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Technique et esthétique de la bague dans l’architecture gothique du Nord de la France au xiie siècle

The technical and aesthetic value of rings in Gothic architecture in the north of France during the twelfth century.
Der Schaftring in der gotischen Baukunst von Nordfrankreich im 12. Jh. : Technik und Ästhetik.
Arnaud Timbert
p. 39-50

Résumés

Les bagues constituent l’une des principales caractéristiques de l’architecture gothique du xiie s. dans la France du Nord. Leur usage résulte de l’emploi abondant de supports monolithiques durant cette période. Les bagues permettent en effet de solidariser les tronçons en délit entre eux – et avec les parois contre lesquelles elles s’adossent – tout en jouant un rôle de réserve et d’amortisseur lors du tassement des murs, évitant ainsi un éclatement des tronçons monolithiques. Au-delà de cet intérêt technique, elles participent également à l’écriture architecturale en imposant des rythmes ternaires qui concourent à l’individualisation nuancée des espaces propres au style de la première architecture gothique.

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Texte intégral

  • 1 Les auteurs ayant abordé le sujet se sont contentés de quelques observations ponctuelles Enlart 192 (...)

1Malgré la place prépondérante que la bague joue dans la plasticité des premières cathédrales gothiques, ainsi que la valeur technique qu’elle recouvre – solidariser des tronçons monolithiques – dans une architecture usant en abondance du support en délit, elle n’a jamais bénéficié d’une étude détaillée1.

2Les inventaires et les analyses de dépôts lapidaires menés par l’Université de Lille III sur des sites tels que Noyon et Laon (cathédrales Notre-Dame), ont favorisé l’observation de plusieurs bagues déposées dont les faces cachées sont riches en détails techniques, qu’il s’agisse des matériaux employés (plomb, fer) ou des modes d’appareillages utilisés.

3Ces constatations, complétées par l’étude de bagues mises en œuvre, révèlent la complexité d’un motif dont le rôle architectonique, tout autant que la valeur plastique, sont particuliers à l’architecture gothique du xiie siècle.

1. La technique

  • 2 Sapin 1991.
  • 3 Adam 1984, p. 124.
  • 4 Voir à ce sujet les exemples des colonnes monolithiques des ronds-points de La Madeleine de Vézelay (...)
  • 5 Viollet-le-Duc 1997, t. 2, p. 59-63, art. : « Bague » ; Choisy 1991, p. 264-265.

4L’utilisation de colonnettes en délit sur murs maçonnés est l’un des principaux paradoxes de l’architecture gothique. Nous savons en effet, depuis les études réalisées sur le mortier, que la chaux aérienne est à prise lente2, ce qui implique un tassement progressif des assises ; or, le support monolithique, par essence, est indéformable. Le caractère précaire qu’induit son usage dans la construction ne fait donc aucun doute : il est soumis à la pression exercée, d’une part, par l’architecture, de l’autre, par son propre poids3 ; il peut donc être rejeté de la paroi par ripement ou se briser4. C’est pourquoi, selon E. Viollet-le-Duc et A. Choisy – pour ne citer que les auteurs s’étant attardés sur la question – il fut nécessaire, pour éviter la dislocation des tronçons monolithiques superposés, d’intercaler entre eux une bague « reliée au massif des piles ou des murs (fig. 1)5 ».

Fig. 1 Mise en œuvre d’une bague d’après E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle, Poitiers,1997, t. 2, p. 59, art. : « Bague ».

Fig. 1 Mise en œuvre d’une bague d’après E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle, Poitiers,1997, t. 2, p. 59, art. : « Bague ».

5Toutefois, outre ce rôle indéniable de lien, les bagues eurent également une fonction de « tampon » le temps du tassement définitif du monument.

  • 6 Ces tiges non traversantes sont le plus souvent recouvertes d’une chemise de plomb qui protège la p (...)
  • 7 Voir également les bagues de la nef de la cathédrale Saint-Étienne de Sens.

