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Bulletin critique

Ph. Racinet (dir.), Archéologie et histoire d’un prieuré bénédictin en Beauce : Nottonville (Eure-et-Loir), xe-xviie siècles

François Fichet de Clairfontaine
p. 333-337
Référence(s) :

Ph. Racinet (dir.), Archéologie et histoire d’un prieuré bénédictin en Beauce : Nottonville (Eure-et-Loir), xe-xviie siècles, Comité des travaux historiques et scientifiques, archéologie et histoire de l’art, n° 21, Paris, 2006, 505 p. - ISBN 2-7355-0569-3. Prix : 40 €

Texte intégral

1504 pages, 197 figures, une cinquantaine de documents en annexe non compris plusieurs tableaux de comptages, une équipe pluridisciplinaire de 18 collaborateurs auprès de Philippe Racinet, et un programme de recherche archéologique ambitieux conduit de 1988 à 1994 : l’ouvrage consacré aux études menées sur le site castral et prioral de l’abbaye du Bois à Nottonville (Eure-et-Loir) est copieux, fourni, extrêmement riche en données diverses, volontairement complémentaires et susceptibles de traduire le plus finement possible l’évolution historique, archéologique et architecturale d’un site. D’emblée le ton est donné : œuvre pluridisciplinaire, interrogeant les multiples champs d’une enquête poussée parfois à l’extrême, l’ouvrage est le fruit de collaborations croisées, associant plus que confrontant les analyses historique et archéologique, et les résultats des travaux de spécialistes. C’est ainsi un document qui a pour objet de questionner les approches et leur pertinence, de démontrer ce que chaque science peut apporter à l’enquête, et au final de livrer ce qu’une recherche pluridisciplinaire peut apporter. Car il nous semble que ce qui l’emporte, c’est la volonté de démontrer, d’expliquer, de professer parfois, l’intérêt d’une démarche voulue totale. C’est la raison pour laquelle l’ouvrage est introduit par une présentation du programme d’étude, de la méthodologie, des problématiques soutenues, de la nature des fonds documentaires et enfin de la liste complète de chacun de contributeurs, simples fouilleurs ou spécialistes intervenus sur un domaine particulier.

2Parlons du site. Localisé à 15 km de Châteaudun, au sein de la Beauce dunoise, il est aujourd’hui le siège d’une exploitation agricole, dont le centre s’inscrit principalement dans un espace clos hexagonal irrégulier de quelques 5 000 m² de surface. Une enceinte contrefortée pourvue d’un petit châtelet « ostentatoire » ceint une aire dans laquelle subsistent un remarquable grenier, un colombier et un logis en L recomposé au-dessus de sous-sols également réaménagés, des xve et xvie siècles principalement. Tous constituent la partie émergente d’une histoire patiemment décryptée. Tant cet espace que son environnement immédiat ou plus large compris dans l’ancien terroir de Nottonville ont fait l’objet de l’enquête. Pour résumer, voilà un site implanté originellement sur un tertre en partie artificiel, peut-être né d’une curtis carolingienne (ixe-xe), devenu un complexe castral de terre et de bois (fin xe-xie) avant d’être transformé au cours du xiie siècle par la construction d’une tour résidentielle accolée à un logis de type hall. Resté sous la domination des comtes de Chartres jusqu’au début du xiiie siècle, siège aussi d’un petit ensemble religieux à compter des années 1116-1119, l’ensemble castral passe ensuite sous l’entier contrôle des moines de Marmoutier, devenant un prieuré rural à la tête d’une importante seigneurie ecclésiastique. Simple centre assurant la gestion de biens concédés d’abord par les familles comtales et vicomtales, puis par la noblesse locale, le site fera l’objet d’une profonde restructuration administrative le transformant en une importante châtellenie à l’orée du xve siècle après abandon de l’institution prioriale. La châtellenie du Bois formera donc un cadre administratif plus approprié à la gestion des biens de l’abbé de Marmoutier dans le Chartrain, ce qui conduira aussi à une profonde restructuration du site (fin xve-début xvie), un vaste grenier comme la poterne à deux tourelles et l’enceinte contrefortée constituant les éléments les plus tangibles de cette transformation.

