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Étude archéologique, micromorphologique et architecturale de deux bâtiments d’estive de l’époque moderne dans les Monts du Forez (Massif central, France)

Archaeological, micromorphological and architectural analysis of two summer pasture buildings from the early modern period in the Mountains of Forez (Massif Central, France)
Archäologische, mikromorphologische und architektonische Untersuchung von zwei neuzeitlichen Sömmerungsgebäuden in den Monts du Forez (Zentralmassiv, Frankreich)
Antoine Scholtes, Mireille Busseuil, Jacques Verrier, Priscille Chapuis et Hervé Cubizolle
p. 163-180

Résumés

Résumé : Dans le cadre de recherches relatives à l’habitat d’estive dans le haut Forez, les techniques de construction et l’aménagement des bâtiments agropastoraux entre le second Moyen Âge et l’époque moderne (xie-xviiie siècle) ont été étudiés par le biais de prospections et de sondages archéologiques accompagnés d’analyses micromorphologiques. Ces dernières ont mis en évidence certains des matériaux utilisés par les communautés agropastorales dans la réalisation des bâtiments. Les résultats présentés sont issus de deux campagnes distinctes réalisées sur les sites de Vieux-Colleigne et de Barras, tous deux datés de l’époque moderne.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Cubizolle et al. 2014.

1Le haut Forez, ou Hautes Chaumes des Monts du Forez, est une unité paysagère dont les paysages actuels sont hérités de pratiques agropastorales pluriséculaires. Depuis les années 2000, des travaux paléoécologiques mettent en évidence une gestion du milieu progressive dont l’origine remonterait au Néolithique1. Jusqu’à une période récente, le faible investissement de la recherche archéologique sur les Hautes Chaumes ne permettait pas d’associer les variations relevées au sein du cortège végétal à une véritable dynamique anthropique.

  • 2 Chapuis et Verrier 2021.

2Un changement s’opère en 2016, date à laquelle est fondé le programme de prospections « Archéologie des Hautes Chaumes du Forez » dirigé par Fabien Delrieu puis Priscille Chapuis (SRA Auvergne-Rhône-Alpes)2. Le programme se veut pluridisciplinaire et articule ses travaux autour d’une thématique diachronique relative aux interactions sociétés-milieu. Des archéologues, des historiens, des paléoécologues mais aussi des géographes ont travaillé de concert pour acquérir et confronter des données tant archéologiques, historiques que bioclimatiques. Au terme d’une première triennale, ce sont plus de deux-cents occurrences archéologiques qui sont référencées sur le territoire du haut Forez. Parmi celles-ci, la grande majorité correspond à des vestiges de structures semi-excavées mais sont aussi dénombrés des épandages de céramiques indicateurs de sites proches ou encore des éléments isolés (objets lithiques, céramiques, etc.). L’ensemble de ces éléments permet d’entrevoir une fréquentation de ces terres depuis le Néolithique moyen. L’une des principales forces du programme réside dans la mise en évidence d’une occupation du sol dense et structurée autour d’une dynamique socio-économique spécifique entre le second Moyen Âge et la fin de l’époque moderne. En effet, 102 sites rattachés à cette chronologie ont été intégrés au sein d’une base de données thématique. Tous entrent dans la catégorie spécifique de l’habitat d’estive agropastoral. Il s’agit de bâtiments semi-excavés organisés en groupements de structures dont le nombre varie d’un site à un autre. Sur les Hautes Chaumes, l’apparition et la structuration de cette forme d’habitat sont corrélées à la gestion des pâturages et à l’économie de l’estive. Les sites se répartissent à l’intérieur d’anciens terroirs seigneuriaux et/ou communautaires destinés à l’agropastoralisme qui demeure très local. Afin de mettre en avant les caractéristiques architecturales des bâtiments, des sondages archéologiques ont été entrepris sur différents sites. Les données acquises permettent de dresser une première typo-chronologie de l’habitat d’estive tel qu’il se développe entre la fin du Moyen Âge et la fin de l’époque moderne sur le haut Forez.

  • 3 Fau 2006.
  • 4 Surmely et al. 2010, 2018 ; Surmely et Le Junter 2017.
  • 5 Rendu 2003 ; Leveau 2000.
  • 6 Rendu et al. 2012 ; 2013, Galop 1998.
  • 7 Rendu 2003, p. 144.

3Les recherches relatives à l’habitat agropastoral et à ses formes bénéficient d’une trentaine d’années d’investigations. Dans le Massif central, Laurent Fau a le premier étudié cette catégorie de vestiges dans la région de l’Aubrac3. Quelques années plus tard, des recherches équivalentes débutent sous l’égide de Frédéric Surmely dans les planèzes du Cantal puis du Cézallier4. Ces travaux sont hérités d’une dynamique pionnière élaborée dans les Pyrénées et les Alpes, où deux programmes de recherche furent fondés au cours de la décennie 19905. Chacun met en œuvre un protocole d’analyse inédit. Désormais, les données paléoenvironnementales et archéologiques sont associées et confrontées au sein d’un discours thématique relatif aux interactions sociétés-milieux6. À l’origine de la démarche, le but était de mettre en évidence les dynamiques socio-économiques passées. Comme l’explique Christine Rendu, « pour éclairer les systèmes et les pratiques, il faut fouiller large et aborder la cabane et son extérieur pour déceler les pratiques »7. La montagne et les communautés montagnardes sont, dès lors, étudiées sous un angle nouveau.

1. Les ensembles semi-excaves du haut Forez

4Le terme « Hautes Chaumes » désigne une unité paysagère de la partie sommitale des Monts du Forez. Le massif forézien définit une moyenne montagne au socle métamorphique de la bordure orientale du Massif central. Elle a été portée en altitude lors de l’orogénèse varisque. La montagne est encadrée à l’est et à l’ouest par deux fossés d’effondrement (ou grabens) d’âge oligocène (fig. 1).

Fig. 1 Localisation des Hautes Chaumes des Monts du Forez.

Fig. 1 Localisation des Hautes Chaumes des Monts du Forez.

