1La seconde campagne de fouilles entreprise sur le site de la Tour et les recherches documentaires menées conjointement aux archives départementales de la Savoie, ont fourni d’intéressants résultats qui s’éclairent mutuellement. Le bâtiment principal, dont seule l’extrémité ouest avait été exhumée l’an passé, a entièrement été mis au jour cette année. Il s’agit du niveau inférieur d’une tour, d’environ 8,80 m de côté, dont les murs, d’1,10 m d’épaisseur, sont conservés par endroits sur plus de 3 m de haut. Destiné au stockage, ce niveau était éclairé d’un mince jour en archère placé en position haute, et s’ouvrait sur l’extérieur par une porte, percée dans le mur est, qu’une puissante barre coulissant dans l’épaisseur de la maçonnerie permettait de verrouiller. La fouille des niveaux d’occupation de la tour et l’étude du mobilier associé confirment son statut aristocratique et sa fonction militaire (carreaux d’arbalète, pièces de harnachement, appliques décoratives en bronze, trompe d’appel, vaisselle et céramique culinaire abondante). Elle n’autorise cependant pas à en faire remonter la construction bien avant le milieu du xiii^e s. Plusieurs monnaies, ainsi que l’analyse au radiocarbone de graines carbonisées, laissent par ailleurs entendre que l’incendie, qui est à l’origine de sa destruction, eut lieu au début de la seconde moitié du xiv^e s. Enfin, l’élargissement du sondage extérieur a permis la découverte d’un tronçon de mur (une enceinte ?) et d’un fossé de drainage destiné à empêcher le ruissellement des eaux de pluie à l’intérieur du bâtiment qui, curieusement, n’a pas été construit sur un promontoire. Ainsi présentée, cette tour paraît bien correspondre au « château de Saint-Maurice » que le chevalier Jacerand gardait, à la fin du xiii^e s., pour le compte du plus important potentat local : le seigneur de Gerbaix. L’extinction de cette lignée favorisa l’implantation du comte de Savoie à Saint-Maurice où, sous son impulsion, un nouveau château fut bâti entre 1343 et 1359, soit précisément à l’époque de la destruction de la tour dont à peine 500 m le séparent : les deux phénomènes semblent ainsi étroitement liés. L’abandon du site de la Tour pour la butte de Mauchamp répondait à un impératif avant tout militaire : construite sur le rebord d’un plateau calcaire, la tour ne présentait pas suffisamment de qualités défensives aux yeux du comte. Mais la campagne de fouilles 2003 éclaire d’un jour nouveau les motivations qui, au cours du xiii^e s., ont poussé le seigneur de Gerbaix à choisir un tel emplacement. La tour s’appuie sur les vestiges d’un bâtiment plus ancien, dont un mur a été mis au jour : son appareil disposé en assises régulières, formé de petits moellons soigneusement équarris aux joints tirés au fer est, dans la région, caractéristique du xi^e s. La fouille, encore très partielle, des niveaux d’occupations associés a révélé un mobilier céramique à pâte exclusivement grise, contemporain de cette période. Il s’agit vraisemblablement des vestiges du castrum Conspectus, mentionné dans la documentation dès la seconde moitié du xi^e s., à proximité de l’ancienne église Saint-Maurice. Le seigneur de Gerbaix aurait donc tiré parti d’un ancien site castral, abandonné depuis une centaine d’années, qui, comme son nom l’indique, constituait un admirable poste d’observation : conspectus signifie en effet « [Beau] Regard ». C’est sur ce castrum, l’un des dix châteaux de Savoie mentionnés dès le xi^e s., que devra désormais se porter notre attention lors des prochaines campagnes.