6Certaines d’entre elles, conservées dans le dépôt lapidaire de la cathédrale de Laon, permettent d’observer qu’elles étaient reliées aux fûts par des goujons destinés à contrarier d’éventuels ripements (fig. 2)6. Allant parfois de pair avec l’emploi de ce goujon, sur d’autres monuments tels que l’église Saint-Sulpice de Chars (Oise), les tores inférieurs et supérieurs des bagues sont surcreusés7, offrant ainsi une cavité d’encastrement aux fûts.

Fig. 2 Cathédrale Notre-Dame de Laon, bague déposée.

Fig. 2 Cathédrale Notre-Dame de Laon, bague déposée.

Cl. auteur

7Si nous prenons l’exemple d’une bague mise en œuvre (fig. 3), le fût supérieur repose sur la bague alors que le fût inférieur ne la touche pas. L’espace de réserve ainsi créé permet une disposition concomitante des parois appareillées et des monolithes : ces derniers, lors du tassement du monument, glissent le long du goujon et comblent les espaces de réserve.

Fig. 3 Mise en œuvre d’une bague avec goujon.

Fig. 3 Mise en œuvre d’une bague avec goujon.

Dessin auteur

  • 8 Dans ce cas la technique est souvent étendue à l’ensemble des éléments liés au fût, à savoir, à la (...)

8Toutefois, le plus souvent, goujon et surcreusement sont employés séparément. Lorsque l’usage du premier n’est pas retenu, le second, qui permet également de caler les supports à la verticale et de pallier tout ripement, offre toujours un espace de réserve8.

  • 9 Voir notamment l’exemple de la cathédrale de Langres et de Noyon. Wu 1994, p. 49-68.

9Quand, à son tour, le goujon de fer est employé seul, le mortier joue, dans ce cas, le rôle d’amortisseur : il est évacué par pression lors du glissement du fût le long de la tige. Cette opération ne peut s’effectuer qu’avant la prise, une fois celle-ci réalisée le mortier devient rigoureusement incompressible. Néanmoins, nous ne devons pas rejeter l’hypothèse que les maîtres aient pris en considération la diminution naturelle du volume du mortier au cours de son séchage. Cette méthode, à l’évidence empirique, permettrait d’expliquer la présence de joints de 1 à 2 cm entre les fûts et les bagues9 dans une architecture qui, par ailleurs, privilégie les joints fins.

  • 10 Pour complément : Saint-Denis, Plouvier, Souchon 2002, p. 191. Voir également : Timbert 2004, p. 22 (...)
  • 11 Cette technique peut également s’observer sur le rond-point de Saint-Leu-d’Esserent. Les tores supé (...)
  • 12 Le portail du bras sud du transept de la cathédrale de Strasbourg révèle également un emploi concom (...)
  • 13 Sur les propriétés ductiles du plomb : Riddington, Sahota 2003, p. 323-328.

10Le mortier est parfois remplacé par le plomb. À Laon, une petite feuille de ce métal, dont les dimensions varient entre 5 mm et 1 cm, est intercalée entre les bagues et les tronçons monolithiques qui flanquent les supports orientaux de la nef10. La même observation peut être faite pour les bagues des supports intérieurs du massif de façade de la cathédrale Saint-Pierre de Lisieux (fig. 4) ; ici, la semelle de plomb a été dissimulée dans le surcreusement du tore supérieur11. L’emploi de ce métal en lieu et place du mortier confère ainsi à l’architecture une malléabilité qui autorise la mise en œuvre d’éléments porteurs en délit sur paroi appareillée12 : le support s’enfonce dans le métal, sans se rompre13.

Fig. 4 Cathédrale Saint-Pierre de Lisieux, bague du massif de façade.

Fig. 4 Cathédrale Saint-Pierre de Lisieux, bague du massif de façade.

