1Sur la frange sud-ouest du Massif central, le château de Penne domine la vallée encaissée de l’Aveyron au contact de l’Albigeois, du Quercy et du Rouergue (fig. 1).
Fig. 1 Vue depuis le nord et vue de dessus du château de Penne.
Cliché D. Langlois et F. Guillot.
- 1 Nous remercions Axel Letellier, architecte du patrimoine, pour nous avoir donné l’opportunité de me (...)
- 2 Murat 2009, Pousthomis 2010, 2012a, 2012b, 2013, 2014a, 2014b et Charpentier 2016 et 2017.
- 3 Corvisier 2017.
- 4 Peytavie et Gouzy s. d.
- 5 Panfili 2010 ; Peytavie 2014.
2Construite sur un relief éminent, tout en verticalités, la fortification de Penne est riche de nombreuses études architecturales, historiques et archéologiques. La plupart ont été initiées à la suite de l’acquisition de la fortification en 2006 par un architecte du patrimoine dans le but de la restaurer et d’en réaliser la valorisation pour le public1. Ces études livrent une masse considérable d’analyses, de documents et de données de qualité. Jusqu’en 2018, les opérations d’archéologie étaient uniquement préventives, de faible durée ou d’emprise limitée à des sondages restreints2. Une étude architecturale menée par un historien de l’architecture avait finement analysé les vestiges visibles de l’ouvrage concentrés sur le sommet3. La prolifique documentation écrite liée au site, à sa domination ou à ses dominants4 avait donné lieu à des études concernant le groupe aristocratique des Penne sans pour autant replacer l’ouvrage dans le contexte de sa seigneurie foncière5.
- 6 Guillot et al. 2019 et 2020.
- 7 Le terme église est employé ici de manière générique et recouvre tout type de lieu de culte parois (...)
3L’élargissement des recherches archéologiques à compter de 2019 sur la partie sommitale du caput castri impulsa la mise en place de deux programmes collectifs de recherche dont l’objectif était d’abord de rassembler ces études pour préciser les problématiques de la recherche à venir6. En parallèle fut menée la fouille de toute la partie sommitale de la forteresse, espace dont le cœur est constitué d’églises successives7 (fig. 2).
Fig. 2 La plate-forme de l’église, extrémité haute et orientale du château de Penne.
Cliché F. Guillot.
4Érigé sur un relief isolé par une ancienne boucle de l’Aveyron, le château de Penne est tout en longueur (fig. 3). Sur les flancs de la vallée, dans les premières pentes, des terrains schisteux complétés de meules dolomitiques forment des reliefs raides entrecoupés de multiples petites falaises. Au-dessus et au sommet, le relief est entouré de hautes falaises en calcaires massifs, verticales, voire surplombantes, sauf au sud-ouest, site de l’accès actuel depuis le village de Penne. Une basse-cour au pied d’un châtelet barre l’éperon sommital. Plus haut, le sommet est constitué de deux étages successifs dotés de bâtiments sur terrasses remblayées et reliefs retaillés. Le plus haut relief culmine à 216 m d’altitude et domine le village et la vallée de l’Aveyron sur le flanc oriental du site.
Fig. 3 Plan du site.
Crédit F. Guillot et EDL-Pro.
- 8 Livre I, 11. Sainte-Foya, p. 38 : Hildegarius […] a quo castrum valde opinatum in pago Albigensi re (...)
- 9 Fray 2011, p. 1017. Suivant l’analyse de Pierre Bonnassie.
- 10 Panfili 2010, p. 555-558 et 848-849.
- 11 Fray 2011, p. 44.
- 12 Débax 2003, p. 149, 153, 156.
- 13 Par exemple, 1142, Devic et Vaissète 1872-1874, t. V, col. 1058 : et faciam tibi reddi sacramentale (...)
5Le castrum de Penne est documenté au début du xie siècle dans la narration d’un miracle de sainte Foy8. Doda, nobilis matrona de Castelnau-Brétenoux, dispose de ce castrum « très renommé » situé dans le pagus d’Albi et son petit-fils, Hildegaire le regere. Sébastien Fray indique que ce terme pourrait signifier qu’il en est le castlan9. Didier Panfili les associe tous deux au groupe familial des comtes de Quercy10, et Sébastien Fray démontre que Doda appartient au groupe des Matfredides11. Dès le début du xiie siècle, le castellum de Penne est l’objet d’une reprise en fief de la part du vicomte Trencavel12. Puis, tout au long du xiie siècle et au début du xiiie siècle, la documentation écrite évoque un fonctionnement selon le mode de la coseigneurie. Les principaux seigneurs forment des topolignées et portent le nom du castrum. Dans les serments pour le castellum, ils sont associés à des milites13.
- 14 Enquête archéologique et documentaire sur la seigneurie de Penne : Guillot et al. 2020, t. I, p. 53 (...)
- 15 Paris, BnF, Doat, 105, fol. 5 et suiv. Année 927. Donation par Gariberga du bosc quo dicitur Laura (...)
6La coseigneurie de Penne disposait de larges ressources. Dès les premiers actes conservés, le milieu sylvo-agro-pastoral alentour paraît amplement anthropisé et révèle des activités très diversifiées14. Outre les bois, champs, prés et vignes mentionnés en nombre à compter du xiie siècle, la rivière Aveyron et ses berges, que la fortification domine, sont des lieux de suractivité humaine. Les moulins et les payssières s’y succèdent de manière quasi continue. Les Causses environnants abritent un pastoralisme convoité par de grandes abbayes cisterciennes. Au sud, la forêt de Grésigne – qui dépend au xiiie siècle des deux principaux lignages de Penne – est un très vaste ensemble qui pourrait ne pas être que forestier, au moins depuis le xe siècle15. Au xive siècle, les habitants de Penne y détiennent toujours de larges droits d’usage. En dehors du castrum de Penne, l’habitat civil paraît spatialement fort peu aggloméré, mais socialement encadré par un réseau paroissial dense et, quand on peut en juger, ancien. Sauf peut-être sur les terroirs caussenards les plus difficiles, des « manses » s’éparpillent à travers tout le territoire, irrigué par un dense réseau de chemins.
- 16 Opérations Lidar sous la dir. de Nicolas Poirier, plate-forme archéosciences, TRACES-Terrae, UMR 5 (...)
7Le château présente aujourd’hui les vestiges en élévation d’un ouvrage de style capétien. Les différents chercheurs ont souligné que la forteresse royale de Penne réutilise des bâtis plus anciens dont plusieurs pourraient avoir été des résidences aristocratiques, celles de la coseigneurie du xiie siècle et du début du xiiie siècle. Cependant, ce n’est qu’à la faveur du programme collectif de recherche en 2019 que l’on prit la juste mesure de l’étendue véritable du castrum coseigneurial. En fait, le monument royal de la fin du Moyen Âge est un réduit fortifié érigé au sein et au sommet d’un ouvrage trois fois plus vaste, grand castrum qui a été révélé par des prospections pédestres, puis étudié par des levés Lidar, photogrammétriques, et des topographies classiques16 (fig. 3).
- 17 Peytavie 2014.
- 18 Devic et Vaissète 1872-1874, t. VIII, actes 270 et 271.
- 19 Layettes, III, p. 577-580.
- 20 Le premier acte de dédommagement (ou échange) a lieu en 1252 (AN J 330, no 30). Les derniers sont d (...)
- 21 Corvisier 2017, p. 38.
- 22 Malrieu 1986, p. 89 et suiv.
- 23 Bnf, Doat, 106, fo 175-178.
