1Le déploiement de l’application Patriarche dans les services régionaux de l’archéologie (SRA) en 2002, en dotant d’une composante spatiale le patrimoine archéologique recensé dans l’inventaire national, a profondément modifié la manière d’appréhender ce dernier, aussi bien dans le cadre de la réalisation des missions de la carte archéologique que dans son exploitation à travers des programmes de recherche.
2Les premières cartes réalisées au SRA de Bretagne illustraient surtout l’histoire de la recherche archéologique depuis plus de cent cinquante ans. Elles ont montré l’extrême hétérogénéité de l’inventaire régional, dans la qualité de leur description et dans la précision de leur représentation cartographique, conséquence d’une accumulation d’informations depuis les premiers inventaires des sociétés savantes jusqu’aux résultats des fouilles préventives actuelles ou des prospections récentes. La disparité géographique des données accumulées était tout aussi visible. Les zones de très forte densité archéologique et celles où presque aucun site n’était connu reflétaient la répartition inégale sur le territoire des bassins d’activité économique, qui génèrent l’essentiel de l’activité d’archéologie préventive, la localisation des différentes associations d’archéologues bénévoles et, enfin, la répartition des aérodromes utilisés par les prospecteurs aériens ainsi que l’autonomie de leurs avions.
- 1 Banéat et les Bulletins de la société archéologique d’Ille-et-Vilaine.
- 2 Réalisés par Gilles Leroux.
3L’information documentaire relative au réseau viaire breton dans la base Patriarche, à l’exception de quelques tronçons ayant fait l’objet d’une fouille, consistait majoritairement en portions de voie identifiées dans le cadre de prospections aériennes isolées mêlant, sans distinction précise ni hiérarchisation, les chemins de desserte d’un habitat et les éléments d’axe majeur. En Ille-et-Vilaine, un travail de dépouillement de la bibliographie1 avait engendré la création de nombreuses entités archéologiques correspondant à des voies antiques majeures. Toutefois, dans ces deux derniers cas, l’expression cartographique de cette information était de géométrie ponctuelle, quelle que soit l’emprise spatiale de l’entité décrite, une parcelle cadastrale ou un tracé intercommunal. Il était donc impossible de visualiser et de décrire le tracé d’un axe de circulation dans son ensemble et a fortiori d’avoir une vision globale du réseau viaire breton à l’échelle de la région. L’exception de taille est la voie antique Rennes-Angers, dont le tracé bénéficiait depuis plus de vingt ans des travaux de prospections pédestres et aériennes ainsi que de sondages2 et qui aujourd’hui est entièrement identifiée.
- 3 Financée par l’État et la région.
4Fort de ce constat et pour tenter de réduire ces disparités géographiques et thématiques du patrimoine archéologique breton liées à une forme de programmation passive de la recherche, le SRA de Bretagne s’est lancé dans une politique de commande publique3 d’un inventaire du réseau viaire principal de la péninsule armoricaine. L’objectif était d’enregistrer les vestiges et les tracés restitués dans Patriarche sous forme d’entités archéologiques afin, notamment, qu’ils puissent être pris en compte par l’archéologie préventive, de proposer une réflexion sur le réseau viaire ancien et son évolution de la Protohistoire au Moyen Âge et de susciter des actions de protection et de valorisation du patrimoine. Dix ans après la fin du programme, nous proposons un retour sur expérience et un bref bilan de l’enrichissement des connaissances à travers les résultats de différentes opérations d’archéologie préventive réalisées en Bretagne.
5Confiée à Alain Provost – secondé par Éric Philippe – pour la partie terrain et analyse des données et à Thierry Lorho pour la partie de mise en forme et d’intégration dans la carte archéologique, la commande prévoyait la prise en compte des voies principales de long parcours, à vocation administrative, économique ou stratégique. Ainsi, pour la Protohistoire, sont concernées les éventuelles liaisons entre les lieux de pouvoir et de contrôle majeur et, pour l’époque antique, les liaisons entre les chefs-lieux de cité, entre ceux-ci et les principales agglomérations secondaires, mais aussi les axes affranchis des chefs-lieux permettant d’irriguer le territoire. Une attention particulière devait être portée aux débouchés côtiers susceptibles d’abriter des ports.
