1Après avoir concerné la partie NO de la plate-forme (1996-2000), la fouille programmée s’attache, depuis 2001, à étudier exhaustivement le quart NE de l’espace castral établi sur une motte entièrement anthropique. En 2002, les efforts se sont portés sur la forteresse des xiv^e-xv^e s. (phase 5), avec l’analyse de la courtine orientale et de la tour de flanquement NE, et sur le château de pierre antérieur, construit au milieu du xii^e s. (phase 4), avec l’étude du bâtiment principal situé au centre de la plate-forme et composé certainement d’une aula accostée d’une tour. Les phases les plus anciennes n’avaient été qu’abordées : bâtiments sur sablières avec sols des x^e-xii^e s. (phases 2 et 3) et trous de poteau d’un grand bâtiment du x^e s. (phase 2). Cette année, deux grands axes de fouille ont concerné, d’une part, l’étude de la partie orientale de la motte, le long du côté interne de la courtine des xive-xv^e s., et, d’autre part, l’analyse complète et minutieuse des zones d’habitat situées dans la partie centrale de la plate-forme (phases 2 et 3). Le premier secteur a été bouleversé, dans sa partie supérieure, par des fosses liées à la construction de la courtine de la fin du Moyen Âge puis à la militarisation du site dans le courant du xvi^e s. Le démontage de toute une section de la courtine a permis d’étudier la construction des fondations, dont les assises bien réglées comportent des réemplois. Cette enceinte se présente comme un mur de terrasse, édifié en relation avec la mise en place de puissants radiers de craie pilée sous forme d’un talus interne. Sous ces radiers, des vestiges construits ou creusés appartenant aux phases anciennes ont été mis au jour, ils sont dans un état de conservation exceptionnel. Il s’agit tout d’abord, tout près de la courtine des xiv^e-xv^e s., de la fondation appareillée d’un mur de direction N-S. Associée au vestige d’une autre fondation E-O, cette structure construite correspond à l’angle NE d’un bâtiment appartenant à la phase 3 (xi^e s.) puisque l’ensemble est recoupé par un mur de la phase 4 (xii^e s.) et qu’il est implanté sur les remblais de deux structures excavées de la phase 2 (x^e s.). Ces dernières se composent d’une profonde cave carrée et d’un silo cylindrique à parois de clayonnage et fond de bois. Une autre cave a été fouillée dans la partie sud de ce secteur ; elle pourrait appartenir à la phase 2A (1ère moitié du x^e s.). L’emplacement du silo de la phase 2 et du bâtiment de la phase 3 viennent renforcer l’hypothèse d’une plate-forme légèrement plus étendue lors des phases antérieures à la fin du Moyen Âge, du moins pour le côté oriental. La découverte, dans ce secteur, de gros poteaux et l’étude de leurs alignements permettent d’établir le plan d’un grand bâtiment de bois oriental (phase 2), semblable à celui repéré dans la partie ouest de la motte lors des premières campagnes de fouille. Cela permet de mieux connaître l’organisation spatiale de la phase la plus ancienne. Tous ces éléments ont rendu possible une connexion archéologique entre cette zone bouleversée et le secteur d’occupation central. Ce dernier correspond à des habitats des phases 2 et 3, témoignant d’une très forte densité d’occupation. L’état général de conservation, la diversité et l’importance des structures étudiées ainsi que la coïncidence des divers réaménagements sont tout à fait exceptionnels pour cette période des x^e-xi^e s. Ces unités d’habitat sont structurées par des poteaux et des sablières, et sont associées à des sols internes et externes. L’ensemble est composé d’une succession de bâtiments, allongés d’est en ouest et alignés en fonction d’un possible chemin empierré N-S, placé à peu près au centre de la motte, qui est un élément persistant de l’organisation. Certains bâtiments ne sont pas accolés et on note la présence d’une étroite ruelle E-O ; d’autres peuvent correspondre à un large édifice disposant de pièces. Toutes les unités structurées par les sablières disposent d’un foyer plus ou moins important et temporaire. Celui qui est situé au nord constitue une véritable aire de chauffe dont le cœur a évolué en fonction des différentes reconstructions du bâtiment correspondant. Les autres aménagements liés à cet espace sont nombreux. Au nord, on a découvert une fosse allongée avec des parois recouvertes de planches de bois (latrines, bac de décantation ?), un écoulement construit avec des pierres de craie émoussées orienté en direction de la cave et un caniveau qui longe l’une des sablières occidentales. Au sud, l’une des séquences est marquée par la présence d’un petit four rectangulaire comportant une sole de terre glaise et par l’existence d’une paroi à clayonnage E-O. Par ailleurs, ces habitats fonctionnent avec les deux caves et le silo situés dans le secteur oriental. Deux hypothèses fonctionnelles peuvent être avancées. Il pourrait s’agir de deux espaces différenciés : l’un domestique avec le grand foyer (nord) et l’autre artisanal avec la présence du petit four (sud). L’autre hypothèse est une destination exclusivement artisanale avec différents ateliers métallurgiques : aire de chauffe au nord, associée à la fosse allongée, petit four pour le métal précieux au sud. L’identification des aménagements et l’étude du mobilier appartenant aux différents sols de ces unités, qui comprend, non seulement des objets domestiques, mais également des scories et des loupes de métal, permettront de trancher cette