8Cette fortification et sa seigneurie sont au xiie siècle un enjeu entre les vicomtes d’Albi et les comtes de Toulouse, qui lui opposent la domination de la forteresse de Bruniquel située sur l’Aveyron quelques kilomètres en aval. Les évènements de la fin du xiie siècle et du début du xiiie siècle sont plus souvent en faveur des Raimondins, dont la puissance s’accroît dans la région. Dans une contrée lourdement impactée par les opérations militaires de la croisade contre les Albigeois, le castrum de Penne fut directement peu inquiété. La large coseigneurie décrite au cœur du xiie siècle s’efface peu à peu des actes au profit d’une frérèche qui paraît la dominer, composée au milieu du xiiie siècle d’Olivier et de Bernard de Penne. En 1212, le château et son terroir sont attaqués par des croisés, sans résultat en ce qui concerne la fortification. En 1213, pressés par la croisade, les seigneurs de Penne prêtent serment à Pierre II d’Aragon17. La fortification, enjeu dans le conflit en cours, est destinée – dans les préparatifs et au traité de Meaux-Paris (1229) – à devenir une garnison royale pendant 10 ans18. La cession des seigneurs de Penne au comte de Toulouse est finalement actée juste après la mort du comte de Toulouse Raimond vii, en 125119. Après dédommagement des deux principaux seigneurs de Penne – et du fils de l’un d’entre eux –, la fortification et sa domination intégrèrent donc la directe du domaine toulousain20, puis royal (1271). C’est de cette mutation institutionnelle qu’est né le réduit fortifié monumental aujourd’hui en élévation. Les études architecturales proposaient qu’il ait été érigé rapidement, en deux campagnes, dans la seconde moitié, voire le troisième quart du xiiie siècle21. Au sommet fouillé récemment, cet ouvrage ostensible daterait en fait au plus tôt du dernier quart du xiiie siècle et surtout du début du xive siècle : c’est un château royal. Après la dépossession des coseigneurs, l’ouvrage fut donc reconstruit dans un style capétien et s’affranchit au mieux des contraintes topographiques plutôt que d’utiliser l’exploitation directe des modelés naturels, en privilégiant une défense éminente dotée d’aménagements monumentaux et de marqueurs culturels français. Un compact châtelet défendait un goulet, unique entrée équipée d’une herse, encadré de deux tours asymétriques (fig. 4). Ce dispositif très impressionnant barre l’aval de la plate-forme sommitale. Sa grosse tour à éperon, démesurée, constitue une remarquable et efficace démonstration de force assénée au visiteur. À l’amont, des plates-formes remblayées, étriquées et encombrées de bâtiments se succèdent, desservies par un cheminement linéaire qui conduit à l’extrémité à un sommet nouvellement doté de deux tours flanquantes. Le caput castri est complété d’une vaste aula qui présente des caractères du second tiers du xiiie siècle. Un peu plus tard, les hauts murs des enceintes et tours nouvellement construites sont scandés d’ouvertures à fentes de tir en étrier, marqueurs identitaires du pouvoir royal français. Conséquence de la mutation politique débutée en 1251, et parachevée par la construction de la forteresse royale, il est possible que les anciens résidents, seigneurs de Penne, milites et dépendants, aient quitté le sommet. Le village de Penne, celui qui aujourd’hui est construit au pied de la fortification, est doté d’une charte de franchise (125222), justement au moment où Alphonse de Poitiers récupère la fortification, puis, une petite cinquantaine d’années après, d’une église associée à une enceinte urbaine. On règle les attributions de la dîme de Penne sur le carnelage et la laine (125923). Naît alors un bourg castral composé pour partie de résidences aristocratiques, tandis que d’autres s’établissent tout autour à travers le terroir. Une population de bourgeois, de marchands et d’artisans ayant su profiter des évolutions politiques s’établit dans le bourg, qui connaît un certain essor. Ces mutations ont peut-être aussi permis à des nouveaux venus de s’impliquer dans le nouveau bourg et sur son terroir.
9Fig. 4 Le châtelet capétien (proposition de restitution du châtelet de l’entrée du château de Penne, crédit Jean-Christophe Bergon 2004, II, 18 ; cliché Eugène Trutat, Inventaire général Région Occitanie, orthophotographie M. Bourdoux, F. Guillot, D. Langlois).
- 24 Devic et Vaissète 1872-1874, t. VIII, col. 1643-1644.
- 25 Décrits en tant que châtelains, gouverneurs et parfois capitaines. La charge de connétable de la ga (...)
- 26 Rivals 2015, vol. 1, p. 45-46.
- 27 Décrite libérée par les troupes françaises en 1372 (Chronique Louis de Bourbon, p. 60). Elle est à (...)
- 28 Favier 1980, p. 271.
- 29 Pierre Malrieu cite un acte consulaire de Penne qui décrit qu’au xviie siècle le château se ruine à (...)
10Un châtelain des comtes de Toulouse est mentionné pour le castrum dès 126824, puis les capitaines qui œuvrent pour le roi sont régulièrement documentés25. Des aménagements plus tardifs, et encore délicats à dater, par exemple la construction d’une grande citerne, indiquent la présence d’une garnison et la fonction de caserne dévolue dorénavant à l’ouvrage. Dans la seconde moitié du xive siècle, la région est soumise à de très violents conflits liés à la guerre de Cent Ans et des espaces de la forteresse sont rapidement et grossièrement remaniés pour être mis en défense. Les « Anglais » pillent Saint-Antonin à quelques lieues de Penne dès 134426. La fortification de Penne devient un objet de convoitise. Elle est occupée par des routiers, assiégée, prise et reprise plusieurs fois27. À la suite du traité de Brétigny, la rivière Aveyron fait un temps office de frontière entre domaines anglais et français28. Le château passe pour avoir été en partie détruit à l’extrême fin du xvie siècle au cours des conflits civils, mais l’archéologie n’a pas trouvé trace de cet évènement. Le dernier capitaine du château de Penne est connu dans les années 1661-1663. Le site est ensuite de plus en plus souvent décrit comme ruiné, mais ses prisons servent encore au tout début du xviiie siècle29.
Fig. 5 La plate-forme de l’église en cours de fouille.
Cliché F. Guillot.
- 30 Trois opérations de sondage et une fouille programmée annuelle.
11À l’extrémité nord-est du château, une rampe rocheuse est suivie d’une portion naturellement rétrécie du sommet qui forme un isthme étroit et par lequel on accède à la plate-forme la plus élevée et la plus isolée. Véritable cul-de-sac, très densément bâtie, entourée de falaises surplombantes, celle-ci domine au plus haut et au plus près du village et fait face à la vallée de l’Aveyron. C’est celle qui est associée à l’église du château et sur laquelle portaient les opérations programmées des années 2016, 2017, 2019 et 202030.
12Depuis la rampe de circulation, on y accède par un escalier descendant. À sa gauche se situe le point haut naturel du site (216 m), relief calcaire étroit, dénudé et entièrement retaillé. À sa droite existe un vaste bâtiment quadrangulaire restauré récemment, citerne dont la paroi présente une ouverture béante percée à travers le mur et dont les vestiges culminent à 218 m d’altitude. L’escalier aboutit à une plate-forme de 17 m de long et de 8 à 11 m de large, l’altitude du lapiaz s’étageant entre 213 et 211 m d’altitude. Elle est entourée d’une enceinte, scandée au sud-ouest d’une tour hémicylindrique et au nord-est d’un haut mur pouvant être associé à une pseudo tour, flanquement qui imite une tour. À l’extrémité orientale du site, au centre du mur d’enceinte, une partie restaurée suivant d’anciennes photographies livre une baie qui s’avère être celle de l’abside d’une église.
- 31 AD Tarn, ADT 1J1289, v. 2, fol. 24-29, notice manuscrite au préfet du département du Tarn intitulée (...)
- 32 Peloux 2018. D’après Fernand Peloux, la Passion de sainte Marguerite est bien connue dans le Midi, (...)
13En effet, et même si la plate-forme était encore il y a une dizaine d’années entièrement couverte de plusieurs mètres d’épaisseur de gravats qui occultaient totalement les vestiges en son centre, la présence d’une église à cet endroit n’a jamais été oubliée. À la suite d’une visite en 1820, Alexandre du Mège écrit à plusieurs reprises à propos du château de Penne31. Il identifie au sommet une église qu’il décrit placée sous le vocable de sainte Marguerite32 et dont il propose que des vestiges de corbeilles de chapiteaux soient conservés dans l’église Sainte-Catherine du village de Penne et dans le jardin du maire. Il la décrit détruite « pendant nos derniers troubles civils » et conservant encore une « colonne demeurée debout au milieu des ruines ». Puis il dessine trois corbeilles parmi celles qui lui ont été données de voir et une base de colonne. La fouille n’a pas permis de retrouver des fragments de chapiteaux ou de colonnes, mais d’autres éléments sculptés lapidaires, malheureusement uniquement en position résiduelle qui complètent de nombreux fragments découverts lors des dégagements préalables à la restauration. Au regard de la production artistique méridionale, la plus grande part des fragments sculptés révèlent une production pouvant être située dans les quarante premières années du xiiie siècle (fig. 6).
