1En Bretagne, l’âge du Bronze s’est longtemps singularisé par ses dépôts d’objets métalliques et ses innombrables vestiges funéraires, qui ont notamment permis de définir la célèbre culture des Tumulus armoricains. Dès le xixe siècle et pendant des décennies, des centaines de tumulus et de tombes en coffre sont ainsi fouillés et documentés par les érudits locaux et les archéologues. À l’instar de ce qui s’est produit pour les monuments mégalithiques du Néolithique, cela a durablement impacté notre tradition de recherches. Ainsi, à la fin des années 1940 et au début des années 1950, Pierre-Roland Giot relance-t-il l’activité archéologique en Bretagne et inaugure-t-il une nouvelle série de fouilles sur ces tumulus. Celles-ci constituent néanmoins un tournant scientifique, puisque des fouilles intégrales de monuments sont mises en place. À la différence de la plupart des fouilles effectuées auparavant, le monument funéraire est désormais considéré comme une entité complexe dont les composantes (masse tumulaire, sépultures…) sont interdépendantes et nécessitent d’être étudiées de façon globale. Cependant, ces interventions sont souvent menées dans le cadre d’opérations de sauvetage, sur des découvertes fortuites réalisées lors de travaux de remembrement et en raison de la mécanisation croissante des pratiques agricoles. Mais surtout, si les vestiges funéraires commencent effectivement à être abordés de façon exhaustive, les surfaces ouvertes restent encore trop limitées pour que soit étudiée la périphérie immédiate de ces sites.
2Au début des années 1950, P.-R. Giot associe Jacques Briard à son équipe et lui propose d’étudier l’âge du Bronze armoricain. J. Briard est dès lors déterminant dans l’essor de la discipline en assurant de nombreuses fouilles et en publiant très rapidement différents travaux de synthèse. Parmi bien d’autres publications, sa thèse Les Dépôts bretons et l’âge du Bronze atlantique (Briard 1965) ou encore son ouvrage Les Tumulus d’Armorique (Briard 1984) ont permis aux recherches réalisées en Bretagne d’acquérir une notoriété nationale et internationale. J. Briard a également développé avec son équipe un programme de paléométallurgie des bronzes qui a fait du laboratoire de Rennes une référence européenne en la matière.
3J. Briard quitte le CNRS en 1998, au sommet de sa hiérarchie scientifique, avec quelques regrets cependant. Comme lors de son discours de prise de présidence de la Société préhistorique française, en 1972, il soulignait régulièrement que « l’idéal serait bien sûr d’avoir gisements, cachettes [de bronziers], habitats, monuments funéraires, en corrélation constante ». Jusqu’à la fin de sa carrière, il a souvent regretté cette possibilité de croiser les différentes données et a déploré en particulier la grande rareté des sites d’habitat. Son vœu n’allait plus tarder à être exaucé.
4Notre connaissance de l’âge du Bronze a longtemps été freinée par l’insuffisance des moyens de recherche sur le terrain et la faible emprise des surfaces d’étude. C’est au milieu des années 1990, alors que l’archéologie préventive se développe progressivement dans le cadre du plan routier breton, que la mise en œuvre de diagnostics et de fouilles sur des surfaces de plus en plus importantes et dans des secteurs jusqu’alors peu ou pas étudiés permet d’esquisser un tableau beaucoup plus précis de l’âge du Bronze armoricain. Le projet d’aménagement de l’autoroute A84 qui relie Caen à Rennes a notamment amorcé une nouvelle dynamique de recherche sur les sites de la Protohistoire ancienne (Néolithique et âge du Bronze), tant pour la Normandie que pour la Bretagne. Dans les deux régions, une trentaine de sites et indices de site sont alors reconnus (Blanchet, Marcigny 2016). Plusieurs d’entre eux, en particulier des sites d’habitat, sont inédits dans l’Ouest et font l’objet d’une fouille. Le conservateur régional de l’archéologie d’alors, Michel Vaginay, souligne dans le bilan scientifique régional de 1996 le poids de plus en plus lourd des résultats scientifiques livrés par l’archéologie préventive, qui plus est dans des domaines mal connus tels que l’âge du Bronze.
- 1 Responsable d’opération : S. Blanchet, Afan, 1996.