A. Scholtès.

5Les Hautes Chaumes forment une unité de plateaux dont l’altitude est comprise entre 1 200 et 1 634 m. Leur superficie actuelle est de 8 000 ha. La paléotopographie locale est héritée du Würm. Le territoire s’échelonne sur deux étages bioclimatiques que sont l’étage montagnard supérieur et l’étage subalpin. Dans le premier, entre 1 200 et 1 450 m, le relief est constitué de plateaux reliés entre eux par des talus faiblement marqués. À plus haute altitude, le paysage change. Autour du horst de Pierre-sur-Haute et de la ligne de crêtes, des tabliers à blocs et des éboulis flués s’étendent au pied de reliefs résiduels hérités de la dernière glaciation. Le territoire des Hautes Chaumes est délimité par des ruptures de pente à forte déclivité dont la formation est tributaire de phénomènes tectoniques et morphodynamiques actifs depuis l’Oligocène.

  • 8 Scholtès 2020.
  • 9 Chapuis et Verrier 2021.

6À partir du second Moyen Âge, les estives foréziennes accueillent de nombreux ensembles construits et occupés temporairement. Ces « hameaux » relèvent de techniques de constructions identiques d’un site à l’autre. Ainsi, une certaine forme de standardisation de l’habitat et de ses formes semble mise en place dès les environs de l’an Mil8. En effet, les sites pastoraux du haut Forez s’intègrent à un courant chrono-culturel qui émergerait aux xie-xiie siècles. Du moins, c’est ce que tendent à démontrer les données archéologiques recueillies ces dernières années9. Toutefois, il est nécessaire de garder prudence concernant la chronologie proposée. Cette dernière, en effet, correspond à l’état actuel de la recherche. La poursuite des études permettra d’affiner ces premières estimations.

  • 10 Scholtès 2020, p. 83.

7Dans le cadre du programme préalablement cité, quatre années de travail ont permis de référencer 102 sites pastoraux. Dans la définition proposée, l’habitat agropastoral incorpore « […] l’ensemble des habitats groupés dont les formes chrono-typologiques, l’organisation et la spatialisation répondent à une logique de gestion du territoire ainsi qu’à une finalité socio-économique jugés identiques »10. Les groupements de structures semi-excavées présents sur les Hautes Chaumes s’insèrent dans cette définition. Les données textuelles et archéologiques le confirment, les sites considérés sont la principale composante d’un modèle d’occupation du sol cohérent et évolutif entre le xie et le xviiie siècle. La totalité des sites adopte un modèle de bâti fondé sur une base commune. Bien que le procédé de construction reste le même jusqu’à l’aube de l’époque contemporaine, quelques évolutions typologiques interviennent entre la fin du Moyen Âge et l’époque moderne. Ces dernières témoigneraient de phases de seuils techniques et socio-économiques. Ainsi, une première évolution du bâti intervient autour du xiiie siècle tandis qu’une seconde paraît davantage liée à l’époque moderne (xvie-xviie siècle). Si la première est encore sujette à caution, la seconde a été clairement documentée. Chaque site comprend entre dix et dix-huit bâtiments. Tous sont semi-excavés et creusés dans les séquences naturelles. Les contextes topographiques privilégiés comptent majoritairement des ruptures de pente ou encore des talus.

  • 11 Lapayre 1926, p. 303.
  • 12 . Surmely et Le Junter 2017.
  • 13 Fau 2006.

8Entre le second Moyen Âge et la fin de l’époque moderne, l’habitat agropastoral a accueilli les tenanciers et leurs cheptels pour la durée de l’estive. Les sites se répartissent sur des terroirs qui relèvent d’anciennes « montagnes » seigneuriales et communautaires. Les documents d’archives d’époque moderne mentionnent les termes de « jaz » ou « jat » lorsque sont concernés les pâturages d’altitude. D’après Élie Lapayre, « […] jas et jasserie peuvent être considérés comme l’équivalent de montagne pastorale dalpe […] »11. Dans ces mêmes textes, l’habitat, lui, est renseigné sous l’appellation de « cabane » ou encore de « loge ». Les termes renvoient à des patronymes locaux. Dans d’autres régions du Massif central, l’habitat pastoral est principalement connu sous la désignation de « tras », de « burons »12 ou encore de « mazucs »13 comme dans le Cézallier et l’Aubrac.

2. Méthodes de construction de l’habitat semi-excave

9Les sites de Vieux-Colleigne et de Barras se situent respectivement à 1 356 et 1 385 m d’altitude, sur les communes de Sauvain et de Saint-Bonnet-le-Courreau dans le département de la Loire. Les sondages réalisés ont eu comme objectif d’estimer le potentiel archéologique des vestiges et d’acquérir de premiers éléments chronologiques à leurs sujets. Les résultats ouvriront la voie à de futures études, plus globales, à l’échelle des sites agropastoraux du haut Forez.

  • 14 Scholtès à paraître.

10Les bâtiments des deux sites présentés possèdent des traits architecturaux communs. Comme préalablement indiqué, les unités bâties sont systématiquement creusées dans le terrain naturel. Les ensembles de structures sont majoritairement implantés dans des pentes à déclivité plus ou moins prononcée. Dans le processus de construction, l’excavation du module correspond donc à l’étape initiale de l’aménagement (fig. 2). La puissance du creusement atteint 1 m de profondeur à Vieux-Colleigne et 1,50 m à Barras. C’est au cours de cette phase qu’est extraite une partie des matériaux utilisés au sein du système architectural. En outre, l’emploi de mottes de gazon et de remblais terreux pour la réalisation des bâtiments a pu être mis en évidence grâce à la conduite d’études de micromorphologie des sols14.

Fig. 2 Profils longitudinaux stratigraphiques et topographiques des sites de Vieux-Colleigne (a) et de Barras (b).

Fig. 2 Profils longitudinaux stratigraphiques et topographiques des sites de Vieux-Colleigne (a) et de Barras (b).