Cl. auteur

11Toutefois, dès le troisième quart du xiie siècle, les hauts vaisseaux usant de faisceaux monolithiques sans bague se multiplient, comme l’illustre, entre autres, l’exemple de la cathédrale Notre-Dame de Noyon.

  • 14 Voir également l’exemple de la cathédrale d’Amiens Kimpel, Suckale 1990, p. 6, fig. 16.

12Dans cet édifice, des tambours de raccord ont néanmoins une fonction architectonique semblable aux bagues (fig. 5). Disposés entre deux tronçons monolithiques ils ont une valeur d’amortisseur – un joint de 1 à 2 cm fait tampon entre ces tambours et les fûts qu’ils supportent – et de raidisseur, un goujon empêchant d’éventuels ripements. La même disposition peut s’observer sur la tour sud du chevet de la cathédrale de Chartres pour laquelle la mise en œuvre des monolithes s’est effectuée en alternance avec des bagues cylindriques assisées (fig. 6)14.

Fig. 5 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, élévation de la nef, bague cylindrique et non saillante.

Fig. 5 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, élévation de la nef, bague cylindrique et non saillante.

Cl. auteur

  • 15 Dans ce cas, aux goujons verticaux reliant les fûts entre eux s’ajoutent des tenons ou tirants hori (...)
  • 16 Sur la connaissance intime des matériaux au Moyen Âge, voir notamment l’exemple de la cathédrale No (...)

13Cependant, la bague, moulurée ou non, n’est pas toujours sollicitée15. Son emploi n’est donc pas d’une absolue nécessité ; chaque monument, selon la densité de la pierre mise en œuvre et la granulométrie des mortiers utilisés, affiche des tassements variables qui imposent, ou non, son utilisation16.

Fig. 6 Cathédrale Notre-Dame de Chartres, tour sud du chevet, bague cylindrique et non saillante.

Fig. 6 Cathédrale Notre-Dame de Chartres, tour sud du chevet, bague cylindrique et non saillante.

Cl. auteur

14De plus, il apparaît que la bague est souvent employée en dehors de toute considération technique.

  • 17 Paris, Archives du Patrimoine, 8° DOC 73, Huignard 1923, p. 3.
  • 18 Fritsch 1990, p. 395-412 ; Bideault, Lautier 1987, p. 153-163. Dans l’exemple de Chars il s’agit m (...)

15En effet, dans le déambulatoire du bras sud du transept de la cathédrale de Soissons, les bagues reliant les supports monolithiques des arcs formerets ne sont pas appareillées17 ; indépendantes de la paroi, elles interviennent en dehors de toute fonction architectonique d’ordre supérieur ; elles sont cantonnées à un rôle de lien (fig. 7). De même, entre autres exemples, à Saint-Martin de Laon et à Saint-Sulpice de Chars, les bagues ornent des colonnes engagées18.

Fig. 7 Cathédrale Saint-Gervais-et-Saint-Protais de Soissons, déambulatoire du bras sud du transept, bague adossée.

Fig. 7 Cathédrale Saint-Gervais-et-Saint-Protais de Soissons, déambulatoire du bras sud du transept, bague adossée.

Cl. auteur

16L’intérêt technique du motif ne doit donc pas occulter l’emploi purement esthétique qu’en firent certains maîtres.

2. L’esthétique

  • 19 Eu égard à sa valeur technique la bague appartient à une problématique particulière à l’art gothiqu (...)
  • 20 Voir les bagues annulaires de Saint-Denis, de Senlis et de la priorale de Saint-Leu-d’Esserent. Ver (...)
  • 21 Le tore central, d’une forme assez douce durant les années 1145-1180 tend, à la fin du xiie siècle, (...)
  • 22 Les premières bagues à décor de feuillage apparaissent dans les réalisations gothiques bourguignonn (...)
  • 23 Qu’elle soit à profil attique ou à décor de feuillage l’ornementation des bagues est donc toujours (...)