Fig. 6 1. Détail d’un fragment de figure humaine ; 2. Fragment d’une base à griffe feuillagée ; 3. Fragment lapidaire sculpté comprenant encore un registre feuillagé et figuré ; 4. Fragment d’un astragale et d’un chapiteau à deux registres feuillagés.
Analyse A. Béa, photogrammétrie-DAO F. Guillot.
- 33 AD Tarn-et-Garonne, 25J 13/6.
- 34 Disparu lors de notre visite en juillet 2020, fait relevé par un précédent lecteur en 2019.
- 35 Alauzier sd.
- 36 Guillaume de Rabastens, damoiseau, ne possède que le titre de châtelain de Penne, en 1384, car le c (...)
- 37 D’abord sacerdos en 1161, Vaour, acte VIII ; puis Bego, lo capella en 1175, acte XX ; puis représen (...)
- 38 Dans les chartes de la commanderie de Vaour durant la seconde moitié du xiie siècle, le terme eccle (...)
- 39 1463, Brouquet 2020, p. 208.
- 40 Hautefeuille 2005, p. 77-78.
14Si cette église n’est pas documentée dans la série G des archives départementales du Tarn ou du Tarn-et-Garonne, pas plus qu’elle n’apparaît dans les pouillés conservés ou les visites pastorales d’époque moderne, il y existait un acte daté de 1385 (n. st.), conservé dans les « archives du château de Bruniquel »33. L’original est aujourd’hui manquant (volé) dans le dossier conservé aux archives départementales du Tarn-et-Garonne34. On ne peut donc que se référer à l’analyse de l’acte réalisée par Louis d’Alauzier, archiviste compétent et érudit, qui confirme qu’un serment a été juré le 1er mars 1385 entre le vicomte de Bruniquel et Raimond de Caussade (seigneur de Puycornet) sur « l’autel de Sainte-Marguerite du château de Penne »35. Il s’agit d’un accord de neutralité entre seigneurs locaux plutôt qu’une véritable alliance. Il est promis alors que la forteresse de Penne est aux mains des routiers anglais ou d’Armagnac (1383-1385)36. Auparavant, au xiie siècle, un capela de Penne – nommé Bego – est mentionné à quelques reprises, témoin des actes de la commanderie templière de Vaour37. Mais, rien n’indique formellement de quelle chapelle ou église il est le desservant38. La relation privilégiée entretenue par les seigneurs de Penne avec la commanderie de Vaour – objet de multiples donations à compter des années quarante du xiie siècle – peut expliquer sa présence parmi les témoins des chartes de la commanderie. Des revendications de l’abbaye d’Aurillac sur le castrum de Penne dans les années 1260 pourraient s’appuyer sur un lien ancien entre l’église du château et cette abbaye présente dans la région. L’église que nous avons fouillée semble être le seul édifice religieux à Penne à cette époque. Car, il semble bien qu’avant la fin du xiiie siècle, l’église Sainte-Catherine construite dans le village de Penne n’existe pas. Elle ne livre pas de vestiges antérieurs à la fin du xiiie siècle et n’est pas mentionnée avant le xve siècle39. Construite contre l’enceinte villageoise en périphérie de l’expansion urbaine du bas Moyen Âge, elle paraît bien avoir été érigée à la fin du Moyen Âge. Florent Hautefeuille40 analyse que les nouveaux villages castraux des xiie-xiiie siècles des pays de moyenne Garonne ne comportent pas toujours d’église qui leur soit propre et utilisent souvent l’ancien maillage paroissial, ce qui semble être le cas du village de Penne – celui concerné par la charte de franchise, qui est situé au pied du château – au milieu du xiiie siècle.
- 41 Analyse des mobiliers sous la dir. de Nicolas Portet, avec Jean Catalo, Bernard Gratuze (Iramat-Ceb (...)
15Ce quartier haut a été l’objet de plusieurs opérations archéologiques et de dégagement (fig. 7). La société Hadès y a effectué deux opérations préventives à la restauration, découvrant des pans de murs et atteignant les premiers niveaux de sol. Puis la plate-forme entière fut dégagée de son énorme masse de gravats sans suivi archéologique, jusqu’aux sols, souvent un peu plus bas, et la citerne attenante fut totalement vidée. Les opérations programmées débutèrent en 2016 et 2017 par deux sondages d’emprise limitée menés par Thomas Charpentier. Ensuite, il fut choisi de mener des opérations sur l’entière plate-forme, tout en approfondissant les analyses des bâtis et des mobiliers41.
Fig. 7 L’imbrication des opérations archéologiques au sommet du château de Penne.
Plan EDL-Pro, modifié par F. Guillot.
- 42 Fragment de céramique à décor incisé. Identification Anne Lagarrigue, Inrap.
16Comme attendu du sommet d’un site castral d’envergure, les remaniements du secteur fouillé sont nombreux et complexes. Cependant, malgré de larges et nombreuses perturbations de toutes les époques, la fouille a bien mis en évidence les dernières étapes des aménagements et constructions de style capétien, et une chronologie des travaux plus complexe qu’il n’y paraissait, tout au long du second Moyen Âge : une église y a été construite puis reconstruite avant que les enceintes et tours de style capétien n’y soient ajoutées ; la fouille révèle aussi l’existence d’aménagements et de bâtiments depuis au moins la fin du xe siècle ou le début du xie siècle. Comme cela est classique sur ce type de site, les piégeages en diaclase ont livré des mobiliers plus anciens, antique, protohistorique et, plus remarquable, néolithique42.
17Depuis au moins la fin du xe siècle ou le tout début du xie siècle, une église est établie au cœur de la plate-forme et elle constitue l’élément structurant de cet espace sommital jusqu’à sa destruction au tournant des xviiie-xixe siècles. Qu’une église soit érigée en sommet d’une fortification au xe siècle ou au début du xie siècle n’est pas singulier et on en connaît d’autres exemples dans des sites castraux méridionaux de prime importance, c’est-à-dire de rang comtal ou vicomtal.
- 43 Identification Nicolas Portet.
- 44 Foy et al. 2017.
- 45 Phelps 2011.
- 46 Foy et al. 2017, p. 168.
18La fouille n’a pas permis de définir l’emprise totale du plus ancien lieu de culte, mais il apparaît que sa petite abside en hémicycle était construite directement au-dessus du vide, isolée à la proue de l’éperon castral, et était précédée d’un bâtiment rectangulaire, une simple nef, d’au moins 5 m de long et occupant le centre et la majorité de la largeur de la plate-forme, soit environ 4 m (fig. 8). Cette église est grossièrement orientée, suivant les contraintes du sommet. Ses flancs gouttereaux étaient constitués de larges murs maçonnés au mortier de chaux. Ces murs ont ensuite été dérasés pour servir de fondation à ceux de l’église du xiiie siècle. La fouille a aussi mis au jour une retaille du lapiaz parallèle à ses anciens murs, mais livrant un plan décalé de l’axe de l’hémicycle ; il faut donc peut-être envisager la présence d’un autre bâtiment, antérieur, de forme moins large et sans l’hémicycle et donc une histoire plus épaisse qu’il n’y paraît (fig. 8). L’étude des mobiliers exhumés par la fouille révèle des vitres en pierre spéculaire et un fragment de vase de la fin du xe siècle ou du courant du xie siècle en verre au natron, bleu violet à décor de fils blancs rapportés (fig. 9)43. Cet élément de prestige a été conservé jusqu’à la destruction de l’église, puisqu’il a été retrouvé au pied de son autel dans les premiers niveaux de destruction. Il est comparable à des verres produits, jusqu’au xie siècle, en recyclant des verres de l’Antiquité, et à des fragments découverts à Arles (Bouches-du-Rhône), Vaison-la-Romaine (Vaucluse), au château d’Apcher (Lozère), à l’abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne)44, mais aussi à Cork en Irlande45. Mis au jour en contextes ecclésiaux, ou dans des fortifications dotées d’églises, dans des sites de prestige, ces verres sont proposés comme « destinés à un usage ecclésial (calice, reliquaire, custode à hosties, flacon pour le vin de messe ou les saintes huiles, lampe) »46. Associées à d’autres mobiliers, à une datation radiocarbone sur un charbon de branchette d’une unité située en connexion avec les plus anciens murs maçonnés de l’église, ces découvertes confirment la présence d’un bâtiment aux alentours de l’an mil, dont l’abside en hémicycle confirme la fonction. Les unités les plus anciennes liées à cette église conservent des fragments d’enduits peints a fresco de teinte ocre-orangé sur un mortier blanc grossier qui évoquent la peinture romane ou préromane (fig. 10).