A. Scholtès.

11La seconde étape consiste à élever les murs de façade et les murs pignons. Des mottes sont déposées les unes sur les autres pour réaliser les murs gouttereaux. Elles sont stabilisées par l’ajout d’un remblai de soutènement sur leur partie externe. À l’intérieur, les élévations sont consolidées par une succession de poteaux porteurs répartis à intervalles réguliers. Ces derniers avaient sans doute la vocation de supporter des entraits sur lesquels reposent les éléments d’une charpente qui pouvait être à double pan. Les poteaux s’insèrent dans un système de sablières basses dont les creusements ont été observés le long des façades. Des différences ont été mises en évidence entre les deux bâtiments étudiés. Sur le site de Vieux-Colleigne, le mur gouttereau à l’aval de la pente est renforcé par un muret en pierres sèches positionné entre les mottes et le remblai extérieur. À Barras, l’opération a mis au jour les restes d’un mur pignon construit à partir de blocs décimétriques bruts dont seule la base est préservée.

2.1. L’exemple de Vieux-Colleigne

12Onze structures constituent le site de Vieux-Colleigne (fig. 3). Dix possèdent des modules aux dimensions comprises entre 12 m et 20 m de long pour 4 m à 5 m de large selon le degré de conservation. Une onzième structure, implantée au centre du groupement, possède des dimensions plus petites de 4 m x 4 m environ.

Fig. 3 Plan d’ensemble du site de Vieux-Colleigne et localisation du bâtiment étudié.

Fig. 3 Plan d’ensemble du site de Vieux-Colleigne et localisation du bâtiment étudié.

A. Scholtès.

  • 15 Datation obtenue par le Centre de Datation Radiocarbone de Lyon (Ly-14375GrM).

13La tranchée ouverte dans l’un des dix grands bâtiments a été positionnée de façon à obtenir son profil complet (fig. 4). Il s’agit d’une structure dont le dernier stade d’occupation est daté par 14C autour de 350 +/- 25 BP, calibré à 1460-163515. Le mobilier céramique est très fragmentaire et peu abondant. L’élément le plus significatif découvert est un fragment de bec verseur d’un pichet à lèvre évasée courte et panse globulaire dont la production se situerait au xvie siècle.

Fig. 4 Relevé en plan du sondage effectué dans le bâtiment de Vieux-Colleigne et localisation des structures archéologiques.

Fig. 4 Relevé en plan du sondage effectué dans le bâtiment de Vieux-Colleigne et localisation des structures archéologiques.

A. Scholtès.

2.2.1. Caractéristiques générales du bâtiment

14Le « mur » (ou « bourrelet ») à l’aval du bâtiment et face à la pente associe un remblai de terre, une élévation (mur gouttereau) en mottes et un muret en pierres sèches. Une série de poteaux porteurs disposés dans une sablière basse complète l’aménagement à l’intérieur de l’unité d’habitat.

15L’identification de ces éléments repose en partie sur l’analyse stratigraphique de la coupe transversale. En bas de la séquence, une première unité sablo-limoneuse très minéralisée (pierres et blocs granitiques de tailles diverses), d’environ 0,5 m d’épaisseur est constituée d’un mélange de granite altéré originaire des formations superficielles et de limons-sableux issus des horizons supérieurs des sols locaux (i.e. alocrisols). D’après les traits microscopiques, une forme de compaction est intervenue lors de la mise en place du matériel. L’unité est interprétée comme un remblai de soutènement réalisé avec le sédiment dégagé lors du creusement du module. Sur cette plage grossière est fossilisé un horizon organique épais de 0,1 m à 0,2 m en moyenne. Une forte proportion de matière végétale organique entre dans sa composition. Cette unité stratigraphique a fait l’objet d’un prélèvement non perturbé dans le but de conduire une étude microscopique. La séquence correspond au niveau d’effondrement des mottes utilisées pour la construction du mur gouttereau. Le matériau est identifié grâce à la conservation de traits pédologiques typiques d’horizons surfaciques humiques. La comparaison avec des séquences pédologiques non perturbées permet de reconnaître une succession de microfaciès typiques des horizons humifères « Ah » de surface. Sous le microscope, les limites entre mottes sont préservées. La bonne sauvegarde des faciès originels provient d’un enfouissement rapide du dépôt sous un ultime apport de nature colluviale.

16La stratigraphie révèle que les composantes du talus sont circonscrites dans la partie interne par un niveau de blocs granitiques décimétriques (fig. 5). Il s’agit de l’effondrement d’un muret en pierres sèches. L’aménagement aurait eu pour fonction de renforcer le système bâti « talus – mur » érigé à l’avant du bâtiment. Cette unité se distingue clairement au sein de la stratigraphie par sa composition comprenant une densité importante de blocs dont la taille est comprise entre 0,1 m et 0,5 m en moyenne. Dans la stratigraphie, les éléments constitutifs de ce supposé muret recouvrent le talus aval et le niveau d’occupation intérieur.

Fig. 5 Vieux-Colleigne.

Fig. 5 Vieux-Colleigne.

Photographie et relevé en plan de l’espace intérieur de l’unité habitée avec la localisation en plan de l’éboulis de blocs granitiques.

A. Scholtès.

2.2.1.3. L’organisation intérieure du bâtiment

17L’éboulis de blocs recouvre plusieurs éléments constitutifs de l’architecture interne du bâtiment. L’espace est circonscrit par un aménagement comprenant un trou de poteau (PO.01), un dallage (DA.02) et une sablière basse dans laquelle sont aménagés plusieurs trous de piquet (SA.03). Le trou de poteau possède un diamètre de 0,16 x 0,22 m et une profondeur d’environ 0,18 m. Il adopte un profil tronconique et un fond plat. Un calage de blocs granitiques est aménagé sur tout le pourtour du creusement (fig. 6). L’élément matérialise l’emplacement d’un chambranle de porte. Accolées directement au trou de poteau, deux dalles disposées à plat marquent l’emplacement d’un seuil d’environ 0,4 m de long pour 0,2 m de large. L’entraxe entre les deux piédroits correspond à 1 m.

Fig. 6 Vieux-Colleigne.

Fig. 6 Vieux-Colleigne.

