1La poursuite des fouilles entreprises depuis 1998 sur le site de l’église Saint-Pierre de Thaon a principalement porté sur le chœur et une grande partie de la nef. Elles ont permis de mettre au jour de nouveaux tronçons de maçonnerie qui complètent, voire modifient, les plans des différents édifices qui se sont succédé sur le site depuis le ii^e s. apr. J.-C. et d’identifier les vestiges d’un moule à cloche. Quant à l’étude anthropologique, une quarantaine de sépultures supplémentaires ont été découvertes, portant le nombre total d’inhumations à l’intérieur de l’église et dans ses abords immédiats à 287. Ce nombre élevé, représentant probablement un peu plus de la moitié des individus inhumés, a pour corollaire une forte densité de tombes : celle-ci se traduit par un nombre important de juxtapositions et de recoupements, rendant la fouille d’autant plus délicate. Cependant, si la datation des tombes reste encore imprécise dans certains secteurs, s’inscrivant dans une fourchette chronologique large (entre le vii^e et le xviii^e s.), la multiplication des contacts stratigraphiques associés à des éléments de datation (céramique, monnaies plus rarement, et datation radiocarbone) permet de dresser un premier phasage par période et de rattacher certaines sépultures aux différents édifices.

2L’occupation antique, qui semble être, dans l’état actuel des recherches, à l’origine de l’implantation d’une église dans la vallée de la Mue selon un schéma qui reste à définir, se matérialise par plusieurs maçonneries mises au jour dans la nef et dans le chœur. Celles-ci se caractérisent par l’emploi de moellons calcaires liés avec un mortier blanc, compact, et sont associées à des niveaux archéologiques qui ont livré du mobilier céramique et monétaire permettant de les attribuer aux ii^e-iii^e s. (sesterce de 169-170 et Antoninianus de 275-280). La restitution du plan de cet établissement, indispensable pour identifier sa fonction et ses liens avec l’implantation d’un lieu de culte chrétien, demeure néanmoins délicate, les vestiges et tronçons de mur étant encore trop partiels. Toutefois, la découverte dans le chœur d’une maçonnerie semi-circulaire associée à un dallage grossier composé de petits moellons calcaires aux arêtes émoussées s’avère prometteuse. En effet, si la fonction de cet aménagement reste encore à préciser (vestige d’un balnéaire ou d’un édifice à vocation funéraire), sa localisation sous les fondations des sanctuaires préroman et roman tend à témoigner de l’existence probable d’une continuité architecturale entre l’établissement antique et les églises du haut Moyen Âge.

3Les hypothèses de restitution de plan proposées pour les différentes églises ont pu être, pour la plupart, validées. Le premier édifice cultuel, attesté au vii^e s., présente un plan rudimentaire constitué d’une nef rectangulaire et d’un chœur peu marqué. Plusieurs inhumations en pleine terre sont réalisées à l’intérieur, témoignant ainsi de la vocation funéraire de l’édifice. À la charnière des vii^e-viii^e s., une nouvelle église est construite. Elle conserve pour une grande part le plan de l’édifice antérieur avec, cependant, des espaces liturgiques mieux identifiés. Ainsi, une clôture, dont les premières traces matérielles ont été mises en évidence cette année, semble avoir marqué la séparation entre l’espace dévolu aux fidèles et celui réservé au clergé. Ces espaces accueillent en outre une quinzaine d’inhumations en sarcophage organisées selon des rangées bien définies. D’autres inhumations sont effectuées dans l’enclos cimetérial quadrangulaire qui se développe autour de l’église. Au cours du ix^e ou du x^e s., l’église est dotée d’un espace sacré à l’est, dont le plan reprend en partie celui de l’aménagement antique semi-circulaire. Si les inhumations à l’intérieur de ce nouvel espace sont absentes, en revanche, elles se multiplient à l’extérieur, notamment au pied de l’abside où plusieurs sépultures d’immatures et de périnataux ont été mises au jour. Cet espace particulier devait vraisemblablement être symbolisé au sol : en effet, lors de la construction de l’église romane à la fin du xi^e s., le tracé de la fondation de la nouvelle abside a été modifié afin de préserver ces inhumations. Si cette anomalie dans le tracé ne change en rien la restitution du plan proposé pour la partie orientale de cette église, la mise au jour dans la nef actuelle d’une large fondation transversale composée de grosses dalles calcaires nous amène à revoir le plan de la première nef romane. Celle-ci doit être réduite de près de cinq mètres, offrant ainsi un espace intérieur d’environ 12 m de long pour 6 m de large, équivalent aux quatre travées orientales de la nef du xii^e s.

4Dans la première travée de la nef, ce sont les traces d’un ancien moule à cloche qui ont pu être mises en évidence. L’existence d’un ou de plusieurs moules à l’intérieur de l’église avait été suggérée depuis plusieurs années par la découverte de nombreux nodules de terre cuite et de battitures de bronze. Ce moule, dont la fouille sera engagée lors de la prochaine campagne, se matérialise actuellement au sol par une couronne de terre rubéfiée, perturbée par endroits par les inhumations postérieures, formant un cercle d’environ 1,50 m de diamètre.

5Outre les apports sur l’évolution des édifices de culte et la mise en place du réseau paroissial dans les campagnes, la fouille de l’église Saint-Pierre de Thaon présente l’avantage de s’inscrire dans une recherche thématique entreprise par le CRAHM depuis quelques années sur les inhumations en contexte religieux et offre ainsi l’opportunité d’effectuer une étude paléoanthropologique complète d’une population médiévale de type paroissial, tant sur le terrain qu’en laboratoire. D’année en année, le nombre de sépultures fouillées est devenu statistiquement plus pertinent et l’analyse de la répartition des sépultures se voit préciser. Ainsi, l’existence éventuelle de zones d’inhumations spécifiques établies sur des critères d’appartenance sociale, d’âge, de sexe ou de pathologie est prise en considération et l’ensemble des données recueillies sur le terrain participent à la compréhension des pratiques funéraires utilisées à Thaon.