Site
Bel-Air
Petit-Bourg
Guadeloupe
Date
Septembre 2019
Surface
650 m2
Équipe
Responsable d’opération
Alexandre Coulaud, Inrap
Étude céramologique et restitution 3D du site
Fabrice Casagrande, Inrap
Topographe
Pierre-Yves Devillers, Inrap
Étude historique et archivistique
Gérard Lafleur, Historien indépendant
Étude du verre
Laurence Serra, LA3M, Université d’Aix-Marseille
Analyse des bois, détermination des essences
Jacques Beauchêne, CIRAD de Kourou (Guyane)
Analyse dendrochronologique
Maegen Rochner, Laboratoire de l’Université de Louisville (Kentucky, États-Unis)
1Un projet de construction sur les hauteurs de Petit-Bourg a fourni l’occasion d’étudier un site industriel de production de glace de la première moitié du XXe siècle. Cette étude avait pour objectif principal de documenter des éléments métalliques encore en élévation.
2À partir de 1806, l’importation de glace naturelle, collectée lors de l’hiver sur les Grands Lacs d’Amérique du nord puis utilisée comme lest dans les navires, permet d’alimenter les Antilles françaises, plus particulièrement la Guadeloupe et la Martinique (Lafleur, 2005). Des glacières de stockage voient le jour dans les années 1830 à Basse-Terre et à Saint-Pierre. Le commerce de la glace prospère jusqu’au dernier quart du XIXe siècle. À partir de 1892, l’invention de procédés frigorigènes par les français Albert Singrun et Marcel Audiffren révolutionne le commerce de la glace artificielle et l’importation de glace naturelle n’est plus rentable. De nombreuses usines de fabrication de glace voient le jour en Guadeloupe dans le premier quart du XXe siècle. D’abord alimentés par la force hydraulique dans les habitations coloniales, les systèmes de production sont progressivement équipés de moteur à vapeur puis à explosion au début du XXe siècle.
3Si les premières recherches menées en archives ne permettent pas de donner une date précise quant à la création de l’usine de Bel-Air, celle-ci semble être créée au début des années 1930. Effectivement, l’annuaire de la Guadeloupe daté de 1931 ne mentionne pas l’usine. Cependant après le cyclone dévastateur de 1928 (près de 1 300 morts, catégorie 4 sur l’échelle de Saffir-Simpson) fait d’énormes dégâts sur l’archipel et modifie profondément la société guadeloupéenne. Bon nombre de petites exploitations caféières endommagées se reconvertissent en usines à glace en réutilisant les installations hydrauliques (roues à aubes, canaux d’amenée) existantes pour faire tourner les machines (Chopin, Plasse, 2017). Dans les années 1940, avec l’installation d’une importante production de glace industrielle à Pointe-à-Pitre, la production de l’usine de Bel-Air décline. Par souci de diversification, l’usine va alors accueillir une chaîne de production de limonade, ce qui entraîne un important agrandissement. Le site semble péricliter dans les années 1950 et finit par cesser son activité. Le 29 septembre 1966, le cyclone tropical majeur Inez (catégorie 4) frappe la Guadeloupe, occasionnant d’important dégâts matériels (un millier de maisons détruites, 50 millions de dollars us de dégâts) et faisant 40 morts. L’usine abandonnée est détruite par le cyclone puis oubliée au milieu des champs de bananes et de canne à sucre. Le site est donc resté en l’état depuis 60 ans. La végétation a recouvert l’ensemble des structures. La première phase de l’opération a consisté en la dévégetalisation du site puis au déblaiement de l’humus.
4L’usine est composée de deux bâtiments. Le bâtiment principal, de plan rectangulaire, regroupe l’ensemble des installations techniques de production [ill. 1]. Cinq poutrelles verticales en tôle rivetée soutiennent la charpente ainsi que l’axe d’entraînement [ill. 2]. Celui-ci est d’abord animé par une roue à aubes, elle-même entraînée par la force hydraulique et le canal d’amenée (aujourd’hui disparu) ou, en cas de pénurie, par un moteur diesel dont seul le socle en béton et les fixations subsistent aujourd’hui. Le bâtiment accueille trois lignes de production de glace chacune composée de deux bassins contigus (en béton ou en tôle de fer rivetée). Chaque ensemble recevait originellement un axe frigorigène creux armé de deux sphères en alliage cuivreux contenant le liquide frigorigène. La rotation de cet axe était assurée par l’intermédiaire de l’axe principal d’entraînement via des poulies et des courroies. Le premier bassin rempli d’eau douce permettait la compression du gaz frigorigène dans la sphère puis son transfert vers la seconde. Dans le second bassin, rempli d’eau salée et contenant les mouleaux (moules à glace de section carrée remplis d’eau douce), le gaz se détendait et refroidissait le liquide. En 8 h, il était possible de produire environ 60 pains de glace de 20 kg chacun (soit 3,6 tonnes pour l’ensemble de l’usine). Un second axe d’entraînement, ajouté plus tardivement, alimentait le secteur de la limonaderie. Plusieurs éléments métalliques se rapportant à cette activité ont été récupéré et concernent l’embouteillement, la gazéification des bouteilles…
1. Plan du bâtiment de production, au sud des bureaux.
En béton banché, il dispose d’une toiture en bois couverte en tôle et supportée par plusieurs piliers en béton armé. Les murs sont dressés à l’aide de parpaings. L’accès à l’usine se fait via une rampe et un porche en béton banché.
Alexandre Coulaud, Pierre-Yves Devillers, Inrap
2. Restitutions de l’usine via le logiciel AutoCAD, d’après les relevés et observations archéologiques.
Fabrice Casagrande, Inrap
5Trois grandes bassines en tôle de fer rivetée de plan carré à angles arrondis sont positionnées sur des [ill. 3a, 3b, 3c, 3d] socles en pierre au pied du mur gouttereau sud du bâtiment. Elles étaient probablement destinées à récupérer les eaux pluviales provenant de la couverture.
6La fouille du site a permis de localiser deux importants dépotoirs principalement emplis de mobilier en verre dont près de 200 bouteilles complètes : limonades guadeloupéennes et françaises [ill. 3], bières américaines et françaises, eaux minérales plates et gazeuses françaises… L’étude du mobilier en verre semble confirmer le phasage de ce site industriel original. Les bassins ont également livré du mobilier métallique et de très nombreux fragments en bois provenant principalement de la charpente. Les prélèvements identifiés sur les bois ont permis d’identifier trois essences principales : une européenne, le pin sylvestre (pinus sylvestris), une locale, le poirier pays (tabebuia heterophylla) et une nord-américaine, le pin des marais (pinus palustris ou longleaf pine). La détermination des essences va permettre d’apporter de nouveaux éléments de réflexion quant à l’approvisionnement de ces territoires ultramarins et de les mettre en corrélation avec les données d’archives disponibles. Les échantillons de pins des marais vont également faire l’objet de datations dendrochronologiques.
3. Bouteilles en verre découvertes dans les dépotoirs du site.
3a. Bouteilles de limonade guadeloupéenne H. Joséphine Pointe-à-Pitre datées après 1950. La limonade est une boisson très appréciée aux Antilles ; 3b. Bouteilles d’eau minérale française PERRIER ; 3c. Bouteille de bière française la Meuse, une des grandes brasseries françaises encore en activité au lendemain de la Grande Guerre ; 3d. Fragment de bouteille de bière belge VANDENHEUVEL, Bruxelles-Molenbeek.