5Les progrès de la législation sur l’archéologie préventive amplifient logiquement le mouvement. Enfin, les politiques de prescription mises en place par le service régional de l’archéologie (SRA) de Bretagne jouent elles aussi un rôle essentiel dans la dynamique de recherche. Adoptées au regard de l’évolution des pratiques d’aménagement du territoire, en ciblant plus particulièrement des projets de grande ampleur tels que des zones d’aménagement concerté (Zac) qui couvrent parfois plusieurs dizaines d’hectares, elles multiplient de manière exponentielle les découvertes et par conséquent les fouilles sur des sites de toutes périodes – à l’exception toutefois des époques paléolithiques. L’âge du Bronze est un des premiers bénéficiaires de ces changements de pratiques. Les méthodes sans cesse améliorées de diagnostic et les retours d’expérience sur les premiers sites fouillés comme celui du Champ Blanc à Saint-Sauveur-des Landes (Ille-et-Vilaine)1 permettent de mieux saisir les éléments de caractérisation des vestiges de la Protohistoire ancienne. On s’est notamment rendu compte qu’ils étaient difficiles à détecter, en raison de structures souvent présentes en faible densité, impactant peu le sous-sol, et de mobiliers parfois diffus. Alors que les prescriptions de fouille étaient jusqu’alors plutôt établies en fonction de la densité des structures, de la présence de fossés d’enclos ou encore de productions matérielles suffisamment caractéristiques, la reconsidération des critères de prescription, avec parfois une certaine prise de risques en termes de résultat final, a rapidement porté ses fruits en nous offrant les moyens de saisir les sites d’habitat et les sites funéraires qui nous échappaient auparavant.
6Si le renouvellement de nos connaissances sur l’âge du Bronze a surtout été facilité par l’essor de l’archéologie préventive et les politiques de prescription mises en œuvre au niveau de la région, il ne faut cependant pas sous-estimer l’apport des fouilles programmées, menées aussi bien sur des habitats que sur des monuments funéraires ou encore des dépôts métalliques non funéraires. Découverts en grand nombre dans le cadre de fouilles ou de détections de métaux, ces dépôts bénéficient bien sûr d’études typologiques et technologiques poussées (Boulud-Gazo, Le Pennec 2019). De plus, leur contexte de découverte et leur environnement sont de plus en plus intégrés aux problématiques de recherche, ce qui permet, au-delà des aspects socio-économiques, de les considérer comme parties prenantes d’organisations territoriales.
- 2 « Éléments pour une nouvelle approche de l’âge du Bronze en Bretagne : le cadre chronologique et le (...)
7Plusieurs travaux universitaires, souvent associés à des programmes de prospection, sont aussi d’un apport incontestable. Au regard de la masse de données rassemblées en seulement quelques années, dans le cadre de l’archéologie tant préventive que programmée, un premier bilan s’est rapidement imposé. Il a été réalisé entre 2010 et 2017 à travers un projet collectif de recherche (PCR)2. Ce projet impliquant de nombreux chercheurs et étudiants a suscité une forte dynamique et a lui aussi contribué au renouvellement des données. Un premier référentiel sur les formes de l’habitat et l’occupation du sol a ainsi été constitué. Grâce aux études engagées sur des ensembles d’objets – en particulier sur les assemblages de céramiques domestiques – et aux séries de datations au radiocarbone réalisées, la chronologie de l’âge du Bronze armoricain a été précisée. La typologie de ces ensembles céramiques a quant à elle permis d’améliorer nos connaissances sur la culture matérielle et les affinités culturelles avec d’autres régions du domaine atlantique, le Centre-Ouest par exemple, ou d’autres groupes comme le complexe Manche – mer du Nord (Marcigny et al. 2017).