17Dans les édifices gothiques de la première génération19, les bagues, parfois constituées d’une mince ligature20, sont le plus souvent formées de deux bases attiques au tore inférieur commun, c’est pourquoi elles présentent une évolution formelle identique à celles-ci (fig. 8)21. La bague à décor de feuillage vient toutefois, de manière ponctuelle, agrémenter le profil attique22. Dans ce cas, les motifs sculptés employés sont ceux du décor monumental : à Saint-Quiriace de Provins et à Sens, répondant à l’ambiance générale, l’acanthe et la feuille lisse prévalent, comme, quelques années plus tard le crochet, à Vézelay23.

Fig. 8 Évolution formelle des bagues durant les xiie et xiiie siècles.

Fig. 8 Évolution formelle des bagues durant les xiie et xiiie siècles.

1 : Vermenton (Yonne) – première travée de la nef, v. 1150-60.

  • 24 Michler 1977, p. 29-64. La même constatation peut être faite à Noyon, dans la première chapelle dr (...)
  • 25 Nubbaum, Lepsky 1999, p. 146-147.

18La couleur joua également un rôle prépondérant dans l’ornementation de la bague et, par extension, dans la plastique des monuments. À Saint-Quiriace de Provins, les bagues bénéficient d’un rehaut de couleur : les scoties étaient peintes en rouge ocre, les tores médians en vert ou en bleu24. Plus tard, vers 1171, le maître de Notre-Dame de Valenciennes, en recourant pour ces fûts détachés à l’emploi de la pierre de Tournai, inaugurait des effets de polychromies minérales qui eurent une riche descendance, notamment en Angleterre et en Allemagne25.

19La bague, mise en valeur par sa forme ou sa couleur, monopolise l’œil du spectateur et impose une rythmique ; elle joue ainsi un rôle décoratif majeur auquel il faut accorder, par ailleurs, une fonction dans la définition de l’espace gothique et de son articulation.

  • 26 Voir notamment certaines bagues des bras du transept de la cathédrale de Laon. Au sujet des recherc (...)

20En effet, au-delà d’une forme dont l’évolution épouse les grandes lignes de l’histoire du profil attique, la bague révèle souvent des dessins irréguliers dont le rôle dans l’accroissement visuel de la verticalité n’est pas étranger. Il est commun, dans l’architecture gothique, que l’élément mouluré soit profilé et disposé selon l’emplacement qui lui est destiné dans l’élévation. La bague n’échappe pas à cette règle, le dessin souvent dissymétrique du tore central cache la mouluration supérieure de la bague, laissant ainsi croire à une implantation assez haute de celle-ci 26.

Fig.  9 Cathédrale Saint-Étienne de Sens, élévation du sanctuaire.

Fig.  9 Cathédrale Saint-Étienne de Sens, élévation du sanctuaire.

Cl. auteur

21Par ailleurs, dans le cadre d’une architecture privilégiant l’ouverture des espaces les uns sur les autres, la bague favorise une individualisation esthétique de ces derniers. À Sens, dans le sanctuaire, le maître du chevet a disposé deux bagues à hauteur des grandes arcades et une troisième à hauteur des ouvertures-sur-combles (fig. 9). Dans la partie droite du chœur, il suscita une autre rythmique en implantant la seconde bague sur le bandeau courant au-dessus des grandes arcades, tout en agrémentant le fût monolithique d’une moulure enveloppante à hauteur des tailloirs des arcatures géminées (fig. 10). Enfin, dans la nef, une troisième formule s’impose avec la disposition de deux bagues à hauteur des grandes arcades et du niveau médian (fig. 11). Une observation semblable peut être faite à Saint-Quiriace de Provins. Dans la partie droite du chœur, trois bagues scandent l’élévation : une première à hauteur des grandes arcades, une seconde implantée sur le bandeau séparant ces dernières des ouvertures-sur-combles et une troisième à mi-hauteur de celles-ci. Dans le sanctuaire une autre rythmique prédomine, avec la disposition de deux bagues dans les écoinçons des grandes arcades tandis que la troisième souligne la racine du niveau médian.