Fig. 8 Structures antérieures à la fin du xiie siècle.
DAO F. Guillo, plan EDL-Pro.
Fig. 9 Fragments de verre au natron et de pierre spéculaire.
Cliché N. Portet.
Fig. 10 Enduit peint a fresco et liaison de lanière (métal ferreux).
Cliché N. Portet.
19Cette église est complétée plus tard d’une abside carrée, de style roman, dont la construction l’emporte sur le vide par le biais d’une voûte audacieuse, qui fut remaniée lors de l’érection de la forteresse royale (fig. 8 et 11). Pour la première fois dans ce secteur, on choisit pour la construire des roches allochtones, dolomies cristallisées connues non loin de Penne, mais absentes du sommet. Monnaie, chronologie relative des bâtis, verres à vitraux et aspect des parements et de l’ouverture invitent à une datation large, dans le courant du xiie siècle. L’analyse des sculptures découvertes en position résiduelle (postes, palmettes circonscrites, enroulements et pommes de pin) pourrait affiner la datation au troisième ou au quatrième quart du xiie siècle. En effet quelques fragments de style roman se différencient d’autres, plus tardifs, qui correspondent à un premier gothique encore empreint de tradition romane et qui seraient associés à la nouvelle nef, postérieure à cette abside carrée. L’autel est engagé dans le mur du chevet (fig. 12) et encadré par deux petites niches dans le parement interne. Il est érigé au-dessus de la voûte sur une plate-forme bâtie de 3,7 m² de superficie, située une dizaine de centimètres plus haut que le sol du reste de l’église constitué par le lapiaz arasé. Cette « estrade » en pierre portant l’autel est construite en même temps que la voûte. Comme l’autel et l’abside carrée, elle est restée en usage jusqu’à la destruction finale de l’église à la fin du xviiie siècle ou au début du xixe siècle.
Fig. 11 Parement externe de l’extrémité orientale du château de Penne.
Cliché D. Langlois, analyse F. Guillot.
Fig. 12 Empreinte de l’autel et arrachement du mur du chevet plat.
Cliché F. Guillot.
20Peut-on imaginer que l’église ait été totalement isolée en situation sommitale du caput castri de Penne ? Évidemment non. Cependant, force est de constater que si du mobilier et des structures bâties antérieurs au xiiie siècle ont pu être mis au jour par la fouille, la perception que nous avons des espaces autres que ceux du lieu de culte et de leurs fonctions reste le plus souvent des hypothèses de travail.
- 47 Corvisier 2017, p. 11.
- 48 Par caput castri nous entendons la partie haute du castrum, sous laquelle existe un autre niveau de (...)
21Comme l’étude architecturale l’a avancé47, il faut d’abord proposer l’hypothèse que la plate-forme était dominée par un édifice du type tour maîtresse sommitale. Le secteur fouillé est en effet surplombé par un relief haut, situé 3 ou 4 m au-dessus, qui prend la forme d’une langue de lapiaz totalement retaillée, aux bords verticaux, sauf son accès en pente au nord-ouest (fig. 13). Pour élargir l’accès à la plate-forme en contrebas et mettre en place l’escalier que nous utilisons toujours, dans la seconde moitié du xive siècle ou au début du xve siècle, on a réduit la surface de ce relief en le tranchant verticalement sur sa face sud-ouest. Mais, surtout, l’apparence du flanc sud-est de cette dent de calcaire trahit qu’elle a été largement retaillée latéralement au moment de la réorganisation du parvis de l’église au début du xive siècle. Cela implique qu’il est difficile de restituer sa forme antérieure, son volume et la surface disponible à son sommet avant le xive siècle. Ne subsiste aujourd’hui qu’un étroit pinacle de moins de 3 m de large en moyenne sur plus de 10 m de long, légèrement ascendant, où le rocher est à nu, sans piégeage (fig. 13). Une encoche de son sol rocheux – de forme ronde – trahit un système de levage indatable (ancrage du contrepoids). Il est aménagé là où la falaise est surplombante et il permet de monter des charges sans frottement. Situé directement au-dessus du précipice, au nord du sommet castral, ce relief retaillé domine directement la vallée de l’Aveyron et un bâtiment érigé dessus surplomberait tout le caput castri48. Il est donc plus que vraisemblable que la plate-forme ait été anciennement, à l’époque de la fortification des coseigneurs et probablement jusqu’au milieu du xiiie siècle, dominée par une tour maîtresse sommitale érigée à cet endroit.
Fig. 13 Relief retaillé : point haut du site au nord de la plate-forme.
Cliché F. Guillot.
- 49 La calibration (traitement par Intcal 2020 d’une date sur charbon de branchette dans le mortier de (...)
22Les fouilles ont permis de repérer autour de la plate-forme un ancien mur d’enceinte, antérieur à celui du château royal49 (fig. 8). Il n’est plus possible de restituer son entier tracé, mais il prenait la forme d’un mur maçonné, ancré dans le lapiaz encoché et qui suivait précautionneusement la falaise. Il ceinturait de près l’édifice cultuel ancien. Au nord-est, sur quelques mètres de long, il a été en partie réutilisé par l’enceinte du château royal.
- 50 Vidée sans suivi archéologique, elle n’est datée qu’en chronologie relative, mais juste postérieure (...)
23La moitié sud-ouest du secteur fouillé est la plus mal connue pour ces hautes époques, car elle a été la plus remaniée par les travaux du xive siècle. Un accès est avéré au début du xiiie siècle, suivant le même cheminement que l’accès actuel, mais sous une forme plus étroite et à des altitudes à peine moins élevées. Il pénètre dans la plate-forme quasiment au même endroit qu’aujourd’hui. La citerne – située au sud de cette descente vers la plate-forme – n’existe pas encore. Ultime aménagement d’ampleur du secteur, elle est érigée dans une phase tardive en s’appuyant sur des murs plus anciens50. Au xiie siècle et au début du xiiie siècle, l’accès descendant permettait aussi de circuler vers le sud, zone où l’on construira plus tard la tour hémicylindrique.
- 51 Alauzier, Foucaud 1983. Laurière 2015.
- 52 Séraphin 1993.
- 53 Guillot et al. 2022, vol. 2, p. 319-325.
- 54 Portet et Raynaud 2009, p. 224.
- 55 Dans les unités de l’église la plus ancienne, on a aussi exhumé un clou de maréchalerie à tête en b (...)
- 56 Us 2223. La calibration (traitement par Intcal 2020 d’une date sur charbon de branchette dans les c (...)
- 57 Grandet, Goret 2012, p. 88, pion no 5, inv. OI3326.