6Ce programme s’est déroulé sur une période de quatre ans, avec une année probatoire en 2009, sur le territoire des 108 communes du pays Centre Ouest Bretagne (PCOB), au cours de laquelle la méthode a été mise en place. De 2010 à 2012, ce sont successivement les départements des Côtes-d’Armor et le nord du Finistère, puis le sud du Finistère et le Morbihan et enfin l’Ille-et-Vilaine qui ont été prospectés. Chaque année, à l’issue d’un travail de dépouillement documentaire important, ponctué de nombreux échanges avec l’ensemble des chercheurs régionaux travaillant sur cette thématique, une campagne de terrain de cinq à six mois a été mise en œuvre, clôturée par la remise d’un rapport.
- 4 « Rue » étant réservé pour l’urbain et « chemin » pour décrire tous les éléments viaires qui ne par (...)
7La difficulté de l’intégration de ce travail dans l’application nationale a été de concilier la structuration de Patriarche et ses contraintes d’enregistrement avec le souci de restituer les itinéraires, reconstitués par A. Provost, le plus fidèlement possible dans leur tracé et en prenant en compte l’intégralité de l’information qui les décrit dans toute leur diversité. L’enregistrement dans Patriarche se faisant à l’échelle de la commune, un itinéraire, qui traverse vingt communes sera constitué a minima de vingt entités archéologiques. Nous avons choisi qu’au sein même d’une commune l’itinéraire sera segmenté en fonction de l’origine de découverte de chaque élément qui le constitue. Nous avons différencié les tronçons mis au jour dans le cadre d’une fouille et donc avérés mais détruits, ceux vus en prospection aérienne ou encore reconnus en prospection pédestre, parfaitement conservés en sous-bois avec leur bombement caractéristique, et enfin ceux déduits d’une analyse documentaire, comme celle du cadastre napoléonien. Cette « atomisation » permet de faire les liens spécifiques entre chaque segment et les opérations archéologiques ainsi que les sources documentaires qui lui sont associées. Chaque tronçon a ainsi pu se voir doté d’une chronologie de début et de fin ainsi que d’une description. Le thésaurus de Patriarche offre un certain nombre de possibilités pour décrire ce type de structure (voie, route, chemin et rue). Nous avons choisi d’uniformiser la description en réservant aux tronçons considérés dans cette étude le terme « route »4, qu’il s’agisse d’éléments vus en fouille ou en prospection aérienne. Cela a nécessité un nettoyage important dans l’inventaire régional tant l’anarchie régnait dans l’attribution des termes. Après avoir géoréférencé et décrit chaque segment intégré dans Patriarche, nous avons reconstitué chaque itinéraire en sélectionnant l’ensemble des éléments de base qui le constituent. Cette nouvelle entité archéologique, dite globale, s’est vue attribuer le terme de « voie » et un nom qui définit son itinéraire déterminé par un point de départ et un point d’arrivée. Au-delà d’une description fine et précise qui permet de faire des requêtes sur la chronologie ou l’origine de la découverte, cette atomisation offre la possibilité de recruter plusieurs fois un même tronçon, car participant de plusieurs itinéraires, sans avoir à le redessiner. Plus de 50 itinéraires et plus de 1 500 entités archéologiques ont ainsi été enregistrés dans l’inventaire régional.
- 5 Dans le cadre des plans locaux d’urbanisme (PLU) ou des zones de présomption de prescription archéo (...)
