1L’opération s’inscrit dans le cadre d’une réfection intérieure des cinq vaisseaux de la nef de la grande église priorale clunisienne, réfection portée par la CRMH d’Auvergne. La campagne 2006 a employé trois à quatre archéologues et un anthropologue pendant quatre mois grâce à une gestion passant par l’UMR 5594 du CNRS, P. Chevalier assurant la direction bénévole du chantier ; soixante-quinze personnes nous ont gracieusement prêté main-forte. La topographie interne médiévale présentait un pendage O-E très marqué. En 1835, pour rétablir un sol plus horizontal tous les niveaux modernes et médiévaux ont été nivelés à l’ouest ; ne subsistent à l’est que les premiers sols postérieurs au xii^e s. En outre, quelques piles de la nef ont été consolidées au béton armé au début du xx^e s. ; 25 m² de surface sont à chaque fois stériles alentour.

2Des vestiges carolingiens, appartenant peut-être à la villa connue par la donation du lieu à Cluny en 915-920, sont apparus, mais leur profondeur d’enfouissement rend l’examen ardu à l’est au-delà de la mi-longueur de la nef : un fossé excavé dans le substrat glaiseux vierge et orienté N-S (L. obs. 5,08 m) et un trou de poteau sur sa « rive » orientale. Le comblement du fossé contient des ossements d’animaux et de la céramique datable des viii^e-x^e s. Environ 10 m plus à l’est, un trou de poteau à calage de pierres et le sol d’une cour (?), mis au jour sur 4,50 m², associés à un petit trou de poteau et au départ d’une sablière orientée N-S ressortissent de la même période. On a également observé à l’est de la zone étudiée un tronçon (L. 4,70 m ; ép. 74 cm) d’un mur en petit appareil, orienté NE-SO, qui est emporté par le gouttereau nord primitif de l’église romane. Il est impossible de préciser l’ampleur et la fonction de ce bâtiment ancien.

3Huit sépultures en cercueil monoxyle orientées O-E représentent l’horizon ultérieur ; deux exemplaires ayant conservé leur couvercle recoupent le fossé carolingien comblé. Il s’agit de cercueils fabriqués dans des grumes de chêne d’environ 250 ans à l’abattage, datés par dendrochronologie des années 940. La fouille de quatre d’entre eux a été riche d’enseignements. Il s’agirait d’individus inhumés juste avant l’installation des moines en 954 ou au tout début du monastère. Signalons encore trois sépultures d’enfant et une d’adulte. Un sol de glaise couvert d’un radier de pierres et d’un lit de mortier passent au-dessus de ces tombes du x^e s., peut-être concomitamment avec une structure ligneuse, dont les planches suivent l’orientation N-S du fossé carolingien. Les premiers constituent le sol au nord de l’église à la phase suivante.

4L’édifice du milieu du xi^e s. est à nef unique. Un mur de refend N-S, de même épaisseur que le gouttereau nord (0,90 m) ferme une avant-nef, ayant la profondeur de deux des futures travées de la fin du xi^e s. ; elle est supprimée dès la phase suivante. La nef est rapidement soumise à un violent incendie, puis semble avoir été brièvement restaurée, mais il est probable que le sinistre a influé sur la décision de modifier le bâtiment dans le dernier tiers ou le dernier quart du xi^e s.

5La nef est alors subdivisée en trois vaisseaux par deux files de sept piles quadrilobées. Les bas-côtés étroits reçoivent des berceaux sur doubleaux retombant sur des colonnes engagées dans les gouttereaux. On a pu observer les fondations et la mouluration des bases de cinq des piles nord à plinthe cruciforme, édifiées en moyen appareil de grès sur des fondations en massif quadrangulaire. Le parement sud du gouttereau est retravaillé à chaque travée pour insérer des colonnes engagées, en moyen appareil de grès. On rétrécit aussi les larges fenêtres du premier état ; leur arc sommital et les montants sont visibles en élévation. Les sols (des lits de mortier alternant avec de la terre indurée) se succèdent rapidement, avec le négatif rectangulaire d’un autel éphémère à mi-longueur du bas-côté. L’humidité constitue un problème récurrent : un petit caniveau à ciel ouvert file d’ouest en est dans le bas-côté nord. Un muret en moyen appareil, déjà vu en 2002, isole le collatéral du vaisseau central dans la travée qui abrite la tombe des saints Mayeul et Odilon. Comme le caniveau et l’autel, il est abandonné et nivelé au début du xii^e s.

