1Cette collection de près d’une vingtaine de contributions constitue le résultat publié des présentations et discussions qui ont eu lieu au cours de la table ronde, organisée suite aux travaux d’un groupe de chercheurs réunis dans le cadre d’un projet collectif de recherche sur la céramique médiévale et moderne en Franche-Comté. Les organisateurs ont fait appel à des chercheurs travaillant dans l’Est de la France au sens large du terme et quelques autres spécialistes ont apporté aux débats leurs données pour des poêles en céramique en Pologne (Barbara Pospieszna, « La céramique de poêle aux XVII^e et xviii^e siècles dans le royaume de Prusse (Pologne) », p. 135-144), de Tchéquie (Jana Kybalová, « La céramique de poêle des Anabaptistes dans les pays tchèques aux xvi^e et xvii^e siècles », p. 93-100), d’Allemagne rhénane (Harald Rosmanitz, « La série d’apôtres. Réflexions sur la fabrication, la distribution et la datation », p. 101-113), et de Suisse (surtout allemande) (Gilles Bourgarel, « La céramique de poêle fribourgeoise révélée par les fouilles archéologiques », p. 51-57 ; Gabriele Keck, « Un poêle au temps des chevaliers. La céramique de poêle du château de Gestelnburg/Valais (Suisse) », p. 33-41 ; Marie-Thérèse Torche-Julmy, « La production de céramique de poêle à Fribourg (Suisse). Histoire, typologie, iconographie », p. 127-134 ; Eva Roth, « Qualités et propriétés de la céramique de poêle bernoise du Moyen Âge tardif », p. 43-49). L’Alsace et la Franche-Comté sont évidemment relativement bien représentés (Madeleine Châtelet et Jean-Jacques Schwien, « Strasbourg, Place des Bateliers. La céramique de poêle du haut Moyen Âge », p. 15-31 ; Bernard Bohly et Pierre Fluck, « La céramique de poêle dans les habitats miniers des Vosges », p. 59-72 ; Bernard Goëtz, « Les céramiques de poêle de la cour nord du château de Montbéliard. Sur les pas des caqueliers montbéliardais, 1580-1640 », p. 115-126 ; Marie-Dominique Waton, « Essai de comparaison des céramiques de poêle médiévales et modernes provenant d’édifices laïcs et religieux à Strasbourg », p. 73-92 ; Bernhard Metz, « Glanes sur les poêles et les poêliers dans les sources écrites alsaciennes », p. 175-192 ; avec l’ajout de quelques notices concernant des collections, pièces de collection ou ensembles conservés ; Marc Grodwohl, « La collection des poêles de l’Écomusée d’Alsace », p. 222-223 ; Bernard Goëtz, « Un nouveau poêle au Musée des Ducs de Wurtemberg à Montbéliard », p. 224-225 ; Viviane Ivol-Lelouarn, « À propos du poêle monumental situé dans le grand salon (classé monument historique) de l’Hôtel Beurnier-Rossel à Montbéliard », p. 226).

2Cet aperçu reflète assez bien l’importance de la zone traditionnellement considérée comme la région principale du développement et de l’utilisation du poêle en céramique, à savoir la grande vallée rhénane et l’Europe centrale. Les régions du nord manquent cependant un peu à l’appel. Pourtant, les exemples de carreaux de poêle et de poêles en céramique, datant surtout du Moyen Âge tardif et des premiers siècles des temps Modernes sont loin d’être des exceptions aux Pays-Bas, en Angleterre, dans les pays scandinaves et baltes, en Russie, dans l’Italie du nord et même en Belgique et au Luxembourg, comme en témoignent de multiples publications, reprises notamment dans quelques bibliographies spécialisées et qui montrent bien l’intérêt accru que suscitent ces poêles et leur usage dans ces pays¹. D’aucuns, comme David Gaimster, considèrent d’ailleurs ces objets, et plus particulièrement les exemples décorés du bas Moyen Âge et des débuts des temps Modernes, comme des marqueurs d’une « civilisation hanséatique » dans certaines de ces contrées², interprétation qui reste à étayer. La répartition géographique des communications présentées à Montbéliard ne fait donc pas totalement justice à la géographie, ni même à l’importance du phénomène du poêle, mais cette remarque ne constitue pas vraiment une critique valable, puisqu’il est nécessaire d’abord de faire l’état de la question à une échelle quelque peu réduite ; mais il est évident qu’il faut regarder ces objets dans un contexte plus large, comme le remarque d’ailleurs à juste titre Joëlle Burnouf dans les conclusions (p. 209-215) quand elle suggère que nous avons besoin d’un programme de recherche à l’échelle européenne.