8La qualité de ces résultats tient avant tout dans la méthode employée – qui s’appuie essentiellement sur la réalité de terrain, ce qui tranche avec celles mises en œuvre par nos prédécesseurs –, plus que dans la certitude des tracés des itinéraires identifiés. Il faut pour partie les considérer comme des hypothèses que seule la fouille pourra confirmer. C’est la raison pour laquelle le SRA de Bretagne a intégré ces nouvelles entités dans sa politique de zonage5. Selon leur état de conservation, le SRA peut demander la non-constructibilité de la parcelle ou la transmission de tous les dossiers d’aménagement au titre du Code de l’urbanisme situés dans leur emprise, afin de pouvoir mettre en œuvre des prescriptions d’archéologie préventive et vérifier les hypothèses du tracé [ill. 1]. Toutefois, ce nouveau cadre administratif, certes ambitieux et offrant la possibilité de renouveler nombre de problématiques ayant trait à l’étude des voies anciennes, ne garantissait pas des résultats probants à court ou moyen terme. Le succès de l’entreprise dépendait également de l’intérêt qu’il rencontrerait au sein de la communauté des archéologues bretons, lesquels avaient assez largement ignoré jusqu’alors la réalité physique des cheminements anciens. C’est donc un processus récent d’appropriation de ce nouveau levier de recherche que nous présentons ici à grands traits et à partir de quelques études pionnières.
1. Carte représentant les tracés issus de la prospection thématique réalisée par A. Provost et enregistrés dans la carte archéologique nationale ainsi que les zones de présomption de prescription archéologique (ZPPA) qui en découlent.
G. Leroux, Inrap.
9La politique incitative du SRA a fait en sorte que les réseaux viaires n’échappent plus aux prescriptions archéologiques. Les indices viaires, du chemin agricole à la voie majeure, allaient enfin pouvoir être confrontés à l’épreuve du terrain. À partir de la fin des années 2000, les opérations de diagnostic concernant les cheminements anciens se sont succédé à un rythme proche de celles attachées aux habituels sites d’habitat. Mais en les élevant au rang de vestiges archéologiques supposés, le risque de ne pouvoir les reconnaître ou de n’en constater qu’un état dégradé est aussi apparu. Dans certains cas, en effet, la quête d’information est restée vaine à cause d’une méthode inadaptée, celle par exemple de l’ouverture de tranchées de sondage parallèles au fuseau routier, alors qu’en la matière les sondages transversaux doivent être privilégiés. Le plus souvent cependant, l’échec de l’entreprise reste imputable à une connaissance insuffisante du tracé de l’itinéraire ou de son degré de résilience sous les routes actuelles. Avec le recul de l’expérience, il est certain que, dans bien des cas, ces risques d’erreur auraient pu être minimisés par une concertation accrue entre les différents acteurs de l’archéologie régionale. Certaines autres opérations ont en revanche tenu toutes leurs promesses : c’est le cas des interventions multiples entreprises sur l’itinéraire routier antique Condate/Rennes-Juliomagus/Angers et de la fouille à Allaire (Morbihan) sur l’itinéraire Juliomagus/Angers-Darioritum/Vannes.
10À lui seul ou presque, durant ces trente dernières années, l’itinéraire routier ancien reliant Rennes à Angers, en faisant l’objet d’investigations diverses, a rythmé l’avancée des études viaires en Bretagne. Cette route, pour sa partie bretonne essentiellement, est devenue notre laboratoire d’apprentissage de l’archéologie des routes anciennes. Comme pour certaines autres voies majeures parcourant la Gaule, les incertitudes de son tracé furent en grande partie balayées par l’archéologie aérienne dès les années 1990, à la faveur, notamment, de l’observation de nombreuses sections retournées dans le domaine agricole (Leroux, Gautier 2012) [ill. 2]. Cet acquis primordial a permis au SRA de cibler ses prescriptions avec une certaine garantie de résultats. L’étape suivante consista, dès 1995, en la fouille du franchissement de la rivière Seiche à Visseiche (Ille-et-Vilaine) (Leroux et al. 2002). Cette opération, en mettant au jour une œuvre de charpenterie élaborée dès le début du ier siècle avant notre ère pour soutenir les niveaux de circulation de la voie au-dessus d’un secteur marécageux, nous enseigna que les Romains n’avaient pas été les seuls à léguer des ouvrages routiers monumentaux [ill. 3 et 4]. Dans la foulée de cette intervention, un programme de prospection thématique visant à répertorier de nouveaux ouvrages de franchissement des cours d’eau fut lancé. Son relatif succès fut couronné par la fouille partielle, à Drouges (Ille-et-Vilaine) en 2001 (étude inédite), d’une levée donnant accès à une série de ponts jetés sur l’Ardenne, affluent de la Seiche, celle-ci confirmant non seulement les datations du site de Visseiche mais aussi le caractère monumental de certains points de sa construction [ill. 5 et 6].
