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Bulletin critique

Sauro Gelichi, Claudio Negrelli et Elena Grandi (dir.), Un emporio e la sua cattedrale : Gli scavi di piazza XX Settembre e Villagio San Francesco a Comacchio

Luc Bourgeois
p. 341-342
Référence(s) :

Sauro Gelichi, Claudio Negrelli et Elena Grandi (dir.), Un emporio e la sua cattedrale : Gli scavi di piazza xx Settembre e Villagio San Francesco a Comacchio, Florence, All’Insegna del Giglio (Serie dell’insegnamento di archeologia medievale, Dipartimento di studi unmanistici – Università Ca’Foscari, Venezia), 2021, 752 p., ISBN : 978-88-7814-799-7.

Texte intégral

1Établie dans le delta du Pô, à mi-chemin de Ravenne et de Venise, Comacchio est aujourd’hui une modeste agglomération mais, entre la fin du viie et le courant du ixe s. ce site rivalisa avec Venise pour le titre de place commerciale dominante en Italie du Nord. Jusqu’au début du présent millénaire, cet apogée était surtout documenté par une petite collection de textes, en particulier un diplôme du roi Liutprand (daté de 715 ou 730) accordant aux habitants du lieu le droit de faire librement commerce de trois produits majeurs de la région – le sel, l’huile et le garum – entre la côte et la vallée du Pô. Les recherches archéologiques menées entre 2006 et 2010 par l’Université Ca’Foscari de Venise, sous l’égide de Sauro Gelichi, renouvèlent notre vision de ce centre économique et religieux à travers une riche monographie. Au-delà d’une analyse régionale utilisant différentes sources (étude documentaire, photo-interprétation, géoarchéologie), deux fenêtres de fouille ont été pratiquées, à l’ombre de la cathédrale San Cassiano (piazza xx Settembre) et, dans les marges occidentales de la cité, entre l’ancienne usine sucrière et l’actuel village de San Francesco.

2Malgré sa surface relativement réduite (340 m2), l’opération de la piazza xx Settembre a néanmoins livré une séquence d’occupation continue sur un millénaire et demi (chap. 3). Les premières traces d’occupation remontent au vie s. mais c’est au cours du siècle suivant que le mobilier de qualité et les traces d’artisanat du verre et du métal se multiplient. Ces ateliers sont abandonnés au viiie s. pour laisser place à un cimetière jouxtant le siège épiscopal récemment fondé. La destruction partielle de la cathédrale au cours du xe s. et la mise en place de défenses en bois matérialisent les conflits marquant cette période (raids sarrazins et attaques vénitiennes) mais le sanctuaire fut rebâti au xie s. et compété par un palais épiscopal. Ce dernier disparait dans la seconde moitié du xve s. pour laisser place à une aire cimétériale, avant la construction d’une nouvelle cathédrale, consacrée en 1740.

3Les trois campagnes de sondages réalisées près du village de San Francesco (chap. 5 et 6) avaient pour objectif de vérifier l’existence supposée d’un complexe portuaire du haut Moyen Âge. Principalement datés entre le viie et le début du xe s., les vestiges découverts semble confirmer cette hypothèse, avec la présence des bâtiments en bois installés face au rivage et interprétés comme des espaces de stockage et des structures d’habitat. La bonne conservation des matériaux organiques a également permis de proposer l’existence de supports de pontons ou de cheminements surélevés. L’intéressante discussion sur la restitution de ces structures est bizarrement rejetée au terme de l’ouvrage (chap. 31).

4Les chapitres suivants (7 à 11) présentent en détail les assemblages céramiques livrés par ces deux secteurs de fouille. L’accent est mis sur la vaisselle d’importation, qui illustre le rôle joué par Comacchio dans la redistribution de produits arrivés par l’Adriatique vers l’intérieur des terres. L’origine géographique de ces contenants évolue évidemment avec le temps : les amphores africaines, de Samos et LRA1-4 des premières occupations sont relayées entre le 7e et le 9e par des productions moins bien connues, comme les amphores à vin de la mer Égée, de Sicile orientale et d’Otrante, mais les exemplaires issus d’officines locales sont également attestés. Des analyses physico-chimiques des pâtes et des résidus organiques présents dans les céramiques viennent appuyer les interprétations. Une série de contenants en pierre ollaire d’origine alpine marque un mouvement contraire, de la vallée du Pô et de ses affluents vers l’espace adriatique (chap. 12-13).