3Le premier chapitre consacre une présentation du site dans son terroir, ce dernier constituant un ensemble morphologique spécifique et particulier au sein de la Beauce. Comme on le constatera à plusieurs reprises, les informations sont nombreuses, variées, énoncées de manière parfois fastidieuse, au point que le lecteur distinguera mal l’essentiel de l’anecdotique. Car on perçoit difficilement l’apport de certaines données quant à l’environnement au Moyen Âge. Ainsi en est-il de l’analyse du contexte structural, des données pédologiques ou de l’étude morphologique des fonds de vallées comme de l’analyse biogéographique des paysages dont on relève l’intérêt certain sans le démontrer pleinement à notre sens. On aurait ainsi apprécié une étude paléoenvironnementale qui mette davantage en relation l’évolution du paysage et la gestion du terroir. En ce qui concerne l’ancienneté de ce terroir, force est de constater l’importance ou la densité des occupations dès le Néolithique au plus tard, avec par exemple l’existence d’une vaste enceinte fermée sur la Conie. Que ce soit la toponymie ou la prospection, les indices paraissent encore plus nombreux démontrant la présence d’une forte occupation protohistorique le long de la vallée. On nuancera toutefois le propos qui considère une continuité entre le Néolithique et les périodes de l’âge du fer, d’autant que les datations paraissent souvent bien imprécises. De même, restituer une histoire à partir d’un échantillonnage collecté lors de prospections au sol laisse plus que dubitatif, surtout lorsqu’il vise à comprendre le mode de gestion des territoires et des axes de circulation. Le raccourci est ainsi parfois saisissant qui amène l’auteur à lier l’oppidum de Dunum à la colonisation du plateau beauceron par les agriculteurs devant ravitailler le site fortifié (p. 59)! Tout aussi saisissante et nécessitant une meilleure démonstration, l’hypothèse selon laquelle l’occupation gauloise, « coulée dans les cadres néolithiques » aurait pris la forme de villages défendant les gués, le long de la Conie. Cette quête d’une continuité de l’occupation humaine tire argument des nombreux sites de l’époque antique, jamais très éloignés du fameux chemin Le Comte qui relie Chartres à Blois. Plusieurs villae, ainsi reconnues par les prospections, sont considérées, sinon comme des pôles de futurs peuplements, du moins comme des centres d’où partiront les élites voire les futurs habitants des villages environnants. Pour le haut Moyen Âge, la toponymie constitue quasiment le seul recours des études. Elle conduit par exemple à supposer une origine mérovingienne, voire antique, à Nottonville. De même les formations en -ville suggèreraient plutôt « une substitution de maîtres qu’une installation initiale ». Voilà la continuité presque assurée entre les villae et les installations du Moyen Âge et, malgré les nuances apportées, c’est un propos que l’on retrouvera en conclusion (p. 399). De fait, on manque singulièrement de données pour considérer que les villae antiques aient été « à l’origine de groupements d’exploitations dont bon nombre ont dû servir de cadre à des paroisses rurales », un raccourci très saisissant fait aussi de Nottonville un lieu de plaids et l’héritier du vicus des Fourmis. Cet ancrage dans la nuit des temps laisse dubitatif et ne me paraît pas très pertinent. Au reste il n’apporte pas au fond de réelle information fiable qui renseigne sur l’origine du site castral et son évolution future. Les chapitres suivants bien plus concrets tentent de comprendre la place de Nottonville dans la structuration du terroir, le bourg de Nottonville assurant le rôle d’un pôle de peuplement et le site se trouvant sur un carrefour de deux grands axes (Chartres-Blois et Bonneval-Orléans). L’étude du terroir aux xie et xiiie siècles révèle que les défrichements furent peu importants et périphériques avec des concessions d’hostises ou la conquête de sols dans la vallée de la Conie à partir de petits centres d’exploitations. Parallèlement l’exploitation du terroir devient mieux structurée, avec une meilleure mise en culture (réage, champtier, prés…) des terres, l’élevage ne jouant qu’un rôle ­secondaire. L’étude des sources textuelles comme celle de la toponymie traduisent des progrès agricoles, la construction de moulins, l’aménagement de pêcheries et le développement de vignobles, toutefois pour fournir le vin de messe essentiellement semble-t-il !