2. Vue aérienne sur laquelle la matérialité de la voie Rennes-Angers à Domloup (Ille-et-Vilaine), au lieu-dit des Haies, correspond à des fossés de limite d’emprise, présents sur toute la section, et à une fondation empierrée, peut-être ponctuelle (trace blanche rectiligne), soutenant la bande de roulement.
G. Leroux, Inrap.
3. Ossature de bois soutenant la levée d’accès au pont gaulois qui permettait à la liaison Rennes-Angers de franchir la Seiche à Visseiche (Ille-et-Vilaine).
Essentiellement constituée par des lignes de pieux et de poutres de chêne, elle est mise en place au début du ier siècle av. n. è. et certaines de ses pièces les plus exposées ont fait l’objet de plusieurs réfections à la fin du ier siècle av. n. è.
G. Leroux, Inrap.
4. Pointe d’un des pieux participant au maintien latéral de la chaussée.
Elle se caractérise par huit sifflets taillés à l’herminette et à la hache.
G. Leroux, Inrap.
5. Armature de la levée qui donne accès aux ponts successifs, enjambant ici l’Ardenne.
Comme sur le point de franchissement de Visseiche, distant de 5 km, elle est maintenue par des poutres latérales appuyées contre des pieux de chêne.
G. Leroux, Inrap.
6. Dizaines de pieux conservés dans un ancien lit comblé de l’Ardenne.
Enfoncés dans le sous-sol, ils appartenant à différentes phases d’un pont sans cesse reconstruit au même endroit. Ceux-ci possèdent des sections circulaires, carrées ou octogonales.
G. Leroux, Inrap.
11Entre-temps, une série d’opérations plus modestes avait été source d’informations à propos de l’aménagement des abords de la route ou bien encore de la présence récurrente de carrières latérales, destinées à prélever au moindre coût certains matériaux entrant directement dans la composition de ses couches de forme. Les dernières interventions importantes, à Rannée en 2015 et à Drouges (Ille-et-Vilaine) en 2016, ont permis, quant à elles, de démontrer la pérennité de l’itinéraire entre la Protohistoire et la période antique, mais aussi de noter une certaine hétérogénéité de ses modes de réfection ou de sa mise aux normes romaines. De manière générale, la reprise de l’itinéraire au cours de l’Antiquité se traduit par un changement de mode de construction, dont la mise en place d’une fondation empierrée supportant la bande de roulement est l’élément le plus remarquable. Si l’itinéraire se distingue par une série de reprises et de réaménagements, en revanche, à aucun moment le tracé initial n’est remis en question et la chaussée antique se superpose parfaitement aux états antérieurs de la route [ill. 7 et 8].
7. Section de l’itinéraire ancien Rennes-Angers fouillée à Rannée (Ille-et-Vilaine), la Grande Bécannière.
Elle indique que la pose de la chaussée antique empierrée a été précédée d’un remblai destiné à gommer les irrégularités du cheminement protohistorique ponctuellement réduit à une fondrière.
G. Leroux, Inrap.
8. Coupe transversale de l’itinéraire Rennes-Angers réalisée à Rannée (Ille-et-Vilaine), la Grande Bécannière.
La superposition est parfaite entre la chaussée antique et le chemin creux protohistorique marqué par des ornières profondes.
DAO : A. Desfonds, S. Jean, Inrap.