24Le cœur de la zone située au pied de l’ancien lieu de culte livre des vestiges anciens connus uniquement ponctuellement. L’élément le plus ancien (M52-M53-M80) est un long mur maçonné de plan en zigzag – originellement élevé d’au moins 7 m bien qu’atteignant à peine 60 cm d’épaisseur – et réutilisé par les constructions postérieures, et donc modifié, mais conservé en partie (fig. 8). Le contexte stratigraphique et les radiocarbones indiquent qu’il aurait pu être érigé au xie siècle, à partir du second quart de ce siècle. Un de ses angles, arrondi, rappelle des bâtis ecclésiaux préromans de la région51, ceux d’anciens castra, entre le xie siècle et le milieu du xiie siècle52 et surtout l’angle d’un mur au nord-ouest du caput castri daté par la fouille archéologique de la première moitié du xie siècle53. À son extrémité est, le mur en angle droit s’appuyait contre l’angle sud-ouest de l’église. Il ne s’agit nullement d’une enceinte, mais d’un mur servant à des bâtiments. L’un d’eux devait être situé dans le secteur de la future citerne, l’autre dans celui de la future tour semi-cylindrique du château royal. Derrière ce mur, à l’emplacement de la citerne plus tardive, on serait tenté d’imaginer aux xie et xiie siècles un ou des bâtiments résidentiels, aristocratiques. Mais on n’en sait pas plus. Au-delà de remaniements d’ampleur au xiiie siècle et au xive siècle, de l’arasement de la plupart des anciens niveaux de sol, du volume chétif des niveaux détritiques anciens conservés, faiblesse des piégeages, et du dégagement des unités de la citerne sans suivi archéologique, le mobilier du xie et du début du xiiie siècle est particulièrement discret, en position secondaire et peu informatif. On relève très régulièrement des clous de maréchalerie usagés des types 1 ou 2 de Nicolas Portet54, utilisés avant le milieu du xiiie siècle, pour certains essentiellement au xiie siècle, pour d’autres des xe-xie siècles55. Une liaison de lanière du xe siècle ou de la première moitié du xie siècle découverte dans une des unités les plus anciennes de l’église vient compléter ce corpus (fig. 10). Quelques éléments de parure en os ou en alliage cuivreux présentent aussi des caractères typologiques antérieurs au milieu du xiiie siècle, par exemple des plaquettes en bois de cervidés et décor d’ocelles (fig. 25). Enfin, quelques unités stratigraphiques de petit volume renferment des tessons très fragmentés et émoussés. L’étude archéozoologique indique moins d’activités de boucherie dans ces horizons que dans ceux des époques plus récentes, avec cependant, au xe siècle et au xie siècle, au sud-ouest du M52, une activité d’extraction de graisse de moelle osseuse attestée par des lots de faune fragmentés à l’extrême, pour moitié ou plus composés d’os spongieux. Une unité ancienne attribuable aux alentours de l’an mil a livré 555 esquilles et os spongieux pesant au total 121 gr, soit 0,22 gr par fragment56. Les restes déterminés sont en fait peu nombreux et – toutes époques confondues – ceux des petits ruminants sont les plus abondants de la triade domestique, près de la moitié de la faune, devant les suidés (fig. 14). Les grands ruminants sont presque absents pendant cette période, et ils ne complètent la triade domestique qu’à partir de la fin du xiiie siècle jusqu’au début du xve siècle. Ils restent globalement minoritaires sur l’ensemble du site. La part du sauvage est, comme de classique en site castral, réduite, autour de 7 %. Soulignons la découverte d’un pion d’échec en bois de cervidé, partiellement conservé (fig. 25). L’objet est de forme globalement conique terminée en dôme. Il conserve six rainures de largeurs inégales. Il a été taillé dans une partie peu noble de la ramure, comme le montre la présence de la partie spongieuse du bois et a été probablement évidé en son centre pour recevoir une pièce rapportée. Il trouve des comparaisons avec des pièces d’échec coniques et rainurées. C’est à l’un des exemplaires découverts au château de Boves qu’il s’apparente le mieux57.
Fig. 14 Faune, nombre de restes déterminés de la triade domestique – secteur église 2020.
Crédit Ph. Pergent.
Fig.15 Phasage des bâtiments de la plate-forme.
F. Guillot.
Fig. 16 Orthophotographie de la plate-forme de l’emmarchement (perron), marches et murets (M71) à l’entrée de l’église la plus récente.
Murs plus anciens dérasés servant de grille de chaînage entre lapiaz et nouveaux murs et encoches et retailles diverses.
Orthophotographie et DAO F. Guillot.
25C’est à la fin du Moyen Âge que le secteur livre le plus de modifications connues, constructions d’ampleur se succédant durant un long siècle.
- 58 La calibration (traitement par Intcal 2020 d’une date sur charbon de branchette dans le mortier d’u (...)
- 59 Ces parements présentent des similitudes avec ceux de la tour maîtresse de la commanderie de Vaour, (...)
- 60 Huit lobes. Plateau à deux cuvettes, sans rebord. Leurs évacuations sont obturées par le mur en des (...)
- 61 Courtillé, 2002 ; Pradalier-Schlumberger, 1998.
26Dans un premier temps, la nef de l’église fut entièrement reconstruite. La datation radiocarbone d’un charbon du mortier d’un de ses murs indiquerait préférentiellement les années 1190-122058, tandis que les éléments lapidaires sculptés peuvent être replacés dans une fourchette chronologique plus large, des années 1200-1240. La fortification est alors celle des coseigneurs, mais on perçoit dans la documentation que la large coseigneurie connue au cœur du xiie siècle est hiérarchisée au profit d’une frérèche qui paraît la dominer. Le castrum est alors un des enjeux des conflits de la croisade et de ses répercussions directes, au point qu’il occupe un chapitre du traité de Meaux-Paris (1229). Dans le contexte de la croisade, nombre de seigneurs ont cherché à démontrer leur orthodoxie et peut-être cette nouvelle église avait-elle en partie cet objectif. De plan quadrangulaire, de près de 6 m de large sur 5 de long, la nouvelle église conserve l’ancienne abside carrée à laquelle on l’adosse. Elle est bâtie de pierres de taille parfaitement ajustées, à joints vifs, dressées sur toutes leurs faces et dont les surfaces sont soigneusement layées au marteau-taillant droit et fin59. Les murs à double parement sont fourrés. Cette église est un ouvrage de grande qualité. Ces murs épais sont érigés soit sur le lapiaz à nu, soit par-dessus les murs de l’ancienne nef, dérasés à cet effet. Les assises parfaitement horizontales s’assoient sur de très fins lits de mortier de chaux et les angles en besace sont particulièrement réguliers. Dérasées à l’époque contemporaine, ses élévations nous sont inconnues, sauf la base d’une niche dans le mur sud-est, dont les piédroits sont constitués d’un double ressaut à ébrasement quadrangulaire. Il pourrait avoir été un placard liturgique, car, à sa droite, des piscines liturgiques jumelles – l’une à cuvettes polylobées, l’autre à cuvette ronde – sont encastrées dans le mur et apparemment remployées60 (fig. 17). Le sol de la nef est constitué de l’ancienne surface arasée du lapiaz (fig. 16). Près de l’entrée, le long d’un emmarchement, on installe de petits volumes de terre et des dalles jusqu’au niveau de la marche supérieure pour combler un léger creux. Les unités postérieures, et notamment celles liées à la destruction de l’église castrale, ont livré une grande quantité d’enduits peints aux motifs et techniques distincts de ceux de l’église du Moyen Âge central. Malgré leur extrême fragmentation, on y repère au moins deux styles de pigments et de motifs, certains étant plus caractéristiques des unités de la fin du Moyen Âge (aplats rouge sombre et volutes blanches, aplats ocre sombre et traits blancs), et d’autres des unités de la fin du xvie et du xviie siècle (mouchetures rouges sur fond bleu ou ocre orangé et gris). Répartis dans quasiment toute la zone, ils sont nettement plus denses dans ou à proximité de l’église et sur son parvis, ce qui permet de proposer qu’ils en aient constitué le décor. L’entrée de la nouvelle église est équipée d’un emmarchement-perron majestueux, couvrant toute la largeur de la nef et quasiment toute la largeur du sommet. En haut du perron, on installe en même temps, où lors de la réfection de la forteresse royale, une fermeture à porte ou plutôt à portillon central, face au parvis. Son empreinte en mortier et quelques pierres de taille en bande étroite qui ont été conservées évoquent des murs encadrants l’entrée, ajourés de colonnes plutôt que pleins (M71) (fig. 16). Le visiteur aborde l’église par l’étroit goulet descendant – le long du M80 – qui conduit au parvis, et donc par le dessous, grammaire architecturale qui valorise la domination et la magnificence du bâtiment cultuel. Au xiiie siècle, l’abside est toujours isolée à la pointe de l’éperon, son chevet dominant le précipice. Les moyens déployés pour orner cette église d’une sculpture monumentale de qualité, qui synthétise l’attachement à la tradition romane, mais aussi l’ouverture aux nouvelles formes du « premier gothique », ont été conséquents. Ainsi, les fragments sculptés des chapiteaux révèlent-ils plusieurs registres et une certaine préciosité dans l’indication des nombreux détails. Associées à une base à griffe feuillagée et au-dessus d’un astragale taillé en biseau, des corbeilles tronconiques ou largement évasées accueillent deux registres de feuilles grasses, terminées dans le second par des crochets trifoliés peu dégagés du fond. Ils peuvent aussi être associés à un troisième registre figuré, composé de bustes ailés ou de têtes humaines à côté d’un bestiaire ailé. Les têtes humaines dégagées par un épannelage triangulaire se caractérisent par des globes oculaires soulignés par une incision fortement marquée et des paupières ourlées qui renvoient, tout comme les registres feuillagés, à la production artistique méridionale des années 1200 et des premières décennies du xiiie siècle, connue dans le Toulousain, le Languedoc (cloître de Granselve, église des Cordeliers de Narbonne, abbaye cistercienne de Flaran) et l’Auvergne (Saint-Pourçain-sur-Sioule, Saint-Cerneuf de Billom et Riom)61 (fig. 6).