4Aborder les premiers temps du château vicomtal justifie logiquement une introduction au contexte historique. Ce dernier suggère que Nottonville est au xie un casamentum que le comte de Chartres a consenti à ses vicomtes. Il s’agit là de la famille de Breteuil (site du Beauvaisis) ayant reçu charge vicomtale et pour laquelle Nottonville peut avoir été la première résidence fortifiée entre 1036 et 1050, avant l’occupation du Puiset. En ce qui concerne les moines de Marmoutier qui reçoivent moitié de la villa de Nottonville en 1073, tout porte à considérer que l’implantation monastique dans la région beauceronne se fit essentiellement par le biais d’un essaimage de prieurés. L’installation des religieux dans le château eut sans doute lieu avant la fin du xie siècle, très certainement sous forme d’une très petite communauté, abritée au sein d’une domus construite dans l’espace castral. L’obédience de Nottonville relève alors sans doute du prieuré de Chamars avant d’acquérir son autonomie vers 1116-1119. Qu’en est-il des premiers temps de l’occupation du site d’un point de vue archéologique ? Même si les auteurs s’en défendent, l’hypothèse d’une occupation dès la période mérovingienne reste latente, toponymie et parcellaire suggérant « une organisation caractéristique des propriétés aristocratiques du haut Moyen Âge », dessinant une « cour » et sa curticula. Le moins que l’on puisse dire est que l’archéologie ne supplée guère au silence des textes, les rares vestiges découverts dans le site du « Jardin », à savoir des foyers et des fragments d’un couvercle demeurant de datation très délicate. La céramique semble de facture mérovingienne (fin viie-début viiie) mais d’autres comparaisons suggèrent les xiiie-xive siècles, ce que tend à confirmer une datation 14C. En dépit de l’extrême pauvreté des données, il est agaçant de noter que l’ancienneté du site de Nottonville demeure privilégiée et que des hypothèses tendent à devenir certitude : la curtis de Nottonville pouvant être « une dépendance, un dédoublement ou un transfert » d’un « habitat agricole gallo-romain peut-être encore en activité à la fin des temps mérovingiens », mieux, « probablement conçue comme un refuge pour les habitants, lors d’incursions des Normands… » (p. 118).

5Les premières données concrètes sont liées à la présence d’un remblai, qui a pu former une plateforme comme le suggère un empierrement de grès, recoupé par un fossé dit « post-carolingien » (ixe-début xie). Ce fossé large d’environ 3 m et profond de plus de 2, devait être originellement précédé d’une levée de terre avec palissade. L’étude démontre qu’il a pu ceindre un espace fortifié de forme quadrangulaire, assez vaste (un côté excédant 24 m de long), qui a pu abriter un tertre ou une motte dont subsiste un dépôt d’argile brune. Selon les auteurs il s’agit bien d’une fortification implantée au sein de l’ancienne curtis, créée originellement par le comte de Chartres puis remise à la garde de la famille de Breteuil.

