1Le château de Caen et les îlots urbains établis au pied de son système fossoyé ont fait l’objet de 23 interventions archéologiques et de nombreuses études architecturales partielles depuis 1949. La documentation dispersée issue de ces travaux, tout comme l’énorme corpus textuel et iconographique conservé, sont aujourd’hui difficiles à embrasser pour le millénaire d’occupation qu’a connu ce site. La mise en place d’un projet collectif de recherche, associant – entre autres – des archéologues, des historiens et des historiens de l’art, paraissait donc nécessaire pour envisager une lecture plus globale de ce monument complexe et de son environnement immédiat, pour appuyer en aval et en amont les opérations de fouilles ou de relevés et pour fournir des éléments utiles au vaste programme de restauration et de mise en valeur du site initié en 2017. La première année de cette opération, qui associe le Centre Michel de Boüard – Craham, la Mairie de Caen, l’Inrap et la Fabrique de patrimoines en Normandie, a réuni vingt-cinq participants.

2L’histoire de ce vaste château (5,2 ha hors défenses avancées) peut être scindée en quatre grandes étapes. Entre sa fondation au milieu du xi^e s. par Guillaume le Conquérant et le début du xiii^e s., le complexe castral s’organise en deux pôles : un secteur palatial et administratif d’une part, et le quartier d’habitat qui se dresse autour de l’église paroissiale Saint-Georges, d’autre part. Après la conquête de la Normandie par Philippe-Auguste (1204), le site conserve cette organisation bipartie et voit s’accroître ses défenses, mais sa partie résidentielle n’abrite plus en temps normal que des officiers de la Couronne. Au cours de la période moderne, le château évolue vers un lieu de garnison et de stockage de l’artillerie, perdant progressivement sa fonction stratégique. Sa population civile s’efface au profit des bâtiments d’une caserne qui fut occupée jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Fortement altéré par les bombardements de 1944, le château de Caen devient par la suite le site patrimonial qu’il est aujourd’hui, au prix de l’effacement de nombreux témoins de son histoire moderne et contemporaine.

3Cette première année du projet a été principalement consacrée à rassembler des corpus de données et à créer les outils permettant de les articuler. La rareté relative des textes conservés pour la période allant du xi^e au début du xiv^e s. tranche avec la documentation pléthorique issue de la fin du Moyen Âge. Le dépouillement systématique du fond de la Chambre des Comptes pour les années 1336-1449, du plus ancien registre de tabellionage conservé à Caen (1410-1416) et du cartulaire du Trésor de l’église Saint-Pierre de Caen, compilé en 1495, a en effet fourni près d’un millier de mentions concernant le château et son proche environnement. Pour la période moderne et le xix^e s., un premier lot de sources écrites intéressant l’histoire du château entre le début du xvi^e et le milieu du xviii^e s. a été complété par l’analyse des registres paroissiaux de Saint-Georges-du-Château pour la période 1739-1791 ainsi que par la numérisation des archives du Génie, source essentielle pour analyser l’évolution du monument à partir de 1699. Parallèlement, près de 400 documents graphiques, réalisés entre la fin du xvi^e s. et les années 1880, ont été numérisés et indexés. Enfin, les archives de la Reconstruction ont permis de documenter la disparition de la caserne et les premiers temps de l’usage patrimonial du site.

4Le second volet de ce programme annuel visait à actualiser et à compléter la documentation graphique disponible. Il a permis d’initier la réalisation d’un plan topographique du château, qui n’existait pas à ce jour, et l’élaboration d’un système d’information géographique articulant les bâtiments en élévation, les structures archéologiques et les plans anciens. D’autre part, les méthodes permettant de relever la riche collection de graffitis dispersés dans l’enceinte ont fait l’objet de plusieurs tests, qui ont révélé la pertinence de la Reflectance Transformation Imaging (RTI). Enfin, un dernier axe d’enquête porte sur la synthèse des différentes collections de mobilier livrées par les opérations archéologiques : il a donné lieu à un catalogue des monnaies et méreaux médiévaux et modernes découverts dans le château et à ses abords.

5À l’issue de cette première année de collecte, il serait évidemment prématuré de proposer une nouvelle lecture du site, mais cette documentation permet déjà de définir les orientations qui contribueront à renouveler l’histoire du château de Caen. L’articulation entre les deux parties du site primitif, l’évolution de la zone palatiale et du quartier Saint-Georges depuis le xi^e s., les mutations successives de la population castrale, le rejet aux abords de la fortification de la population civile et d’un certain nombre de fonctions administratives au début des Temps modernes, sont au nombre des thèmes qui apparaissent les plus prometteurs.