1Le 3 novembre 2011, lors d’une campagne de travaux de restauration, un petit cercueil en plomb au couvercle riveté, de fabrication moderne a été découvert à l’intérieur de la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, au pied du pilier SE de la croisée du transept. Un lot d’ossements humains en vrac, appartenant à plusieurs individus, était conservé à l’intérieur de ce coffre funéraire. L’historiographie locale permettait de penser que ces ossements pouvaient appartenir à Jean, comte d’Angoulême (1400-1467) et à son fils Charles (1459-1496), respectivement grand-père et père de François I^er, roi de France. Ces deux personnages historiques de premier plan avaient été successivement inhumés dans le même tombeau, monument dont la construction, à l’intérieur de la cathédrale dans les années 1465, relève de la volonté du comte Jean.

2Les éléments osseux composant ce dépôt funéraire étaient accompagnés de restes textiles, de petits fragments de bois et de substances poudreuses de nature indéterminée. Triés et reconditionnés sur place, ces restes ont ensuite fait l’objet d’une couverture photographique et d’un premier inventaire, qui ont permis d’une part de confirmer que ce dépôt secondaire rassemblait les restes de plusieurs individus, d’autre part de constater l’état de conservation très disparate des pièces osseuses. Les différents volets de l’étude ont été mis en œuvre durant l’automne et l’hiver 2012-2013 par les équipes de spécialistes coordonnées par le docteur P. Charlier.

3L’étude anthropologique et paléopathologique, réalisée par le docteur Charlier, a porté sur 225 éléments osseux et a permis de déterminer la présence de quatre individus distincts (désignés sous les noms Angoulême 1 à Angoulême 4), dont deux de sexe masculin et un de sexe féminin. Seule une mandibule isolée caractérisait le dernier individu (Angoulême 4), de sexe indéterminé. À partir de ce travail, l’étude odontologique mise en œuvre par H. Medouni (CHRU de Lille) a mis en évidence le très mauvais état du matériel osseux, qui présente de nombreux stigmates de traumatismes post mortem, ce qui n’est pas surprenant (cf. infra). Les observations ont porté essentiellement sur les mandibules des individus Angoulême 1, 2 et 3, par le biais de scanners crânio-dentaires. L’étude a comporté un volet de datations au radiocarbone, confiées au laboratoire Beta Analytics (Miami). Ces dernières, mises en relation avec l’estimation de l’âge au décès de chaque individu, donnent les résultats suivants :

• Angoulême 1 : homme décédé entre 1420 et 1460 (± 30 ans), à un âge avancé (sujet édenté) ;
• Angoulême 2 : homme décédé entre 1430 et 1470 (± 30 ans), à un âge indéterminé ;
• Angoulême 3 : femme décédée entre 1680 et 1730 (± 30 ans), à l’âge de 41,25 ans ± 11,4 ans ;
• Angoulême 4 : individu décédé entre 1290 et 1400 (± 30 ans).

4L’étude génétique, menée à terme par une équipe de l’Institut de Biologia Evolutiva de Barcelone, a comporté une extraction d’ADN par séquençage, sur les individus Angoulême 1, Angoulême 2 et Angoulême 3. Les profils sont compatibles avec une relation familiale paternelle pour les deux spécimens de sexe masculin, Angoulême 1 et Angoulême 2, « qui sont vraisemblablement père et fils ».

5L’étude toxicologique, par le docteur J. Poupon du CHU Lariboisière (Paris), permet d’établir une contamination en plomb (forte et en profondeur), des ossements, attribuée à la nature du contenant (cercueil). Par ailleurs, la forte quantité de fer observée peut renvoyer à la présence, dans le cercueil, d’un objet en fer. Des traces d’argent et d’or, associées à des fibres grises d’origine végétale, semblent évoquer un textile tissé de fils d’argent doré. Plusieurs fragments de textiles ont également été identifiés par l’étude réalisée par C. Mouilherat (Musée du Quai Branly), à savoir de la laine tressée (sergé) et un taffetas de soie de couleur crème. Une étude palynologique, réalisée par le docteur S.-M. Popescu (GeoBioStrata Consulting) à partir de quelques grammes de matière organique issus du lot d’ossements, n’a pu mettre en évidence la présence de pollen, mais seulement de spores de champignons et d’œufs de copépodes (microscopiques crustacés parasites).

6L’étude historiographique et documentaire réalisée par A.-M. Lazar (Bibliothèque nationale de France) n’a pu, en premier lieu, que confirmer le nombre limité de représentations iconographiques conservées de Jean, comte d’Angoulême. Elle a surtout permis d’analyser plus précisément les informations disponibles quant aux funérailles et aux modalités de l’inhumation de ce personnage dans le tombeau comtal de la cathédrale d’Angoulême. On sait ainsi qu’après son décès à Cognac, la dépouille du comte Jean a fait l’objet d’un traitement d’embaumement puis a été déposée dans un cercueil de plomb dûment soudé. Le tombeau avait été construit à l’initiative du comte Jean, du côté occidental de la croisée du transept. Il est décrit assez précisément à la fin du xvi^e s. par Jean du Port ; il abritait trois cercueils de plomb, ceux du comte Jean et de son épouse, Marguerite de Rohan (v. 1415-1496), ainsi que celui de leur fils, le comte Charles. Lors des guerres de Religion, ce tombeau a fait l’objet de deux profanations perpétrées par les troupes huguenotes. En mai 1562, les dépouilles du comte Jean et de son fils sont exhumées et le corps du premier est décapité et lacéré à coups de dagues. En 1568, un contingent huguenot exhume une nouvelle fois le corps du comte Jean, le traîne à l’intérieur de la cathédrale puis le démembre. C’est en 1634 que les restes des dépouilles conservées dans le tombeau sont déposés dans le petit cercueil en plomb et réinhumés dans le chœur de la cathédrale. Entre 1842 et 1869, ce cercueil est déplacé au pied du pilier de la croisée du transept, où il a été redécouvert en 2012.

7Le principal mérite de cette étude pluridisciplinaire est d’avoir établi que les restes humains étudiés appartiennent à quatre individus distincts, dont deux présentent des caractéristiques compatibles – notamment génétiques – avec les données documentaires disponibles sur les comtes Jean (Angoulême 1) et Charles d’Angoulême (Angoulême 2), père et fils. En revanche, aucun élément osseux n’est attribuable à la comtesse Marguerite. Aucun soin d’embaumement des corps n’a pu être mis en évidence. Enfin, la cause du décès des individus n’a pu être déterminée.

8L’étude archéologique de l’ancien tombeau comtal, situé au point de contact de la nef et de la croisée du transept de la cathédrale, reste à engager. Elle pourrait apporter de précieuses informations sur les caractéristiques architecturales et la nature du décor de ce monument insigne et largement inconnu du patrimoine monumental de la ville d’Angoulême.

9Le lot d’ossements, actuellement déposé au Centre départemental de conservation et d’étude de la Charente, devrait faire l’objet d’une réinhumation prochaine, selon des modalités qui restent à définir, en concertation avec la Ville et le diocèse d’Angoulême.