6Quelques sépultures appartiennent à l’horizon funéraire extérieur contemporain de la nef à un puis trois vaisseaux. Orientées parallèlement au gouttereau nord (ENE-OSO) et non plus strictement O-E comme les précédentes, ces inhumations d’adulte en pleine terre ou en cordons de pierre, étaient très rapprochées et pour certaines se chevauchaient en partie. La cuve d’un sarcophage trapézoïdal en grès, datable des vi^e-vii^e s., semble avoir été remployée durant cette même phase.

7Aux environs de 1110, pour agrandir la nef d’un bas-côté externe, on perce six grandes arcades dans le gouttereau nord du xi^e s. Six piles irrégulières sont créées à partir de tronçons du gouttereau, comprenant du côté sud une colonne engagée et du côté nord un contrefort – chaque tronçon est flanqué à l’est et à l’ouest d’une demi-colonne, formant un tau avec celle du xi^e s., et le contrefort disparaît dans un massif trapézoïdal dont le pan nord reçoit une quatrième colonne. Le tout est logiquement accompagné de reprises des fondations puis par un terrassement et un rehaussement généralisé du sol. À l’extrémité orientale du nouveau bas-côté paroissial nord subsiste l’empreinte du massif rectangulaire de l’autel Saint-Nicolas ; dans un deuxième temps, on a inséré dans ses angles les quatre colonnettes d’un ciborium.

8Au sud, a été mené un sondage pour identifier le tombeau, connu par les dessins et plans du xviii^e s. d’un arrière-petit-fils de Saint Louis : Jean de Rochefort, « bâtard » de Bourbon († 1375) et de son épouse. Un socle quadrangulaire, support du monument gothique disparu à deux gisants, coiffe l’extrados de la voûte d’un caveau qui n’a pas été rouvert depuis la fin du xiv^e s. Il a été obturé à l’ouest par un muret grossier, constitué de blocs de remploi romans, et sa fosse d’accès occidentale, semi-circulaire, rebouchée et dissimulée par un carrelage de tommettes. L’examen est resté très superficiel, mais il apparaît qu’un premier individu (J. de Rochefort ?) est inhumé dans une fosse rectangulaire de la taille du caveau ; sur les bords de cette fosse on élève les parois qui soutiennent une voûte en berceau très inégal. Un deuxième corps est placé au-dessus (celui de dame Agnès Chalheu, après le 15 octobre 1389, date de son testament ?). La fosse d’accès étroite n’a pas permis d’éviter que l’introduction en force du deuxième corps ne repousse vers l’est une partie du squelette de la sépulture primaire. Deux autres tombes côtoyaient ce caveau dans ce qui devait être une chapelle funéraire. Après un hiatus de plus de 250 ans, le troisième horizon funéraire (fin du xiv^e-xviii^e s.) occupe inégalement les six travées de la nef nord paroissiale. Une quinzaine de sépultures en cercueils cloutés ou chevillés, en coffres ou en pleine terre ont été examinées, ainsi qu’un caveau avec pourrissoir, contenant au moins quinze individus adultes, sous un enfeu gothique. Enfin, un drain, fait d’une planche de bois entre deux rangées de blocs de remploi, couvertes par des dalles, évacue l’eau vers le cloître (au xvi^e s. ?) ; il s’est bouché par accumulation de calcaire.

9L’ensemble des données collectées sera étudié au cours de l’année 2007, parallèlement à une nouvelle campagne qui s’étendra au reste de la nef : collatéraux sud et haut vaisseau – avec le complément de la fouille de 2001-2002 autour de la tombe de Mayeul et Odilon, la poursuite de l’enquête sur les phases les plus anciennes d’occupation du site, la mise au jour des chapelles gothiques dans les bas-côtés sud, mais aussi de la galerie nord du premier cloître roman.