Fig. 17 Piscines liturgiques.
Cliché A. Béa, © Inventaire général Région Occitanie, © Conseil départemental du Tarn.
27Il est difficile de préciser si l’ancien mur d’enceinte, déjà mis à mal par la construction du chevet plat sur voûte, survit entièrement à celle de cette nouvelle nef. Dans l’angle nord-est de la plate-forme, c’est certain, car l’enceinte ancienne est même conservée par la construction de la forteresse royale. Au sud, c’est très probable et cela expliquerait la présence d’une porte au centre du mur gouttereau sud de l’église, dont le niveau du seuil initial n’a strictement rien à voir avec celui des circulations le long de l’enceinte de la forteresse royale, mais pourrait avoir été en lien avec la circulation vers le faîte de l’enceinte antérieure.
28S’ensuivent des travaux de grande ampleur qui aboutissent à restructurer rapidement quasiment toute la plate-forme. Le chantier est considérable, l’œuvre très perfectionnée, savante. Son objectif est d’acter la mutation politique en cours, car les constructions exposent aux yeux de tous un style radicalement différent de celui de l’ancien grand castrum coseigneurial, en utilisant les principes et les marqueurs architecturaux des fortifications capétiennes. L’emprise de l’ouvrage est réduite aux trois quarts de l’ancien caput castri. Ces chantiers de construction dans et autour de la plate-forme fouillée ont lieu à l’extrême fin du xiiie siècle ou plutôt au début du xive siècle, et font suite à la captation par l’autorité royale du castrum et de sa domination.
29La nouvelle fortification conserve l’église, son escalier-perron et son abside quadrangulaire, mais le pourtour est rebâti en peu de temps. Les défenses du sommet du réduit fortifié capétien dominent, enserrent et enferment l’édifice cultuel.
- 62 Cette voûte est légèrement désaxée du fait des différences d’orientation entre le mur de la pseudo- (...)
- 63 Corvisier 2017, p. 13.
30Le premier élément ajouté est une pseudo-tour (M40) à la pointe nord-est, dans une situation avant tout ostentatoire, faite pour être exposée aux yeux de tous et nullement nécessaire ou utile à la défense active, sauf à la surveillance (fig. 11 et 18). Ses maçonneries se limitent à un unique mur et à un départ de voûte en interne, qu’on peut supposer retombante sur le mur de l’église (M73)62. Les parois à l’arrière du mur bouclier M40 trahissent des aménagements postérieurs en matériaux organiques. Mais ces aménagements sont plus tardifs et sont mis en place à la fin du xive siècle, avec d’autres, fonctionnels et peu soignés, nécessaires à la défense du site dans le cadre des conflits de la guerre de Cent Ans. Le rez-de-chaussée de la tour est doté d’une niche à archère et Christian Corvisier a bien montré que cette archère était d’un module comparable à celles du châtelet d’entrée, avec un étrier plus ramassé que celles de la tour hémicylindrique, proposant d’y voir le signe d’un dédoublement des campagnes d’élévation des constructions capétiennes63. Notre étude confirme et précise cette hypothèse autour de la plate-forme. Ce nouveau mur (M40) constitue dorénavant le point haut de la face orientale de l’éperon castral et recouvre l’enceinte antérieure qu’il conserve au nord sous la forme d’un mur peu élevé. Il surplombe le mur pignon de l’abside de l’église. Son échafaudage élargi vers le sud permet en même temps une reprise en sous-œuvre du mur du chevet plat et de sa voûte. On ajoute à peine plus tard un haut et large contrefort pour conforter l’avancée sur le vide (fig. 11 et 15).
Fig. 18 Orthophotographie du parement interne de la pseudo-tour (M40) et situation des structures en plan.
Cliché F. Guillot.
- 64 L’ampleur de la construction de la forteresse royale implique qu’on se soit approvisionné sur plusi (...)
31Dans la phase où l’on construit la pseudo-tour débute l’érection au sud-ouest d’une autre tour flanquante, quasi hémicylindrique, de 12 m de hauteur et de 8 m dans son plus grand rayon hors œuvre (fig. 19). Elle est bâtie contre une épaisse courtine linéaire à l’ouest construite peu auparavant. Elle est édifiée sur un surplomb spectaculaire, fragilisé par une large discontinuité naturelle qui sert d’évacuation à l’eau. Sauf en partie basse du mur, en extérieur, ses parements ne révèlent pas de boulins, mais l’échafaudage, nécessairement traversant, pouvait se suffire des goulottes d’évacuations d’eau, des ouvertures de jour, des fentes des archères et des encoches d’encastrement du hourdage sommital. Dotée de deux étages planchéiés sur retraits du mur, complétée d’un étage sommital crénelé, la tour s’appuie du côté du parvis de l’église contre les M75 et M52 antérieurs et sa construction conduit à une modification des niveaux de circulation avec la création d’une nouvelle porte entre le rez-de-chaussée de la tour et le parvis. Le rez-de-chaussée de la tour est percé de deux baies à niche à simple ébrasement pour des ouvertures de jour, dont l’une fut bouchée plus tard pour allonger la galerie de défense dans la continuité du mur d’enceinte jusque sur les flancs de la tour. Le mur du premier étage de la tour est scandé de trois archères et surmonté du crénelage dont les merlons sont percés de trois autres archères analogues, mais plus courtes. Cette tour fut construite en deux étapes. Jusque sous les étriers, ce chantier est synchrone ou dans la foulée de celui de la pseudo tour (M40). Au-dessus, la tour est construite après une pause suffisamment longue pour qu’on modifie le module des étriers des archères et aussi tous les sites d’approvisionnement en pierres de taille64. La partie haute du mur indique deux sites carriers et peut-être deux groupes de maçons et deux échafaudages distincts. Sa toiture est équipée de tuiles canal, ce qui suggère une faible pente. En même temps que la construction de la partie haute de cette tour a lieu une réfection globale du mur d’enceinte sud (entre les deux tours, M38). Par rapport à l’ancien mur d’enceinte, il gagne du terrain sur la verticalité et libère de l’espace pour des circulations pratiques et fonctionnelles autour de l’église. En conséquence, on perce de nouveaux accès depuis l’église et son parvis vers cette circulation le long de l’enceinte. Le mur d’enceinte au sud est hourdé et doté de six archères dont on ne conserve que les étriers, du même module que ceux de la tour hémicylindrique attenante. Comme en haut de la tour hémicylindrique, les encoches du hourd sont percées à travers l’assise construite juste sous la base des étriers et ont pu aussi servir d’ancrage à un échafaudage traversant (fig. 20).
Fig. 19 La tour hémicylindrique et le mur d’enceinte de la forteresse royale.
La tour est construite en deux étapes. Chacune s’approvisionne dans des bancs (carrières ?) différents.
Cliché F. Guillot.
Fig. 20 Archéologie expérimentale.
Échafaudage des restaurations du châtelet d’entrée. Il est construit tel que ceux du chantier du début du xive siècle devaient l’être.
Crédit entreprise SNRB-Waringo, cl. F. Guillot.
- 65 Séraphin 2011, p. 69, 165, 290-291.
- 66 Analyse de Nicolas Portet, d’après Foy 1988, p. 330.