12En 2005, la fouille d’une importante section de la voie majeure reliant Juliomagus/Angers à Darioritum/Vannes, d’ailleurs inscrite sur la table de Peutinger, a permis de saisir la réalité des grands travaux routiers antiques tels qu’ils avaient pu être décrits dans leurs moindres détails par le poète romain Stace à la fin du Ier siècle de notre ère (Duval 1989, p. 757-764) [ill. 9 et 10]. Le mode préparatoire du chantier routier a pu être retrouvé, de la définition du tracé jusqu’à l’assainissement systématique des abords de la route et du cœur de sa chaussée, en passant par le marquage de l’emprise foncière de la route. De surcroît, l’essartage complet de l’ancienne emprise routière a laissé de nombreux charbons de bois dont la datation par radiocarbone a déterminé une construction relativement précoce, dans la foulée de la conquête romaine de la Gaule. L’observation la plus novatrice a consisté en la détermination d’un système de drainage inséré dans l’épaisseur des recharges de la chaussée. En effet, à l’aplomb d’un petit ru intermittent, les couches de forme, nettement épaissies, renfermaient un dispositif technique correspondant à une « tuyauterie » à tronc perdu, permettant de rejeter latéralement du corps de la route les éventuels excédents d’eau.
9. Découverte d’une section de l’itinéraire Juliomagus/Angers-Darioritum/Vannes à Allaire (Morbihan), Sainte-Marie, lors d’une mission aérienne.
Celle-ci apparaît notamment sous la forme d’une bande herbeuse desséchée trahissant la présence de sa bande de roulement empierrée.
G. Leroux, Inrap.
10. Fouille totale réalisée sur un tronçon routier antique de plus de 300 m de long suite à la prescription de la fouille d’Allaire (Morbihan).
La vue aérienne montre l’alternance des coupes transversales et des zones décapées.
G. Leroux, Inrap.
13Dans ce cas précis, on peut penser que l’ampleur spatiale de la prescription de fouille, portée ici à une longueur de 300 mètres et succédant elle-même à un diagnostic mené sur plusieurs kilomètres, a été déterminante dans l’acquisition de ce haut degré d’information [ill. 11, 12 et 13].
11. Coupe et plan général de la fouille d’une section de l’itinéraire antique Angers-Vannes à Allaire (Morbihan).
On note que la surface des bas-côtés et les fossés de limite d’emprise de la route sont rechargés au fur et à mesure de l’élévation structurelle de la chaussée. Les faits liés au déroulement du chantier de construction de la voie (fossés de limite d’emprise dédoublés, fosses d’extraction ou fossés d’assainissement) ont été intégralement reconnus.
DAO : A. Desfonds, S. Jean, Inrap.
12. À échelle humaine, le caractère imposant du monument routier est évident.
G. Leroux, Inrap.
13. Écorché d’une section importante de la voie antique Juliomagus/Angers-Darioritum/Vannes à Allaire.
Il nous renseigne notamment sur le renforcement central de la fondation empierrée de la route, la présence d’ornières de chantier et l’empierrement des épaulements de ses rives.
G. Leroux, Inrap.
14La multiplication des prescriptions de grande ampleur spatiale, donnant lieu à des opérations au cours desquelles les méthodes de fouille sont mises en œuvre selon des protocoles établis à partir des expériences antérieures, concourt évidemment à une certaine maturité de la recherche. Les deux derniers exemples en date, celui de Piré-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) en 2014, et de Caulnes (Côtes-d’Armor) en 2017, ne peuvent déjà plus être considérés comme des opérations exceptionnelles. Le premier concerne un itinéraire secondaire reliant des points éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres entre Bain-de-Bretagne et Vitré, tandis que le second aborde la section d’une liaison routière entre la Manche et l’Atlantique et plus précisément entre Fanum Martis/Corseul et Duretie/Rieux. Dans les deux cas, les longueurs prescrites atteignent près de 300 mètres et englobent aussi la largeur complète des routes. L’un correspond aux stigmates de cheminements successifs légèrement empierrés, conservés dans une cavée plus ou moins régulière [ill. 14], tandis que l’autre se distingue par l’accumulation stratigraphique parfois importante des divers états d’aménagement de la voie, à l’aplomb notamment de certaines dépressions notables du terrain [ill. 15]. Même s’ils sont de constitution différente, dans les deux cas on constate la grande stabilité physique des itinéraires, entretenus sans discontinuité entre l’âge du Bronze et le Moyen Âge.