6Après un abandon plus ou moins long du site, la première moitié du xiie siècle coïncide avec la construction d’au moins deux édifices maçonnés rectangulaires dont un, large de 8,80 m, est interprété comme ayant pu être la domus (?) primitive des moines. Il a livré une bulle en plomb de Gilduin, abbé de Notre-Dame de Josaphat à Jérusalem. La présence de cette bulle de l’Orient latin constitue une découverte inédite en France et témoigne aussi de relations subsistant entre les familles du Puiset et de Nottonville dans les années 1120. La seconde moitié du xiie siècle correspond à une profonde réorganisation de l’espace castral avec la construction d’une tour-donjon de plan sub-carré (8,50 x 7,80 m) composée de puissants murs contrefortés aux angles et pourvue d’un massif de maçonnerie pouvant correspondre à une cage d’escalier desservant les étages. L’édifice qui devait être haut d’une vingtaine de mètres était pourvu d’un moins quatre chambres superposées au-dessus d’un rez-de-chaussée surmontant une salle souterraine circulaire voûtée en dôme. L’étude de cet ensemble est de qualité et les hypothèses formulées, très pertinentes, restituent une petite tour étroite bien caractéristique du milieu du xiie siècle environ, proche des édifices de Senonches, Loudun ou Eschizadour. L’intérêt de cette phase de construction tient aussi à l’étroite association entre une tour et le logis qui lui est accolé. Ce dernier, dont le mur pignon nord porte l’empreinte des premiers niveaux de la tour, constitue un bâtiment rectangulaire (14,80 x 7,80 m) dit de type « hall de rez-de-chaussée ». Les pièces du logis étaient séparées de la tour par un couloir situé au premier étage et sans doute accessible depuis une galerie sous auvent longeant le mur gouttereau. Depuis ce couloir on accédait à la tour. Si l’on considère l’hypothèse d’une salle noble en rez-de-chaussée, on peut être étonné tout comme les auteurs de la quasi absence d’ouverture sur le mur sud, celui du nord ayant été ultérieurement profondément remanié. D’autres modèles, entre autres normands, pourraient suggérer que la salle noble se trouvait à l’étage desservi par une galerie-coursière (comme pour l’exemple tardif de Regnéville-sur-Mer dans la Manche) et que le rez-de-chaussée était consacré aux salles de service et de cuisine. L’étude a permis de démontrer l’existence d’un fossé entourant le site castral proprement dit et d’un second délimitant la basse cour (qui aurait succédé à l’ancienne curticula ?), les fossés ayant bien fonctionné ensemble. Un dispositif d’entrée primitif sous forme d’une rampe de bois reposant latéralement sur des maçonneries a pu être reconnu. Les deux derniers chapitres consacrés à cette phase du xiie siècle abordent l’un la question du monnayage au xiie siècle, l’autre les aspects de la céramique. Dans le premier cas, le numismate se pose la question de l’évolution des ateliers monétaires et leur datation (Chateaudun, Vendôme, Chartres) notamment à propos des pièces de Nottonville. La céramologue analyse l’évolution des groupes techniques (céramique flammulée, claire à fin dégraissant…) entre le xe et le xiiie siècle. L’étude me semble davantage viser à reconnaître des évolutions technologiques (avec le passage à une oxydation incomplète durant la dernière phase de cuisson ?) et bien évidemment celle des groupes techniques qui pour certains pourraient à notre sens provenir d’un même atelier ou de plusieurs. Je ne cache pas qu’une approche morpho-fonctionnelle permettant de faire le cas échéant un lien entre la nature de l’occupation et le mobilier utilisé aurait pu être tout aussi intéressante.

7Les xiiie-xive siècles correspondent à la grande phase priorale du site. À partir de 1219 Marmoutier semble bien bénéficier de l’entière possession du site castral qu’il transforme alors. L’étude historique démontre un lent retrait laïque depuis 1073, par le biais de donations et d’abandons consentis par les familles comtales et vicomtales. Il est possible que ce retrait ait des raisons politiques, entre autres après la disparition en 1218 du comte de Blois-Chartres et le partage de ses biens, Nottonville devenant une enclave avancée chartraine dans la principauté de Blois. On a pu ainsi chercher à garantir sa neutralité. Une autre raison plus prosaïque pourrait être liée à la vente de biens du fait de difficultés financières dues à un héritage insuffisant. Quoi qu’il en soit, les donations effectuées jusqu’en 1225 apportent à Marmoutier de nouveaux droits dont la haute justice, l’usage du bois, après la donation d’usage sur le bois de Saint-Martin… La noblesse locale n’est pas en reste et l’étude textuelle témoigne bien des nombreux dons effectués par les Lanneray, Bullou ou d’Ecurolles au xiie puis confirmés ou complétés au début du xiiie s., parfois non sans une certaine opposition. L’établissement religieux du Bois de Nottonville, mentionné dans les textes entre 1219 (succédant à une simple obédience) et 1351, apparaît être d’abord un petit prieuré rural très modeste par ses effectifs (2-3 moines) et disposant sans doute d’une petite chapelle. Il assure surtout un rôle économique de premier ordre, gérant un grand nombre de biens et de droits sur le village et le bois de Nottonville, les moulins, l’église, la paroisse et les dîmes de Nottonville… Qu’en est-il des aménagements réalisés sur le site castral ? Peu de choses ont pu être restituées, du fait des destructions du xve s. comme des occupations actuelles qui limitent les aires d’étude. Il est à retenir la construction très probable au sud de la tour d’un grand édifice résidentiel pourvu d’une cheminée adossée à un épais mur de 1,20 m. La datation archéomagnétique des tuilots de la cheminée suggère bien une construction aux alentours de 1220 (± 40 ans) et rend plausible la contemporanéité de la construction de l’édifice avec la mainmise de Marmoutier sur le site castral. Cet édifice que l’on considère être le logis des moines a pu être accolé à un second bâtiment supposé être un grenier primitif. En ce qui concerne la chapelle, outre les textes, seule une clef de voûte rappelle son existence. Ce site qui ne semble pas avoir été lieu de sépulture se présente donc au final d’abord comme un centre de gestion, avant d’être un établissement religieux.