Photographie en plan et relevé (1/20e) du trou de poteau (PO.01) et du dallage (DA.02) découverts à l’interface avec le couloir d’accès du bâtiment.

A. Scholtès.

18Dans la continuité, une sablière basse orientée selon un axe parallèle au talus est aménagée dans les arènes granitiques. Ce creusement, d’une largeur comprise entre 0,15 m et 0,2 m, a accueilli, comme le montre l’identification de restes ligneux, un dispositif en matériaux périssables. Des creusements ovoïdes au profil en cuvette d’environ 0,1 x 0,1 m matérialisent l’implantation de poteaux (ou piquets) disposés à intervalle régulier au sein de la sablière. Une armature associée à des poteaux aurait eu pour vocation de contenir l’élévation de mottes.

19Aucun élément ne permet véritablement de concevoir la façon dont cette armature a été conçue. Seuls des clous de charpente découverts dans le niveau d’abandon laissent entrevoir l’utilisation de bois au sein de l’ensemble. Le sédiment constitutif de cette séquence est organique, de couleur noire et imprégné de restes humifiés. L’unité épaisse de 0,1 m à 0,2 m scelle l’horizon d’occupation dans lequel les structures ont été établies. La nature du sédiment et les comparaisons avec les analyses microscopiques effectuées sur le site de Barras permettent d’envisager l’hypothèse d’une couverture végétalisée effondrée.

2.2. L’exemple de Barras

20Le site de Barras regroupe sept structures aux formes variées. Toutes sont orientées en direction du sud-ouest et implantées dans une faible pente (fig. 7). Le bâtiment sondé mesure 12 m de long pour 5 m de large. Il s’intègre à un groupe de quatre structures à la morphologie identique. Les autres possèdent des dimensions plus petites (environ 8 x 5 m) et adoptent un plan rectangulaire avec un accès unique.

Fig. 7 Plan d’ensemble du site de Barras et localisation de la structure étudiée.

Fig. 7 Plan d’ensemble du site de Barras et localisation de la structure étudiée.

A. Scholtès.

21Le cas étudié présente une forme rectangulaire (fig. 8). Un bourrelet aval rectiligne d’une largeur d’environ 1,80 m a été mis au jour sur toute la longueur de l’édifice. Deux entrées positionnées face à la pente et associées à deux couloirs d’accès percent ce talus. La plus méridionale est orientée face au sud-ouest tandis que la seconde est légèrement désaxée vers le SSO. À l’intérieur de l’unité d’habitat, différents éléments architecturaux ont été mis au jour. Nous le verrons, ils ont été agencés de façon à offrir une partition de l’espace destinée à cloisonner des surfaces dédiées à des activités spécifiques.

Fig. 8 Relevé en plan des sondages ouverts dans le bâtiment de Barras et localisation des structures archéologiques.

Fig. 8 Relevé en plan des sondages ouverts dans le bâtiment de Barras et localisation des structures archéologiques.

A. Scholtès.

2.2.1. Caractéristiques générales du bâtiment 

22Comme à Vieux-Colleigne, les élévations réalisées face à la pente sont construites avec des matériaux prélevés sur place. Un talutage a été mis en évidence. Il s’étend à l’extérieur de la surface habitée sur les faces ESE, SSO et sud du bâtiment. La partie arrière en est dépourvue puisque le creusement du module dans le talus contribue à créer ici une élévation naturelle. Sa formation est la même que sur le site précédent. Il s’agit d’un horizon sablo-graveleux, épais de 60 cm en moyenne et fortement induré. La composition du sédiment est très hétérogène, associant un mélange grossier d’altérites et de galets de granite liés par des formations limono-sableuses brunes. Cette unité anthropique est interprétée comme un remblai.

  • 16 Scholtès 2020.

23Le remblai est recouvert d’un horizon argileux à argilo-limoneux organique de teinte noire caractérisé par l’intégration de nombreux restes végétaux altérés et humifiés. Cette séquence est fossilisée sur toute l’étendue du talus (fig. 9). L’étude micromorphologique identifie des mottes altérées prélevées dans un sédiment tourbeux16. L’origine du sédiment est précisée grâce à la préservation de résidus végétaux tels que Sphagnum sp. (la sphaigne) et Carex sp. Loin d’être circonscrite aux limites du bâtiment, cette plage recouvre l’ensemble des niveaux archéologiques à l’intérieur du bâtiment. De nouveau, la micromorphologie identifie un niveau effondré de mottes. L’hypothèse d’une toiture en tourbe est donc confortée et offre des pistes de comparaison avec les séquences sédimentaires de Vieux-Colleigne.

Fig. 9 Barras.

Fig. 9 Barras.

Unité sédimentaire végétalisée, humique, argilo-limoneuse noirâtre à structure grumeleuse observée au sein des dépôts apparentés aux couches d’effondrement des élévations murales ; a) vue en plan du niveau organique en cours de fouille ; b) disposition du niveau organique dans l’aménagement architectural du mur pignon (MR.17) ; c) vue de détail du niveau organique dans un scan de lame mince de micromorphologie des sols.

A. Scholtès.

24L’espace intérieur est constitué de trois pièces aux caractéristiques distinctes (fig. 10). Deux sont en enfilade et reliées à l’extérieur par l’entrée n° 1 (pièces n° 1 et n° 2). Un troisième espace, indépendant des deux autres, est aménagé sur l’extrémité SSE de la construction (pièce n° 3). Il ne communique pas avec les deux pièces précédentes et est relié à l’extérieur par un second couloir. Cette partition répond à une logique et à une forme de spécialisation de l’espace au sein du bâtiment. Chaque pièce possède ses caractéristiques propres.

Fig. 10 Plan du bâtiment de Barras d’après les observations faites lors des sondages.

Fig. 10 Plan du bâtiment de Barras d’après les observations faites lors des sondages.

