1Le conseil général d’Indre-et-Loire, propriétaire du château, a entrepris de vastes travaux de restauration et de restructuration de ce remarquable ensemble fortifié. De très importantes fouilles ont débuté en 2003 et doivent se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2007. À l’heure actuelle, elles concernent près de 5 000 m², ce qui est exceptionnel en milieu castral.

2Trois opérations principales ont été réalisées en 2005-2006, la présente chronique en fait le bilan : l’étude du donjon du Coudray, celle du front oriental du château dit « du Milieu », et l’achèvement de la fouille du fort Saint-Georges. En outre, un PCR a été lancé en 2006.

3Le donjon du Coudray. Le donjon du Coudray est situé à l’extrémité occidentale de la forteresse, dite « fort du Coudray ». Il est séparé de la partie principale de la forteresse (« château du Milieu ») par une douve profonde, au bord de laquelle se dressent le donjon et la courtine dans laquelle il s’insère. On y accédait au premier étage par une porte desservie par un escalier aujourd’hui disparu, logé dans un petit avant-corps. Un projet de restauration par les Monuments historiques a nécessité une opération d’archéologie préventive qui a surtout porté sur l’analyse architecturale de l’avant-corps, notamment de l’escalier qu’il abritait. En effet, celui-ci doit être restitué au plus près de l’original. Une tranchée de sondage le long des murs a également été réalisée, afin d’étudier les niveaux de sols rattachés au donjon.

4Le donjon édifié peu après 1205, date à laquelle le roi Philippe Auguste prit la forteresse aux Plantagenêts, est considéré comme une construction typiquement « philippienne ». On sait que ce roi fit construire un grand nombre de ces tours circulaires normalisées dans des châteaux neufs ou modifiés à cette occasion. Mais celles-ci ne sont pas, en principe, dotées d’un avant-corps. Il fallait donc s’assurer que l’ensemble était chronologiquement et architecturalement homogène, ce que l’étude a confirmé.

5L’escalier est composé de trois volées, dont les deux principales sont simplement engravées dans la maçonnerie, sans pilier de soutènement ni mur d’échiffre. Il témoigne d’une grande qualité de construction.

6L’existence d’un chemin de ronde et d’un parapet crénelé a été établie. Il est apparu que cette phase avait été suivie d’une seconde, durant laquelle le chemin de ronde a été élargi par un parapet sur consoles de mâchicoulis. La porte d’entrée dans l’avant-corps a pu également être restituée, avec sa herse.

7Pourquoi ce donjon philippien, a-t-il été doté d’un avant-corps, alors que la caractéristique principale de ces donjons est, d’ordinaire, d’être accessible par le rez-de-chaussée ? Cet accès est habituellement rendu possible par l’existence d’un fossé qui ceint le donjon, en lui constituant une défense propre. Or à Chinon, la tour n’est pas complètement isolée de la forteresse, notamment du côté du fort du Coudray, accessible par une poterne. La douve entre château du Milieu et fort du Coudray existait sans doute déjà au moment où l’on envisagea de construire la tour, un fragment probable de courtine antérieure à celle-ci le laisse supposer. Le maître d’œuvre a préféré utiliser la solution éprouvée de l’accès à l’étage, desservi et protégé par un petit avant-corps. Il s’agit donc d’une adaptation fonctionnelle du type à un contexte architectural particulier, et non d’un archaïsme lié à une quelconque pesanteur des traditions locales (voir les donjons de Loches, de Montbazon…). La sophistication de cet accès en dit le modernisme. On y trouve : une courtine percée d’une porte à pont-levis s’encastrant dans une feuillure, un avant-corps défendu par une porte à herse coulissante, un escalier d’accès contrôlé par un chemin de ronde crénelé au sommet de l’avant-corps, et enfin, la porte donnant dans le donjon, elle-même défendue par un assommoir. Ces dispositifs se développeront dans le courant du xiii^e s., il est intéressant de les trouver ici, dès le début du siècle sans doute. Il s’agit d’une forteresse royale, dont la prise a été essentielle dans la reconquête capétienne. L’édifice comptait déjà quelques joyaux de l’architecture castrale, comme la tour du Moulin. Celle-ci, d’une certaine manière, était la tour maîtresse du secteur occidental de la forteresse. Avec sa nouvelle tour, plus haute, plus régulière, il est évident que le symbole idéologique que représentaient ces tours « philippiennes » était d’autant plus perceptible.

8Le rempart est du château du Milieu. L’opération menée sur l’extrémité orientale du château du Milieu, liée à la restauration des maçonneries très dégradées qui s’y trouvent, s’est déroulée en 2006. Ce côté du château a déjà subi de nombreux effondrements depuis le xvii^e s. au moins, et une nouvelle consolidation devenait nécessaire. En outre, une bande d’une dizaine de mètres en retrait, à l’intérieur du château, a été fouillée en raison des drainages, de reprises en sous-œuvre et d’aménagements modernes qu’il fallait supprimer. Des états de la forteresse remontant au xi^e s. ont été découverts, mais les niveaux d’occupation liés à ces périodes anciennes, situés à 4 ou 5 m sous les niveaux de circulation actuels, n’ont pu être atteints pour des raisons de sécurité.