8Les transformations de la fin du Moyen Âge et du début de la période moderne ont conduit à restructurer profondément le Bois de Nottonville. L’étude historique démontre bien que ces bouleversements sont liés dès le début du xive s. à un nouveau mode de gestion des biens par Marmoutier, dans le cadre d’une lutte contre l’endettement et du fait de difficultés conjoncturelles. Une visite effectuée vers 1319-1326 paraît bien liée à la décision de réunir les revenus du prieuré du Bois à la mense abbatiale, afin d’aider l’abbé à soutenir ses charges et dignités. La réforme de la gestion du prieuré dont la compétence englobait diverses possessions de Marmoutier dans le Chartrain s’est par ailleurs accompagnée d’une augmentation des biens et revenus détachés de possessions d’autres prieurés, ce pour venir augmenter la mense abbatiale. L’évolution, un temps fortement ralentie par les conditions politiques et militaires, aboutira dans la seconde moitié du xve siècle à l’abandon de l’institution priorale et à la transformation du mode de gestion de la mense dont les domaines seront dorénavant gérés dans le cadre nouveau de la châtellenie. Une nouvelle administration remplaçant les moines se met en place (déjà, il faut constater que la réduction des effectifs paraît bien liée à la recherche d’économie tout en s’inscrivant dans un mouvement de concentration) pour la châtellenie du Bois. Cette dernière est mentionnée à partir de 1470 et placée sous la gestion d’un procureur fiscal et d’un bailli chargé de la justice. L’étude historique montre la manière dont se fit la reconstruction économique, avec la restauration des censives et celle du domaine réservé de l’abbé, aux lendemains de la guerre de Cent Ans. Sur le terrain architectural et archéologique, cette politique a conduit à une importante restructuration du site (que transcrit clairement la reconstitution de la figure 130). L’étude du bâti complétée par des sondages confirme l’élévation de l’enceinte maçonnée et contrefortée en deux phases probablement successives. La poterne ou châtelet formant un ensemble homogène composé de deux tourelles encadrant une porte charretière et une porte piétonne fut ajoutée peu après à la fin du xve siècle. La morphologie de ses meurtrières à base arrondie confirme bien la datation d’un ensemble qui paraît presque disproportionné par rapport aux courtines et semble appartenir davantage au registre du symbolique et de l’ostentatoire. Vers la même période, que la dendrochonologie situe aux années 1480-1481, est érigé ou reconstruit un vaste grenier. L’étude de ce monument de 40 m de long par 11 m de large (et 16 m de hauteur !), pourvu de trois niveaux et d’un grand comble, a été conduite de manière très exhaustive et permet de disposer d’un excellent dossier sur ce type d’édifice dont les dimensions sont à l’unisson de l’importance économique de la châtellenie. On notera le grand intérêt de l’étude conduite sur la charpente qui est ici du type à chevrons-portant-ferme. Parallèlement, la tour et principalement le logis sont l’objet de remaniements. L’ancien logis est rehaussé et une aile en retour lui est adjointe. Les sous-sols sont aussi l’objet de travaux avec par exemple l’aménagement d’une petite salle semi-enterrée, surcreusée par rapport au sol du hall primitif, que l’on suppose être une chapelle privée (aucun élément n’étant proposé à l’appui de cette hypothèse). À l’intérieur de ses murs de fondation, le logis reçoit aussi des sous-sols, dont une grande cave voûtée en berceau surbaissée, qui communiqueront avec ceux du grenier. On y constate l’aménagement d’un vaste cellier formant une galerie courbe de 17,05 m de long sur 3 m de large, laquelle semble bien à la mesure de l’ampleur du projet architectural et des fonctions économiques du site. S’il y a peu à dire de la métairie et la grange qui ont été arasées et pour lesquelles on manque de données, l’étude effectuée sur le colombier datable de la première moitié du xvie siècle est complète. Précédant la conclusion, l’ouvrage aborde plusieurs domaines renseignant la vie matérielle dont l’étude effectuée sur le comblement des latrines de la tour. Elle offre par exemple une image claire de la basse cour au xvie siècle, mettant en évidence certains aspects de l’élevage (présence d’un poulailler par exemple) mais aussi les parasites de l’homme. Le métal, les terres cuites architecturales et la céramique sont traités par la suite. L’ouvrage se termine par une annexe céramologique comportant une définition des groupes techniques, une approche fonctionnelle et surtout de nombreuses planches des mobiliers céramiques. On restera très interrogatif sur la définition d’une typo-chronologie des pâtes rouges à partir des profils de lèvre quant on sait quelle variabilité peut être constatée au sein d’un seule fournée. On aimerait aussi savoir ce que recouvrent réellement les termes de proto-grès et de grès de Normandie. Je recommande enfin la lecture de l’étude archéozoologique qui a porté sur quelques 4 600 restes osseux (53,7 % déterminés) et qui permet de restituer clairement nombre d’aspects de la consommation en viande sur le site de Nottonville depuis le xiie siècle.