A. Scholtès.

2.2.2. L’organisation de l’espace intérieur du bâtiment

2.2.2.1. La pièce n° 1

25L’espace situé au nord-ouest du bâtiment possède une superficie de 6 x 3 m (fig. 11). La pièce n° 1 est délimitée à son extrémité nord-ouest par les restes d’un mur pignon en pierres sèches (MR.17) (fig. 12a). Ses dimensions sont de 0,60 m de largeur pour 2,50 m de longueur. L’élévation préservée est d’environ 0,70 m. Deux petites excroissances de 0,70 m de côté s’individualisent à ses deux extrémités. L’élément marque la limite nord de l’habitat. Un couloir d’accès légèrement désaxé relie cet espace à l’extérieur ; large de 0,90 m, il présente un léger surcreusement (fig. 12 b).

Fig. 11 Vue zénithale de l’emprise de la pièce n° 1 et de ses composantes.

Fig. 11 Vue zénithale de l’emprise de la pièce n° 1 et de ses composantes.

J. Verrier.

Fig. 12 Éléments architecturaux mis au jour au sein de la pièce n° 1 de Barras.

Fig. 12 Éléments architecturaux mis au jour au sein de la pièce n° 1 de Barras.

a) Mur pignon (MR.17) découvert au nord de l’édifice ; b) couloir d’accès à l’extérieur légèrement désaxé ; c) mur de séparation (MR.01) entre les pièces n° 1 et n° 2.

A. Scholtès.

26Au sein de la pièce n° 1, une première série de trois trous de poteau a été mise au jour le long du talus aval SSO. Leur implantation s’inscrit dans une logique équivalente avec celle identifiée à Vieux-Colleigne. Les poteaux renforcent le système « talus – mur de mottes ». Une seconde série de cinq poteaux a été reconnue le long de la limite NNE de l’arrière du bâtiment. Dans cette zone, une sablière basse leur est associée sur toute la longueur du creusement (SA.10). De nouveau, l’hypothèse d’une armature en bois aménagée afin de contenir le talus est envisagée. Des clous de charpente et une penture-ferrure, tous découverts dans le niveau d’occupation, attestent de l’emploi de bois dans l’architecture.

27Au sein de ce premier espace, il est intéressant de constater le soin apporté à l’aménagement du sol d’occupation (SL.42). Il se distingue clairement par une matrice sableuse fine débarrassée des blocs granitiques naturellement associés à cet horizon. Il s’agit également de la pièce dans laquelle a été découvert le foyer de la structure (FY.23). De plan ovoïde, il couvre une surface de 0,75 x 0,60 m. Creusé sur environ 0,30 m dans les arènes granitiques, il présente un profil en cuvette et un fond plat. Des traces de curage et la présence de petits remblais de nivellement intercalés entre les différents niveaux cendreux étayent l’hypothèse d’une probable réutilisation des cabanes d’une saison à une autre.

28Enfin, un second muret en pierres sèches de 0,70 x 2 m est aménagé sur l’extrémité sud-est de la pièce n° 1 (MR.01) (fig. 12c). Il a pour vocation de diviser l’espace et matérialise une limite avec un second espace annexe (pièce n° 2). Son élévation est conservée sur une puissance d’environ 0,50 m.

2.2.2.2. La pièce n° 2

29L’espace n° 2 est aménagé dans l’enfilade de la pièce n° 1. Sa superficie est d’environ 3,40 x 2 m (fig. 13). Il s’agit d’une cellule aveugle. Il est donc nécessaire de passer par la première pour accéder à l’extérieur. Le sol associé est différent de celui décrit pour la pièce n° 1. Le niveau de circulation est fait de blocs granitiques qui forment un dallage (SL.20).

Fig. 13 Vue zénithale de l’emprise des pièces n° 2 et n° 3 et de leurs composantes.

Fig. 13 Vue zénithale de l’emprise des pièces n° 2 et n° 3 et de leurs composantes.

J. Verrier.

30Un passage percé dans le muret MR.01 relie les deux espaces. Deux trous de poteau encadrent cette trouée et marquent la présence initiale d’un chambranle. Peu d’éléments architecturaux ont été mis au jour dans cette seconde pièce. Seul un trou de poteau de 0,4 x 0,5 m de diamètre pour 0,2 m de profondeur est aménagé dans les arènes. Il se distingue des structures similaires mises au jour par ses dimensions imposantes. Cette caractéristique ainsi que son lieu d’implantation, au centre du bâtiment, plaident en faveur d’un pilier porteur. Enfin, à l’extrémité SSE, une sablière basse cloisonne l’espace sur toute la largeur intérieure du module (SA.07). Cet élément marque une limite franche et nette avec la pièce n° 3.

2.2.2.3. La pièce n° 3

31La pièce n° 3 est aménagée sur l’extrémité méridionale du bâtiment (fig. 13), sur une superficie d’environ 1,50 x 2 m. Elle est reliée à l’extérieur par un couloir d’accès qui lui est propre. La largeur de cette entrée est de 0,90 m. La pièce est entièrement isolée des deux autres par la sablière basse (SA.07). Des restes ligneux issus du genévrier (Juniperus sp.) et du sapin (Abies alba) ont été découverts dans le sédiment de cette structure. Les différentes informations permettent de supposer l’ancrage d’une cloison légère en bois dans la sablière.

32Aux extrémités est et sud de la cellule, les restes d’une structure en pierres sèches ont été identifiés (MR.13). L’élévation n’est conservée que sur 0,30 m de hauteur au maximum. Sa largeur est comprise entre 0,20 m et 0,50 m. Enfin, notons la mise au jour d’un sol empierré fortement perturbé au sein de ce troisième espace (SL.45).

2.2.3. Étude des céramiques de Barras

33Le mobilier céramique recueilli sur le site de Barras se compose de 208 tessons. Les fragments de panses, au nombre de 192, sont les éléments les plus répandus. Les lèvres et rebords comptabilisent huit restes qui correspondent à quatre individus (fig. 14). Un fond de pot ainsi que sept fragments d’anses complètent le tout.

Fig. 14 Planche du mobilier céramique étudié sur le site de Barras.

Fig. 14 Planche du mobilier céramique étudié sur le site de Barras.