8Sans conteste, les avancées les plus importantes portent sur l’habitat et plus globalement sur l’occupation du sol. Il faut effectivement rappeler que, jusqu’au début des années 1990, la trentaine d’indices d’habitat signalés en Bretagne étaient presque tous matérialisés par des tessons de céramique domestique recueillis de façon diffuse lors de ramassages de surface ou dans la terre des tumulus. Seuls deux ensembles de structures évoquant d’hypothétiques fonds de cabane étaient signalés (Briard et al. 1988). Les fouilles extensives menées depuis deux décennies ont totalement bouleversé nos connaissances sur le sujet. Pour la période comprise entre la seconde moitié du iiie millénaire et le début du ier millénaire avant notre ère, le corpus régional est aujourd’hui riche de près de 120 indices ou sites d’habitat [ill. 1]. Les données disponibles sont bien sûr de qualité inégale puisque certaines entités ne correspondent qu’à de simples assemblages de mobilier domestique (céramique, instruments de mouture…) associés à quelques fosses et trous de poteau résiduels. Cependant, la majorité des ensembles présente une organisation structurée comprenant notamment des plans de constructions et/ou des aménagements fossoyés.
1. Cartographie des sites d’habitat et des systèmes agraires actuellement répertoriés en Bretagne.
S. Blanchet et P. Pihuit, Inrap.
9Le corpus disponible témoigne d’une évolution typologique des architectures et plus largement des formes de l’habitat au fil du temps. Des constructions au plan « en amande » de la fin du iiie millénaire [ill. 2] aux maisons rondes du Bronze final, on observe toute une évolution de la dimension et de la forme des architectures (Blanchet et al. 2018). Pour la plupart, ces habitats correspondent à de petites unités agricoles de type « familial » comprenant une ou deux habitations, souvent associées à des constructions annexes, des structures de stockage ou de combustion. Beaucoup de ces sites, dont l’emprise au sol reste limitée, ne semblent pas avoir été occupés au-delà d’une ou deux générations.
2. Vue aérienne de deux des constructions campaniformes récemment mises au jour sur le site de Keraorec à Concarneau (Finistère).
Responsable d’opération : Valérie Le Gall, Inrap, 2021.
J. Conan, Inrap.
- 3 Responsable d’opération : Mélanie Levan, Inrap, 2013.
10Cependant, des ensembles plus complexes constitués de plusieurs maisons comme sur le site de Lenn Sec’h à Caudan3 [ill. 3] témoignent aussi de regroupements en hameau et d’occupations plus pérennes, sur au moins un ou deux siècles (Levan 2018). Les mobiliers découverts sur ces sites témoignent le plus souvent d’activités domestiques, mais aussi dans quelques cas d’activités spécifiques telle que la métallurgie.
3. Plan général de l’habitat groupé de Caudan, avec phasage chronologique des différentes constructions.
S. Jean et M. Levan, Inrap.
- 4 Responsable d’opération : Yoann Escats, Inrap, 2010.
11À côté de ces habitats « légers », plusieurs interventions archéologiques ont aussi révélé des aménagements plus conséquents, comme des systèmes de remparts et de fossés barrant des promontoires ou de vastes enceintes se développant parfois sur plusieurs hectares, à l’image de celle de Bel Air à Lannion (Côtes-d’Armor)4 (Escats et al. 2011). Par l’importance des moyens mis en œuvre pour les réaliser, ces aménagements témoignent vraisemblablement de grands travaux initiés par une autorité locale. Contrairement aux habitats dits ouverts, qui offrent des implantations relativement variées, ces sites monumentaux présentent tous une situation topographique remarquable, à l’exemple de celui de la Tourelle à Lamballe (Blanchet 2011), qui répond sans doute à deux préoccupations majeures : voir et être vu. Diverses interprétations sont possibles, comme celle selon laquelle le statut privilégié de ces sites est renforcé par le caractère ostentatoire de leurs clôtures. En tout cas, certains d’entre eux semblent marquer et contrôler des territoires bien soulignés par la topographie et l’hydrographie locales. Le mobilier céramique et l’outillage en pierre recueillis sur ces sites témoignent d’activités domestiques et artisanales qui suggèrent un contexte d’habitat. Par contre, les structures associées (maisons, constructions annexes…) y sont généralement peu nombreuses. Cela limite évidemment toutes les tentatives d’interprétation quant au statut précis de ces ensembles. S’agit-il d’habitats élitaires, d’espaces collectifs, de symboles de pouvoir ? Le débat reste ouvert, mais ils s’inscrivent pour le moins dans le cadre d’une hiérarchisation de l’habitat et de l’organisation du territoire.
