dans le quartier des Marins de Châteauroux correspond à la seconde campagne d’intervention après celle de l’année 2018. Cette recherche a été motivée par l’opportunité de documenter un éventuel cimetière juif localisé en sortie de la cité au Moyen Âge et mentionné dans ce secteur sur un plan du xviiie s.
2En 1997, la construction d’une résidence immobilière à l’emplacement supposé d’une partie de l’ancien cimetière juif de la ville avait motivé la réalisation d’une courte fouille de sauvetage sur 10 m², livrant alors le reste du site (565 m²) à la destruction. Ses résultats avaient permis de confirmer la présence de structures funéraires, avec notamment dix tombes d’enfants (de six mois à huit ans) inhumés en cercueil de bois cloué. Toutefois, aucune preuve directe d’un lien avec la communauté juive (comme des caractères hébraïques) n’avait pu être mise en évidence. L’appartenance à celle-ci n’était donc supposée que par quelques faibles indices comme la datation xiiie s. (conforme à une présence juive dans la ville à cette période), mais aussi l’utilisation de cercueils de bois, le non-recoupement des sépultures ou le regroupement des plus jeunes dans un secteur réservé du cimetière. Ces pratiques, évoquées dans les sources textuelles et iconographiques, ne s’opposaient donc pas formellement au rattachement à cette communauté religieuse.
3Suite à cette première approche, une recherche documentaire fut menée durant 20 ans, révélant la rareté des fouilles dans ce domaine en France. Pour cette raison, une analyse comparative s’avérait impossible pour le territoire français et la nécessité d’une fouille programmée fut envisagée sur l’un des 116 cimetières juifs médiévaux recensés pour la France. Le choix de Châteauroux fut retenu en raison notamment de la bonne connaissance que nous avions du site suite à l’intervention de 1997 et surtout d’un éventuel aménagement de la seule parcelle accessible (non bâtie) dans le secteur supposé du cimetière qui aurait pu, comme précédemment, conduire à la disparition des derniers vestiges.
4Les deux récentes campagnes de fouilles ont mis au jour 46 nouvelles tombes, dont deux doubles, qui s’ajoutent ainsi à celles exhumées en 1997. L’organisation des sépultures est particulièrement soignée, comme le révèle la mise au jour d’au moins sept rangées N-S disposées de part et d’autre d’un espace de circulation interne au cimetière. Les fosses orientées selon un axe O-E ne se recoupent que très rarement.
5Les 48 individus dénombrés sont majoritairement des adultes des deux sexes auxquels s’ajoutent quelques adolescents et, plus rarement, de jeunes enfants. Les corps étaient tous disposés en position allongée sur le dos avec les membres inférieurs en extension et non croisés. La position des mains était exclusivement basse, le long du corps ou sur le pubis. Les crânes, tous orientés à l’ouest, étaient dans de nombreux cas maintenus par des pierres de calage.
6L’observation des ossements a permis de déterminer que les corps se sont décomposés dans des espaces vides. Si la présence de nombreux clous à la périphérie des squelettes permet d’identifier des cercueils, leur absence ou leur rareté dans d’autres fosses ainsi que la faible largeur de certains creusements suscitent des questions (cercueils chevillés ? Brancard et couverture de bois ?).
7Aucun mobilier porté par le défunt ou déposé intentionnellement dans la tombe n’ayant été reconnu, la datation a été approchée par l’unique monnaie (résiduelle), les quelques tessons mis au jour dans les comblements de fosses, mais aussi, et surtout, par les datations C. L’horizon chronologique obtenu est principalement celui des xiiie et xive s., mais l’un des individus pourrait relever du xiie s., témoignant alors d’une progression des creusements de l’est vers l’ouest.
8Aucune stèle ou fragment de stèle n’a été mis au jour. Il s’agit pourtant d’un dispositif de signalisation de tombes très classique dans les cimetières juifs selon les sources textuelles et iconographiques et quelques cas archéologiques documentés en Europe. À Châteauroux, au regard de l’extrême rationalisation de l’espace funéraire et de l’organisation rigoureuse des tombes qui ne se recoupent pratiquement jamais, ces stèles ont dû exister. Leur absence s’explique certainement par une récupération de celles-ci après l’expulsion définitive des communautés du royaume de France comme cela a été pratiqué dans la plupart des cimetières juifs.
9Si aucune preuve formelle n’atteste donc le lien avec la communauté juive médiévale de la ville, plusieurs indices permettent de confirmer indirectement ce rattachement. En premier lieu, l’organisation de l’espace funéraire et la rareté des recoupements est en tout point conforme aux autres exemples archéologiques en Europe dans des contextes similaires, alors que les cimetières chrétiens de la même époque livrent tous des taux de recoupement bien plus élevés.
10De la même façon, la position basse des mains est une constante dans les tombes des cimetières juifs d’Europe et suggère donc un lien avec ces communautés. En effet, si de telles dispositions des membres s’observent aussi dans les cimetières chrétiens contemporains, les taux sont là encore beaucoup plus faibles et les pratiques plus diversifiées, avec notamment des mains en position haute (abdomen, torse, épaules).
11D’autres éléments renforcent cette hypothèse, comme la localisation du site en dehors de l’enceinte urbaine et l’éloignement du lieu de culte (synagogue), qui sont un fait caractéristique de ces ensembles funéraires. Enfin, les datations obtenues sont parfaitement cohérentes avec les textes mentionnant une expulsion définitive des juifs du royaume en 1394.
12Le croisement de l’ensemble de ces critères permet donc de confirmer que les tombes mises au jour sont bien celles de la communauté juive vivant à Châteauroux et dans les environs. Il s’agit, pour le moment, de la plus importante fouille jamais réalisée en France dans un cimetière juif. Les résultats feront référence pour le territoire métropolitain et faciliteront les comparaisons de données avec d’autres sites en Europe ou en France à l’occasion de futures fouilles préventives.
Table des illustrations
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Titre | Châteauroux, Avenue des Marins, vue de quatre sépultures. |
Crédits | Cl. N. Holzem/Inrap |
URL | http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/34368/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 637k |
Pour citer cet article
Référence papier
Philippe Blanchard, « Châteauroux (Indre). Avenue des Marins », Archéologie médiévale, 50 | 2020, 341-342.
Référence électronique
Philippe Blanchard, « Châteauroux (Indre). Avenue des Marins » [notice archéologique], Archéologie médiévale [En ligne], 50 | 2020, mis en ligne le 15 février 2021, consulté le 12 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/archeomed/34368 ; DOI : https://doi.org/10.4000/archeomed.34368
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