32En même temps ou juste après, au cours de la première moitié du xive siècle, on perfectionne les abords du lieu de culte en élargissant le flanc nord du parvis situé au pied et face à son entrée. Les nouveaux bâtis imitent ceux du lieu de culte en usant de pierres de taille et de parements d’aspects analogues, mais non tout à fait identiques. Les volumes des pierres sont différents, elles ne sont pas toujours dressées sur toutes leurs faces et les joints sont à peine plus épais. Le nouveau mur du flanc nord du parvis, adossé au relief haut, est décoré en son centre d’un demi-pilier engagé de section cruciforme érigé sur une banquette en maçonneries et la porte d’accès au parvis est pourvue de ressauts d’ébrasement qui organisent des emplacements ayant pu recevoir des colonnes à chapiteaux. Cette porte du parvis ne pouvait qu’être couverte. Contre l’ancien mur M53, on installe un mur formant banquette (M76) (fig. 21) qui est réalisé avec de nombreux réemplois, notamment des claveaux d’un cordon torsadé qui pourraient avoir été utilisés auparavant en archivolte d’un portail, couvrement employé dans des églises du Lot, à Caillac (datée traditionnellement de la seconde moitié du xiie siècle) ou à Salviac, plus précisément datée des années 124065. La nef du début du xiiie siècle est donc probablement modifiée en élévation, mais son dérasement ne permet plus de savoir comment. Le parement du M76 est enduit de mortier de chaux qui cache ces sculptures. En outre, si les faces dressées sont généralement celles qui portent la sculpture, les pierres peuvent aussi être retournées, indiquant qu’elles sont traitées comme de vulgaires moellons en réemploi. Enfin, depuis ce parvis renouvelé qui sert d’emplacement au chantier, on travaille à installer sur l’église des vitraux d’exception, nouveaux marqueurs de l’identité royale du monument cultuel, car en tous points comparables à ceux qui ornent au xive siècle le Palais des Papes à Avignon : verres soufflés en plateau, dont les flancs sont grugés (fig. 22). Ils sont décorés de grisailles qui correspondent à des productions gothiques66. Si ces motifs sont caractéristiques du xiiie siècle dans le nord de la France, ils sont aussi similaires à ceux découverts en contexte xive siècle au Palais des Papes et cette datation, des premières décennies du xive siècle, correspond à celles des autres mobiliers présents dans les niveaux de leur fabrication et à la stratigraphie observée. Ce chantier de vitraillistes a aussi livré près de 5 kg de plomb et de demi-produits, et divers déchets de découpe et de coulée, dont une loupe massive de plomb et son foyer (fig. 23). Organisé au pied du M76, le chantier a ensuite été faiblement remblayé pour que le parvis soit aplani (fig. 24).
Fig. 21 M76, orthomosaïques de la photogrammétrie et phasage.
Cliché M. Bourdoux, montage et DAO F. Guillot.
Fig. 22 Vitraux de l’église.
DAO N. Portet.
Fig. 23 Plombs de vitrail.
DAO N. Portet.
Fig. 24 Section stratigraphique du parvis.
Crédit F. Guillot.
33Jusqu’à la destruction de l’église, le parvis, encadré de hauts murs et de bâtiments, mais à ciel ouvert, reçut des dépôts détritiques et limoneux, parfois légèrement humiques qui rehaussèrent les niveaux de circulation et ont constitué pour la fouille des horizons remarquablement instructifs (fig. 24). À partir de la reconfiguration de la fortification royale, la rareté des modifications postérieures a aussi permis de préserver les niveaux de sols et le mobilier qu’ils conservaient. Dès lors, les artefacts découverts sont plus nombreux et les quelques aménagements ponctuels mieux connus. Cependant, suivant les secteurs, les conditions de l’aménagement ont été plus ou moins propices à la conservation de données pour les archéologues ; la tour semi-cylindrique était un bâtiment aux étages planchéiés, dont l’écroulement n’a fourni que les nombreux clous des assemblages. Son rez-de-chaussée ne comportait qu’un vague aplanissement du sol, révélant essentiellement une bonne quantité de restes de faune, avec des traces de boucherie somme toute nombreuses (fig. 26). Dès la reconstruction du parvis, et plus particulièrement dans les niveaux depuis la fin du xive siècle jusqu’au xvie siècle, ces horizons ont livré des vestiges de faune dont la répartition change peu par rapport à la période précédente, mais qui conservent de plus nombreuses traces de boucherie et se complètent de quelques productions artisanales sur os ou sur ivoire. Sauf quelques découvertes isolées, le mobilier en os travaillé est essentiellement présent dans le parvis ou dans des horizons du xive siècle livrant par ailleurs une forte densité de restes de faune, comme l’entrée ou la tour hémicylindrique. Sur ces objets, mis à part la scie, les instruments utilisés sont distincts de ceux de la boucherie et on relève des traces de lime, de gouge et des marques de polissage. Certains évoquent la fabrication de dés en os. D’autres sont des poinçons, ou encore des petites plaques en os ou en ivoire, de 1 à 2 cm de long, retouchées en forme de pointe ou de spatule, qui auraient pu être emmanchées et servir au décor des céramiques, au travail d’enluminure, etc. (fig. 25).
Fig. 25 Matières osseuses animales travaillées.
Crédits F. Guillot et N. Portet.
Fig. 26 Présence de traces anthropiques sur la faune. L’exemple de la tour semi-cylindrique, secteur église.
Crédit Ph. Pergent.
- 67 Pour ceux qui sont identifiables, du type A1 de Valérie Serdon. Suivant l’analyse des mobiliers de (...)
34L’assemblage céramique qui correspond au temps de la reconstruction royale et aux toutes premières occupations lui succédant se caractérise par la présence de céramiques grises à polissage, rouges polies tardives ou à glaçure plombifère. La seule forme restituable est probablement très significative du tout début du xive siècle. Il s’agit d’un exemplaire inédit de cruchette à goulot étroit et anse rubanée, décorée d’une incision ondée sur la carène et le goulot, façonnée dans une pâte rouge à polissage tardif (fig. 27). Dans tous les horizons, les fragments de trompes d’appel sont forts peu nombreux pour un site castral. La trompe ou corne d’appel, ou olifant est un objet connu dans une chronologie très large du xe siècle à la fin du xive siècle sur de très nombreux sites médiévaux dans tout le Sud-Ouest de la France et au-delà, par exemple en site rural ou urbain à Moissac, et parfois même funéraire ou artisanal à Cahors. Sa forme spécifique permet une identification facile même d’un petit fragment, mais qui ne doit pas tromper sur sa fréquence réelle. Ces artefacts côtoient quelques éléments métalliques vestimentaires et militaires, et tous sont plus nombreux dans des unités du xive siècle et sur les niveaux du début du xve siècle que par la suite. Des niveaux du xive siècle ont été exhumés des fragments de plaques de brigandine et des rivets comparables à ceux que portaient ces plaques, en forme d’étoiles à six branches (fig. 28). Ils pourraient provenir d’un même ensemble. Classiquement, les mobiliers découverts incluent quelques fers de projectiles à douille67. Enfin, les objets servant à l’assemblage sont finalement relativement peu nombreux dans cette phase et il faut attendre la destruction des étages pour les découvrir en très grand nombre.
Fig. 27 Cruchette en pâte rouge à polissage tardif, fin xiiie-début xive siècle.
J. Catalo et N. Portet.
Fig. 28 Fragments de plaques de brigandine (fer et alliage cuivreux).
DAO N. Portet.
35Très rapidement, dès la fin du xive siècle, les premiers signes de dégradation des bâtiments sont déjà perceptibles.
- 68 Fouille en cours. Guillot et al. 2021.
36Les fragments d’enduits peints sont alors très peu nombreux, indice que les murs n’auraient pas encore été dégradés. Si la présence régulière de tuiles canal dans les sols peut sembler banale du fait de la fragilité du matériau, celles des plombs de vitraux et des fragments des verres plats mis en place au début du xive siècle, mais détruits en nombre entre le milieu du xive siècle et le début du xve siècle peuvent étonner. Bris ou récupération ? Difficile d’être affirmatif, mais l’existence de ces éléments, essentiellement sur le parvis – donc en dehors de l’emprise des possibles ouvertures de jour – évoque la récupération. Le plomb a-t-il pu être réutilisé en pleine guerre de Cent Ans ? C’est plus que probable. Ces évènements font d’ailleurs écho à la suractivité mise au jour par la fouille dans la basse-cour de la forteresse royale ou à l’entrée nord de l’ancienne enceinte au cours des troisième et dernier quarts du xive siècle68. Vraisemblablement mue par les mêmes besoins, la circulation le long de l’enceinte sud bordant l’église est réaménagée à la fin du xive siècle ou au tout début du xve siècle pour être rendue plus pratique. L’extension du hourdage de cette enceinte jusqu’à la tour hémicylindrique pourrait avoir eu lieu à la même époque. La construction en matériaux organiques contre le parement interne du M40 qui permet de surveiller la vallée de l’Aveyron date aussi de ce moment (fig. 18). Dans l’église, l’appétit pour le plomb détruit les vitraux d’exception installés quelques décennies auparavant. La récente fortification royale – ostentatoire et démonstrative d’un style éminent – se mue dans la seconde moitié du xive siècle en un outil défensif efficient, adapté à l’urgence de la situation.