12Les diagnostics et les grands décapages de ces dernières années ont aussi montré qu’une partie des habitats s’intègrent à des espaces structurés par des réseaux viaires, des enclos légers et des limites fossoyées formant des parcelles à vocation agropastorale. Pour la moitié ouest de la France et en l’état actuel des recherches, ces planimétries agraires de l’âge du Bronze n’ont été observées qu’en Normandie et en Bretagne. Pouvant se développer sur plusieurs dizaines d’hectares, elles témoignent d’une mise en valeur de territoires dès le Bronze ancien. Bien souvent, elles présentent plusieurs phases d’aménagement et d’extension qui s’échelonnent jusqu’au Bronze moyen. Ces structurations agraires se situent pour la plupart sur la frange côtière du Nord-Ouest de la Bretagne, qui compte parmi les meilleures terres agricoles de la région. Dans la mesure où il s’agit d’un des secteurs où l’on observe les meilleurs indices de hiérarchisation sociale, en particulier via les vestiges funéraires du Bronze ancien (cf. infra), différents travaux en cours suggèrent que ces réseaux agraires sont, à l’image des grandes enceintes évoquées précédemment, le fruit de gestions raisonnées de l’espace et de grands travaux peut-être initiés par les élites à la tête de ces territoires.
13Pendant plus d’un siècle, les érudits et archéologues bretons s’intéressant à l’âge du Bronze se sont principalement tournés vers l’étude des tumulus et autres sépultures en coffre, qui font sans doute partie des vestiges les plus abordés dans la région. Parmi les travaux les plus récents, ceux de Clément Nicolas offrent une excellente synthèse sur le sujet (Nicolas 2016). Il ressort notamment de ces recherches que, dans la seconde moitié du iiie millénaire, l’émergence des inhumations individuelles campaniformes ainsi que le développement et l’accroissement des enveloppes tumulaires préfigurent la construction des milliers de structures funéraires du Bronze ancien armoricain. Au début du iie millénaire se produit un véritable boom des architectures funéraires individuelles, avec l’édification de tumulus parfois monumentaux. Par leurs dimensions et la richesse des mobiliers associés, ces derniers semblent témoigner d’une stratification sociale. Le phénomène tumulaire est aussi accompagné par la construction de milliers d’inhumations en coffre (isolées ou regroupées en cimetières). La culture des Tumulus armoricains peut être datée entre la fin du iiie millénaire et la première moitié du iie millénaire avant notre ère et concerne uniquement la partie occidentale de la Bretagne. La moitié orientale semble, quant à elle, à l’écart du phénomène. En revanche, des coffres isolés et quelques cimetières de coffres y sont connus ; surtout, on y observe – tout comme sur la partie ouest de la région d’ailleurs – un remploi ou une acculturation des structures funéraires antérieures, à l’exemple de la nécropole de Saint-Just (Ille-et-Vilaine), où la plupart des monuments néolithiques sont réinvestis à l’âge du Bronze (Briard et al. 1995).
- 5 Responsable d’opération : Laurent Juhel, Inrap, 2013.
- 6 Responsable d’opération : S. Blanchet, Inrap, 2010.
14Depuis deux décennies, nous avons assisté à un rééquilibrage des fouilles et des études en direction de l’habitat, mais le domaine funéraire n’a pas été délaissé pour autant. Dans le cadre de plusieurs projets d’aménagement, les prescriptions de fouille sur des tumulus encore conservés en élévation - comme celui de Bel Air à Lannion – ou sur des ensembles de coffres – comme celui de Mané Mourin au Bono (Morbihan)5 – ont permis de parfaire la connaissance que nous en avions. Contrairement à la plupart des fouilles anciennes – qui le plus souvent ne se limitaient qu’à une partie des vestiges et n’abordaient jamais leurs abords –, les interventions les plus récentes offrent une bien meilleure perception des sites funéraires et de leur environnement puisque, dans la mesure du possible, les fenêtres d’étude sont ouvertes de la façon la plus large. Elles montrent alors que les structures tumulaires sont des ensembles plus complexes que ce que l’on avait envisagé initialement, sur le plan tant architectural que chronologique. Il en est de même pour certaines nécropoles de coffres puisque, au sein d’un même ensemble, les approches extensives peuvent aussi révéler une variété architecturale des tombes et des pratiques. Parfois, comme pour une nécropole étudiée récemment à Plougonvelin (Finistère)6 [ill. 4] et qui compte une soixantaine de tombes, une organisation évoquant des regroupements familiaux est observée. Ces approches extensives permettent aussi dans certains cas d’observer des liens directs entre les espaces funéraires et des habitats, à l’exemple du site de Bel Air à Lannion, où un ensemble de tumulus est intimement lié à une vaste enceinte.