Fig. 10 Cathédrale Saint-Étienne de Sens, élévation de la partie droite du chœur.

Fig. 10 Cathédrale Saint-Étienne de Sens, élévation de la partie droite du chœur.

Cl. auteur

  • 27 Cette démarche est d’autant plus révélatrice de l’esprit des maîtres du début du xiie siècle, attac (...)

22Par ce jeu subtil, les maîtres d’œuvre, tout en optant pour un décloisonnement des espaces, ont su créer pour chacun d’eux une rythmique nuancée qui favorise leur individualisation esthétique27.

Fig. 11 Cathédrale Saint-Étienne de Sens, élévation de la nef.

Fig. 11 Cathédrale Saint-Étienne de Sens, élévation de la nef.

Cl. auteur

  • 28 Villes 1977, p. 549-589.
  • 29 Nous nous permettons de renvoyer à : Timbert 2001, p. 201 et suivantes.

23La bague peut cependant être utilisée par touche plus discrète, voire isolée, et répondre aux mêmes fins. Ainsi, à Orbais, dans le sanctuaire unifié par une suite de colonnes, seule une bague fait la transition entre la partie droite et la partie tournante28. La même remarque est valable pour le chevet de La Madeleine de Vézelay dans lequel les bagues feuillagées sont uniquement présentes sur la travée centrale : elles participent de manière discrète à une mise en valeur raffinée de l’axe29.

24Le rôle de la bague dans la définition et l’articulation spatiale des monuments gothiques du xiie siècle revêt donc une relative importance.

25Ce succès résulte en partie du fait qu’elle fut un élément privilégié de créativité individuelle, chaque maître en usant à sa manière, la sollicitant pour développer une rhétorique toujours plus nuancée de l’écriture architecturale.

Fig. 12 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, élévation du sanctuaire.

Fig. 12 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, élévation du sanctuaire.

Cl. auteur

  • 30 Eu égard à la définition technique que nous proposons plus haut pour la bague, le bandeau enveloppa (...)
  • 31 Héliot 1966, p. 70.

26À cet égard l’exemple de la cathédrale de Noyon est tout à fait révélateur. Dans l’élévation du sanctuaire, les colonnes, distribuées par faisceaux, sont coupées par six rangs de bagues dont aucune n’est implantée à hauteur des lignes horizontales (fig. 12)30. Cette multiplication du motif ralentit l’élan vertical des supports tout en accentuant leur plastique31. Les faisceaux semblent ainsi projetés en avant du mur ; le bandeau non enveloppant des tribunes, en glissant derrière les supports, engendre le même effet. Pour une élévation qui favorise une définition stricte, d’une part, des niveaux par des bandeaux horizontaux et, d’autre part, des travées par des faisceaux verticaux de colonnettes, l’emploi de la bague est ici perturbateur ; elle suscite une rythmique dichotomique ; elle vient, tout à la fois, s’opposer à la rigueur de l’écriture architecturale et pondérer les recherches de verticalité.

Fig. 13 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, bas-côté nord de la nef.

Fig. 13 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, bas-côté nord de la nef.

Cl. auteur

27La bague constitue donc une ponctuation libre qui évolue à la recherche du paradoxe, et si elle accompagne parfois l’alternance binaire propre aux premiers monuments gothiques dotés de voûtes sexpartites, c’est pour mieux s’y opposer : les colonnes engagées des bas-côtés de la nef de la cathédrale de Noyon sont, une fois sur deux, enveloppées par des bagues qui font écho à la succession des supports forts et faibles du haut vaisseau ; or, ces bagues mettent en valeur les colonnes disposées en vis-à-vis des supports faibles de la nef dans un souci de contrepoint rythmique évident (fig. 13). Le rôle purement décoratif des bagues est ici d’autant plus certain qu’il est révélé par leur traitement : elles ne bénéficient ni de goujon ni de surcreusement et sont solidaires des tambours (fig. 14).