M. Busseuil.

34Pour réaliser l’étude, une approche par groupe technique a été retenue : cuisson, morphologie de la pâte céramique, sa texture, sa couleur et les différents constituants pouvant être associés (revêtements, décors, etc.). Les descriptions des pâtes, des décors et des glaçures sont le résultat de l’observation directe des tranches, surfaces des tessons et des cassures.

35Les fragments de céramiques sont répartis en trois groupes techniques. Le premier correspond à de la céramique grise à cuisson réductrice. La pâte est granuleuse, de couleur gris foncé avec des inclusions de quartz et de feldspath. Le second a subi une cuisson oxydante et incorpore deux sous-groupes : les céramiques rouges et les céramiques rouges glaçurées. Dans la première de ces variantes, la pâte est granuleuse avec des ajouts de feldspath et de chamotte. Un seul fragment de panse présente des traces de passage au feu laissant supposer une fonction culinaire. La seconde variante possède une pâte granuleuse avec des additions de feldspath, quartz, mica, chamotte et l’application d’une glaçure. Deux types de glaçures sont identifiés. Une première présente une teinte jaune verdâtre mouchetée de brun sur engobe vert pâle et un aspect brillant tandis que l’autre est jaune orangé brillante.

  • 17 Busseuil 2018.
  • 18 Ibid.

36Les comparaisons avec le corpus céramique régional permettent d’avancer une chronologie relativement fine concernant l’occupation du site. Dans un premier temps, les céramiques à pâte rouge possèdent une typologie de formes et une composition des pâtes équivalentes avec un lot de mobilier recueilli dans des niveaux des xviie-xviiie siècles du site du château du Rousset17. Les céramiques à pâte grise s’apparentent quant à elles à une production dont la diffusion régionale s’interrompt au cours du xviiie siècle18. Dix de ces individus dont un bord sont conservés parmi les céramiques de Barras. Leur présence marquerait donc un terminus ante quem à partir duquel le site serait abandonné.

3. L’agropastoralisme forézien et ses pratiques au cours de l’époque moderne

3.1. Considérations sur l’habitat d’estive du haut Forez

37Les exemples de Vieux-Colleigne et de Barras illustrent ce que sont les constructions de montagne à vocation agropastorale du haut Forez au cours de l’époque moderne. En Auvergne, l’intérêt pour cette forme d’occupation du sol remonte au xviiie siècle. Des descriptions de l’architecture vernaculaire répandue dans les montagnes du Massif central sont alors proposées. Dès 1788, Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy décrit les procédés architecturaux qu’il a observés dans les estives du Cézallier :

  • 19 Legrand d’Aussy 1788, p. 256.

« creuse en terre une cabane, divisée en trois parties, fais-lui des murs en mottes de gazon, couvre la de même ; à l’entrée de cette hutte obscure […] plante deux poteaux pour y suspendre une porte […] voilà le séjour que doit habiter […] le fromager […]. La première pièce […] lui sert à faire du feu […]. Dans la seconde, il met ses seaux, ses instruments et le sel qui lui est nécessaire. Enfin, la troisième est le magasin de ses fromages […] et la chambre[…]19 ».

38La partition de l’espace intérieur est systématiquement décrite par les ethnographes locaux. Dans les Monts Dore, Henri Lecoq dresse un portrait de ces cabanes et indique que

  • 20 Lecoq 1835, p. 7.

« […] l’intérieur de ces huttes pastorales […] est divisées en trois loges : la première est destinée à faire le feu, la seconde renferme les instruments nécessaires aux fonctions du vacher-fromager ; et la troisième sert de logement aux pâtres […]20 ».

  • 21 Legrand d’Aussy 1788, p. 256.

39Cette caractéristique est également mentionnée dans la description de Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy lorsqu’il parle de constructions « divisées en trois parties »21. Les écrits en question, bien que récents, sont des instantanés de ce qu’est l’habitat de l’estive en Auvergne à la transition entre période moderne et époque contemporaine.

  • 22 Yvart 1819.
  • 23 Lecoq 1835.
  • 24 Cosse 1857.
  • 25 Gras 1864.

40Au cours du xixe siècle, Victor Yvart22, Henri Lecoq23, Étienne-Joseph Cosse24 et Louis-Pierre Gras25 sont unanimes et évoquent des procédés architecturaux équivalent d’une région à l’autre du Massif central. Tous insistent sur le caractère semi-excavé des bâtiments. Ainsi, Victor Yvart, lorsqu’il parle des tras des Monts Dore, les décrits comme

  • 26 Yvart 1819, p. 76.

« […] de simples cabanes […] creusées en terre, entourées et couvertes de mottes de gazon et éclairées seulement par l’ouverture de la porte. On y distingue ordinairement trois compartiments : l’un comprend l’âtre, l’autre les instruments nécessaires à la fromagerie et le dernier sert tout à la fois de dépôt pour le beurre, fromages et de chambre […]26 ».

  • 27 Surmely et al. 2018 ; Surmely et Le Junter 2017 ; Fau et Hamon 1998.
  • 28 Fournier et Fournier 1983.

41Ce trait fonctionnel serait le plus à même d’apporter l’isolation requise dans les contextes altitudinaux de montagnes et d’économiser la construction du mur à l’arrière du bâtiment27. Ce dernier aspect est notamment favorisé par le choix d’implantation des structures quasi systématiquement construites dans des contextes de pentes. Il s’agit d’un critère également considéré par Gabriel et Pierre-François Fournier lors d’une étude relative aux structures pastorales du Cézallier. Dans un article consacré à ce thème, ils écrivent que « […] la toiture vue de l’amont, paraissait posée au ras du sol »28. Nos propres observations permettent de reconsidérer la description proposée par ces auteurs. En effet, les nombreux trous de poteau découverts à Barras supposent l’aménagement d’une ossature en bois à l’intérieur du bâtiment. Leur agencement au sein de l’architecture est un moyen de privilégier l’hypothèse de bâtiments disposant d’une charpente à deux pans plutôt que construite à partir de branchages disposés horizontalement au-dessus du surcreusement. La faible puissance du surcreusement, qui n’atteint au maximum que 1,50 m de profondeur, conforte cette idée.

