1Une fouille archéologique menée en 2019 et 2020 a mis au jour des cuisines monumentales dans la basse cour du château de Coucy. Construites dès 1402 et avant 1407, elles sont partiellement connues par un toisé de 1403 et par une quittance de livraison de pierres effectuée durant l’hiver 1402-1403, seuls documents attestant de l’existence de ces cuisines en amont des fouilles. Cet édifice a été bâti à l’initiative du frère du roi Charles vi, le prince Louis I^er d’Orléans.

2Il s’agissait d’un grand bâtiment rectangulaire à deux niveaux, disposé en long contre la courtine de la basse cour, à proximité du pont-levis. L’ensemble formait un édifice de 15 m de large sur 27 m de long environ, soit plus de 400 m² au sol. Le rez-de-chaussée était composé d’un espace destiné à la cuisson appelé grant cuisine à l’est, et à l’ouest se trouvaient une sausserie, des garde-mangers, et un dressoir (endroit où l’on dressait les plats). Un peu plus de la moitié du bâtiment a été mis au jour, sous d’épais remblais du xvi^e s.

3La partie survivante est dans un très bel état de conservation et constitue un exemple exceptionnel pour la compréhension des usages culinaires des élites à la fin du Moyen Âge. Il s’agit pratiquement de l’intégralité de la grande cuisine. Cet espace se composait d’une grande cheminée centrale de 48 m² entourée de 8 colonnes portant une hotte monumentale. On y faisait de multiples feux de cuisson sur une sole en tuiles. Autour de cet espace couraient des galeries voûtées desservant trois autres cheminées monumentales, deux destinées à rôtir les grandes pièces de viande, tandis que la dernière et la mieux conservée accueillait deux fours circulaires sur lesquels on faisait bouillir potages et autres plats. Les galeries étaient dallées et dotées de système d’évacuation des eaux usées. Plusieurs grandes baies à meneaux éclairaient cet édifice imposant.

4Après l’assassinat de Louis d’Orléans en 1407 et le début de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, ces cheminées furent abandonnées et, par conséquent, n’ont a priori pas eu le temps de servir à un usage princier. La fouille a livré quantité de blocs architecturaux laissés sur place lors de la restructuration du secteur. Ils permettent de mieux comprendre l’élévation de l’édifice. Les aménagements militaires du xvi^e s. ont entraîné le dérasement puis le remblaiement de ces cuisines, mais également la destruction de la partie occidentale du bâtiment, lors de l’agrandissement des fossés.

5Bien que le tiers occidental du bâtiment ait disparu, la découverte des cuisines de Louis d’Orléans est exceptionnelle en raison de l’état des vestiges. À Coucy, la démesure, tant du bâtiment que des structures de cuisson, illustre la puissance du prince et l’ampleur des effectifs de sa cour. Un tel édifice requérait une abondante main-d’œuvre et son coût de fonctionnement, notamment en bois de chauffe, était incontestablement très important. Outre cet aspect, le soin architectural, mis en évidence à travers les assemblages de construction et les divers éléments décoratifs, révèle que la vocation de ces cuisines n’était pas strictement utilitaire. Elles incarnaient aussi clairement une fonction ostentatoire destinée à accroître le prestige d’un prince ambitieux au cœur d’une période politico-militaire particulièrement complexe et instable.

Coucy-le-Château-Auffrique, vue des cuisines après l’opération depuis l’ouest.

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Cl. F. Poullin