Fig. 14 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, bague déposée.

Fig. 14 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, bague déposée.

Cl. auteur

28L’exemple de Noyon reste néanmoins isolé au sein du premier art gothique, la dextérité et l’originalité que le maître déploie, les variations qu’il offre sur le thème ne seront jamais dépassées. Aussi les réalisations postérieures apparaissent-elles comme des influences édulcorées de l’œuvre noyonnaise.

  • 32 Grant 1993, p. 60-68.
  • 33 Prache 2001, p. 433-442.

29À Laon, les bagues sont disposées sur les bandeaux qui délimitent les niveaux de l’élévation (fig. 15), imposant ainsi un rythme monotone qui ne varie pas entre la nef et le chevet. Une réflexion du même ordre est valable pour le déambulatoire du bras sud du transept de Soissons ou encore pour le chevet de Saint-Michel en Thiérache. Ces édifices font un emploi systématique et appauvri du motif, ils représentent, qui plus est, la fin de son emploi abondant ; après 1180, les bagues ne seront plus utilisées, dans le nord de la France tout du moins, que de manière isolée et, le plus souvent, dans un but purement esthétique, comme l’illustre l’exemple tardif de la cathédrale de Rouen32, ou du chevet de Montier-en-Der33.

Fig. 15 Cathédrale Notre-Dame de Laon, élévation de la nef.

Fig. 15 Cathédrale Notre-Dame de Laon, élévation de la nef.

Cl. auteur

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Notes

1 Les auteurs ayant abordé le sujet se sont contentés de quelques observations ponctuelles Enlart 1927, p. 353 ; Héliot 1960, p. 196-197. Pour complément : Bony 1965, p. 45-122.

2 Sapin 1991.

3 Adam 1984, p. 124.

4 Voir à ce sujet les exemples des colonnes monolithiques des ronds-points de La Madeleine de Vézelay et de la collégiale de Mantes.

5 Viollet-le-Duc 1997, t. 2, p. 59-63, art. : « Bague » ; Choisy 1991, p. 264-265.

6 Ces tiges non traversantes sont le plus souvent recouvertes d’une chemise de plomb qui protège la pierre de tout éclatement lors d’éventuelles oxydations. À ce sujet voir également les observations de Chapelot 2002-2003, p. 7. Notons également que cette technique n’est pas toujours retenue comme le révèlent les bagues du chevet de Saint-Michel-en-Thiérache. Sandron 2000, p. 332-340.

7 Voir également les bagues de la nef de la cathédrale Saint-Étienne de Sens.

8 Dans ce cas la technique est souvent étendue à l’ensemble des éléments liés au fût, à savoir, à la base et au chapiteau : Ilef 2004, t. III, inv. R – 2003 – 24.

9 Voir notamment l’exemple de la cathédrale de Langres et de Noyon. Wu 1994, p. 49-68.

10 Pour complément : Saint-Denis, Plouvier, Souchon 2002, p. 191. Voir également : Timbert 2004, p. 223.

11 Cette technique peut également s’observer sur le rond-point de Saint-Leu-d’Esserent. Les tores supérieurs des bases recevant les supports monolithiques ont été surcreusés de façon à constituer une cavité dans laquelle le plomb a été coulé. Une fois le support monolithique disposé, la semelle de plomb était ainsi dissimulée. Hanquiez 2003, p. 57, n. 268. Une étude sur l’usage et la mise en œuvre du plomb dans les cathédrales de Picardie (Senlis-Soissons-Laon-Noyon) est actuellement en cours (Univ. Lille III).

12 Le portail du bras sud du transept de la cathédrale de Strasbourg révèle également un emploi concomitant de la bague et du plomb. Cet exemple doit être cependant soumis à une critique d’authenticité précise avant d’être indubitablement présenté comme médiéval.