  • 29 Scholtès 2020.
  • 30 Fournial 1967.

42Dans le haut Forez, le phénomène du « groupement pastoral » s’ancre dans une chronologie et une dynamique longues. Cette forme d’occupation du sol apparaîtrait au xie-xiie siècles pour disparaître au xviiie-xixe siècle au profit du modèle individualiste de la jasserie29. Depuis le xixe siècle, la jasserie correspond à un bâtiment construit en dur et installé durablement sur un territoire précisément délimité. L’exploitation qui en résulte est désormais individuelle, chaque famille possédant sa propre exploitation et ses propres fumades. Au cours des siècles précédents, l’évolution de l’habitat agropastoral accompagnait les dynamiques socio-économiques fluctuantes du second Moyen Âge et de l’époque moderne. Des changements interviennent au sein des débouchés propres à l’agropastoralisme. Le déclin de l’industrie de la laine au profit de celle du cuir est l’une d’entre elles30. De plus, les crises des xive et xv siècle, notamment, conduisent à une restructuration foncière des terroirs pastoraux et conditionnent l’adaptation permanente de l’économie locale.

43Les exemples de Vieux-Colleigne et de Barras témoignent d’une volonté croissante de fractionner la surface interne des bâtiments. Les constructions étudiées se démarquent des bâtiments de la fin du Moyen Âge par l’aménagement de deux ou le plus souvent trois pièces destinées chacune à une fonction précise, telle que l’espace de vie, la zone de stockage et/ou de travail et un petit espace interprété comme une loge à porc. Toutefois, chaque modèle possède ses caractéristiques propres. Dans certains cas, seules deux pièces sont aménagées.

3.2. L’économie agropastorale forézienne a l’époque moderne

  • 31 Fournial 1967 ; Perroy 1979.
  • 32 Boy 2005.

44Entre le xie et le xive siècle, les plaines du Forez et de la Dore connaissent une dynamique économique ascendante. Sur tout le pourtour du massif, de nombreuses villes gagnent une renommée commerciale certaine. Cette croissance s’accompagne d’une expansion urbaine notamment renseignée à Montbrison, Feurs, Saint-Bonnet-le-Château et Cervières dans le comté du Forez31 ainsi qu’à Ambert, Thiers, Marsac, Viverols et Saint-Anthème côté auvergnat32.

  • 33 Lorcin 2007.

45Au cours du second Moyen Âge, l’agropastoralisme forézien et ses productions s’insèrent dans cette effervescence régionale. En effet, la demande relative aux produits de l’élevage est forte tant pour alimenter les foires aux bestiaux et les boucheries que les artisans tanneurs de cuir et tisseurs de laine. La demande, hétérogène dans ses formes, conditionne l’accès aux pâturages à des troupeaux mixtes qui associent encore bovins et ovins33.

  • 34 Fournial 1967.
  • 35 Longeon 1975 ; Boy 2005.
  • 36 Fournial 1967.
  • 37 Tomas et al. 2004 ; Lorcin 2007.

46Au cours de l’époque moderne, les places commerciales du Livradois et du Forez restent les mêmes. Toutefois, des changements interviennent au sein de l’économie et des centres de production. Dès la fin du xve siècle, le travail du cuir devient prépondérant et efface celui de la laine dans des villes telles que Montbrison, Saint-Germain-Laval ou encore Saint-Bonnet-le-Château34. Les productions dérivées de l’élevage constituent désormais une part croissante des échanges réalisés avec les villes voisines de Lyon et de Clermont35. L’augmentation des exportations de fromages rend dès lors ce produit imposable de taxes dans les marchés et péages régionaux36. Le déclin de l’industrie textile forézienne ainsi que la hausse de la demande en produits dérivés de l’élevage bovin vont progressivement écarter les ovins et les caprins du cheptel autorisé à monter à l’estive. Dès la fin du xve siècle les troupeaux recensés sur les Hautes Chaumes sont essentiellement constitués de bovins37. Ce sont les textes d’époque moderne qui permettent d’identifier les bovidés comme la principale composante de l’élevage au sein des Monts du Forez.

  • 38 Cubizolle et al. 2014.
  • 39 Fournier et Fournier 1983 ; Merley 1984.
  • 40 Prajalas 2004.
  • 41 Audoin-Rouzeau 1998.

47À l’époque moderne, le paysage végétal des Hautes Chaumes est très largement ouvert. Les données polliniques en témoignent, les forêts ont déserté les plateaux au profit de landes à herbacées et à callune38. Les caractéristiques du milieu sont alors favorables à une augmentation croissante du nombre de bovins sur les estives. La composition du cheptel d’époque moderne est précisée par les actes de dénombrement conservés dans les registres seigneuriaux et les règlements collectifs des montagnes seigneuriales et communautaires. À titre d’exemple, sur la montagne de Colleigne (paroisse de Sauvain), 253 vaches sont autorisées à monter aux pâturages en 1722 contre 208 en 168539. Il en est de même à Garnier (paroisse de Saint-Bonnet-le-Courreau) où 155 vaches sont conduites à l’estive en 1782 contre 132 en 167640. La transformation de nouvelles terres en prairies favoriserait donc et pérenniserait durablement une économie désormais fondée essentiellement sur l’exploitation bovine au sein de l’histoire pastorale locale41.

Conclusion

  • 42 Scholtès 2020.
  • 43 Cubizolle et al. 2014 ; Argant et Cubizolle 2005.

48Les données archéologiques recensées sur le haut Forez valident l’hypothèse d’une fréquentation soutenue et d’un renforcement de l’activité sur ces hautes terres à l’époque moderne42. L’occupation du sol associée à la typologie évolutive de l’habitat attestent de cette croissance, également éclairée par les sources d’archives. L’ensemble de ces éléments confirment le fait que, dès l’époque moderne, tant l’activité que la fréquentation des Hautes Chaumes acquièrent une ampleur et des formes nouvelles. La gestion du milieu conserve son caractère intensif acquis à la fin du Moyen Âge. La couverture forestière, atteinte par les défrichements médiévaux, est maintenue en dehors de l’emprise des chaumes par les communautés d’exploitants43. À terme, le modèle agropastoral médiéval et moderne n’est bouleversé qu’au xixe siècle lorsqu’apparaît un nouveau schéma de gestion du territoire recentré autour de la jasserie. L’entreprise agropastorale communautaire et mobile des siècles précédents disparaît au profit d’une gestion désormais familiale, au caractère individuel prononcé et durablement implantée sur le territoire.