- 69 Groupe HLLA. Identification Bernard Gratuze (IRAMAT-CEB, UMR 5060 CNRS/Univ. Orléans) in Guillot et (...)
37Des réparations ont ensuite pu avoir lieu. Bernard Gratuze a analysé des fragments de verres plats découverts dans l’église, dont la composition est caractéristique des verres à vitres fabriqués à partir du xve siècle69. Rien n’indique d’ailleurs que l’église ait pu être désaffectée à l’époque moderne. Bien au contraire ; on y découvre des fragments de verres à pied de qualité jusqu’au xviie siècle et ses niveaux ne comportent aucune trace de ruine du bâtiment, sauf une régulière dégradation des enduits peints à compter du xve siècle, mais, ici encore, avec de sérieux indices que de nouveaux enduits aient été mis en place au cours de l’époque moderne.
38Les fragments de céramiques sont particulièrement abondants et denses sur le parvis de l’église à la fin du xive siècle et au début du xve siècle, sans aucune organisation évidente, jetés sur un sol pour moitié constitué de terre et pour moitié du lapiaz (fig. 24). La catégorie à post-cuisson réductrice est toujours dominante, mais d’autres groupes techniques émergent. La céramique rouge à polissage laisse place aux poteries en pâte rouge mi-fine avec ou sans revêtement glaçuré, externe ou interne. Une production particulière en pâte grise fine à glaçure couvrante est également présente dans toutes les unités concernées. Les pichets à bord triangulaire, les cruches à pontet de section ronde ou en amande, la fréquence des cordons plats réticulés parfois sous glaçure, les décors d’applique en relief sous glaçure portent la signature de la fin du xive siècle et du début du xve siècle. Puis, sur un parvis où les sols se succèdent, les proportions des différents groupes techniques évoluent et la céramique grise ne représente plus que 50 % des effectifs dans les niveaux à partir de la seconde moitié du xve siècle.
39Ensuite, graduellement, lentement, quelque chose se passe.
40Du milieu du xve siècle au début du xviiie siècle, les éléments de parure ou vestimentaires sont de moins en moins nombreux, et se réduisent presque uniquement à quelques épingles et ferrets en alliage cuivreux. Au cœur du xve siècle, on installe rapidement un foyer dans l’angle sud-ouest du parvis (fig. 29). Il ne s’agit pas à proprement parler d’un aménagement qualitatif. La vidange du foyer est consciencieusement effectuée, mais ses rejets sont au moins en partie déversés à travers tout le parvis, et aussi probablement par-dessus l’enceinte. Pour l’aménager, on creuse une tranchée au cœur de la banquette (M76 – fig. 21 et 24) : on y prélève de belles pierres de taille que l’on dispose en cercle dans un angle de mur, directement sur la terre, sans sole. Le parvis, initialement cœur du dispositif ostentatoire d’accès au lieu de culte, est alors utilisé comme un espace fonctionnel, ce que confirme la grande densité des tessons de céramiques, des vidanges de foyer et des restes de faune éparpillés.
Fig. 29 Foyer aménagé sur le parvis dans l’angle M52/M53.
Cliché F. Guillot.
41Puis, dès le début du xvie siècle, le foyer s’enterre lentement d’autant plus facilement qu’il est établi en partie basse du parvis. Des niveaux détritiques – et non pas des remblais – s’accumulent peu à peu jusqu’à recouvrir tout le lapiaz y compris en partie haute du parvis, atteignant le pied de la première marche de l’entrée de l’église (fig. 24). Parce que l’église est couverte, ces niveaux n’existent pas et l’aspect des sols reste le même de la fin du Moyen Âge à sa destruction, sauf sur de petites surfaces en partie basse, contre l’emmarchement de l’entrée où s’accumulent quelques fins niveaux terreux. Le sol dallé autour de l’autel est entretenu et nettoyé jusqu’à peu avant la destruction du bâtiment.
- 70 Identification Nicolas Portet in Guillot et al. 2019, p. 162, 164 et pl. 14. Mais le lot le plus re (...)
42Les artefacts du xvie siècle sont moins nombreux. Par la suite, les ultimes unités stratigraphiques de l’occupation ou de la fréquentation du parvis et de la tour hémicylindrique livrent encore des fragments de vaisselle des ateliers de Cox-Lomagne, certains postérieurs au milieu du xviie siècle et qui persistent au début du xviiie siècle (fig. 30), complétés d’une dominante de céramiques rouges à glaçure sur engobe. On retrouve ces débris jusque dans l’entrée du parvis, au pied de l’escalier, où les sols finissent par recouvrir la première marche du seuil de la porte reconstruite au début du xive siècle. Des déchets de coulée en alliage cuivreux et des fragments de cône de coulée sont associés à la découverte des vestiges d’une activité de faux-monnayage (fig. 31). Issue des dégagements sans suivi archéologique de la citerne, elle n’est connue que partiellement et en stratigraphie inversée, déposée récemment sur le dégagement du parvis. Datée du troisième quart du xviie siècle, elle fait écho à d’autres vestiges de faux-monnayage mis au jour par les opérations d’archéologie préventive dans le logis III du château70. La citerne, dont le mur a été percé peut-être pour la transformer en cachette, offrait un abri fort pratique pour cette activité.
Fig. 30 Céramiques de Cox-Lomagne.
DAO N. Portet.
Fig. 31 Déchets et carreaux en lien avec un atelier de fausse monnaie (second quart du xviie siècle) et récoltés lors des terrassements dans la plate-forme de l’église du château de Penne.
Cliché N. Portet.
43Nous n’avons pas fouillé les niveaux de destruction qui avaient été dégagés au préalable pour effectuer les restaurations des murs, sauf pour une faible part sur le parvis et sous une forme très perturbée récemment. Cependant, l’image donnée par les mobiliers résiduels ne permet nullement de proposer que la plate-forme ait été le lieu d’activités après le début du xviiie siècle.
- 71 Martin 2017, 15 : « Pour les révolutionnaires, le patrimoine religieux est à la fois la matérialisa (...)
44Dans les années 1820, Alexandre du Mège affirme que l’église a été détruite lors « de nos derniers troubles civils », donc au cours de la période révolutionnaire. L’étude du bâti confirme que c’est bien le lieu de culte, et seulement lui, qui a été visé par cette destruction. Avec une rage extrême, jusqu’à arracher son autel du mur du chevet dans lequel il était bâti, l’église – qui symbolisait tout à la fois la féodalité et le clergé – fut dérasée71. La plate-forme s’engonça dès lors sous un épais niveau de gravats.
45L’association de nombreuses études préalables de qualité à un programme collectif de recherche en charge de les rassembler et à des opérations de fouilles soucieuses d’étudier des espaces vécus et bâtis ont permis de disposer en deux années d’une grande quantité d’informations nouvelles sur l’histoire de ce site emblématique et de mieux comprendre ses mutations et ses fonctions.
46La fortification de Penne, par son épaisseur chronologique et les modifications de ses usages, est un site exemplaire de l’évolution des fonctions et des styles d’un grand nombre de sites de hauteur en France méridionale. Fortification dépendante d’un lignage d’essence comtale en l’an mil, puis abritant les résidences d’une large coseigneurie, elle est transformée en symbole du nouveau pouvoir royal français au tout début du xive siècle, mais dut être adaptée à la guerre dans la seconde moitié de ce siècle. Caserne, elle perdit peu à peu de son intérêt au cours de l’époque moderne. Au sommet de l’ouvrage, une église – installée au moins dès la fin du xe siècle ou du début du xie siècle – fut conservée durant toute l’histoire du site, et même plus tard, jusqu’aux troubles révolutionnaires. Signe de son importance au sein de la fortification, elle fut adaptée aux différents pouvoirs qui s’y succédèrent, tous soucieux d’imprimer leur marque sur cet édifice. Son dérasement violent est l’ultime conséquence de cette primauté « féodale ».