question. Ce mobilier est d’une exceptionnelle richesse et d’une grande diversité : outre les éléments habituels, on peut évoquer un dépôt de pointes de flèches et la découverte d’une loupe de métal cuivreux, et citer une meule, un pot à bec tréflé complet, un bijou. Plusieurs monnaies facilitent le calage chronologique des différentes séquences d’occupation. En effet, l’alignement des sablières indique l’existence d’au moins trois séries successives de bâtiments. Tous les niveaux d’occupation associés sont nettement différenciés et résultent d’une construction soignée (remblais de nivellement, radiers, couches d’occupation). Par ailleurs, l’emploi dominant du bois (sablières, poteaux, clayonnages) n’exclut pas l’utilisation de la pierre, et même son réemploi, dans des structures qui sont parfois très bien appareillées. On peut même envisager une utilisation conjointe des deux matériaux dans le cadre d’un même édifice : ainsi, il conviendra de savoir si le bâtiment en pierre de la phase 3, découvert à l’est, fonctionne avec l’une des séquences d’habitat sur sablières du centre, comme semblerait l’indiquer la coïncidence des alignements. De même, il faudra s’attacher à comprendre les relations entre cet espace d’habitats et le grand édifice en bois, marqué par les empreintes de poteaux. Enfin, une occupation primitive, révélée par des trous de piquets et au moins deux soles de foyer, est en cours de fouille. Le château de la phase 4 (milieu xii^e s.) a bouleversé l’organisation spatiale ancienne par la construction d’un grand bâtiment de pierre E-O, avec une aula et une partie carrée correspondant peut-être à une tour. Les constructeurs, qui avaient un projet d’aménagement global, se sont servis des structures existantes pour mieux asseoir leur édifice. Contrairement aux phases 4 et 5 dont le début est parfaitement défini par une construction d’envergure et planifiée, les phases anciennes connaissent des transitions lentes et partielles qui donnent l’impression d’un continuum. Impression renforcée par l’absence de projet d’ensemble sur un espace que les possesseurs ne se sont pas encore appropriés. Avant le milieu du xii^e s., les bâtiments sont remplacés au gré des besoins. Ils sont majoritairement en bois, en fonction d’une structuration résultant d’un « état de fait » que l’on commence à bien cerner (artère N-S sous la forme d’un chemin empierré, localisation des silos en rebord de motte). Pour les phases anciennes, la richesse et la diversité du mobilier, la grandeur des bâtiments et la taille des structures indiquent un site résidentiel à statut nettement privilégié et à très forte densité d’occupation. L’année 2003 a également vu l’achèvement de la thèse qui aborde l’histoire du site d’Olivier Leblan. La construction de la butte est antérieure d’un siècle à la première mention de la famille de Boves. Le contexte de cette création renvoie à deux principales raisons qui ne sont pas incompatibles : l’insécurité provoquée par les bandes vikings et la concurrence entre les grands lignages. L’hypothèse d’une forteresse d’origine publique, construite à l’initiative royale et confiée à la gestion épiscopale, a pu être évoquée. Au xi^e s., le comté demeure une charge exercée au nom de l’évêque. Dans une région où la multiplicité des droits héréditaires lui donnent le moyen de choisir son « consul », le prélat s’efforce de privilégier l’homme le plus apte à défendre des intérêts qui ne sont pas toujours ceux de sa fonction. Le danger de cette politique est de remettre en cause la Paix de Dieu en exposant l’Amiénois à des guerres entre les lignages concurrents à la fonction comtale. C’est dans ce contexte particulier qu’apparaissent les Boves, qui contrôlent l’avouerie du lieu tenue de l’évêque, vers le milieu du siècle. La légitimité de leur pouvoir est le résultat d’une proximité avec les représentants de l’autorité publique aux origines carolingiennes : l’évêque et le comte. Il convient de souligner que l’arrivée des Boves, comme gardiens de la résidence fortifiée et non comme possesseurs, ne correspond pas à une modification majeure de l’agencement du château. Ces « seigneurs » accèdent, avec Enguerran 1er, à la fonction comtale vers 1105. Aidés par l’aristocratie rurale, ils s’efforcent d’investir la cité épiscopale, mais la réforme grégorienne, le mouvement communal et l’action capétienne viennent contrecarrer leur projet politique. La reconstruction du château est issue de cette instabilité : pour se maintenir dans la fonction comtale, Robert 1er s’appuie sur ce lieu qu’il reconstruit autour de 1150. À la suite de ces erreurs politiques, les droits et les possessions, d’origine publique, accumulés par ses prédécesseurs sont remis aux autorités princières puis royales que Robert et ses successeurs doivent reconnaître, en échange d’une concession en fief. Pour la première fois, après 1160, on peut parler d’une seigneurie à Boves. Ainsi d’un point de vue historique comme d’un point de vue archéologique, la rupture se situe vers le milieu du xii^e s. Cette période de mise en place de la seigneurie correspond, d’une part, à une transition nette dans la construction avec l’utilisation massive de la pierre et l’existence d’un projet global qui ne reprend pas systématiquement les grandes orientations des aménagements précédents, et, d’autre part, à une tendance à l’unité fonctionnelle par l’abandon des activités artisanales, rejetées certainement dans la basse-cour.