9L’ouvrage sur le prieuré de Nottonville est le fruit de très importants travaux qui auront voulu livrer la vision la plus exhaustive possible d’un ensemble complexe, castral devenu religieux puis centre d’exploitation agricole, et ce sur une durée qui couvre essentiellement toute la seconde partie du Moyen Âge. Fruit d’une enquête menée avec passion et voulue démonstrative, l’ouvrage comporte de grands morceaux de choix, du fait de la découverte d’une tour résidentielle du xiie siècle accolée à un logis, ou de part la restructuration très cohérente menée à la fin du xve, plus encore par les collaborations instituées entre historiens et archéologues. Cet ensemble souffre certes de plusieurs défauts. Sur la forme, la qualité inégale des documents iconographiques doit être notée et plusieurs relevés demeurent difficiles à localiser voire à comprendre. La volonté de démonstration est certes louable mais faut-il infliger au lecteur la totalité de la réflexion ? Le texte, parfois fastidieux à lire surtout pour la présentation des données stratigraphiques et de ce fait si semblable aux rapports de fouilles préventifs, aurait mérité d’être allégé. On peut se demander si le comité de lecture du CTHS a ainsi réellement effectué son travail de conseil ? Sur le fond, l’ancrage dans la nuit des temps ne paraît pas pertinent à l’étude de ce site et on restera très dubitatif sur une origine restituée parfois à l’aide de poncifs, qui conduisent à amoindrir la qualité d’un travail par ailleurs excellent. Sans doute un tel ouvrage n’aurait-il rien perdu de sa qualité (tout au contraire !) en étant réduit de près de la moitié de ses pages ? Il n’en demeure pas moins, qu’à l’issue d’une lecture un peu ardue, il ressort nombre d’acquis qui révèlent l’intérêt scientifique d’une telle démarche et son apport à la connaissance tant des origines et de la dynamique du phénomène castral que de l’histoire des dépendances religieuses des grandes abbayes entre les xie et le xviiie siècles.

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Pour citer cet article

Référence papier

François Fichet de Clairfontaine, « Ph. Racinet (dir.), Archéologie et histoire d’un prieuré bénédictin en Beauce : Nottonville (Eure-et-Loir), xe-xviie siècles »Archéologie médiévale, 37 | 2007, 333-337.

Référence électronique

François Fichet de Clairfontaine, « Ph. Racinet (dir.), Archéologie et histoire d’un prieuré bénédictin en Beauce : Nottonville (Eure-et-Loir), xe-xviie siècles »Archéologie médiévale [En ligne], 37 | 2007, mis en ligne le 12 juin 2019, consulté le 17 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/archeomed/44417 ; DOI : https://doi.org/10.4000/archeomed.44417

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