14. Chemin de Piré-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine), Bellevue, lors du décapage de son emprise de fouille en 2014.
Au cours de son utilisation, entre l’âge du Bronze et le Moyen Âge, l’itinéraire s’est progressivement encavé et a engendré des fossés bordiers successifs.
G. Leroux, Inrap.
15. Section importante d’une liaison routière entre la Manche et l’Atlantique (itinéraire Fanum Martis/Corseul-Duretie/Rieux).
Elle a fait l’objet d’une fouille en milieu forestier à Caulnes (Côtes-d’Armor), le Bois de la Haie. Le cliché montre que la puissance stratigraphique de sa bande de roulement s’adapte aux configurations diverses du sous-sol censé la supporter.
G. Leroux, Inrap.
15Les progrès de la recherche devaient nécessairement passer par un changement d’échelle des interventions sur le terrain. Ce premier pas est désormais franchi régulièrement avec des prescriptions parfois établies sur des longueurs de plusieurs centaines de mètres, finalement en adéquation avec le développement d’une route. Dans ces conditions, il est plus facile de juger de l’uniformité ou au contraire de relever les différentes adaptations des tracés routiers aux milieux physiques traversés. La mécanisation des interventions archéologiques tient aussi un rôle essentiel dans le renouvellement des études consacrées aux routes anciennes. De ce seul point de vue, la recherche atteint une nouvelle dimension et l’opération d’Allaire s’est soldée par une étude totale de la voie, allant jusqu’à l’enlèvement intégral du monument routier. Cette étape ultime de la fouille a laissé apparaître les traces insoupçonnées de la préparation et de la conduite du chantier routier antique.
16La route ne peut plus être considérée comme un simple linéament ; de plus, sa nature élastique s’accorde plus ou moins empiriquement aux profils des terrains traversés. Enfin, les routes majeures antiques, mais également certaines autres datant de l’âge du Fer, évoluent dans un cadre spatial défini par des fossés ou des talus et voient leur bande de roulement centrale encadrée par des bas-côtés soigneusement aménagés et entretenus par des recharges en matériaux, en mesure eux aussi de supporter un certain trafic. La route peut se concevoir désormais en trois dimensions et être disséquée comme n’importe quel autre corps architectural. Les coupes longitudinales compléteront les coupes transversales, tandis que les écorchés permettront d’établir avec finesse les moindres recharges des niveaux de circulation. Pénétrer dans les entrailles des routes a également permis d’établir leur hiérarchie à partir d’éléments très concrets. L’analyse combinée de leurs dimensions et du nombre de leurs phases d’utilisation ou de réfection permet à coup sûr de définir une voie majeure d’intérêt régional ou interrégional, un axe de circulation secondaire ou un simple chemin réservé au terroir cultivé d’un établissement agricole voisin. Dans une suite logique, la carte admise des réseaux viaires bretons depuis la fin du xixe siècle a été corrigée et surtout augmentée de nouveaux axes de circulation.
17La plupart des études anciennes traitant des routes ou chemins achoppaient sur la question de la chronologie, faute, pour nos prédécesseurs, d’avoir eu accès à des moyens techniques suffisants. La résurgence des antécédents protohistoriques fait partie des acquis importants des recherches actuelles. Les origines de « la » route ancienne sont longtemps restées collées à la seule Antiquité. Elles sont maintenant repoussées sans cesse à des antécédents plus lointains, gaulois pour le moins, protohistoriques au sens large du terme à coup sûr. Rien que de très logique et d’attendu mais encore fallait-il avoir la possibilité matérielle de le prouver. Enfin, bien plus peut-être que par la seule augmentation du nombre des opérations de fouille décidées sur des indices viaires, les retombées de la planification du SRA de Bretagne se font également ressentir au quotidien sur le terrain, là où les archéologues sensibilisés à cette nouvelle problématique ne cessent d’identifier les stigmates de nouvelles voies de circulation ancienne.