9La première occupation repérée en fouille correspond à un mur d’enceinte surmonté d’un chemin de ronde vraisemblablement de la fin xi^e s. Lors d’une deuxième phase, ce chemin de ronde a été rehaussé, et l’escalier noyé dans la maçonnerie. Deux contreforts sont venus épauler la courtine. Ils forment les supports de tourelles carrées en bois flanquant les angles, attestées par d’importants logements de poutres. Il se peut que ce rempart ait constitué la chemise d’un donjon disparu attribuable aux comtes d’Anjou, après 1044, date où ils prirent le château aux comtes de Blois qui le tenaient depuis au moins une centaine d’années.

10Ensuite le système de fortification a été entièrement repensé, pour augmenter la superficie de l’espace clos, en reconstruisant les courtines sud et est à 3 m du mur primitif. Cette nouvelle enceinte a été flanquée de tours (comme la tour du Grand Portail et le premier état de la tour de l’Horloge). Un phénomène similaire de déplacement de l’enceinte (vers le sud) a été observé sur le fort Saint-Georges. Ces remaniements sont intervenus sans doute dans le cadre du durcissement du conflit entre Plantagenêts et Capétiens, à la fin du xii^e s.

11Le système a été complété à l’angle NE par la construction d’une forte tour circulaire (dite de l’Échauguette) après la conquête de 1205 par Philippe Auguste. L’étude a permis d’établir que cette tour se développait sur trois niveaux desservis par un escalier couvert d’une voûte en berceau rampant. Le niveau inférieur est une petite salle voûtée d’environ 4 m de diamètre. Deux embrasures de tir ont été découvertes à ce niveau lors de cette campagne de fouille.

12Des terrassements d’une ampleur considérable ont été entrepris au xiv^e s. sur toute l’extrémité orientale du château du Milieu.

13À la fin du xvi^e s. enfin, un fossé sec retenu par des maçonneries a été mis en place à l’ouest de la tour de l’Échauguette. Il semble pouvoir être mis en relation avec les travaux engagés sur l’ensemble du château et visant à renforcer son rôle défensif, à la demande du roi Charles IX, dans le cadre des guerres civiles.

14Le fort Saint-Georges. À part quelques sépultures de l’Antiquité tardive ou du très haut Moyen Âge, la butte sur laquelle se dresse le fort Saint-Georges est restée inoccupée jusqu’au milieu du xii^e s. Dans les années 1160, Henri Plantagenêt, devenu roi d’Angleterre sous le nom d’Henri II, y a fait construire un moderne complexe de gouvernement, dans la lignée architecturale des palais : grands bâtiments à faible valeur défensive rappelant Westminster. À cette époque, le château de Chinon constituait le centre administratif principal des possessions continentales des Plantagenêts. C’est là qu’était leur trésor, et ils y tenaient régulièrement leur cour. Il n’est pas exclu qu’une chancellerie ait occupé le fort Saint-Georges.

15Cet usage palatial ne dura guère. Dès la fin du xii^e s., dans le cadre des tensions grandissantes avec les Capétiens, la forteresse de Chinon vit ses défenses renforcées notamment le fort Saint-Georges. Les fronts est et nord, les plus accessibles, furent dotés de tours qui vinrent flanquer le simple enclos entourant le palais. Alors que l’entrée se faisait à peu près au milieu du côté oriental, par une simple tour-porche, elle fut déplacée à l’angle sud-est, protégé par l’à-pic vers la rivière (la Vienne) et la ville, le dispositif fut renforcé d’un très épais rempart doté de tours-contrefort rectangulaires. Le fort Saint-Georges dut alors jouer le rôle d’une fortification avancée, disposition que l’on retrouve au Château Gaillard, auquel il est d’ailleurs expressément comparé par l’auteur des Philippides. Ces précautions furent insuffisantes. En 1205, après un très long siège, les armées de Philippe Auguste s’emparèrent de la forteresse, sans doute précisément à partir du fort Saint-Georges. C’est alors que commença une marginalisation du fort qui devait aboutir à son effacement progressif. En effet, les ingénieurs du roi remodelèrent profondément l’accès. C’est alors que fut construite la « porte des Champs » à l’angle NO du fort, elle-même flanquée par la tour de l’Échauguette, construite à l’angle NE du château du Milieu.

16Le fort Saint-Georges ne fut pas toutefois oublié complètement. Les fouilles ont montré qu’il subit d’importantes transformations qui en firent un petit château autonome. Un nouveau rempart vint réduire sa surface utile au profit d’un espace sanctuarisé où donnait la porte des Champs et qui permettait la distribution vers l’un ou l’autre château. Les logis furent remaniés, avec des adjonctions comme de grandes cheminées et une cuisine. On construisit la chapelle dédiée à saint Georges qui donna son nom au fort, à l’angle le mieux fortifié, au SE. Elle vint condamner l’ancienne entrée. La fouille de ses remblais de démolition a permis de repérer d’intéressants éléments de décor sculpté polychrome datés du xiii^e s. La structure générale du fort ne fut plus modifiée par la suite. Seuls des travaux d’aménagement réalisés en trois vagues successives eurent lieu.

17Dans la deuxième moitié du xiv^e s. une nouvelle tour rectangulaire à l’angle SE du fort fut peut-être édifiée ; puis au xv^e s., des latrines, une glacière (?), et l’extension de la chapelle par l’adjonction d’une deuxième salle vers l’ouest furent ajoutées ; enfin, la dernière eut lieu dans la deuxième moitié du xvi^e s.

18Après cette date, le vieux fort entama un déclin irréversible attesté par de grandes couches de démolition dont les plus anciennes datent de la fin du xvi^e s. Au début du xvii^e s., des documents nous décrivent un fort ruiné. La chapelle, qui tint plus longtemps, finit par être abattue en 1763.