3Chronologiquement, le bas Moyen Âge, les débuts des temps Modernes, et, dans une moindre mesure, les siècles postérieurs, sont à l’honneur. Les époques antérieures le sont beaucoup moins, bien que la contribution de Madeleine Châtelet et Jean-Jacques Schwien attire l’attention sur cette période et parvienne à reculer la date d’apparition de ces poêles au début de l’époque carolingienne. Ce déséquilibre chronologique est bien entendu largement dû aux hasards de la recherche et des fouilles, mais ici un autre élément peut également entrer en jeu, à savoir le fait que les précurseurs des poêles décorés du bas Moyen Âge, assez prisés des historiens d’art, ont beaucoup moins suscité l’attention ou sont encore mal reconnus. Ici encore, Joëlle Burnouf souligne avec raison la nécessité d’un programme de recherche plus systématique et plus poussé à l’échelle européenne. On peut d’ailleurs se demander si dans d’autres régions que celles qui sont à l’honneur dans le volume présent, les poêles ne se manifestaient pas également déjà assez tôt mais sous d’autres formes que celles discutées ici. Pour cela, il faudra retourner aux réserves en tous genres, tout en tenant compte de ce que l’on sait ou peut savoir des systèmes de chauffage par d’autres voies (dont celle de l’archéologie du bâti).

4Par l’adjonction de quelques autres contributions, les organisateurs ont également su souligner d’autres aspects liés à ces poêles. Danièle Alexandre-Bidon (« Le poêle : une histoire en images (fin xv^e-xvii^e siècle) », p. 192-207) présente un premier inventaire des sources iconographiques figurant des poêles en céramique, la liste comprenant une série d’une quarantaine de cas dont la très grande majorité appartient au monde allemand du xvi^e siècle ; une série de commentaires essentiellement descriptifs permet de se faire une première idée sur les fonctions diverses du poêle et son contexte d’utilisation pratique et même – dans une moindre mesure – symbolique. Mais de toute évidence, il ne s’agit que d’une première approche, car le corpus de représentations de poêles (y compris les poêles en céramique) est sans doute plus étendu, surtout si l’on tient compte des peintures (allemandes mais également hollandaises et autres) où se retrouvent des poêles ornés de carreaux de faïence ou de porcelaine.

5Divers aspects techniques sont considérés par Jean Maire et Jean-Jacques Schwien (« Le poêle en terre médiéval. Réflexions sur sa structure et ses qualités calorifiques », p. 145-173), qui se basent notamment sur des observations de terrain et des expériences en laboratoire pour proposer l’hypothèse d’une évolution – ou même révolution – technique vers 1250-1300 avec l’adoption du module de base quadrangulaire, permettant une nouvelle architecture et une amélioration du rendement calorifique du foyer. Ils soulignent à juste titre qu’à l’avenir, il serait utile que les archéologues s’intéressent également aux aspects pratiques techniques des poêles et des carreaux de poêles en céramique, au lieu de se borner à un simple répertoire et/ou à une analyse des motifs décoratifs (p. 171).

6C’est là une réflexion qui peut sembler passagère, mais qui mérite attention. N’importe quel survol de la littérature concernant l’histoire et l’archéologie du foyer et des poêles en céramique montre immédiatement qu’une partie importante des efforts est consacrée aux aspects esthétiques et aux poêles considérés dans le contexte d’une histoire de l’art (stylistique, iconographie), tandis que du côté archéologique, ils se limitent le plus souvent à une approche typologique, voir chrono-typologique, éventuellement accompagnée de quelques réflexions concernant les origines des pièces étudiées (atelier ou ateliers) et leur distribution géographique. Cela ne constitue pas une critique à l’encontre de ces approches, qui gardent toute leur valeur, mais il faudrait que les efforts ne s’arrêtent pas sempiternellement à ces thématiques : le foyer et le poêle sont des phénomènes d’une richesse beaucoup plus grande, touchant à de nombreux secteurs de la culture matérielle dans toute sa complexité. Il ne s’agit pas seulement des aspects techniques et fonctionnels, mais aussi de l’organisation spatiale, des choix et de l’évolution décorative (et de leurs multiples liens avec le contexte culturel, surtout à partir du xvi^e siècle, même avec les arts décoratifs) et de toute la symbolique qui va de pair avec cette composante assez importante au sein de la maison et de l’espace de représentation accessible à d’autres personnes que les habitants eux-mêmes. Les historiens se sont déjà occasionnellement intéressés à ces aspects, mais le plus souvent en se limitant à (quelques-unes) des sources iconographiques et aux indications que livrent surtout les sources littéraires. Le matériel archéologique ne sert généralement qu’à fournir quelques illustrations, or, le volume présent (et aussi la littérature archéologique déjà très riche) démontre bien (et cela malgré les limitations géographiques et autres imposées par les conditions pratiques du colloque dont il est issu) la richesse des informations que l’archéologie est à même d’apporter. Élise Boucharlat insiste déjà dans l’avant-propos sur cette complexité du sujet (p. 9-11) et dans les conclusions, Joëlle Burnouf (« Conclusion : pour un programme européen de recherche sur la céramique de poêle », p. 209-215) formule une proposition – provisoire il est vrai – pour une approche plus systématique à l’échelle européenne, axée sur des problématiques qui rendent justice au poêle et au foyer, même si l’on peut aller plus loin qu’elle ne le propose. Elle considère d’ailleurs la table ronde et donc aussi le volume présent comme « un point de départ », mais cela ne fait peut-être pas entièrement justice aux travaux déjà faits ces dernières années par des chercheurs ailleurs en Europe. Néanmoins, elle n’a pas tort en suggérant ainsi que la réunion et le volume constituent une étape importante et utile dans le contexte d’approches qui devraient dépasser le cadre archéologique pour passer à des problématiques historiques au sens propre du terme.