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Yvart J.-A.-V. 1819, Excursion agronomique en Auvergne, principalement aux environs des Monts-d’Or et du Puy-de-Dôme, Paris, Imprimerie royale.

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Notes

1 Cubizolle et al. 2014.

2 Chapuis et Verrier 2021.

3 Fau 2006.

4 Surmely et al. 2010, 2018 ; Surmely et Le Junter 2017.

5 Rendu 2003 ; Leveau 2000.

6 Rendu et al. 2012 ; 2013, Galop 1998.

7 Rendu 2003, p. 144.

8 Scholtès 2020.

9 Chapuis et Verrier 2021.

10 Scholtès 2020, p. 83.

11 Lapayre 1926, p. 303.

12 . Surmely et Le Junter 2017.

13 Fau 2006.

14 Scholtès à paraître.

15 Datation obtenue par le Centre de Datation Radiocarbone de Lyon (Ly-14375GrM).

16 Scholtès 2020.

17 Busseuil 2018.

18 Ibid.

19 Legrand d’Aussy 1788, p. 256.

20 Lecoq 1835, p. 7.

21 Legrand d’Aussy 1788, p. 256.

22 Yvart 1819.

23 Lecoq 1835.

24 Cosse 1857.

25 Gras 1864.

26 Yvart 1819, p. 76.

27 Surmely et al. 2018 ; Surmely et Le Junter 2017 ; Fau et Hamon 1998.

28 Fournier et Fournier 1983.

29 Scholtès 2020.

30 Fournial 1967.

31 Fournial 1967 ; Perroy 1979.

32 Boy 2005.

33 Lorcin 2007.

34 Fournial 1967.

35 Longeon 1975 ; Boy 2005.

36 Fournial 1967.

37 Tomas et al. 2004 ; Lorcin 2007.

38 Cubizolle et al. 2014.

39 Fournier et Fournier 1983 ; Merley 1984.

40 Prajalas 2004.

41 Audoin-Rouzeau 1998.

42 Scholtès 2020.

43 Cubizolle et al. 2014 ; Argant et Cubizolle 2005.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 Localisation des Hautes Chaumes des Monts du Forez.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,4M
Titre Fig. 2 Profils longitudinaux stratigraphiques et topographiques des sites de Vieux-Colleigne (a) et de Barras (b).
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Fig. 3 Plan d’ensemble du site de Vieux-Colleigne et localisation du bâtiment étudié.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 430k
Titre Fig. 4 Relevé en plan du sondage effectué dans le bâtiment de Vieux-Colleigne et localisation des structures archéologiques.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 522k
Titre Fig. 5 Vieux-Colleigne.
Légende Photographie et relevé en plan de l’espace intérieur de l’unité habitée avec la localisation en plan de l’éboulis de blocs granitiques.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 1,6M
Titre Fig. 6 Vieux-Colleigne.
Légende Photographie en plan et relevé (1/20e) du trou de poteau (PO.01) et du dallage (DA.02) découverts à l’interface avec le couloir d’accès du bâtiment.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 4,9M
Titre Fig. 7 Plan d’ensemble du site de Barras et localisation de la structure étudiée.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 346k
Titre Fig. 8 Relevé en plan des sondages ouverts dans le bâtiment de Barras et localisation des structures archéologiques.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 901k
Titre Fig. 9 Barras.
Légende Unité sédimentaire végétalisée, humique, argilo-limoneuse noirâtre à structure grumeleuse observée au sein des dépôts apparentés aux couches d’effondrement des élévations murales ; a) vue en plan du niveau organique en cours de fouille ; b) disposition du niveau organique dans l’aménagement architectural du mur pignon (MR.17) ; c) vue de détail du niveau organique dans un scan de lame mince de micromorphologie des sols.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 3,3M
Titre Fig. 10 Plan du bâtiment de Barras d’après les observations faites lors des sondages.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 768k
Titre Fig. 11 Vue zénithale de l’emprise de la pièce n° 1 et de ses composantes.
Crédits J. Verrier.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 2,1M
Titre Fig. 12 Éléments architecturaux mis au jour au sein de la pièce n° 1 de Barras.
Légende a) Mur pignon (MR.17) découvert au nord de l’édifice ; b) couloir d’accès à l’extérieur légèrement désaxé ; c) mur de séparation (MR.01) entre les pièces n° 1 et n° 2.
Crédits A. Scholtès.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 3,6M
Titre Fig. 13 Vue zénithale de l’emprise des pièces n° 2 et n° 3 et de leurs composantes.
Crédits J. Verrier.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 1,6M
Titre Fig. 14 Planche du mobilier céramique étudié sur le site de Barras.
Crédits M. Busseuil.
URL http://journals.openedition.org/archeomed/docannexe/image/54164/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 362k
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Pour citer cet article

Référence papier

Antoine Scholtes, Mireille Busseuil, Jacques Verrier, Priscille Chapuis et Hervé Cubizolle, « Étude archéologique, micromorphologique et architecturale de deux bâtiments d’estive de l’époque moderne dans les Monts du Forez (Massif central, France) »Archéologie médiévale, 52 | 2022, 163-180.

Référence électronique

Antoine Scholtes, Mireille Busseuil, Jacques Verrier, Priscille Chapuis et Hervé Cubizolle, « Étude archéologique, micromorphologique et architecturale de deux bâtiments d’estive de l’époque moderne dans les Monts du Forez (Massif central, France) »Archéologie médiévale [En ligne], 52 | 2022, mis en ligne le 21 décembre 2023, consulté le 23 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/archeomed/54164 ; DOI : https://doi.org/10.4000/archeomed.54164

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