13 Sur les propriétés ductiles du plomb : Riddington, Sahota 2003, p. 323-328.

14 Voir également l’exemple de la cathédrale d’Amiens Kimpel, Suckale 1990, p. 6, fig. 16.

15 Dans ce cas, aux goujons verticaux reliant les fûts entre eux s’ajoutent des tenons ou tirants horizontaux destinés à solidariser les monolithes avec les parois appareillées, comme le révèlent de nombreux exemples, tels que les faisceaux de colonnettes des murs gouttereaux du bras sud du transept de la cathédrale de Chartres ou ceux de la nef de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

16 Sur la connaissance intime des matériaux au Moyen Âge, voir notamment l’exemple de la cathédrale Notre-Dame de Paris : Blanc 1990, p. 132-138. Sur l’usage des matériaux à des fins d’amortissement : Baud 2003, p. 100.

17 Paris, Archives du Patrimoine, 8° DOC 73, Huignard 1923, p. 3.

18 Fritsch 1990, p. 395-412 ; Bideault, Lautier 1987, p. 153-163. Dans l’exemple de Chars il s’agit moins de bagues que de bandeaux enveloppant à profil attique.

19 Eu égard à sa valeur technique la bague appartient à une problématique particulière à l’art gothique, aussi ne trouve-t-on que peu d’exemples antérieurs au xiie siècle. Tout au plus pouvons-nous citer, pour la période Antique, le témoignage indirect du plat de reliure de l’Évangile de Lorsch, conservé au « Victoria and Albert Museum » qui présente des colonnes baguées. La période romane révèle quant à elle quelques exemples d’églises tels que l’abbatiale de Saint-Albans en Normandie, Thil-Châtel et Charlieu en Bourgogne, ou encore Norroy-sur-Ver dans les Vosges. Enlart 1927, p. 353 ; Bony 1965, p. 112 ; Stratford 1994, p. 163-170 ; Cahn 1974, p. 45-58 ; Thurlby 1997, p. 86.

20 Voir les bagues annulaires de Saint-Denis, de Senlis et de la priorale de Saint-Leu-d’Esserent. Vermand 1987, p. 67 ; Hanquiez 2003, p. 38 et s. Ces bagues n’étant pas ancrées dans le mur, elles n’ont aucune valeur architectonique. Toujours solidaires du support elles constituent une survivance de la technique de taille antique des fûts portant l’astragale : Viollet-Le-Duc 1997, p. 10-11, art. : « Astragale ».

21 Le tore central, d’une forme assez douce durant les années 1145-1180 tend, à la fin du xiie siècle, à s’effiler en amande – notamment dans les chevets de Saint-Pierre de Genève (Suisse) vers 1180-1190, et de Montier-en-Der, vers 1200 – et à bénéficier de scoties surcreusées au xiiie siècle, dans les rares édifices de cette période qui en font encore usage, tels que la cathédrale de Lausanne vers 1190-1200 ou le réfectoire de l’abbaye Saint-Martin-des-Champs à Paris, vers 1230. Timbert 2003, p. 91-101.

22 Les premières bagues à décor de feuillage apparaissent dans les réalisations gothiques bourguignonnes et champenoises à partir de 1150 comme le révèlent les exemples de Sens, de Langres, de Saint-Bénigne de Dijon, de Vermenton, de Saint-Cyr-les-Colons ou encore de Vézelay pour la Bourgogne ; de Saint-Quiriace de Provins, de Voulton et de Paroy pour la Champagne méridionale.

23 Qu’elle soit à profil attique ou à décor de feuillage l’ornementation des bagues est donc toujours soumise à l’ambiance générale. Tout au plus pouvons-nous relever quelques bagues à décor de torsade et de scotie à rainure à la cathédrale de Sens ou de Voulton.

24 Michler 1977, p. 29-64. La même constatation peut être faite à Noyon, dans la première chapelle droite sud où les fûts de couleur variée sont reliés par des bagues jaunes : Rivaux 2003, p. 37-39.