5Le mobilier métallique fait l’objet d’une approche beaucoup plus sommaire : une trentaine de pièces seulement sont figurées sur un ensemble comportant 3 608 objets (chap. 14). Si les médailles et rosaires accompagnant les tombes d’époque moderne donnent lieu à un développement plus précis (chap. 17), on ne peut que regretter la faible attention portée aux objets métalliques issus des niveaux du haut Moyen Âge, car ces artefacts témoignent autant sinon plus que d’autres de la circulation des hommes et des biens. En revanche, les onze pièces confectionnées dans des matières dures animales donnent lieu à une présentation détaillée, tout comme les fusaïoles (chap. 15 et 16), les monnaies et bulles de plomb (chap. 23), le lapidaire de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge (chap. 25) et surtout le verre, pour lequel des analyses mettent en évidence des matières premières produites au Levant jusqu’au début du viiie s. et une présence précoce du verre potassique (chap. 18 et 19). Un objet particulier fait l’objet d’amples développements : il s’agit d’une matrice en bronze destinée à produire des pseudo-camées en pâte de verre figurant un buste à l’antique (chap. 21 et 22). Ces objets des viie-viiie s. dispersés dans toute l’Europe (pour la France, un exemplaire de Château-Thierry, Aisne, a récemment été publié) furent donc produits à Comacchio et les traces d’une officine de verrier du viisiècle mettant en œuvre du verre recyclé dans les fouilles de la piazza xx Settembre en témoigne également (chap. 24). L’artisanat des métaux non-ferreux est également attesté, en particulier par une autre matrice du viiie siècle destinée à fondre une lettre de bronze pour une inscription monumentale (chap. 21).

6La présentation des données mobilières s’achève par l’étude biologique des sépultures découvertes dans les deux secteurs fouillés (chap. 26), une analyse préliminaire des restes carpologiques et des bois (chap. 27) et deux chapitres consacrés à la faune (chap. 28-29), qui révèlent l’apport modeste des mammifères sauvages dans la consommation du haut Moyen Âge, compensée par une présence marquée des poissons, des mollusques et des crustacés.

7La copieuse synthèse finale (chap. 30 et 32) permet de reconsidérer l’évolution du milieu lagunaire au cours du haut Moyen Âge et met en lumière la stratégie d’implantation de Comacchio, à l’écart du rivage adriatique mais en connexion avec le cours du Pô via de modestes affluents de ce fleuve. Puis le site est replacé dans son contexte régional. Dans un secteur estuarien dominé par des terres fiscales associées à la capitale ravennate, l’Antiquité tardive voit le maintien d’implantations dispersées destinées à produire du sel, du poisson ou des briques et à assurer la navigation. La naissance de Comacchio semble aller de pair avec une tendance à la concentration des populations locales et elle profite d’une évolution du trait de côte engendrant des lacs d’eau saumâtres propices à la collecte du sel par évaporation. Elle a pu être favorisée par le traité lombardo-byzantin de 680, qui inaugure une longue période de stabilité. La mise en place d’un groupe épiscopal (entre ca 723 et 781) est précédée par des ateliers produisant des objets d’un certain luxe, en verre et en métal. En revanche, la présence du castrum précoce mentionné par les textes n’a pour le moment pas été confirmée par l’archéologie. Les 37 hectares disponibles pour le développement de la ville occupaient probablement deux îles distinctes mais l’organisation générale du site nous échappe encore. Sa position et les produits qu’elle a livré prouvent son rôle de point de rupture de charge entre le commerce maritime et les échanges fluviaux le long du Pô. Après trois siècles de dynamisme, l’un des moteurs du déclin progressif de l’emporium est clairement la concurrence des Vénitiens, qui détruisent Comacchio en 932, et s’imposent progressivement comme les principaux intermédiaires entre l’Empire carolingien et l’espace méditerranéen. Mais d’autres raisons peuvent être invoquées, comme la dépression économique suscitée par la politique des Carolingiens et de leurs successeurs ou le caractère de plus en plus marginal de cette lagune dans le commerce à longue distance.

8Le beau volume consacré à Comacchio constitue un exemple de la valeur ajoutée apportée par une approche monographique, même lorsque les fouilles étudiées représentent une faible superficie. Plus largement, il vient alimenter le débat sur les places centrales des viie-ixe s., jusqu’ici principalement abordées à partir des sites bordant les rivages nordiques, alors que le phénomène doit à l’évidence être considéré à l’échelle de l’Europe, Mer méditerranée comprise.

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Pour citer cet article

Référence papier

Luc Bourgeois, « Sauro Gelichi, Claudio Negrelli et Elena Grandi (dir.), Un emporio e la sua cattedrale : Gli scavi di piazza XX Settembre e Villagio San Francesco a Comacchio »Archéologie médiévale, 53 | 2023, 341-342.

Référence électronique

Luc Bourgeois, « Sauro Gelichi, Claudio Negrelli et Elena Grandi (dir.), Un emporio e la sua cattedrale : Gli scavi di piazza XX Settembre e Villagio San Francesco a Comacchio »Archéologie médiévale [En ligne], 53 | 2023, mis en ligne le 21 mars 2025, consulté le 16 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/archeomed/56417 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13jek

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Auteur

Luc Bourgeois

Université de Caen Normandie – Craham UMR 6273, Caen

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