4. Deux des tombes en coffre de la nécropole de Plougonvelin (Finistère).
Celle de droite conserve sa dalle de couverture et une partie de son cairn.
S. Blanchet, Inrap.
15Il est aujourd’hui bien établi que la grande majorité des tumulus et des tombes en coffre sont attribuables au Bronze ancien. En revanche, il y a peu, nous ne connaissions presque rien des pratiques funéraires du Bronze moyen et du Bronze final. Une nouvelle fois, les fouilles préventives sont venues combler cette lacune chronologique en mettant par ailleurs en évidence des pratiques et des vestiges funéraires jusqu’ici mal connus : les sépultures à incinération et les enclos à fossé circulaire [ill. 5].
5. Cartographie des structures funéraires attribuées au Bronze moyen et au Bronze final en Bretagne.
1. Pluguffan (29), Ti Lipig ; 2. Brest (29), Kerlinou ; 3. Guilers (29), carriere de Kerguillo ; 4. Landivisiau (29), rue du Ponant ; 5. Saint-Sauveur (29), Rugouellou ; 6. Lannion (22), Bel Air ; 7. Lannion (22), Penn an Ale ; 8. Lannion (22), route de Petit Camp ; 9. Plouisy (22), Kerisac ; 10. Paule (22), Kergroas ; 11. Glomel (56), Ty Coat ; 12. Plelo (22), la Braguette ; 13. Tremuson (22), la Colignere ; 14. Tremuson (22), le Sepulcre - le Gouet ; 15. Tremuson (22), le Coin des Petits Clos ; 16. Plerin (22), zone Eleusis ; 17. Tregueux (22), les Chatelets ; 18. Tregueux (22), rocade ; 19. Lamballe (22), la Grande Chapelle ; 20. Neulliac (56), Kergouet ; 21. Baud (56), Kervin ; 22. Le Bono (56), Mane Mourin ; 23. Meneac (56), Val Bodron ; 24. Vilde-Guingalan (22), Kermene ; 25. Languenan (22), la Chapelle de l’If ; 26. Saint-Jouan-des-Guerets (35), Zac Atalante ; 27. Miniac-Morvan (35), le Moulin Faruel ; 28. Montauban-de-Bretagne (35), le Tertre ; 29. Bedee (35), le Pont-aux-Chevres ; 30, 31. Pleumeleuc (35), Zac de l’Orme ; 32. La Meziere (35), Lignes de la Gonzee ; 33. Saint-Aubin-d’Aubigne (35), la Reboursais ; 34. Erce-pres-Liffre (35), Zac du Bocage ; 35. Bruz (35), Cice ; 36. Domloup (35), Zac du Tertre ; 37. Saint-Aubin-des-Landes (35), carrière des Lacs ; 38. Pire-sur-Seiche (35) ; 39. Visseiche (35), la Montagne ; 40. Plechatel (35), le Bois.
S. Blanchet et P. Pihuit, Inrap.
16Les datations au radiocarbone réalisées de façon quasi systématique sur les restes incinérés montrent une expansion de la crémation à partir du Bronze moyen, vers 1500 avant notre ère. Cette pratique semble progressivement se développer au détriment de l’inhumation, pour ensuite prédominer jusqu’au premier âge du Fer. Au début de la séquence, les restes incinérés sont généralement contenus dans une urne en céramique déposée dans un coffre en pierre ou une simple fosse. À la fin du iie millénaire avant notre ère, les dépôts cinéraires en pleine terre sont de plus en plus fréquents. D’une extrême discrétion, les fosses réceptacles au remplissage charbonneux et cendreux ne contiennent plus que quelques esquilles d’os.