25 Nubbaum, Lepsky 1999, p. 146-147.

26 Voir notamment certaines bagues des bras du transept de la cathédrale de Laon. Au sujet des recherches d’illusions optiques et de dissymétrie, voir les propos de Choisy 1991, p. 409-412 ; de Kimpel, Suckale 1990, p. 78-80 ; ou encore de Jalabert 1965, p. 101.

27 Cette démarche est d’autant plus révélatrice de l’esprit des maîtres du début du xiie siècle, attachés au détail de la modénature, qu’elle est identique pour les bases : Timbert 2003, p. 91-101.

28 Villes 1977, p. 549-589.

29 Nous nous permettons de renvoyer à : Timbert 2001, p. 201 et suivantes.

30 Eu égard à la définition technique que nous proposons plus haut pour la bague, le bandeau enveloppant des grandes arcades ne peut être confondu avec cet élément.

31 Héliot 1966, p. 70.

32 Grant 1993, p. 60-68.

33 Prache 2001, p. 433-442.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 Mise en œuvre d’une bague d’après E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle, Poitiers,1997, t. 2, p. 59, art. : « Bague ».
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Titre Fig. 2 Cathédrale Notre-Dame de Laon, bague déposée.
Crédits Cl. auteur
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Titre Fig. 3 Mise en œuvre d’une bague avec goujon.
Crédits Dessin auteur
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Titre Fig. 4 Cathédrale Saint-Pierre de Lisieux, bague du massif de façade.
Crédits Cl. auteur
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Titre Fig. 5 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, élévation de la nef, bague cylindrique et non saillante.
Crédits Cl. auteur
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Titre Fig. 6 Cathédrale Notre-Dame de Chartres, tour sud du chevet, bague cylindrique et non saillante.
Crédits Cl. auteur
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Titre Fig. 7 Cathédrale Saint-Gervais-et-Saint-Protais de Soissons, déambulatoire du bras sud du transept, bague adossée.
Crédits Cl. auteur
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/48074/img-7.jpg
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Titre Fig. 8 Évolution formelle des bagues durant les xiie et xiiie siècles.
Légende 1 : Vermenton (Yonne) – première travée de la nef, v. 1150-60.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/48074/img-8.jpg
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Titre Fig.  9 Cathédrale Saint-Étienne de Sens, élévation du sanctuaire.
Crédits Cl. auteur
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/48074/img-9.jpg
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Titre Fig. 10 Cathédrale Saint-Étienne de Sens, élévation de la partie droite du chœur.
Crédits Cl. auteur
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/48074/img-10.jpg
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Titre Fig. 11 Cathédrale Saint-Étienne de Sens, élévation de la nef.
Crédits Cl. auteur
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/48074/img-11.jpg
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Titre Fig. 12 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, élévation du sanctuaire.
Crédits Cl. auteur
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/48074/img-12.jpg
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Titre Fig. 13 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, bas-côté nord de la nef.
Crédits Cl. auteur
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/48074/img-13.jpg
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Titre Fig. 14 Cathédrale Notre-Dame de Noyon, bague déposée.
Crédits Cl. auteur
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Titre Fig. 15 Cathédrale Notre-Dame de Laon, élévation de la nef.
Crédits Cl. auteur
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Pour citer cet article

Référence papier

Arnaud Timbert, « Technique et esthétique de la bague dans l’architecture gothique du Nord de la France au xiie siècle »Archéologie médiévale, 35 | 2005, 39-50.

Référence électronique

Arnaud Timbert, « Technique et esthétique de la bague dans l’architecture gothique du Nord de la France au xiie siècle »Archéologie médiévale [En ligne], 35 | 2005, mis en ligne le 15 juillet 2023, consulté le 19 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/archeomed/48074 ; DOI : https://doi.org/10.4000/archeomed.48074

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Auteur

Arnaud Timbert

Maître de conférences en histoire de l’art médiéval, Université de Lille III-Charles de Gaulle.

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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