17Ces restes incinérés sont parfois retrouvés au sein d’enclos à fossé circulaire. Plusieurs centaines d’aménagements de ce type sont actuellement répertoriés en Bretagne. Pour la plupart, ils ont été repérés lors de prospections aériennes, et seule une cinquantaine d’entre eux a fait l’objet d’une intervention archéologique. Du point de vue typologique, ces enclos retrouvés isolés ou rassemblés en petits ensembles de trois ou quatre individus sont presque tous constitués d’un unique fossé circulaire simple. Parfois, les restes d’un tertre central sont perceptibles. Si de très rares monuments sont attribués au Bronze ancien ou à l’âge du Fer, les datations obtenues jusqu’à présent montrent que leur diffusion est plus ou moins concomitante de celle des sépultures à incinération.
18L’interprétation de ces enclos fait parfois débat quant à leur caractère strictement funéraire puisque seuls quelques-uns conservent une sépulture ou des restes humains. Néanmoins, la prise en compte des données taphonomiques et de leur environnement archéologique montrent que la plupart d’entre eux présentent bien un lien avec la sphère funéraire. Comme cela a déjà été souligné, on les retrouve régulièrement en association avec des sépultures à incinération. On les observe aussi au sein d’espaces funéraires antérieurs – notamment à proximité de tumulus ou de nécropoles de coffres du Bronze ancien –, ce qui suggère que l’évolution des pratiques et des architectures funéraires à partir du xve siècle avant notre ère n’induit pas nécessairement un déplacement des nécropoles. Autrement dit, à l’image de certains habitats, des espaces funéraires semblent pérennes sur plusieurs siècles.
19Enfin, au regard des tumulus armoricains – dont on peut supposer qu’ils témoignent d’une certaine stratification sociale –, on peut s’interroger sur les changements funéraires que l’on observe à partir du Bronze moyen, et notamment se demander s’ils traduisent une mutation du système social ou économique. L’évolution des pratiques, le caractère beaucoup plus discret des structures funéraires, l’absence de viatiques dans les sépultures pourrait ainsi indiquer une disparition ou un recul des élites. À moins que, dans de nouveaux systèmes spirituels, on ne s’exprime plus que par des architectures funéraires plus modestes (Blanchet et al. 2019).
20Il y a encore une quinzaine d’années, la chronologie régionale de l’âge du Bronze s’appuyait principalement sur la typologie des mobiliers métalliques et des mobiliers issus des contextes funéraires ou de ramassages de surface. Des mesures isotopiques obtenues sur des charbons (provenant le plus souvent de la masse des tumulus ou des tombes) offraient quant à elles des datations absolues. Une révision de ces dernières a néanmoins montré que la plupart, notamment les dates établies avant les années 1990, présentaient, du fait des techniques de l’époque et des contextes de prélèvement, une relative imprécision qui les rend aujourd’hui peu exploitables (Gabillot 2010). Si, dans ses grandes lignes, le découpage chronologique alors proposé pour l’âge du Bronze était malgré tout acceptable, les datations au radiocarbone réalisées ces dernières années dans le cadre des opérations préventives et de différents projets de recherche offrent un bien meilleur pas de résolution. Conjointement aux progrès réalisés dans les méthodes utilisées (datations au spectromètre de masse par accélérateur [AMS]), à la possibilité de dater des échantillons à vie courte (graines, caramels de cuisson…), à l’utilisation de logiciels de calibration et de traitement statistique, le recours de plus en plus fréquent aux datations isotopiques permet d’obtenir une chronologie nettement plus fine et plus fiable pour l’ensemble de la période. On dispose aujourd’hui d’une séquence complète pour l’âge du Bronze, avec notamment de bons jalons pour les étapes moyenne et finale, qui jusque-là restaient peu documentées [ill. 6].
6. Datations au radiocarbone obtenues pour des structures funéraires du Bronze moyen et du Bronze final.
S. Blanchet et P. Pihuit, Inrap.
21Associée aux datations absolues, la chronotypologie des assemblages céramiques constitue également un outil précieux pour la construction du cadre chronologique breton. Provenant presque exclusivement des habitats fouillés ces dernières années, les différents ensembles de référence permettent de caler et d’affiner la datation de la plupart des sites mis au jour, et ce pour l’ensemble de l’âge du Bronze.
22Largement favorisée par le développement de l’archéologie préventive et les politiques de prescriptions adoptées par le SRA de Bretagne, la multiplication des découvertes et des opérations concernant l’âge du Bronze permet aujourd’hui d’appréhender des espaces beaucoup plus importants, et ce de façon plus dynamique. Les données nouvelles rendent en effet possible la mise en évidence de sites en interaction, de réseaux locaux voire régionaux. En quelques années, nous sommes finalement passés d’une archéologie centrée sur un monument ou un site à des réflexions sur le territoire.
- 7 Responsable d’opération : S. Blanchet, Inrap, 2013.
23Ce dernier est aujourd’hui abordé suivant différentes échelles d’analyse. Dans le cadre du territoire immédiat, des connexions entre les espaces funéraires, les réseaux agraires ou encore les habitats peuvent par exemple être observées et attestent, à l’image du site de Penn an Alé à Lannion7 [ill. 7], d’espaces occupés sur le temps long.
7. Plan général du site de Penn an Alé à Lannion (Côtes-d’Armor).
S. Blanchet et P. Pihuit, Inrap.
24Si l’on élargit la focale à l’échelle microrégionale, l’analyse des structures funéraires et de leur implantation dans le paysage offre aussi des données intéressantes en termes de territoire. Plusieurs études menées récemment dans le cadre de travaux universitaires ou de l’archéologie préventive témoignent des relations entre certains ensembles funéraires et des voies de communication anciennes (Escats et al. 2011).
- 8 Responsable d’opération : S. Blanchet, Inrap, 2008.
25Partant de l’idée que les différents vestiges funéraires pourraient correspondre à de véritables transpositions dans le paysage de la structuration sociale, d’autres travaux portant plus spécifiquement sur le Bronze ancien proposent quant à eux un découpage du territoire en chefferies à partir d’une hiérarchisation des monuments funéraires basée sur le volume des tumulus et de la richesse du mobilier associé (Briard 1984 ; Brun 1998 ; Nicolas 2016). Le regard croisé avec les habitats de cette période est alors intéressant. À l’instar de ce qui a déjà été proposé pour les vestiges funéraires, la diversité et la hiérarchisation de ces habitats semblent en effet traduire une stratification sociale mais aussi une organisation différenciée du territoire. Ainsi, des réseaux d’habitats relativement denses ainsi que l’aménagement de vastes réseaux agraires comme à Plouedern (Finistère)8 témoignent d’une mise en valeur et d’une exploitation intense de certaines parties de la région, alors que d’autres secteurs semblent beaucoup moins dynamiques.
26Plus généralement, les disparités observées dépassent le simple cadre de l’organisation du territoire. Outre la variabilité typologique des vestiges funéraires et des habitats, on constate également des dichotomies exprimées par les productions matérielles, par la chronologie ou bien par l’évolution des pratiques funéraires. Ces disparités sont sans doute en partie conditionnées par l’état de la recherche et de la documentation, mais parallèlement, elles reflètent aussi une réalité archéologique.
27La confrontation par approche systémique de l’ensemble des données disponibles permet aujourd’hui de repenser l’âge du Bronze armoricain dans une perspective plus globale. Elle offre une bien meilleure perception des différentes dynamiques culturelles et plus largement des mutations du système social et économique qui ont touché la région entre le milieu du iiie millénaire et le début du ier millénaire avant notre ère. Dans ce cadre, la dimension maritime de la Bretagne doit d’ailleurs être soulignée. Bordée au nord par la Manche et au sud par l’Atlantique, la région, dont le trait de côte atteint presque 2 500 kilomètres, est de toute évidence sous influence de la mer, parfois loin à l’intérieur des terres en raison des profondes rias qui entaillent le massif. Si les liens terrestres ne sont bien entendu pas exclus dans les échanges et les dynamiques culturelles qu’a connus la région, cette situation en bordure de ce vaste espace maritime a manifestement facilité les contacts, le transfert des biens, des personnes et des connaissances techniques, des idées. Tout au long de la période, matières premières, assemblages mobiliers, structures et pratiques funéraires ou encore modes architecturales – comme les maisons rondes du Bronze final – permettent de percevoir des connexions qui se font et se défont avec la Normandie (complexe Manche – mer du Nord par exemple), le Centre-Ouest de la France ou les îles Britanniques. Comme l’ont bien montré plusieurs interventions lors d’un colloque international qui s’est tenu à Rennes en 2018, l’âge du Bronze est un monde en mouvement et interconnecté : ainsi naît une forme de globalisation (Blanchet et al. dir. à paraître).